Intervention de Nicolas Mazzucchi

Mission d'information Fonds marins — Réunion du 15 mars 2022 à 17h00
Enjeux stratégiques de la maîtrise des fonds marins — Audition de Mme Camille Morel chercheuse en relations internationales à l'université jean moulin lyon-3 M. Nicolas Mazzucchi chargé de recherches à la fondation pour la recherche stratégique frs et Mme Marianne Péron-doise chercheuse asie du nord stratégie et sécurité maritimes institut de recherche stratégique de l'école militaire irsem

Nicolas Mazzucchi, chargé de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) :

Je centrerai mon propos sur la question de l'exploitation des métaux stratégiques dans les grands fonds marins.

Je me suis intéressé aux dépendances de l'Union européenne, et en particulier de la France, c'est-à-dire aux importations de ces différents métaux essentiels à nos économies. Nos dépendances les plus importantes sont relatives à de grands pays miniers, qui se trouvent également être des puissances géopolitiques extrêmement fortes, comme la Chine, la Russie et les États-Unis. Pour ces derniers, il peut s'agir d'un levier stratégique. Une telle situation pourrait nous engager à une diversification de nos fournisseurs.

Qu'il s'agisse des outre-mer français ou de l'ensemble des territoires mondiaux, les possibilités sont extrêmement vastes. L'International Seabed Authority procède depuis un certain nombre d'années à des travaux d'exploration dans la zone de fracture de Clipperton, à des fins à la fois de recherche et de connaissance scientifique sur les nodules polymétalliques, mais aussi, et surtout de mise en oeuvre d'un code de conduite et de travail pour ces régions, dont une partie se situe dans les eaux internationales.

Les outre-mer français, notamment, mais pas exclusivement, la Polynésie française, sont une zone potentiellement extrêmement riche en nodules polymétalliques et en sulfures polymétalliques. Les nodules sont dans le fond des mers et regrouperaient une part substantielle de métaux variés. Ils contiendraient, dans une proportion restant à déterminer selon les endroits, des métaux extrêmement communs, comme le cuivre ou le nickel, et des métaux beaucoup plus rares. Les sulfures polymétalliques présentent une particularité : il s'agit non pas de ramasser, mais de casser des structures potentiellement riches en métaux. L'exploitation des encroûtements cobaltifères riches en ferromanganèse nécessiterait aussi de casser le plancher océanique.

L'enjeu environnemental est majeur s'agissant d'une exploitation qui consiste soit à racler le fond des océans, soit, dans le cas des sulfures et des encroûtements, à être encore plus invasifs. Les rejets auront des conséquences extrêmement fortes sur la faune et la flore marines, dans des régions déjà soumises à des pressions environnementales très importantes.

Quid de l'intérêt économico-stratégique de l'exploitation de tels métaux en grande profondeur, notamment dans les outre-mer français ? Il y a un déficit dans les approvisionnements actuels et futurs d'un certain nombre de métaux « communs » ou « stratégiques ». Selon l'Agence internationale de l'énergie, la demande sur l'ensemble des métaux destinés notamment, mais pas exclusivement, aux nouvelles technologies énergétiques a tendance à exploser, et pas forcément là où l'on s'y attendrait le plus. Les terres rares ont été, à mon sens, beaucoup trop mises en avant ces dernières années, alors qu'il y a des questions bien plus sensibles, comme le lithium, le graphite, le cobalt et le nickel. L'envolée des prix du carbonate de lithium et le décrochage prévisible entre la production et la demande créent un risque de déficit dans les approvisionnements, renforçant l'hypothèse de la nécessité d'une exploitation des ressources marines.

Toutefois, la situation d'apparent décrochage entre offre et demande doit aussi s'examiner au regard de l'exploitation minière terrestre. Selon les chiffres fournis par l'État américain, qui est l'un des principaux cartographes du secteur marin mondial, il existe d'ores et déjà des situations d'extrême sous-exploitation - évidemment, cela ne concerne pas des pays tels que les États-Unis, la Russie ou la Chine - des ressources minières terrestres, qu'il s'agisse de minerais communs, comme le cuivre ou le nickel, ou de minerais « stratégiques » ou « rares », comme les terres rares, le vanadium, le tantale ou le graphite.

On constate ainsi un décrochage entre une demande qui s'annonce de plus en plus forte et une production qui est très faible. C'est pour des raisons liées au prix que des ressources très majoritairement concentrées en Australie et en Amérique du Sud sont peu exploitées. Dans l'exploitation des ressources minières stratégiques, l'incertitude sur les prix est une question majeure. Selon les analyses de l'International Seabed Authority, pour l'ensemble des métaux qui se trouveraient de manière assez générique dans les nodules polymétalliques, c'est-à-dire le manganèse, le nickel, le cobalt et le cuivre, l'incertitude prix est d'environ 90 %. Or le prix est un levier extrêmement important dans la décision d'ouvrir ou non de nouvelles mines.

Si l'on va exploiter des terres rares très majoritairement en Chine malgré les réserves dont dispose le Brésil, c'est pour des raisons de prix. La Chine maintient volontairement des prix extrêmement bas sur les composés en terres rares.

La problématique du prix est à corréler avec les enjeux majeurs que sont le développement économique des outre-mer et le coût environnemental de l'exploitation. Malgré la hausse de la demande, les niveaux d'incertitude sur les prix des différentes matières premières sont si élevés que les grandes entreprises minières ne sont guère enclines à s'engager dans un domaine tel que l'exploitation sous-marine des nodules et sulfures polymétalliques et des encroûtements.

Si l'International Seabed Authority pousse énormément sur l'exploration, elle est plus prudente sur l'exploitation. D'ailleurs, l'ensemble des rapports de la direction générale de la pêche et des affaires maritimes (DG Mare) de l'Union européenne quant au développement de l'économie minière bleue souligne la difficulté de procéder à une évaluation entre rentabilité économique et protection environnementale et surtout l'absence d'intérêt particulier de la démarche.

Au demeurant, dans les outre-mer français, la base énergético-industrielle est destinée à alimenter le système actuel. Pour y développer très fortement une exploitation minière, il faudrait augmenter substantiellement la production électrique et les systèmes énergétiques locaux. Cela aurait des répercussions importantes sur l'environnement. Dès lors, les conséquences environnementales cumulées de l'exploitation minière, puis de la séparation, du raffinage et du traitement minier seraient sans doute peu soutenables. Et, dans le même temps, il y aurait toujours l'incertitude sur les prix.

Par conséquent, ce qui apparaît comme le plus faisable économiquement et politiquement pour l'Union européenne et la France, y compris pour les outre-mer, c'est le recyclage. La mine urbaine est probablement la solution qui a le plus d'avenir aujourd'hui.

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