Intervention de Marianne Péron-Doise

Mission d'information Fonds marins — Réunion du 15 mars 2022 à 17h00
Enjeux stratégiques de la maîtrise des fonds marins — Audition de Mme Camille Morel chercheuse en relations internationales à l'université jean moulin lyon-3 M. Nicolas Mazzucchi chargé de recherches à la fondation pour la recherche stratégique frs et Mme Marianne Péron-doise chercheuse asie du nord stratégie et sécurité maritimes institut de recherche stratégique de l'école militaire irsem

Marianne Péron-Doise, chercheuse Asie du Nord, stratégie et sécurité maritimes à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem) :

Je remercie votre mission d'information de m'inviter pour évoquer l'espace indo-pacifique. Les enjeux sont de nature politico-militaire. L'approche géopolitique est au premier plan des préoccupations : plusieurs pays riverains ont diffusé une stratégie indo-pacifique insistant sur le fait maritime. Il s'agit de protéger un certain nombre d'éléments découlant de cette maritimité, c'est-à-dire d'assurer la défense de l'économie bleue de l'ensemble des pays concernés, dont certains sont particulièrement vulnérables.

Dans l'Indo-Pacifique, la France est une île. Elle est présente à travers des îles dans l'océan Indien, dont La Réunion, et dans le Pacifique. Elle a des préoccupations liées à la sécurisation de ses énormes espaces maritimes, mais également de ses espaces aériens. La connectivité est un concept au coeur d'un ensemble de stratégies indo-pacifiques.

La préoccupation de la Chine pour les terres rares explique en grande partie son intérêt pour l'exploitation des fonds marins. D'autres pays asiatiques partagent la même inquiétude concernant la sécurisation de leurs approvisionnements en métaux. Des pays comme la Chine, le Japon et la Corée sont extrêmement avancés technologiquement. Ils vont particulièrement vite dans leur développement et dans l'acquisition de nouvelles technologies d'exploration. Ils ont de grandes ambitions et une zone économique exclusive qu'ils exploitent.

La position de la Chine est particulière. Ce pays contrôle pratiquement 95 % des terres rares dans le monde. Les fonds marins sont riches en terres rares. Elle y porte un intérêt particulier pour réussir sa transition écologique. En effet, on retrouve les terres rares dans un certain nombre de composants d'éoliennes, de batteries ou encore de panneaux solaires. La Chine voudrait consolider sa position d'hégémonie sur le marché mondial des terres rares, qui lui offre un levier stratégique et politique extrêmement intéressant. Elle aimerait aussi continuer à nourrir sa croissance et répondre à ses propres besoins en terres rares. Elle a noté la richesse en terres rares et en ressources minérales de toutes sortes, par exemple en nodules polymétalliques, des fonds de la mer de Chine du Sud. Elle a déjà commencé à conduire des recherches dans des zones économiques exclusives contestées avec ses voisins, notamment avec la Malaisie et le Vietnam. Cela crée évidemment des tensions. La Chine poursuit son expansion maritime en poldérisant massivement la mer de Chine du Sud. Pour des raisons stratégiques qui lui sont propres, elle veut sécuriser son accès aux terres rares en se tournant vers le domaine maritime. Elle a des capacités d'exploitation. Elle développe des coopérations avec un certain nombre de pays.

La Chine veut être autonome dans les hautes technologies, dans la robotique, dans la communication. Tous ces domaines impliquent un accès aux terres rares. Elle va donc intensifier ses recherches et ses capacités d'exploration des fonds marins. Elle attend très clairement la mise en oeuvre du code minier de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), afin de pouvoir avoir accès de manière plus opérationnelle aux potentielles terres rares. Elle en a la capacité technologique. Elle dispose de compétences pour l'extraction dans les grandes profondeurs. Elle va continuer à affirmer ses droits souverains au détriment de ses voisins en mer de Chine du Sud.

La Chine se heurtera toutefois à un certain nombre d'acteurs assez hostiles à une telle exploration des fonds marins. Ceux-ci souhaitent obtenir un moratoire sur l'exploration, jugeant insuffisantes les connaissances dont disposent les principaux acteurs quant aux dégâts sur l'environnement maritime. La perspective de voir des tracteurs géants racler les fonds marins inquiète un certain nombre de pays et d'organisations environnementales. C'est également le cas d'États océaniens, par exemple les îles Cook ou les îles Tonga. Tous s'inquiètent du développement d'activités d'exploration dans une zone effectivement riche en terres rares et en nodules polymétalliques : la zone de fracture Clarion-Clipperton.

La Chine est aidée dans ses ambitions par ses bonnes relations avec l'Autorité internationale des fonds marins. Cette dernière, qui est localisée en Jamaïque, délivre des permis d'exploration permettant de mieux connaître l'environnement, mais également de préparer le terrain en vue de possibles exploitations. À ma connaissance, trente et un permis ont été délivrés, majoritairement dans la zone de fracture Clarion-Clipperton, au large du Mexique. Il semblerait que la Chine ait cinq contrats. C'est une bonne moyenne. Cela lui permettrait d'exploiter approximativement 238 000 kilomètres carrés, soit une zone extrêmement vaste.

La Chine bénéficie de ses capacités financières et techniques, mais aussi de sa capacité à projeter des stratégies de long terme. Elle dispose d'acteurs étatiques liés à la gestion des fonds marins très bien organisés qui lui permettent d'avoir une programmation et un suivi de long terme dans ses projections en matière de potentiel d'exploration.

Elle est très active auprès de l'AIFM. Elle a été parmi les premiers États à mettre en place un représentant permanent. Elle sponsorise un certain nombre de recherches permettant de développer des travaux d'exploration et d'accélérer le passage au stade de l'exploitation. Elle est également l'un des principaux contributeurs au budget de cette autorité.

Vous le voyez, elle se prépare pour le jour où elle recevra le signal lui indiquant qu'elle peut exploiter les fonds marins.

Il n'y a pas de mise en oeuvre d'une potentielle exploitation des fonds marins dans le cadre de la stratégie dite des « routes de la soie ». Mais il y a tout de même une proximité dans les objectifs. La dimension maritime de ces routes, qui est importante, vise grosso modo à moderniser un certain nombre d'infrastructures portuaires dans l'océan Indien, jusqu'à la Méditerranée, mais sans oublier la partie mer de Chine du Sud. Il s'agit donc de moderniser des infrastructures portuaires, d'aménager des ports en eaux profondes, d'adosser des réseaux de voies ferrées à des infrastructures maritimes pour faciliter le commerce et les échanges.

L'une des craintes identifiées s'agissant de la mise en oeuvre de ces routes maritimes réside dans leur usage dual : la marine de guerre de l'armée populaire de libération pourrait, tout comme la marine marchande, bénéficier de facilités logistiques, d'escales, de réparations sur les côtes de l'océan Indien ou du Pacifique. Certes, un usage dual peut évidemment venir en soutien d'opérations scientifiques ou de recherches, et les facilités logistiques peuvent aider au déploiement de missions exploratoires de prépositionnement de matériel. Il peut donc effectivement y avoir des interactions en matière de soutien logistique.

La politique d'influence chinoise, qui se déploie désormais via le projet des « routes de la soie », est assez ancienne. L'objectif a longtemps été de réduire l'espace diplomatique, donc l'influence et les capacités d'action, de Taïwan pour mettre en avant la revendication d'une seule Chine.

Au final, que ce soit en Afrique ou dans le Pacifique, la Chine a réussi à réduire considérablement l'influence de Taïwan. Dans le Pacifique sud, dix États lui ont fait allégeance. En échange, elle augmente ses aides au développement.

La Chine a une politique déjà très enracinée, dans l'océan Indien comme dans le Pacifique sud. Un sommet Chine-Océanie est en place depuis des dizaines d'années. Il repose sur un certain type d'aide au développement, dont on connaît les limites : des prêts liés, prises d'intérêts dans l'économie locale, politique de séduction culturelle s'incarnant dans la mise en place d'instituts Confucius...

Tout cela permet à certains de disposer de facilités dans l'accès aux ressources locales, par exemple les ressources halieutiques pour ce qui concerne le Pacifique sud, avec peut-être des achats de licences de pêche ou des prises d'intérêts dans des entreprises liées aux mines.

L'ensemble est amplifié par la route maritime de la soie et la systématisation de cette politique vis-à-vis de partenaires voisins de la France, qui ont effectivement pu être attirés un temps par la capacité qu'a la Chine de moderniser les infrastructures. Il y a un besoin que l'Australie, grand partenaire de la zone, n'a peut-être pas suffisamment pris en compte dans sa relation avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Vanuatu et les îles Fidji, États qui mettent le doigt sur les effets nocifs de la politique d'influence chinoise dans le Pacifique sud.

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