Intervention de Martial Bourquin

Réunion du 21 octobre 2009 à 21h45
Débat sur les pôles d'excellence rural

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis ravi d’intervenir pour la seconde fois, en l’espace de quatre mois, sur ce thème des pôles d’excellence rurale, fait suffisamment rare pour être signalé. Nous aurons d’ailleurs cette fois-ci le plaisir d’entendre notre ancien collègue, Michel Mercier, devenu depuis ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire.

Ce deuxième débat traduit sans doute l’importance des pôles d’excellence rurale dans la politique d’aménagement du territoire et de développement des zones rurales conduite par le Gouvernement et la majorité sénatoriale, ce qui ne signifie pas, je l’espère, que cette politique nationale se résume aux seuls PER.

Cette fois-ci, nous avons une base sérieuse de travail, puisque la commission de l’économie vient d’adopter le rapport d’information de M. Pointereau. Je tiens d’ailleurs à saluer la qualité des travaux qui ont été menés et l’objectivité des conclusions du groupe de travail, qui ne se limite pas à donner un satisfecit général ; il dresse aussi quelques constats moins unanimes, et peut-être moins faciles à entendre, sur les faiblesses du dispositif.

Ce sont ces constats que je souhaite commenter ce soir, non par volonté d’opposition systématique, mais par souci d’améliorer notre politique, chaque fois que l’occasion nous en est donnée. Nous avons d’ailleurs appris récemment qu’une deuxième génération de PER serait lancée l’année prochaine.

J’aimerais toutefois rappeler de façon liminaire que les pôles d’excellence rurale sont le pendant, dans les zones rurales, des pôles de compétitivité qui ont été mis en place dans les zones urbaines et qui ont bénéficié de la réorientation des fonds structurels européens vers un nouvel objectif de compétitivité et d’emploi.

C’est en 2005, et surtout en 2006, que la nouvelle programmation de la politique européenne de cohésion et celle de la politique agricole commune ont été élaborées pour la période 2007-2013. Et c’est à cette date qu’il a été décidé que la politique européenne de développement rural serait complètement rattachée à la PAC et que son fondement serait non plus territorial, mais sectoriel, et que, de son côté, la politique régionale serait concentrée sur les zones urbaines et les zones en reconversion économique.

Il est vrai que le cadre financier européen est désormais contraint et qu’il s’agissait d’adapter les politiques européennes à une Union élargie comptant dix membres de plus.

Ce rappel du contexte européen ne vise pas à dédouaner la France de sa responsabilité, car c’est avec son soutien qu’une telle évolution a eu lieu, soutien d’autant plus fort que cette réorientation des fonds structurels permettait de financer les pôles de compétitivité lancés en 2004.

Cette réforme n’aurait pas été si grave si, de son côté, le deuxième pilier de la PAC s’était concentré sur le développement rural non agricole. Malheureusement, celui-ci est resté principalement orienté sur la modernisation des structures agricoles et n’a pas permis de mettre en place une vraie politique de développement rural entendue comme une politique de soutien destinée au développement économique et social des zones rurales, à l’amélioration de la qualité de la vie et à la protection de l’environnement et des ressources naturelles.

C’est dans ce cadre très contraint et avec des aides européennes limitées que les pôles d’excellence rurale ont vu le jour en France, le Gouvernement se rendant sans doute compte qu’une politique d’aménagement du territoire axée seulement sur la compétitivité risquait d’accentuer les disparités entre zones urbaines et zones rurales.

Toutefois, comme le souligne le rapport d’information de la commission de l’économie, plusieurs obstacles ont empêché les pôles d’excellence rurale de réaliser tout leur potentiel.

L’un de ces obstacles, c’est que nous n’ayons pu aboutir, et j’en suis désolé, à dresser un véritable bilan des résultats de la première génération de PER en termes d’activités durables, notamment en matière d’emplois pérennes, avant de lancer la deuxième génération.

Il est indispensable, monsieur le ministre, que l’ensemble des pôles de première génération soient évalués lorsqu’ils seront tous effectivement en fonctionnement. Nous devons connaître exactement le nombre d’emplois nets créés et d’emplois induits dans l’économie locale. Cela nous paraît très important : quand nous menons une politique, nous devons avoir le souci de l’évaluer systématiquement.

Je formulerai deux remarques.

Tout d’abord, celles et ceux qui connaissent un tant soit peu les exigences des élus savent que, aux yeux de ces derniers, chaque investissement de l’État et des collectivités territoriales doit être assorti de contreparties et de résultats en termes de maintien ou de création d’emplois durables.

Ensuite, je reste persuadé que le défaut d’ingénierie dans les territoires ruraux est un obstacle majeur à une plus grande réussite des PER. C’est réellement par ce biais que nous arriverons à travailler au développement des zones rurales.

Le groupe de travail de la commission a proposé plusieurs initiatives visant à lever cet obstacle, telle l’amélioration de l’accès aux services de la Caisse des dépôts et consignations. Je pense que l’objectif ne sera pas atteint tant que le PER ne financera pas aussi, au moins en partie et sous des formes appropriées, des dépenses de fonctionnement, notamment des dépenses en ingénierie.

Je suis enfin quelque peu resté sur ma faim quant à l’existence d’un véritable label PER, qui supposerait une réelle volonté de considérer ceux-ci, également, comme des expérimentations ayant vocation à être pérennisées et adaptées à d’autres territoires. Ma collègue Odette Herviaux avait souligné ce point en commission, et je le crois fondamental. Nous sommes tous d’accord pour insister sur la spécificité des pôles en fonction du contexte local, mais une trop grande originalité dans le montage empêcherait de le reproduire ailleurs.

Je propose qu’une partie du fonds PER qui, je l’espère, devrait naître de nos réflexions puisse servir directement à aider au montage d’autres projets, parfois quasiment similaires, dans d’autres territoires. Il faut instaurer un échange des bonnes pratiques et une diffusion des modèles qui auront rencontré un succès.

Il faudra aussi accentuer les liens entre pôles de compétitivité et pôles d’excellence rurale, entre urbain et rural, ce qui me paraît garantir une meilleure cohésion territoriale.

L’excellence, ne l’oublions pas, a valeur d’exemple et d’expérience. Au moment où nous nous apprêtons à accueillir la deuxième génération de PER, je reste doublement inquiet pour la pérennité des premiers projets labellisés, notamment de ceux qui entrent en fonctionnement maintenant seulement et qui auront encore besoin d’un accompagnement financier.

Monsieur le ministre, le décalage entre les sommes engagées et les sommes payées est encore trop important. La première étape est loin d’être achevée, et il est envisagé de repousser l’échéance de décembre 2009 à décembre 2010.

Par ailleurs, il n’aura échappé à personne que les PER constituent aussi une mutualisation financière, puisque l’État contribue à chaque projet au maximum à hauteur de 33 %, mais qu’en réalité sa participation, rapportée à l’ensemble des PER, est en moyenne de 20 %. La crise économique affecte directement les investisseurs, publics et privés, qui sont tentés, et on le comprend parfois, de concentrer leurs actions sur des activités jugées immédiatement rentables ou indispensables.

À cette incertitude provoquée par la conjoncture économique, il faut ajouter une incertitude politique tout aussi importante, parfois même plus déterminante : celle que le Gouvernement crée et entretient, notamment en proposant une réforme des collectivités territoriales qui peut se révéler inadaptée. On sait très bien que, souvent, le conseil général est l’un des principaux financeurs des pôles d’excellence rurale : s’il perdait, par exemple, sa compétence générale, il serait inévitablement amené à se mettre aux « abonnés absents » et ne pourrait plus se permettre de soutenir des initiatives aussi importantes.

Le rapport du groupe de travail montre très justement la nécessité de créer un fonds PER pour que l’action de l’État soit plus lisible. Je rejoins complètement mon collègue sur cette question et je souscris à la proposition d’inscrire une ligne budgétaire spécifique dans le projet de loi de finances. Mais l’État ira-t-il jusqu’à cette lisibilité ? Car, inévitablement, celle-ci fera apparaître que, sans les collectivités, en particulier sans l’ingénierie qu’elles mettent à disposition, bon nombre de projets ne verraient pas le jour !

Je sais gré à M. le rapporteur d’avoir proposé que les collectivités locales, qui assument le poids financier de ces pôles, soient considérées non pas uniquement comme de simples tiroirs-caisses, mais aussi comme des décideurs dignes de contribuer, en amont, à l’élaboration des appels à projets.

Dans le même temps, qui peut dire si, avec la disparition programmée de la taxe professionnelle, mais aussi avec le projet de modification de la compétence générale que j’évoquais tout à l’heure, voire avec la réforme territoriale dans son ensemble, les collectivités, les groupements de communes, les pays pourront continuer à financer ces pôles ? Véritable incertitude ! Les collectivités n’ont pas suffisamment d’assurances sur leur propre avenir pour intervenir durablement dans des projets qui, somme toute, ne relèvent pas de leur champ d’intervention premier.

Les collectivités locales étaient jusqu’ici contraintes à limiter leur participation financière du fait des décisions de l’État. Monsieur le ministre, prévoyez-vous d’augmenter votre contribution pour assurer la survie des projets ? Envisagez-vous de flécher plus de fonds européens sur les pôles d’excellence rurale ?

Je suis enfin plus circonspect, et ce sera là le dernier point de mon intervention, sur les thèmes d’appels d’offres que vous semblez retenir dans la prochaine génération de PER : développement durable, services publics, soutien aux filières traditionnelles existantes, telles sont les trois orientations que vous avez données.

Comme M. Pointereau l’a indiqué dès le préambule de son rapport, les pôles d’excellence rurale ne sauraient se substituer à une vraie politique d’aménagement du territoire et de développement rural. Ils constituent des valeurs ajoutées et doivent être considérés comme tels. L’État ne doit en rien s’exonérer de ses responsabilités propres en matière de transports, de lutte contre les déserts médicaux ou de services publics. Les 379 pôles labellisés ne doivent en aucun cas masquer la réalité des 36 000 communes, pour qui la survie territoriale est souvent la norme.

Lors d’une récente conférence de presse, monsieur le ministre, vous avez souhaité être le ministre du concret : ce soir, nous allons essayer d’être des sénateurs du concret.

Souhaitez-vous vraiment que la nouvelle génération de pôles d’excellence rurale permette, dès 2010, de financer des projets de services publics ?

J’aimerais également que vous nous apportiez quelques garanties sur les dossiers qui seront privilégiés.

Comme tous mes collègues ici présents, je serai, monsieur le ministre, très attentif à ce que les nouvelles générations de PER ne soient pas une fois de plus un prétexte pour faire financer par d’autres des services publics d’État, un moyen de maquiller, sous couvert d’excellence pour quelques-uns, le délitement des services publics prévus pour le plus grand nombre et d’organiser, comme c’est le cas dans certaines zones, des déménagements du territoire.

Si tel était le cas, je vous le dis tout net, monsieur le ministre, nous ne serions pas d’accord, et je sollicite du président du groupe de travail, ainsi que du président de la commission de l’économie la plus grande vigilance sur cette question. Directions départementales de l’agriculture, directions départementales de l’équipement, aujourd’hui l’Office national des forêts, parfois les gendarmeries, les tribunaux : la ruralité connaît un départ impressionnant de services publics. Ce processus doit être stoppé. La révision générale des politiques publiques a fait des ravages dans nos territoires.

Le groupe socialiste, qu’avec Yves Chastan je représente ici, soutient le principe de nouvelles générations de PER, afin d’accélérer le financement de projets de développement local. Il n’empêche que nos réserves sont bien réelles quant à la philosophie générale dans laquelle ce renouvellement s’inscrit. En d’autres termes : oui à un label PER qui permette de dynamiser les énergies locales, non à une vitrine PER qui masquerait les difficultés actuelles des territoires ruraux, notamment en termes de maintien des services publics, difficultés que nous vivons au quotidien dans nos circonscriptions et que nous continuons à dénoncer.

Comme nombre d’élus ruraux, monsieur le ministre, j’attends avec impatience vos réponses à ces questions.

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