Intervention de Uma Rani

Mission d'information Uberisation — Réunion du 24 juin 2021 à 11h00
Audition de Mme Uma Rani chercheuse à l'organisation internationale du travail co-auteure du rapport « les plateformes de travail numérique et l'avenir du travail : pour un travail décent dans le monde en ligne »

Uma Rani, chercheuse à l'Organisation internationale du travail :

Les plateformes numériques communiquent beaucoup sur le fait qu'elles créent des opportunités d'emploi et de revenus. Prenons l'exemple du secteur des taxis qui existait et continue d'exister sur le marché du travail traditionnel ; dans les pays développés, les plateformes ont offert des possibilités de revenus à un petit segment de travailleurs qui était exclu de l'offre traditionnelle des chauffeurs de taxis ; et dans les pays en développement, les chauffeurs de taxis traditionnels font déjà partie d'un marché traditionnel. Il convient donc d'être prudent sur le sujet des créations de revenus.

Dans les secteurs traditionnels, où les droits des travailleurs sont décidés par des accords collectifs, la situation a empiré avec l'arrivée des plateformes ; en s'appuyant sur la loi de l'offre et de la demande, les droits des travailleurs sont désormais revus à la baisse. Il faudrait s'assurer que les prix des taxis, fixés par les gouvernements sur la base d'un certain nombre de caractéristiques, soient bien respectés ; et c'est le même raisonnement pour beaucoup d'autres secteurs.

On observe aujourd'hui une interpénétration entre les activités. Il y a toute une série de secteurs - le traitement des données, la traduction, la transcription, la programmation d'ordinateurs - où les plateformes se sont imposées. Toutes ces activités existaient auparavant sur le marché traditionnel ; ce sont des activités souvent anciennes, dans lesquelles les prix ou les taux ont été déterminés par des accords sectoriels ou d'autres mécanismes du même genre. Les plateformes sont en train de précariser un grand nombre de ces activités ; je pense notamment au secteur de la manufacture, à celui de l'automobile. Beaucoup de tâches, dans ces secteurs, sont confiées à des sous-traitants dans des pays en développement - en Asie, en Afrique ou en Amérique latine - où elles sont réalisées par des travailleurs hautement qualifiés à des salaires très bas. Les plateformes disent qu'elles créent des emplois ; en réalité, elles précarisent ceux qui existaient déjà dans le secteur traditionnel.

Votre deuxième question portait sur le renforcement du processus algorithmique. Je pense, en effet, qu'il s'agit d'une chose importante. À l'OIT, nous travaillons en ce moment sur les secteurs des entrepôts et des hôpitaux pour comprendre dans quelle mesure les pratiques de gestion sont influencées par les algorithmes. Les pays doivent intervenir rapidement, car les algorithmes et l'intelligence artificielle ne sont pas des sujets accessibles.

Il s'agit notamment de bien comprendre le code source. L'Espagne a pris des mesures, mais elles sont insuffisantes, il faut aller plus loin. Qu'est-ce qui figure dans le code source ? Nous devons avoir plus de détails sur la manière dont tout cela est constitué.

Dans ces plateformes, de la répartition du travail au paiement, tout est automatisé. Lorsque vous effectuez un travail par exemple, un algorithme décide si votre travail est bon ou pas, si vous devez être récompensé ou non ; il n'y a aucune intervention humaine et il n'existe aucun mécanisme de recours pour les travailleurs. C'est un problème que nous devons régler, en demandant une intervention humaine plutôt que de l'intelligence artificielle.

Pour les plateformes de taxis notamment, on parle beaucoup de liberté, de souplesse, d'autonomie ; tout cela, bien sûr, n'existe pas. Souvent, les chauffeurs doivent payer des amendes liées à certains comportements ; ce genre de pratiques ne doit pas être autorisé.

En 2018, lorsque nous avons rédigé notre rapport, nous travaillions uniquement sur les entreprises de micro-travail. Nous souhaitions élargir le champ d'étude, et nous avons commencé à examiner les plateformes d'indépendants ou encore celles de programmation d'ordinateurs. Il faut trouver des solutions dans toute une série de domaines : la science informatique, la médecine et beaucoup d'autres encore.

Les entreprises de télécommunications ne comptent plus sur leurs compétences en interne et s'adressent aux plateformes de mise en relation avec des travailleurs indépendants pour réaliser le même travail à un tarif le plus bas possible.

Un changement important est intervenu entre le mois de février précédant l'apparition du covid-19 et aujourd'hui, avec une « plateformisation » croissante du travail, y compris dans des secteurs traditionnels tels les soins à domicile. La situation commence à devenir inquiétante.

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