Intervention de Yves Chastan

Réunion du 21 octobre 2009 à 21h45
Débat sur les pôles d'excellence rural

Photo de Yves ChastanYves Chastan :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat porte sur les pôles d’excellence rurale lancés en décembre 2005 dans le but de renforcer la cohérence de l’action publique et les synergies locales dans les zones rurales. Mais, plus largement, il s’agit pour nous d’évoquer la politique de développement rural et d’aménagement du territoire menée par le Gouvernement et son degré d’efficacité pour, d’une part, compenser les handicaps humains et naturels des zones rurales et les écarts de croissance qui en découlent et, d’autre part, valoriser les ressources et les atouts existants, qui sont souvent sous-exploités.

J’évoquerai d’abord le redressement démographique des espaces ruraux et les mutations qui s’y produisent.

Si l’exode rural a marqué nos campagnes depuis l’après-guerre et a amené l’État à mettre en place des politiques publiques d’aménagement du territoire pour ne pas laisser ces espaces à l’abandon, on assiste aujourd'hui à un renouveau d’attractivité et à l’installation, ou au retour, de nouvelles populations à la recherche d’un cadre de vie et d’un environnement plus agréables.

La population rurale se modifie donc, avec de moins en moins d’actifs agricoles, mais également plus d’ouvriers, d’artisans et de retraités, quelquefois même en proportion plus importante que dans les villes. On assiste à un développement de l’emploi dans le secteur tertiaire, notamment en matière de services à la personne, à un maintien des activités industrielles – agroalimentaire, mécanique, imprimerie, textile –, lesquelles sont souvent en mutation, et, enfin, à un développement du télétravail.

Comment accompagner cette nouvelle dynamique qui semble s’être enclenchée et l’évolution des espaces ruraux qu’elle rend nécessaire ?

Le rapport du Commissariat général du plan sur les politiques de développement rural de juin 2003 avait identifié cinquante-neuf dispositifs opérationnels visant à stimuler le développement rural. Mais il soulignait aussi le manque de lisibilité des politiques menées par l’État et l’absence de cohérence des choix stratégiques et des actions, qui sont souvent conduites de façon trop sectorielle.

Face à l’affirmation des prérogatives des collectivités territoriales et de l’Union européenne, laquelle soutient une politique régionale économique et sociale visant à réduire l’écart de développement entre les différentes régions européennes, l’État doit continuer à jouer un rôle moteur dans l’aménagement du territoire et assumer la responsabilité qui est la sienne pour garantir la cohésion de ce dernier.

Mais une nouvelle conception du développement des territoires est à construire de façon coordonnée et partagée entre les différents acteurs de ces territoires. Cela rend particulièrement nécessaire le maintien de services publics et de services au public de qualité et fait aussi naître des besoins auxquels il faut répondre : habitat résidentiel et locatif, infrastructures d’éducation, de santé, de garde d’enfants, transports adaptés, nouvelles technologies de l’information et de la communication, structures d’accueil pour les touristes, mise en valeur de l’espace, des paysages, du patrimoine, commerce et artisanat, formation professionnelle, ou bien encore qualification.

Ces besoins sont bien sûr différents selon les zones rurales. L’intervention publique doit s’adapter à cette diversité de besoins, mais aussi de moyens.

Les services déconcentrés de l’État ont donc encore un rôle important à jouer, en coordination avec les collectivités locales et avec le soutien des associations de développement rural.

Les pôles d’excellence rurale affichaient cette ambition de renouveau de la politique d’aménagement du territoire dans les zones rurales et de promotion des partenariats locaux public-privé. Il est vrai qu’ils ont donné de la visibilité et des financements à des projets locaux de qualité, puisque l’on estime qu’une bonne centaine de ces projets sont de bons exemples de développement territorial avec des actions innovantes portées par le public et le privé.

Cette créativité institutionnelle a pu provoquer un effet de levier intéressant, malheureusement essentiellement pour des projets déjà existants.

Il reste que, dans les zones rurales, le manque d’ingénierie pour monter des projets et des clusters est un handicap, ce qui explique peut-être le lent démarrage de la première génération des PER.

Les deux caractéristiques principales des zones rurales, notamment des zones les plus reculées, restent leur faible densité de population et le manque d’activités économiques, qui handicapent les acteurs locaux pour se structurer et piloter des projets.

Le département de l’Ardèche, dont je suis l’élu, a souscrit à huit PER avec des thématiques différentes. Je n’en évoquerai qu’un : le développement d’un projet de service productif local fondé sur la mise en place d’une nouvelle fibre textile. Ce projet, qui devrait relancer l’activité textile – très importante pour mon département –, montre qu’il est possible de développer un secteur de recherche et une industrie en milieu rural grâce à un partenariat public-privé entre une communauté de communes portant le projet et l’association d’une quinzaine de chefs d’entreprises.

Quoi qu’il en soit, je suis obligé de constater qu’il existe souvent un écart important dans la réalisation des opérations des PER. Celui-ci peut s’expliquer par un manque de soutien technique, par des délais trop contraignants lors de la présentation des projets de la première phase des PER et, bien sûr, par les difficultés conjoncturelles récentes liées à la crise économique.

C’est pourquoi je souhaite que soient accordés des délais pour les PER de la première génération susceptibles de concrétiser des opérations intéressantes et innovantes qui n’ont pu être menées à bien dans le temps imparti. Je sais que des préfets – c’est d’ailleurs le cas en Ardèche – ont déjà agi en ce sens.

Pour en revenir aux PER de deuxième génération, je souligne que le dispositif d’appel à projets peut favoriser les zones où il y a déjà une concentration de capital humain, technique et financier. En effet, disposer d’un projet, mener les études préalables, construire, le projet puis passer au montage financier requiert des connaissances et un degré d’expertise qui peut faire défaut dans certaines régions rurales.

Les financements proposés, notamment par l’État et ses services, ont d’ailleurs été d’une grande complexité. Je souhaite que la création d’un « fonds PER » permette de simplifier les montages financiers pour la deuxième phase à venir. Toutefois, une partie de ce fonds devrait être consacrée à l’aide au montage des opérations et, le cas échéant, à certaines dépenses connexes de fonctionnement, afin que les zones les plus en retard puissent aussi y participer et développer des initiatives innovantes et pérennes.

L’une des critiques principales que je ferais est que les collectivités territoriales n’ont peut-être pas été assez associées à la définition du dispositif, alors qu’elles en sont les acteurs principaux, soit en portant les projets, soit en étant la source principale de financement.

Le rapport d’information aboutit à une vingtaine de propositions pour donner un nouvel élan à l’excellence rurale et dépasser les obstacles auxquels ont été confrontés les premiers PER. Je soutiens ces propositions. J’espère que le prochain appel à projets en tiendra le plus grand compte. J’en profite d’ailleurs pour souligner la qualité du travail de M. Pointereau et de l’ensemble des membres du groupe de travail.

S’agissant des orientations possibles de la deuxième génération des PER, nous savons seulement, pour l’instant, qu’il sera demandé aux nouveaux pôles de mettre l’accent sur l’innovation, les services au public et l’emploi. Cette ambition peut paraître quelque peu démesurée par rapport aux résultats obtenus par la première génération de PER – il faudra d’ailleurs procéder à une évaluation à la fin de ceux-ci – et aux moyens, certes limités, mais tout de même non négligeables, mis par l’État dans ces « contrats » au travers de redéploiements de crédits, y compris européens.

En tout état de cause, les pôles d’excellence rurale ne régleront évidemment pas l’ensemble des problèmes, en particulier ceux qui sont liés aux enjeux nationaux, lesquels devraient être prioritaires pour l’État. Les PER ne doivent surtout pas cacher les défaillances des autres politiques d’aménagement du territoire, notamment en matière de services publics.

Les services publics doivent être efficaces et accessibles à tous les citoyens, quel que soit leur lieu de résidence. Il s’agit d’un principe communément admis dans notre République, mais qui est malheureusement de plus en plus éloigné de la réalité, surtout dans les zones rurales. Nous le constatons depuis quelques années : qu’il s’agisse de services essentiels à la population ou de services d’intérêt général comme la santé, l’accès aux soins ou la justice, l’État se désengage ou s’éloigne des zones les moins densément peuplées, au mépris des principes de solidarité et de cohésion économique et sociale des territoires.

Or l’attractivité économique des zones rurales et l’installation de nouvelles populations, comme nous l’avons vu, dépendent du maintien et du développement des services publics et des services au public. Le maillage des territoires par ces derniers est donc une absolue nécessité.

Quant aux collectivités territoriales, vouées à subir une réforme de leurs compétences et de leur organisation, elles risquent d’être asphyxiées par la suppression de la taxe professionnelle. Comment départements et régions pourront-ils poursuivre leurs forts partenariats avec les communes et les EPCI, notamment dans les futurs PER, si leurs compétences et leurs moyens se trouvent fortement érodés ? Nous sommes donc à un tournant pour l’avenir des zones rurales et les PER ne suffiront pas.

Dans tous les cas, ne faisons pas l’impasse sur les difficultés actuelles des territoires ruraux et sur la responsabilité de l’État à assurer l’équité territoriale.

Le nouveau ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire annonce avoir une autre ambition pour les territoires et compte orienter la politique d’aménagement vers la compétitivité des territoires ruraux, la correction des inégalités et la réduction de la fracture territoriale. Nous sommes prêts à le suivre dans cette voie, mais nous aimerions en savoir plus.

Monsieur le ministre, vous avez lancé l’idée des assises des territoires ruraux. Vous avez déclaré que ces assises permettraient d’aborder sans tabou tous les sujets de la vie des territoires : la santé, le transport, l’emploi, la formation, l’enfance, etc. ; dans la transparence et la concertation, ce serait encore mieux, car, pour l’instant, nous n’avons aucune information sur les tables rondes, les participants et les rencontres départementales qui devraient avoir lieu. C’est sans doute un peu trop tôt… Néanmoins, je vous remercie par avance des éclaircissements que vous pourrez nous apporter à cet égard.

J’aimerais aussi en savoir plus sur l’avenir de la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires. Je me demande si l’instabilité de son rattachement ministériel, qui n’est pas de votre fait, monsieur le ministre, n’est pas néfaste à terme. En effet, sans faire toute une litanie, depuis 2003-2004, les rattachements ont changé à peu près tous les deux ans.

Jusqu’à une période récente, la DIACT était rattachée au ministre d’État chargé de l’écologie. Désormais, elle est rattachée aux services du Premier ministre et du ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire et devrait redevenir la DATAR. Qu’est-ce que cela va changer ? Qu’est-ce que cela peut apporter dans le « pilotage » d’une vraie politique d’aménagement du territoire, qui reste encore à construire aujourd’hui ?

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