Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les deux aspects les plus marquants de la réunion du Conseil européen seront, sans nul doute, la signature du traité de Lisbonne et la position prise sur le Kosovo.
Il n'est d'ailleurs pas difficile d'établir un lien entre ces deux aspects.
Lorsque la guerre a éclaté dans l'ex-Yougoslavie, il y a plus de quinze ans, je me souviens de ce que me disaient la plupart des Alsaciens : « Que fait l'Europe ? Où est l'Europe ? »
De fait, à l'époque, les Européens n'avaient ni une volonté commune, ni une analyse partagée, ni les moyens de décision et d'action qui auraient été nécessaires. Et, malgré la présence européenne sur le terrain, c'est de l'extérieur de l'Europe qu'est venue en grande partie la solution. Ce ne serait sans doute plus vrai aujourd'hui. Les États-Unis ont d'autres centres d'intérêt et de préoccupation.
Les choses ont changé. La crise irakienne a certes montré que, devant un choix décisif, l'Europe pouvait se diviser profondément. Malheureusement, comme on le dit en Alsace, « l'arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse ». Il n'en reste pas moins que la construction européenne, en matière d'action extérieure et de défense, a considérablement progressé depuis quinze ans.
Cette évolution a été rythmée par les traités successifs : le traité de Maastricht a mis en place la politique étrangère commune ; le traité d'Amsterdam a renforcé le rôle du Conseil européen et institué le haut représentant ; le traité de Nice a institutionnalisé le comité politique et de sécurité et transféré à l'Union les structures et moyens de l'Union de l'Europe occidentale.
Sur ces bases, la politique européenne de sécurité et de défense n'a cessé de se développer au cours des dernières années : elle est aujourd'hui une réalité concrète, puisque l'Union s'est montrée capable de conduire des opérations sur différents théâtres. Le traité de Lisbonne va considérablement renforcer les instruments d'action de l'Europe en matière de politique étrangère et de défense.
Si j'ai rappelé cette évolution, c'est parce que, face à la question du Kosovo, l'Union européenne devra assumer de lourdes responsabilités. Malgré les progrès accomplis, serons-nous capables d'y faire face ? Nous devons bien mesurer quel est l'enjeu pour la construction européenne. Une question comme celle du Kosovo est l'une de celles pour lesquelles nous avons voulu construire l'Europe. Si nous échouons, si nous nous enlisons, ce sera un échec pour l'idée européenne elle-même.
Cela suppose, tout d'abord, une réelle communauté de vues. À l'approche du Conseil européen, il semble que l'on progresse en ce sens. Mais pourrons-nous maintenir cette communauté de vues dans la durée, en acceptant toutes les conséquences du choix initial ?
Nous le voyons bien, nous nous acheminons à brève échéance vers une forme d'indépendance du Kosovo. Pendant une certaine période, ce ne sera sans doute pas une indépendance pleine et entière - nous manquons d'un Edgar Faure pour trouver le mot qui conviendrait -, mais les frontières de la Serbie auront de facto été modifiées.
Nous serons dans un cas de figure inédit. Certes, la carte de l'Europe d'aujourd'hui n'est plus celle qui résultait de la Seconde Guerre mondiale. L'Allemagne a retrouvé son unité, tandis que plusieurs ensembles fédéraux ont éclaté. Mais l'unité allemande s'est faite sans changement des frontières, et lorsque des fédérations ont éclaté, les frontières des entités fédérées ont toujours été respectées.
Bien sûr, nous affirmons haut et fort que le cas du Kosovo ne pourra en aucun cas servir de précédent. Mais il nous faudra beaucoup de force de conviction pour le faire admettre.
Paradoxalement, le type d'indépendance dont va bénéficier le Kosovo ne nous facilitera pas la tâche sur ce point. Il y a plus d'un territoire en Europe qui aspire, plus ou moins clairement, à une quasi-indépendance plus encore qu'à une indépendance pleine et entière. Prenons garde que les vocations à ce type d'indépendance ne viennent à se multiplier.