Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, chaque époque connaît ses défis.
Dans cette perspective, il nous incombe de tenter de saisir le sens éminent de l'Histoire. Face à la mondialisation des échanges et aux mutations profondes de notre environnement, la France doit désormais considérer l'Europe comme son horizon essentiel.
Dans un contexte de crise, le déblocage institutionnel constitue un préalable indispensable. L'option du traité modificatif porté par la France exprime son volontarisme. Le choix du pragmatisme institutionnel nous semble la solution, dès lors que les conditions d'une renégociation globale pour une nouvelle architecture constitutionnelle ne sont pas, et ne seront vraisemblablement plus jamais, réunies.
En outre, dans l'immédiat, la lourde procédure qu'exigerait la tenue d'une nouvelle convention pour l'avenir de l'Europe n'est plus guère possible, une ratification devant intervenir avant les échéances électorales du mois de juin 2009. La négociation doit désormais s'opérer à vingt-sept. Bon nombre des nouveaux États entrants d'Europe centrale et orientale ne veulent pas de nouvelles normes européennes. Ils sont également réticents au renforcement des politiques sociales de l'Union.
La « Constitution bis » était bien une chimère. Aujourd'hui, une ligne d'opposition à la constitutionnalisation de l'Europe, au-delà le Royaume-Uni, à qui cette tradition juridique est étrangère, comprend la Tchéquie et, dans une moindre mesure, le Danemark et la Suède.
Le choix de la ratification par voie parlementaire avait été clairement énoncé par le Président de la République dans son projet pour la France, puis scellé par l'élection. De plus, cette ratification consacre in concreto la légitimité de la représentation nationale.
Sur le fond, les choix opérés vont dans le bon sens. Le refus de l'option d'un simple abandon de la partie III du traité constitutionnel européen, au profit d'une reprise des dispositifs relatifs à l'amélioration de la codécision et du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil, de même que l'agencement général des pouvoirs rendront possibles le fonctionnement à vingt-sept.
Les récents acquis sont préservés, la nature juridique contraignante de la Charte des droits fondamentaux étant entérinée par la création du poste de Haut représentant pour la politique étrangère.
Le maintien formel de deux traités ouvre les possibilités d'un approfondissement à venir des politiques européennes. Il prend en compte les réticences exprimées à l'égard d'une inscription des principes néolibéraux de libre concurrence dans le marbre institutionnel.
La politique d'intégration ne signifie pas l'Europe à tout prix, au risque d'une fracture citoyenne aux effets difficilement mesurables. Sur ce point, le « non » au projet de traité constitutionnel européen au mois de mai 2005 fait figure de piqûre de rappel très douloureuse, mais, espérons-le, salutaire.
En ce sens, le pragmatisme institutionnel ne fait pas une politique. Au-delà d'une pérennisation de l'Union européenne, le groupe du RDSE souhaite défendre les conditions d'un approfondissement du processus d'intégration.
La présidence française de l'Union doit être l'occasion de poser les termes de la réforme à venir de la politique agricole commune, la PAC, en 2009, des enjeux énergétiques et du développement durable et de l'innovation. J'y reviendrai. Un renforcement des politiques concertées est indispensable.
Deux impératifs doivent guider ces réformes : ne pas contraindre et ne pas bloquer. Les citoyens ne souhaitent pas que la supranationalité induise une perte de souveraineté, ce qui peut paraître paradoxal. Dès lors, il faut faire preuve d'habileté afin de pouvoir agencer une Europe à la carte. Une « intégration multi-niveaux » permet cette possibilité.
Une telle option est depuis longtemps choisie par certains experts. Le traité modificatif, qui maintient déjà l'existence de deux traités européens, rend possible l'édification d'un protocole social additionnel. Il permet à certains États membres de l'Union d'y échapper ou à un ensemble plus ambitieux d'« États fer de lance », inspiré de la zone euro et porteur d'une solidarité renforcée en matière de fonds de cohésion, de gouvernance économique et financière, de politique environnementale et d'innovation, de s'organiser.
Permettez-moi d'en mentionner une illustration concrète. M. Pierre Laffitte, par ailleurs président du groupe du RDSE, présidera un groupe d'experts chargé de proposer à la Commission européenne et aux États membres un mémorandum sur l'innovation fondé sur la coopération des pôles de compétitivité et des clusters européens. Ce mémorandum devrait être signé par les vingt-sept membres lors de la présidence française, à Sophia-Antipolis, les 13 et 14 novembre 2008. L'innovation constitue une des grandes priorités du programme de Lisbonne.
Mais l'intégration ne saurait se passer d'une légitimation populaire accrue des politiques engagées. Les récentes enquêtes sur les valeurs propres aux Européens, au-delà des spécificités nationales, démontrent que jamais les citoyens d'Europe n'ont été aussi proches et transnationaux dans leur rapport au politique et à l'action civique, leur exigence des droits de l'homme ou leurs principes moraux.
Le philosophe allemand Jürgen Habermas a même fait des manifestations européennes contre la guerre en Irak de 2003 la marque de l'édification d'une véritable opinion publique européenne. Cette identité européenne doit trouver sa traduction dans le renforcement du lien entre le citoyen et ses institutions. Voilà le nouveau défi politique de ce début du xxie siècle.
La légitimation de l'Union passe par une réaffirmation des liens entre les niveaux local et national, d'une part, et supranational, d'autre part. Le « mécanisme d'alerte précoce » des parlements nationaux, souvent évoqué par le Président de la République, ainsi que le renforcement de l'information en direction des parlements, entériné dans le traité modificatif, vont en ce sens.
Ce débat, voulu par le Gouvernement, s'inscrit dans cette démarche. Il faudra sans doute aller plus loin ; le rôle et la prise en compte des collectivités locales dans le cadre de la politique des fonds européens, mais pas uniquement - je pense à la réforme de la PAC -, doivent être renforcés. Toutefois, ce déficit de légitimité de l'Union ne pourra être comblé sans un renforcement du lien direct avec les citoyens.
Le groupe du RDSE soutient la proposition formulée en faveur d'un droit d'initiative citoyenne. Même si le choix d'abandonner les formules régaliennes de « lois » et de « règlements » pour le niveau européen se comprend, il n'en reste pas moins que l'architecture institutionnelle ne pourra se passer d'une simplification sémantique.
Comment un citoyen peut-il ne pas se perdre dans la double existence d'un « Conseil » des chefs d'État et de gouvernement, mais aussi de « Conseils » de gouvernement ?
Cette revitalisation de l'idée européenne devra passer par une meilleure communication, à laquelle la représentation nationale doit participer, afin de souligner les apports de l'Union et non pas tant ses contraintes.
L'un des pères du concept juridique contemporain d'« institution » indiquait, au milieu des années vingt, que l'existence d'organes ne suffisait pas à l'établir, mais qu'aux côtés d'une « idée d'oeuvre à accomplir » devait se réaliser une « manifestation de communion » en faveur de l'institution : les pères de l'Europe ont construit l'Europe pacifique comme une idée d'oeuvre. Il nous reste désormais à réenchanter le politique en faisant naître à nouveau une manifestation de communion citoyenne pour l'Europe.
Après avoir été portée par un véritable élan populaire, l'Europe fut trop longtemps ressentie comme réservée aux technocrates, puis seuls les technocrates la comprirent, enfin ils en firent leur domaine réservé.
Il est indispensable que nous comprenions le rejet du référendum de mai 2005 pour appréhender l'hostilité populaire à ce qui reste pour beaucoup un projet exaltant. Nous devons absolument retrouver l'élan originel, retrouver l'enthousiasme provoqué par un projet de paix dans une Europe dévastée, retrouver la conviction que l'Union détient une part du futur du monde. Alors les peuples qui la constituent lui redonneront leur confiance !