Intervention de Renaud Van Ruymbeke

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 22 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Renaud Van ruymbeke premier juge d'instruction au pôle financier du tribunal de grande instance de paris

Renaud Van Ruymbeke, premier juge d'instruction au pôle financier du Tribunal de grande instance de Paris :

En effet, certains pays en Europe sont réticents pour avancer. Vous avez cité le Luxembourg, l'un des six membres fondateurs de l'Union : cet Etat a un secret bancaire très fort et il abrite de nombreuses sociétés fiduciaires qui assurent cette ingénierie. Le poids du monde de la finance dans l'économie de ce pays est loin d'être anodin.

Toutefois, à mon sens, il ne faut pas se polariser sur un seul pays. Car le Luxembourg va dire qu'il se passe exactement la même chose en Suisse - on n'est certes plus dans l'Union européenne, mais on n'en est pas loin. Et les Luxembourgeois et les Suisses vous conseilleront d'aller faire un tour à la City : on se trouve alors au coeur de l'un des grands Etats européens et il faudrait, là aussi, sans doute assurer un peu plus de transparence.

Quant aux paradis fiscaux plus traditionnels, ils foisonnent en Europe. Regardez autour de la France, ils sont partout : les îles anglo-normandes, Andorre - dans une moindre mesure -, Monaco, Gibraltar, la Suisse, le Luxembourg ou encore le Liechtenstein.

Ces pays représentent l'Europe de l'ombre. Ils ont pu prospérer, car, traditionnellement, on tolérait la fraude fiscale. Sans aller jusqu'à dire qu'ils offraient une opportunité d'exil politique, on les voyait comme des soupapes de sécurité face au pouvoir politique. Historiquement, ils tirent aussi un peu leur légitimité de cette idée. Mais, aujourd'hui, ils jouent un tout autre rôle. Car ce ne sont plus uniquement des bas de laine, mais des sommes colossales qui passent dans ces paradis fiscaux. Il est en effet extrêmement simple, même pour des sociétés, d'ouvrir des filiales dans ces pays, d'y capitaliser un certain nombre de ressources et de bénéfices pour les soustraire à l'impôt, et ce en toute légalité.

En marge de l'affaire Elf, je me souviens que je m'intéressais au vendeur d'un bien immobilier. En l'occurrence, tout comme vous, lorsque j'achète un bien, je vais chez le notaire, je m'appelle M. X, j'ai affaire à M. Y, point final. En l'occurrence, cette personne avait vendu des parts d'une fondation liechtensteinoise à un tiers. Il n'y avait donc aucune trace de mutation du bien en France. Comme je m'étais un peu offusqué du procédé, je me suis laissé entendre dire en substance par un avocat franco-américain, imprégné de culture américaine : « Monsieur, je ne vois pas ce qui vous permet de dire cela, on vit dans un monde où mon client est parfaitement libre d'aller au Liechtenstein, de créer une fondation et de céder ses parts à qui il veut, sans payer le moindre impôt nulle part. » D'une certaine manière, il avait raison...

Ainsi va l'Europe de l'ombre, l'Europe des paradis fiscaux. La difficulté d'accès aux informations, que nous avions dénoncée avec un certain nombre de juges européens, existe toujours.

Si, demain, je demande des informations sur un compte au Luxembourg, la personne visée et la banque disposent d'un droit de recours, dont l'exercice aura pour effet de suspendre pour plusieurs mois la transmission des informations que je demande. Le Luxembourg refuse de supprimer cette législation sur les recours en avançant l'argument des droits de l'homme. Mais cela signifie donc que la France ne respecte pas les droits de l'homme, car, si notre pays reçoit une demande similaire, il communique les renseignements sans attendre.

Croyez-moi, si j'étais de l'autre côté de la barre, si j'étais une société fiduciaire et si je savais que l'administration fiscale ou la justice devait attendre six mois pour obtenir un compte, je ferais passer l'argent d'un pays à l'autre dans les vingt-quatre heures et je ne me limiterais pas à l'Europe.

Nous devrions donc déjà faire le ménage chez nous, tout en étant conscients que si l'on élimine toutes ces zones un peu floues et un peu sombres en Europe, l'argent va aller ailleurs. Mais commençons peut-être par montrer l'exemple. Pour cela, il faut faire preuve d'une volonté politique forte. Existe-t-elle vraiment ? On peut se poser la question.

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