L'idée était de bâtir un espace judiciaire européen et de créer un parquet européen qui puisse traiter des dossiers transnationaux. Le constat est simple et dépasse le problème de l'évasion fiscale : tandis que les mafieux et autres trafiquants de drogue ont à leur disposition tous les outils que j'ai décrits pour se jouer des frontières, le juge national, lui, quelle que soit sa bonne volonté, se heurtera toujours aux frontières.
En effet, dès qu'il voudra accéder à un compte ou à une information à l'étranger, en Europe, il devra adresser une requête officielle. Le territoire judiciaire est limité et il lui faudra toujours demander au pays requis de réaliser des investigations pour son compte.
L'idée était que, pour un certain nombre d'infractions parmi les plus graves, qui donnent vraiment lieu à une délinquance transnationale, l'on puisse se doter, à l'image du parquet fédéral américain, d'un organe susceptible d'exercer son action librement à l'intérieur de cet espace judiciaire européen.
Mais on se heurte toujours au pouvoir régalien. On a déjà transféré la monnaie, l'euro, avec tous les problèmes que cela pose et les Etats sont réticents à l'idée d'abandonner ce pouvoir régalien qu'est la justice entre des mains qui ne seraient pas exclusivement nationales.
Quel degré d'Europe voulons-nous ? Il y a l'Europe marchande, celle de la libre circulation, mais, en matière de justice - vous allez me dire que la justice a toujours un train de retard -, on reste toujours derrière nos frontières. On a certes créé Eurojust, qui a son utilité, mais qui se limite à un rôle d'assistance. Cet outil va surtout faciliter les contacts entre les juges européens et ceux des pays avec lesquels des accords ont été conclus, comme la Suisse. Il permettra ainsi à un juge espagnol de rencontrer un juge français ou un juge suisse.
Mais, sur le plan politique, on n'a pas voulu se doter d'un parquet européen disposant réellement de prérogatives sur le territoire de l'Union. Voilà un vrai sujet.