Intervention de Renaud Van Ruymbeke

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 22 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Renaud Van ruymbeke premier juge d'instruction au pôle financier du tribunal de grande instance de paris

Renaud Van Ruymbeke, premier juge d'instruction au pôle financier du Tribunal de grande instance de Paris :

Puisque vous me tendez la perche, je commencerai par répondre à votre dernière question : évidemment que ce serait de nature à permettre une plus grande exemplarité ! Renforcer l'indépendance de la justice me paraît nécessaire.

Se pose le problème non pas des juges, qui sont statutairement indépendants, mais du parquet. Dans un pays de tradition jacobine, dans lequel on définit une politique pénale, veut-on, oui ou non, un parquet indépendant ? Personnellement, je pense que c'est compatible avec une modification du statut du parquet, qui lui garantirait effectivement l'indépendance. Cela me paraît fondamental.

Il faut une justice indépendante. Mais le problème ne se pose-t-il pas également en matière fiscale ? Je vois les inspecteurs des impôts travailler, mais ils dépendent aussi, ce que l'on peut parfaitement comprendre, du ministre de l'économie. Or, vous le savez, l'administration fiscale a un pouvoir de transaction. On peut donc se demander s'il faut maintenir le système tel quel. La représentation nationale n'a-t-elle pas son mot à dire ? Il y a des règles de transparence en interne.

Vous m'avez ensuite interrogé sur la législation.

Je vais vous répondre très simplement : il y a déjà trop de lois. Il faudrait peut-être simplifier, supprimer un certain nombre de textes qui ne servent à rien pour se concentrer sur l'essentiel.

Quelles initiatives pourrait-on prendre ? Là, on entre dans un domaine qui n'est pas le mien et je ne m'y aventurerai pas car ce n'est pas du tout mon rôle, c'est celui des politiques.

Lors de l'appel de Genève, nous avions expliqué que notre démarche se fondait sur notre mission de juge. Nous sommes des juges, et nous ne sommes que des juges ; nous ne devons pas dépasser ce cadre. Nous avions signalé que nous ne pouvons pas appliquer la loi de la même manière à tout le monde parce qu'il existe des zones d'ombre qui nous empêchent de travailler. Nous avons tous fait le même constat. À partir de là, nous passons le relais au politique. D'ailleurs, MM. Montebourg et Peillon avaient mis en place une mission parlementaire d'information sur les paradis fiscaux.

C'est aussi un peu le sens de ma démarche aujourd'hui, si elle en a un... Je veux vous dire que vous êtes le législateur et que vous avez ce pouvoir politique. Moi, je suis incapable de vous proposer des solutions, et je n'en proposerai pas, car je n'ai aucune légitimité pour le faire. C'est à vous qu'il revient de les assumer. Ma seule légitimité en quelque sorte, je la ressens en tant que juge et citoyen - et là, j'ai des comptes à vous rendre -, est de vous dire ce qui ne fonctionne pas, pour quelles raisons et quelles seraient les solutions possibles.

Les deux seules solutions de nature à faire véritablement avancer les choses sont celles que j'ai évoquées au début de mon intervention : chaque pays doit mettre en place une centralisation bancaire et il doit y avoir un échange total des informations entre citoyens d'un même pays.

En effet, est-il acceptable qu'un citoyen français puisse avoir un compte au Luxembourg et se voir protégé par la législation luxembourgeoise face à sa propre administration ? Ne serait-il pas légitime que les Luxembourgeois donnent à notre administration fiscale la liste de tous les comptes ouverts par tous les ressortissants français ?

Mais, vous le voyez bien, en posant ce problème, je pose tout de suite un problème politique, qu'il ne m'appartient pas d'assumer. Simplement, je fais le constat qu'il faut aller dans cette voie si l'on veut avancer.

TRACFIN est déjà en place ; il existe en la matière une législation. Ce n'est pas en créant une nouvelle loi ou une nouvelle commission ou autre chose encore que l'on va faire avancer les choses. Je crois plus au constat : il faut faire un constat et, à partir de là, créer une dynamique, qui doit être évidemment européenne et peut être ensuite mondiale.

Vous l'avez dit tout à l'heure, il y a des déficits, et les plus grands pays, dont le nôtre, y sont confrontés. Certes, il y a de l'argent à côté, mais je ne vais pas vous dire de faire comme Philippe le Bel : mettre en prison tous les Templiers et confisquer tous leurs avoirs. Non, je n'irai pas jusque-là ! Mais il y a une réalité. Tous les grands pays ont des déficits, même les Etats-Unis. Jusqu'à quel point vont-ils tolérer que cet argent continue de circuler ? Car l'argent caché ne participera pas à la résorption du déficit, et ce sont toujours les mêmes qui y contribueront. Je pense qu'il y a là un vrai problème politique, au sens large.

On ne peut pas éviter la mondialisation, au contraire. Mais peut-être pourrait-on prévoir une forme de régulation, de contrôle ou d'autocontrôle ? Il faut, me semble-t-il, appliquer un certain nombre de règles à tout le monde, sinon c'est la fraude généralisée.

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