Intervention de Jean-Pierre Jouyet

Réunion du 12 décembre 2007 à 10h15
Conseil européen du 14 décembre 2007 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la qualité et de la richesse de ce débat. Un grand nombre de questions ont été abordées sur des sujets véritablement fondamentaux.

Mes réponses porteront sur le traité, sur le comité de réflexion, sur ce qui a été dit par M. Jean-Paul Emorine - je remercie la commission des affaires économiques de s'être associée pour la première fois à un débat de préparation du Conseil européen - en matière économique et sur le changement climatique ; je terminerai par la question du Kosovo, qui est cruciale pour l'avenir de l'Europe.

En ce qui concerne le traité, MM. Aymeri de Montesquiou, Jacques Blanc et Roland Ries ont parfaitement souligné l'élargissement des objectifs ainsi que le rééquilibrage économique et social. Je retiendrai deux formules : c'est un traité qui ne contraint pas et c'est un traité qui ne bloque pas. Comme l'a souligné M. Aymeri de Montesquiou, c'est une bonne philosophie. Il s'agit, M. Roland Ries l'a dit à juste titre, d'un succès collectif. C'est un traité qui permet tout le possible du moment.

M. Roland Ries a souligné les avancées qui ont été réalisées en matière de service public et d'intérêt général, en ce qui concerne le rôle de l'Eurogroupe et dans d'autres domaines.

M. Jacques Blanc a indiqué les progrès qui ont été accomplis en matière de rééquilibrage des politiques territoriales, qui sont bien conçues dans ce traité. Le rôle qui est donné au Comité des régions est un point également important.

Je veux dire très clairement à M. Philippe Darniche qu'il n'y a aucune régression démocratique ; il n'y a au contraire que des avancées. La présidence du Conseil ne retire aucun pouvoir aux chefs d'État et de gouvernement, qui représentent leur peuple. Sa raison d'être est simplement d'assurer la continuité des travaux.

Le service diplomatique extérieur n'est absolument pas un instrument supranational ou suprafédéral : il permettra de regrouper les moyens qui sont aujourd'hui à la disposition de la Commission européenne. Le service diplomatique qui existe dans le cadre du Conseil permettra d'associer également les représentants des différentes diplomaties nationales, qui seront détachés au sein de ce service.

Il s'agit donc d'un équilibre parfait entre ce qui existe aujourd'hui à l'échelon intergouvernemental et ce qui se pratique au niveau communautaire. La fusion de ces deux approches est réalisée dans une politique extérieure qui garde, dans le cadre du traité, sa spécificité, conformément aux intérêts de chacun. Le Haut Représentant de l'Union européenne, vice-président de la Commission, sera le porte-parole de cette politique. Il en assurera la conduite, mais sous le contrôle, bien évidemment, du Conseil européen.

À l'évidence, ce traité n'est pas une constitution ; c'est un traité modificatif. Je veux dire à M. Robert Bret, en réponse aux arguments qu'il a avancés, que la Conférence intergouvernementale a été rapide grâce à une discussion politique au fond, menée par les chefs d'État et de gouvernement, qui sont les représentants désignés par leur peuple pour faire en sorte que la politique se retrouve au coeur de la construction européenne et de l'élaboration des traités.

Le Conseil européen, qui est entré le plus possible dans le détail et qui se prononcera demain sur le traité, est donc un organe parfaitement démocratique.

Je souligne, simplement pour l'information de la Haute Assemblée, que nous n'avons pas été les seuls à dire non en 2005 à ce traité par la voie référendaire : les Pays-Bas sont dans la même situation. Ils ont consulté leur Conseil d'État, lequel a bien montré en quoi la légitimité du recours à une procédure de ratification parlementaire par rapport au référendum était justifiée en ce cas : c'est un traité qui préserve les État nations et les identités nationales ; c'est un traité qui modifie les traités existants selon les méthodes qui ont été retenues dans les traités antérieurs ; c'est un traité qui confirme une charte des droits fondamentaux déjà protégée dans l'ordre juridique communautaire ; c'est un traité qui précise le partage des compétences entre l'Union européenne et les États membres, compétences qui sont limitées par différents éléments, les États membres pouvant recouvrer leurs compétences lorsque l'Union n'a pas exercé la sienne dans les domaines de compétences partagées.

Par ailleurs, un protocole sur les services publics laisse un large pouvoir discrétionnaire dans l'organisation et la fourniture des services d'intérêt économique général.

Dans le domaine de la coopération policière et judiciaire, des processus permettent aux États membres soit de s'associer à des mécanismes de coopération renforcée, soit de rester à l'écart dans des domaines qui sont essentiels pour la souveraineté.

Enfin, contrairement à ce qui a été indiqué par M. Philippe Darniche, il est clair que ce traité marque une avancée en ce qui concerne le rôle et le contrôle des parlements nationaux : ceux-ci auront la possibilité, dès lors qu'une majorité d'entre eux aura fait valoir des observations sur des propositions ou des actes établis par la Commission européenne, soit de les modifier, soit d'en obtenir le retrait une fois passé le filtre du Conseil et du Parlement européen, à la majorité simple.

Par conséquent, la procédure choisie en France, et qui a été retenue par une très large majorité des autres pays européens, est conforme à l'ordre démocratique, à l'ordre européen.

Voilà ce que je souhaitais répondre aux questions légitimes posées par MM. Robert Bret et Philippe Darniche.

J'en viens maintenant à ce qui concerne la mise en oeuvre de ce traité et aux questions qui ont été posées par MM. Jean François-Poncet et Hubert Haenel.

Il est vrai que des défis importants devront être relevés sous la présidence française dans un laps de temps limité. Il nous faudra effectivement approfondir un certain nombre de politiques communes et ne pas refuser le débat sur la politique énergétique et sur la politique de défense.

À cet égard, M. Robert Bret a souligné qu'il y avait, d'une part, une allégeance à l'OTAN et, d'autre part, un risque de renforcement des politiques d'armement à l'échelle européenne. Cela me paraît un peu contradictoire : si on fait l'un, on ne fait pas l'autre ! Notre ambition, sous la présidence française, est bien de renforcer la politique de défense sur le plan européen ainsi que nos capacités opérationnelles, et de faire en sorte d'apporter des réponses claires aux défis démographiques qui sont les nôtres.

Il est vrai aussi que, dans le même temps, nous aurons à mettre en oeuvre ce traité - je réponds ainsi à MM. Hubert Haenel et Jean François-Poncet -, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2009.

Je signale que, selon nos informations et les contacts que nous avons avec le secrétariat général du Conseil, en liaison avec la présidence slovène, nous aurons à travailler sur plus d'une trentaine de dispositions pratiques permettant la mise en place de ce traité, à laquelle il faut donc s'atteler suffisamment tôt.

Nous devrons aussi être clairs quant à l'articulation entre la présidence stable du Conseil européen et les présidences tournantes des conseils qui subsisteront, qui devront travailler en étroite collaboration. La présidence stable a pour but d'assurer la continuité des travaux du Conseil européen ; les présidences tournantes continuent d'exercer la direction effective de ces conseils, à formuler un certain nombre de propositions par rapport à la nécessaire continuité de l'action du Conseil européen, qui faisait défaut jusqu'à présent, et à travailler en relation avec le président de la Commission. Ce dernier garde son pouvoir d'initiative et voit sa légitimité renforcée compte tenu du fait qu'il sera élu par la majorité issue du Parlement européen. Nous devrons donc trouver, d'ici au 1er janvier 2009, les procédures permettant la meilleure articulation.

Mener à bien ces défis est en effet une gageure, notamment dans le domaine de la défense. Nous devons les relever en veillant - ce sera le devoir des présidences slovène et française - à ne pas compromettre le processus de ratification en cours dans les différents pays.

Il faudra donc réaliser un habile dosage entre le volontarisme nécessaire pour anticiper sur le traité afin de mener les débats qui doivent avoir lieu sur les politiques communes et l'attention portée à la sensibilité de chacun de manière que le processus de ratification soit mené à son terme le 1er janvier 2009. Là est le premier devoir de notre présidence.

En ce qui concerne le groupe de réflexion qu'ont évoqué MM. Hubert Haenel, Jean François-Poncet, Denis Badré et Roland Ries, effectivement il ne traitera pas des institutions parce que, comme l'a dit très justement M. Roland Ries, il est temps de cesser les modifications institutionnelles, déjà trop nombreuses, et de stabiliser le dispositif à vingt-sept grâce à une action collective.

Nous devons - et c'est tout l'objet du mandat donné à ce groupe de réflexion - définir un projet et répondre à la question posée par M. Jean François-Poncet : pourquoi sommes-nous ensemble ? Conformément à l'étymologie rappelée par M. Philippe Darniche, il nous faut donner à l'Europe un large visage, de manière qu'elle se positionne comme un acteur global dans le monde du XXIe siècle.

Mais, dans ce cadre, quand on veut une Europe au large visage qui soit un acteur global, la question de l'identité se pose, surtout lorsque l'on souhaite réunifier le continent. Cela suppose que nous posions la question de la configuration de l'Europe le plus intelligemment possible et en accord avec nos partenaires. Nous devons faire de l'Europe un pôle de puissance au travers duquel doit pouvoir s'opérer, comme l'ont souligné MM. Denis Badré et Roland Ries, un rapprochement entre les citoyens et l'Union européenne.

Trouver la plus juste articulation entre cette nouvelle citoyenneté européenne et la mise en oeuvre d'une Europe qui soit elle-même plus puissante n'est pas le moindre des défis qu'il nous faudra relever dans les années à venir. Nous devons donc veiller, dans ce cadre, à parler de tout, mais en faisant en sorte que ce traité soit ratifié dans les meilleures conditions.

Ainsi que M. Denis Badré l'a souligné, le président, ou la présidente, de ce groupe de réflexion, qui devrait être désigné à Bruxelles vendredi prochain, aura pour mission de formuler des propositions sur la composition de ce groupe qui devrait être soumise au futur Conseil européen. C'est à mon sens une bonne démarche.

J'en viens maintenant aux questions d'ordre économique qui ont été soulevées par M. Jean-Paul Emorine.

Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'il a indiqué sur la stratégie de Lisbonne et sur le fait que l'adaptation et l'actualisation des lignes directrices pour la période 2008-2011 ont marqué un progrès.

Je souscris également aux propos qu'il a tenus sur les conséquences de la conférence de Bali. Il faut un mécanisme d'ajustement aux frontières, des échanges de quotas d'émission, même au niveau international, dans différents secteurs, principalement dans celui de l'aéronautique. Il importe de prévoir des dédommagements pour les déforestations opérées dans un certain nombre de pays et de procéder par voie d'accords sectoriels. Nous devons tendre vers une organisation plus universelle de l'environnement, une « ONU de l'environnement ».

J'en viens à la question très délicate du Kosovo, qui a été évoquée par MM. Jean François-Poncet, Hubert Haenel Roland Ries et Robert Bret.

Je vais être clair : en cas de déclaration d'indépendance du Kosovo - événement que nous aurons probablement un jour à affronter, même si nous ne savons pas quand il interviendra - il n'y aura pas de reconnaissance automatique simultanée, compte tenu de la sensibilité, de l'histoire et des compétences qui sont celles de chacun des États membres

Toutefois, nous sommes d'accord avec nos partenaires - et c'est le plus important dans le développement d'une approche commune - pour affronter cette situation selon nos sensibilités. Je veux rassurer M. Hubert Haenel sur ce point : du temps s'est écoulé depuis 1991 et il n'est pas question de répéter le processus de reconnaissances désordonnées tel qu'il s'était alors déroulé. Nous savons qu'il existe une périodicité, que chacun a sa propre sensibilité et qu'une majorité des États membres soutiendra la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo lorsque celle-ci sera prononcée.

Le plus important est que l'Europe soit unie afin d'assurer la stabilisation du Kosovo et des frontières avec la Serbie, d'assurer la protection des minorités, la surveillance aux frontières et la viabilité de l'État ; ce ne sera pas chose facile, je suis d'accord avec M. Hubert Haenel sur ce point, mais là est la véritable responsabilité de l'Union européenne.

Nous n'estimons pas nécessaire de recourir à une nouvelle résolution du Conseil de sécurité et nous nous attendons à ce que le Secrétaire général des Nations unies fasse appel à l'Union européenne pour déployer la mission européenne de sécurité et de défense.

Nous devons appeler les deux parties à la retenue, éviter l'humiliation des uns et des autres. Il n'est pas question de créer de nouvelles frontières, c'est-à-dire que nous en restons à la doctrine des frontières internes de l'ex-Yougoslavie. En application des travaux qui ont été conduits par M. Robert Badinter, l'Union est opposée à la partition du Kosovo.

Nous avons conscience qu'il y va de la crédibilité de l'Union européenne. Tous les États membres sont mobilisés et chacun est d'accord pour assumer ses responsabilités face à un problème qui servira de test non seulement pour la politique extérieure européenne, mais également pour l'identité de l'Union européenne.

Nous sommes aussi d'accord pour donner une perspective européenne à ces parties, particulièrement à la Serbie, lorsqu'elle aura rempli ses engagements. Nous devons toutefois veiller au respect des sensibilités des uns et des autres et ouvrir des perspectives d'avenir - ce que nous faisons déjà à l'égard des autres citoyens - au travers de la mise en place du nouveau traité.

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