Intervention de Jean Pujol

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 23 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean Pujol avocat conseiller élu des français à l'étranger

Jean Pujol, conseiller des Français de l'étranger :

Oui, exactement. Il est évident que c'est purement protocolaire. On peut difficilement imaginer, même en poussant la schizophrénie à son comble, que le Coprince français puisse être en conflit d'intérêts avec le Président de la République française !

Mais un cas assez proche s'est présenté en 2008 : lorsque M. Sarkozy, alors Coprince d'Andorre, a dénoncé, en tant que président de l'Union européenne pour six mois, les paradis fiscaux, notamment le Luxembourg, Monaco et l'Andorre : il a été tancé par ses collègues de l'Union européenne, lesquels lui ont rappelé qu'il était lui-même co-chef d'État d'un pays qu'il dénonçait ! Tout cela était tout de même assez savoureux !

Notre fougueux Coprince a donc réagi dans les quarante-huit heures pour réclamer la transformation du système andorran, menaçant d'abdiquer si rien n'était fait. La situation a été extrêmement tendue.

Or il s'est trouvé que l'Andorre, qui faisait effectivement partie des trois pays au monde, avec Monaco et le Lichtenstein, me semble-t-il, à ne pas avoir signé une lettre d'engagement auprès de l'OCDE, très « light » dois-je dire, aux fins d'assurer la transparence à long terme, avait tenu informés de manière exhaustive - c'est du moins ainsi que le ministre des finances andorran de l'époque me l'avait vendu - les services du Coprince, notamment son directeur de cabinet, de la raison pour laquelle la Principauté ne l'avait pas fait. Le gouvernement andorran faisait valoir que son processus de transformation fiscale était déjà très engagé, mais qu'il était en butte à des difficultés politiques internes, qui en retardaient un peu l'achèvement.

En l'espèce, il y a donc eu conflit d'intérêts. Le chef du gouvernement andorran, lequel était finalement sans pouvoirs car la Principauté se trouvait alors en période électorale, a dû signer un engagement, sur la légalité duquel on n'a pas trop glosé, par lequel il obligeait l'État andorran à opérer une transformation profonde de sa législation, au travers notamment de la signature dans les meilleurs délais des fameuses douze conventions d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale requises par l'OCDE, à la suite du G20 de Londres, pour sortir de la liste des paradis ou enfers fiscaux, selon l'endroit où l'on se place.

Des élections ont eu lieu, et quelques problèmes politiques sont apparus, mais, finalement, cette transformation s'est opérée. Aujourd'hui l'Andorre est liée par une vingtaine de conventions d'assistance administrative et de coopération en matière fiscale, avec des pays aussi importants que l'Australie, l'Allemagne, la France, le Portugal, notamment. D'autres conventions sont en cours de négociation, sans aucune difficulté.

En revanche, rien n'est prévu avec les États-Unis, et ce pour une raison très simple : ce n'est pas nécessaire. En effet, l'administration américaine avait imposé depuis belle lurette aux banques andorranes de lui divulguer les titulaires de comptes résidents fiscaux américains ou de nationalité américaine, sous la menace, brutale, de ne plus pouvoir accéder au stock exchange market de New York. Je puis vous dire que la dissuasion a été efficace. Il n'y a et n'y aura donc pas besoin de convention avec les États-Unis. Mais tous les pays n'ont pas la puissance des États-Unis ...

Dès que la situation politique a été stabilisée dans la Principauté, ce qui a malheureusement pris du temps en raison de l'influence de l'Église, qui fait que tout est toujours plus long qu'ailleurs, une réforme fiscale de fond a été entreprise.

L'Andorre avait des taxes indirectes très complexes, lesquelles ont vocation à être réunies dans une TVA. J'ai appris hier que le texte avait fait l'objet d'un consensus à la commission des finances du Conseil général des Vallées d'Andorre, et l'on peut raisonnablement penser que, d'ici l'été, le texte sur la TVA, laquelle aura d'ailleurs une autre appellation, pour se démarquer de l'IVA espagnole et de la TVA française, sera voté.

Je pense que le taux moyen retenu sera de l'ordre de 4,5 %, correspondant grosso modo au niveau de l'imposition indirecte existant actuellement, sauf dans des secteurs particuliers, notamment la banque et l'assurance.

Cette réforme apportera par ailleurs une extraordinaire nouveauté : pour la première fois depuis que l'Andorre a été mentionnée dans des documents officiels, c'est-à-dire en 879, époque postcarolingienne, la Principauté va se doter d'un régime de fiscalité directe. Celui-ci s'appliquera à trois types de contribuables : les sociétés, à hauteur de 10 %, les entrepreneurs individuels, à hauteur de 10 %, et les entreprises non résidentes qui prêtent des services en l'Andorre, lesquelles se voient appliquer une retenue à la source de 10 %.

J'ouvre ici une parenthèse pour rappeler l'intérêt de signer rapidement des conventions de non-double imposition, en particulier à la demande des entreprises françaises et espagnoles, qui prêtent des services en Andorre.

Pour l'instant, l'impôt sur le revenu des personnes physiques est prévu pour 2013, mais nous n'avons pas encore son contour. La raison d'une telle mesure ne vous aura pas échappé : il s'agit de prévoir une imposition des sociétés ou des entreprises dans lesquelles on peut passer des salaires en charges d'exploitation et où les salaires ne sont pas imposables. Inutile de vous dire qu'elles ne sont pas appelées à faire beaucoup de bénéfices... Il est évident que l'impôt sur le revenu des personnes physiques devait suivre, et il suivra.

Là aussi, le besoin de convention de non-double imposition se fera ressentir, en particulier pour régler le cas des étrangers qui touchent des retraites ou d'autres revenus de l'extérieur de l'Andorre et qui pourraient se trouver en situation de double imposition.

Voilà où nous en sommes.

Pour conclure, je souhaite évoquer une visite de Mme Nicole Bricq, qui, malheureusement, ne siégera plus parmi vous pendant un certain temps ...

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