Intervention de Jean Pujol

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 23 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean Pujol avocat conseiller élu des français à l'étranger

Jean Pujol, conseiller des Français de l'étranger :

Il s'agit d'un texte rubriqué - je ne sais pas exactement par qui d'ailleurs, parce qu'il est tenu « top secret » en Andorre.

Pour ma part, j'ai eu la chance et l'heur d'en recevoir une copie de la part des services du Coprince français. Je ne vous cache pas que la lecture d'un article de ce projet m'a absolument scandalisé. D'ailleurs, pour l'avoir manifesté, j'ai été pratiquement injurié publiquement par l'ancien ambassadeur, ce qui est quand même extrêmement désagréable, puisque je n'avais fait qu'exprimer une opinion. Si les élus de la République ne peuvent pas donner une opinion sur un texte concernant les résidents français qui les ont élus, notre République va très mal !

De quoi s'agit-il ?

Cette convention contient une clause extravagante, qui n'existe dans aucune des conventions ratifiées par les parlementaires jusqu'à aujourd'hui. Aux termes de cette clause, l'État français peut considérer que la convention tendant à éviter la double imposition n'existe pas pour les Français résidant en Andorre.

Inutile de vous dire que les résidents français se sont sentis absolument stigmatisés par cette clause signée par les gouvernements andorran et français. Les Français expatriés en Andorre se sentent abandonnés par les autorités françaises, ce qui n'est d'ailleurs pas un vrai scoop : moi qui les représente depuis quinze ans, j'ai malheureusement eu de multiples occasions de constater qu'il en était ainsi, sous l'effet pervers, d'ailleurs, de la duplicité de fonction institutionnelle entre le Président de la République et le Coprince français. En effet, pour les questions touchant aux Français de l'étranger, le ministère des affaires étrangères vous renvoie au Coprince français, lequel décline sa compétence en tant qu'andorran et vous renvoie au ministère des affaires étrangères... Au final, on n'obtient rien ! Mais, de cela, on a l'habitude !

En revanche, le fait que les Andorrans souscrivent à cette clause nous a absolument choqués, d'autant plus que la situation d'Andorre est complètement régularisée en matière de transparence fiscale et de secret bancaire. D'ailleurs, on n'en parle plus, ce qui est une excellente chose.

Nous nous sommes vraiment sentis injustement stigmatisés. On m'a répondu que la clause avait pour origine les excès de la campagne électorale, la surenchère qu'il y a eu entre nos candidats sur la possibilité d' « attraper » nos exilés fiscaux - lesquels, s'ils existent, sont aussi, bien évidemment, des expatriés.

Parmi les écueils dénoncés figure un sujet sur lequel les candidats ont été assez mal à l'aise, en raison de sa difficulté technique : le fait que l'adoption de tout texte tendant à réprimer l'exil fiscal impliquerait une modification des cent vingt conventions de non-double imposition existantes, ce qui représente, pour les ministères des affaires étrangères et des finances, entre dix et vingt ans de travail...

Chez le représentant du Coprince, on m'a expliqué que cette clause avait été imaginée par nos bons fonctionnaires - probablement ceux de Bercy parce que je ne crois pas que les affaires étrangères puissent « pondre » un pareil dispositif -pour permettre à la convention de vivre et, en cas de modification de la législation, de demeurer directement applicable sans avoir à être renégociée.

Pour ma part, j'ai tout de suite vu dans ce texte quelque chose qui m'a beaucoup choqué. Il est évident que notre fierté de Français de l'étranger repose sur la démocratie française, sur l'esprit de la Révolution, sur l'État de droit : telle est, nous semble-t-il, notre marque de fabrique.

N'oubliez pas que, si elle est ratifiée par les parlements andorran et français, cette convention aura une valeur juridique certes limitée à l'Andorre, mais supérieure à la loi interne !

Entre parenthèses, on sait très bien que vous examinez toujours les conventions en catimini, à des heures indécentes et dans un package sans que personne ne regarde rien puisque l'on vous fait confiance, à juste titre, d'ailleurs. On a donc toute raison de penser que cette convention pourrait être examinée dans les mêmes conditions...

Par conséquent, j'y ai vu quelque malice de la part de nos hauts fonctionnaires pour essayer d'instrumentaliser le législatif. De la part de ces gens-là, c'est tout de même faire peu de cas de la compétence et du travail de nos parlementaires ! En définitive, ils profitent de cette manière de procéder, de cette routine logique, pour enfermer les parlementaires dans un cadre déjà préétabli au moment où viendra le temps de la loi, puisqu'il faudra bien alors se conformer à une convention, même si elle ne concerne qu'un pays.

C'est la raison pour laquelle j'ai déclaré publiquement - je dois le confesser - que, du point de vue de la France comme État de droit, cette clause était une aberration juridique, d'autant plus que, j'en suis convaincu, passée au filtre de l'analyse des excellents juristes locaux, la convention devra sans doute être renégociée, puisqu'il est prévu que les modalités de son application devront en tout état d'espèce être fixées par une commission franco-andorrane qui, elle-même, modulera le dispositif.

Mais nous, citoyens, nous, Français de l'étranger, cette manière de procéder nous inquiète. Quant à vous, parlementaires, vous êtes trop intelligents ou trop lents ou les deux. Et je crois que l'exécutif, au sens large, quand il a à faire face à des urgences, trouve bien lent le rythme de la souveraineté populaire. Je vous exhorte à être très attentifs à cette considération, car ce genre de pratiques affaiblit notre discours sur la France, terre de liberté et État de droit.

Or, croyez-moi, à l'extérieur de nos frontières, nombreux sont ceux qui, français ou non, veulent entendre ce discours de liberté, car ils en ont besoin.

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