Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité aux travaux de votre commission. Naturellement, j'ai bien noté qu'il s'agissait de l'évasion des capitaux et des actifs hors de France, ce qu'on appelle communément « l'évasion fiscale », puisque les incidences fiscales sont la priorité.
Je vais essayer de brosser en quelques minutes l'étendue du sujet selon deux angles : les clubs sportifs et les sportifs eux-mêmes. Contrairement à mon voisin, je ne me limiterai pas au football. Je parlerai pour l'ensemble des sports, étant entendu que le football professionnel tient la part principale du « gâteau ».
Je commencerai par les clubs.
Nous le savons, en général, ce sont avant tout des sociétés anonymes sportives professionnelles, des SASP, qui gèrent le sport professionnel, en l'occurrence à hauteur de 95 %. On parle donc de sociétés commerciales. On pourrait imaginer que des sociétés commerciales de cette nature puissent « pratiquer » l'évasion fiscale.
Or, contrairement aux autres secteurs socio-économiques, le sport professionnel est en difficulté ; on vient de vous l'expliquer. Mais il a surtout une particularité, qui tient à certains éléments.
D'abord, il est interdit à certaines personnes, à des individus de tenir des participations dans plusieurs sociétés pour la même activité sportive. Et il n'y a pas, à ma connaissance, de sociétés qui dépendent de grands groupes internationaux. Les clubs sportifs, notamment les clubs de football, sont relativement indépendants.
Par conséquent, nous n'avons pas la même relation économique que celle qui peut exister dans le secteur industriel entre une société filiale en France et une société mère au Luxembourg, aux Pays-Bas, voire en Pologne.
De ce fait, vous avez déjà entendu parler des prix de transfert, qui sont l'un des éléments de l'évasion fiscale. Ces prix de transfert ne sont pas connus du monde sportif. Fort heureusement, les joueurs ne sont pas une marchandise. On ne peut pas non plus décréter que le prix d'un joueur venant d'Allemagne est de tel montant plutôt que de tel autre.
Nous n'avons donc pas de groupe de sociétés société mère/société filiale. Nous n'avons pas de prix de transfert. Ce sont des clubs qui sont généralement déficitaires. Si l'on reprend le football professionnel, le rapport sur la dernière saison de ligue 1 montrait que le déficit atteignait tout de même 63 millions d'euros, contre 130 millions d'euros la saison précédente.
Ainsi, l'évasion qui consisterait à transférer un bénéfice réalisé en France par une société française vers une société étrangère, au surplus mère ou filiale, ne peut pas être réalisée à défaut de résultat positif.
Je passe sur le carrousel TVA, qui est également une méthode pour pratiquer de l'évasion fiscale.
Vous allez me dire qu'il n'y a pas d'évasion fiscale dans le sport professionnel aujourd'hui en France... Je ne voudrais pas arriver à cette conclusion. Il existe tout de même un risque ; ce risque, c'est la fraude aux cotisations sociales.
J'entends bien que le sujet est « l'évasion fiscale ». J'étends cela aux prélèvements obligatoires. En effet, comme vous allez le voir, les prélèvements obligatoires, qui comprennent à la fois l'ensemble de la fiscalité pure et les cotisations sociales, constituent un phénomène très important.
Pourquoi les « cotisations sociales » ? Ainsi qu'on vient de vous l'expliquer, les clubs français paient des cotisations sociales d'un montant très élevé. Il y a donc une tendance à vouloir éviter de payer des cotisations sur les rémunérations versées aux joueurs. La tentation est par conséquent de trouver un moyen de rémunérer ces joueurs par des sociétés écran via ce qu'on appelle communément, trop communément à mon avis, « le droit à l'image ».
Récemment, à l'occasion de l'annonce par le candidat François Hollande d'un taux d'imposition de 75 %, un journaliste d'une radio d'informations, qui demandait l'avis de ses auditeurs, disait : « De toute façon, on sait très bien » - il n'en apportait pas la preuve ! - « que les clubs versent une partie des rémunérations sur des comptes offshore. »
J'étais en voiture ; j'ai été un peu surpris d'entendre pareille affirmation. D'abord, il n'y avait aucune démonstration, aucune explication, aucune justification. Je passe sur ce phénomène...
Il n'y a pas de compte offshore, sauf dans certaines situations que la justice a eu à connaître. Il y a eu quelques cas, des procès assez retentissants. J'ai eu l'occasion, puisque je suis basé à Aix-Marseille, de suivre intégralement en 2005 le procès de l'Olympique de Marseille, pendant les quinze jours de débat. J'ai pu mesurer combien certaines pratiques existaient. C'est vrai. Mais plus on met en exergue une pratique, moins elle est généralisée par ailleurs en quelque sorte. C'est parce qu'elle existe en petit nombre qu'on essaie de la monter en épingle. Il est vrai que deux joueurs ont été recrutés à cette occasion par l'Olympique de Marseille. L'un a eu un destin national par la suite, en tant que joueur dans l'équipe de France de 1998. Ils ont été recrutés, et une partie de la rémunération a été payée par le club de Barcelone, qui vendait le joueur à l'Olympique de Marseille, et ce afin d'éviter les charges sociales du nouveau club employeur.
Ce sont donc des pratiques qui peuvent exister, mais qui ne sont pas fréquentes. Elles sont difficiles à mettre en oeuvre. Aujourd'hui, en raison de la DNCG et de contrôles importants, les pratiques de cette nature ne sont pas trop fréquentes.
Voilà pour les clubs. J'en viens à présent aux sportifs.
Je distingue deux types de sportifs : les sportifs qui jouent en équipe, donc dans des sports collectifs, et les sportifs individuels.
Pour les sportifs individuels, le droit à l'image existe aussi, comme, on le verra, pour les sportifs collectifs. Le sportif individuel cherchera à se faire rémunérer pour le droit d'exploitation de son image sur une société qu'il aura créée dans un autre pays, même en Belgique, sans aller chercher un paradis fiscal quelconque.
Quoi qu'il en soit, la France détient un article, l'article 155 A, communément appelé « dispositif anti-abus ». Cette disposition consiste à considérer que la rétribution du droit à l'image versé à la société constituée a en réalité été attribuée au sportif exerçant son activité en France, auquel cas il sera taxé en France.
Pour le sportif individuel, il y a également une échappatoire à l'impôt, que l'on confond avec « évasion » et « fraude » : c'est l'expatriation fiscale. L'expatriation fiscale, c'est la possibilité qu'a tout citoyen de transférer son domicile fiscal à l'étranger. Il y a tout ce qui a été dit sur les citoyens qui partent en Belgique, mais il y a également les sportifs qui vont s'installer en Suisse. Ce n'est pas illégal ; c'est tout à fait légal.
Ils se rendent en Suisse et doivent répondre à certaines conditions. Ils doivent négocier un forfait avec l'administration fiscale helvétique, payer un impôt en Suisse en fonction, bien sûr, du montant des dépenses réalisées dans ce pays, et ils y sont normalement imposés. Cela n'empêche pas tout sportif français ou étranger exerçant une activité en France de payer ses impôts en France sur la rémunération des prestations sportives accomplies en France. Si Jo-Wilfried Tsonga, résident suisse, paie un impôt en Suisse, il paiera un impôt en France en tant que non-résident s'il se produit à Roland-Garros, nonobstant - je vous passe les détails - la retenue à la source qui sera effectuée par l'organisateur du tournoi.
Les joueurs de football, de basket et de rugby ne peuvent pas bénéficier d'un tel régime. Non pas que cela ait été interdit, mais comme ils exercent leur activité principale en France, ils répondent aux conditions de l'article 4 B du code général des impôts. Par conséquent, ils sont résidents fiscaux en France et paieront leurs impôts en France sur leur activité sportive.
Reste bien sûr la possibilité pour ces joueurs d'être rémunérés pour l'exploitation du droit à l'image qu'ils ont concédé, là aussi, à une société qui aura été établie à l'étranger. Encore une fois, le dispositif de l'article 155 A les contraindra à payer un impôt en France sur cette rémunération.
Il n'y a pas que les sportifs. Il y a également d'autres personnes. Je pense à des agents de joueurs, puisque la jurisprudence a défrayé la chronique à ce sujet. De nombreux agents de joueurs se font rémunérer à l'étranger de cette manière ; ils sont imposés en France.
Voilà le cadre fiscal des sportifs professionnels.