Intervention de Gwenaël Le Guevel

Mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement — Réunion du 9 juin 2021 à 16h35
Audition des représentants des syndicats de l'enseignement

Gwenaël Le Guevel, conseiller fédéral du SGEN-CFDT (syndicat général de l'éducation nationale - confédération française du travail) :

Je suis avec ma collègue Sylvie Perron, qui représente les personnels de direction, pour le SGEN-CFDT. Je suis là en tant que conseiller fédéral, mais je suis aussi acteur et formateur depuis cinq ans dans un dispositif innovant mis en place dans un collège de Nantes et dans plusieurs collèges de l'académie : « Sentinelle et référent contre le harcèlement ». Il en existe plusieurs dérivés partout en France, et il est bien qu'on puisse s'en inspirer.

En introduction, on ne peut que se féliciter de ce qui a été fait depuis dix ans. En lisant l'audition de Maître Bayon, il avait bien décrit qu'on partait de loin, qu'il fallait commencer par identifier qu'il y avait un problème et qu'il était de notre ressort.

Nous souhaitions insister sur quelques points, qui rejoignent vos questionnements, Madame la rapporteure.

Un phénomène revient dans les témoignages des auditions précédentes : le fait qu'on intervienne trop souvent au moment où les choses ont déjà dégénéré. M. le Recteur Kerrero soulignait que les faits étaient peu visibles aux yeux des adultes et qu'on intervenait finalement plutôt en réparation qu'en prévention.

À ce titre, les pistes qui ne sont pas encore explorées sont, selon nous, les suivantes. Premièrement, il faut mener un travail avec toute la communauté éducative. Vous parliez des infirmières, des CPE, mais j'ajouterai aussi les assistants d'éducation (AED), les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), les personnels du conseil général. Dans notre collège, associer les personnels, notamment qui travaillent à la cantine et voient un tas de choses, demeure un vrai souci. Leur appartenance à la communauté éducative n'est pas une évidence pour tout le monde. J'ajouterai aussi les parents. Nous avons eu la chance d'emmener deux parents avec nous, en formation pendant deux jours, et des parents élus au conseil d'administration (CA). C'était d'une grande richesse. Ce n'est toutefois pas évident : cela fait six ans qu'on fait cela, et la nouvelle direction s'y est opposée, car on fonctionne dans une logique de silo où chacun a sa place et où on pense parfois qu'une bonne réprimande dans un bureau suffira pour régler des chamailleries d'enfants. Le harcèlement serait un bien grand mot.

Deuxième chose : on n'explore pas assez les pratiques de justice restaurative. Avant de parler de faiblesse juridique, et notamment en termes de cyberharcèlement, ces pratiques, qui ont une dimension éducative, pourraient être intéressantes. Notre collectif a publié un livre écrit à plusieurs mains chez Dunod en février 2021, Violence et justice restaurative à l'école, qui donne des exemples de ces pratiques. En effet, quand on en arrive à un conseil de discipline ou, pire, que la victime est déplacée, le sentiment d'échec est fort pour tout le monde.

En ce qui concerne les pratiques innovantes, je peux parler des sentinelles contre le harcèlement. Leur particularité est d'agir sur les spectateurs passifs, qui sont souvent oubliés mais qui jouent un rôle essentiel dans le phénomène de bouc-émissaire et de harcèlement, car ce sont eux qui fixent la norme en restant silencieux. La méthode d'Emmanuelle Piquet, qui est très médiatisée et se rattache à l'école de Palo Alto, est aussi intéressante. Elle vise à donner des outils de réaffirmation de soi aux victimes : il peut être bon de moins se préoccuper des harceleurs, et plus des victimes et des spectateurs. Cette méthode peut présenter un risque si on se concentre uniquement sur la victime, et qu'on oublie les spectateurs, car on met ainsi de côté la responsabilité de la norme sociale dans laquelle on évolue. D'autre part, « armer la victime » est un mauvais terme, car cela peut conduire à passer à une posture de vengeance où les harceleurs sont parfois harcelés, qui découvrent la jouissance de devenir fort en rabaissant l'autre.

Parmi les méthodes, on peut évoquer la méthode Pikas - ou méthode de la préoccupation partagée. Nous l'utilisons, mais nous attirons votre attention sur le fait qu'elle est intéressante en prévention. Cela peut très bien marcher et dégonfler les situations émergentes, mais seulement si c'est pris et pratiqué au départ et si la situation n'est pas enkystée. Cela fonctionne quand les choses ne sont pas figées et qu'on peut faire bouger les postures.

Ces méthodes sont complémentaires. On essaie de ne pas les voir comme opposées : il existe bien un triangle. L'idée est d'introduire un quatrième acteur pour prendre conscience des trois postures.

J'en viens aux obstacles. Le premier est le roulement. La pérennité des équipes pose problème. Lorsque vous faites des formations très spécialisées, on s'est rendu compte au bout de six ans qu'il fallait installer une formation interne, sans trop attendre. Nous avons été au départ très solidement formés par une association, la société d'entraide et d'action psychologique (Sedap), avec Éric Verdier. On a fait en sorte de faire un roulement interne, où les plus aguerris forment les nouveaux collègues, et où les élèves qui arrivent en 6è sont formés par des élèves de 3è. Il est intéressant que les élèves montent en compétence en devenant aussi formateurs.

Cela me permet d'insister sur les élèves médiateurs, ambassadeurs ou sentinelles. C'est très intéressant car ils sont les premiers au courant. Si on ne veut pas intervenir trop tardivement, il s'agit de former les élèves et de les rendre acteurs. En revanche, cela ne doit pas se faire qu'une fois et il faut surtout ne pas les laisser seuls. Il peut être très contre-productif qu'ils soient vus comme des balances. C'est donc un collectif qui doit s'engager dans un suivi régulier.

Dans notre collège, nous avions deux permanences par semaine pour se retrouver, entre adultes et élèves, et se demander s'il s'agissait bien d'une situation de harcèlement, à quel stade on se trouvait, qui pouvait intervenir et comment, et rappeler des règles pour se protéger et la grille de lecture. On insiste sur cette idée de formation complète, qui permet, tout d'abord, de connaître suffisamment les mécanismes de harcèlement pour détecter les situations et, ensuite, d'être suffisamment formé aux solutions possibles et de manière suffisamment approfondie pour pouvoir les utiliser à bon escient.

Plus généralement, et pour terminer - cela est profondément lié à notre culture scolaire -, ces questions sont trop déléguées à la vie scolaire. Vous parliez des partenaires : on touche là à la définition du métier d'enseignant. Notre système scolaire aurait besoin d'un changement de paradigme. Des chercheurs comme Daniel Favre ou Sylvain Connac, qui travaillent sur la coopération, appellent cela de leurs voeux. Se pose en particulier la question de la place des émotions dans l'apprentissage. On demande encore trop de laisser au porte-manteau la dimension affective, qui est même associée à la féminité dans la formation des enseignants. Il est conseillé, dans la formation des AESH, de ne pas s'attacher aux élèves et de ne pas communiquer avec les parents - on est loin de la co-éducation. Dans les textes fondateurs des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), quelques lignes rappellent qu'il est important de connaître les processus émotionnels et affectifs, mais afin qu'ils ne perturbent pas l'apprentissage. On sait pourtant désormais que cognition et émotion indissociables.

Cela est important car les élèves harceleurs sont souvent coupés de leurs émotions et ont beaucoup de mal à s'auto-réguler et à ne pas tomber dans la contagion émotionnelle. Le nouveau paradigme viserait à conjuguer éducation de la raison et éducation émotionnelle, sans privilégier l'une sur l'autre.

Je reviens à l'idée de définition du métier enseignant. L'idée que l'enseignant enseigne une discipline et n'a pas à éduquer est encore très présente. On débat encore des termes, entre instruction et éducation, dans la salle des professeurs. J'insiste ici sur l'importance cruciale de la formation, initiale et in situ, en la matière : il ne suffit pas de suivre une formation deux jours, car la question du harcèlement bouscule des choses très profondes. Il faut travailler l'idée de communauté éducative, encore loin d'être partagée : le conseiller principal d'éducation est trop souvent un conseiller unique d'éducation.

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