Votre présence, cet après-midi, traduit la volonté de notre mission d'information, volonté partagée par l'ensemble des groupes politiques du Sénat, de mieux comprendre ce phénomène et sa démultiplication dans l'espace « cyber ».
Nous voulions donc avoir votre éclairage, car nos premières auditions l'ont montré, ce sont les enseignants qui sont les premiers à être confrontés à ces violences « en meute » contre un élève. Le harcèlement scolaire est un fléau surtout quand il s'opère dans le monde « cyber » de façon anonyme, hors de l'enceinte physique de l'école, ce qui en décuple les effets dévastateurs. Mais à la base, il débute presque toujours dans un établissement d'éducation.
Nous avons vu que depuis dix ans le ministère avait pris la mesure du phénomène et mené d'importantes opérations de sensibilisation et de lutte contre ce fléau. Mais d'évidence, cela ne semble pas suffisant quand on sait que le harcèlement scolaire touche près de 700 000 élèves.
Vous le savez, la volonté de notre mission d'information, qui est partagée par l'ensemble des groupes politiques du Sénat, est de placer les victimes et leurs proches au centre de notre attention. Au-delà de ces différentes interrogations, nous voulons, à l'issue de nos travaux en septembre, aboutir à des conclusions opérationnelles en nous appuyant sur l'ensemble des parties concernées. Votre regard est donc très important pour bien cerner et définir la notion, apprécier son ampleur et ses manifestations, mais aussi décrire le rôle de l'enseignant face au phénomène et évoquer les difficultés auxquelles il peut être confronté dans les situations de harcèlement.
Pour ne plus tarder, et afin d'entrer dans le coeur de notre sujet, je vous propose donc à tour de rôle de vous présenter et de préciser votre approche du harcèlement scolaire. Permettez-moi de vous poser deux questions pour lancer le débat et qui peuvent servir de fil conducteur à vos interventions successives.
Estimez-vous que les enseignants, et de manière générale les personnels de l'éducation nationale (directeurs d'école, CPE, chefs d'établissements) soient suffisamment formés et armés pour détecter les harcèlements, y compris les cyberharcèlements qui se déroulent en dehors des salles de cours ? Dans les précédentes auditions, il a été souligné la nécessité de détecter les signaux faibles de harcèlement.
Par ailleurs, quelle est la procédure suivie face à un cas de harcèlement scolaire ?
Après vos interventions, je passerai la parole à Colette Mélot, notre rapporteure, pour qu'elle puisse vous poser un certain nombre de questions. Et je donnerai la parole à l'ensemble de nos collègues qui le souhaitent.
Avant de commencer, je propose un rapide tour de table pour permettre à chacun de se présenter.
Je viens du département de Meurthe-et-Moselle, dans lequel je suis formatrice, en charge d'une mission d'accompagnement des équipes à la co-éducation et au climat scolaire.
Je suis assistante sociale à l'éducation nationale et confrontée au problème du harcèlement et surtout à ses conséquences psychologiques rencontrées par les enfants et les parents. Je suis également interrogée par les enseignants qui souhaitent savoir comment mieux détecter ces phénomènes.
Je suis conseillère nationale de l'UNSA-éducation et chef d'établissement dans le Pas-de-Calais. J'exerce actuellement au collège Rousseau de Carvin et serai à la rentrée en poste au collège Montigny-en-Gohelle. Précédemment, j'ai enseigné pendant 17 ans le français dans des établissements du second degré.
J'interviens au titre du SNES-FSU. Je suis conseiller principal d'éducation (CPE). Je travaille dans l'académie de Clermont-Ferrand dans un établissement en REP + depuis une dizaine d'années. Les questions de harcèlement et de violence font partie de nos missions de CPE.
Je suis membre du bureau des assistantes sociales de la FSU. Je travaille sur le département des Yvelines et notamment à la direction départementale de l'éducation nationale sur le harcèlement.
Je suis co-secrétaire générale du SNICS-FSU. Je travaille dans une cité scolaire dans l'académie de Nantes, sur La Baule, et dans un établissement qui est engagé dans la lutte contre le harcèlement scolaire à l'initiative des élèves depuis plus de huit ans. La prévention du harcèlement, la prise en charge des cas et la libération de la parole est inhérente aux missions des infirmières. En effet, nous avons une présence assez régulière dans les établissements.
Je souhaite lire une déclaration au nom de la Fédération syndicale unitaire (FSU). Les professionnels de l'Éducation nationale sont depuis plusieurs décennies mobilisés contre les violences en milieu scolaire bien avant qu'Éric Débarbieux se voie confier une mission en 2011. Ces équipes, s'appuyant sur la professionnalité des personnels formés, ont développé des outils à l'époque où aucune ressource institutionnelle n'existait.
Pour cette table ronde à laquelle elle a été invitée, la FSU a fait le choix de porter ici même son analyse issue d'un travail de réflexion auquel ont participé les représentants des professionnels du terrain concernés par le problème des violences en milieu scolaire.
Concernant le questionnaire « indicatif » proposé aux syndicats enseignants, nous, représentants de la FSU présents à cette audience, avons considéré que cette modalité ne permettrait pas de débattre longuement. Toutefois la FSU s'engage à vous envoyer des éléments écrits pour le mercredi 30 juin.
Nous vous proposons donc quelques éléments d'analyse à partir d'éléments du terrain et de points et questions évoqués dans le questionnaire qui, nous l'espérons, contribueront au débat.
Il y a tout d'abord des points positifs. La politique publique depuis 2011 sur la problématique des violences en milieu scolaire avec inscription dans la loi, jusqu'à cette année essentiellement axée sur le second degré, donne des résultats. Le bureau du premier degré de la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) reconnait aujourd'hui l'existence du harcèlement dans le premier degré, alors que l'enquête Debarbieux le montrait très bien dès l'âge de 7-8 ans. La dernière campagne de communication « ce n'est pas parce que je suis petit que j'ai des petits problèmes » ainsi que la mise en place d'une enquête premier degré élèves et personnels en 2019 sont des mesures que nous jugeons positives. Les enquêtes nationales de victimisation et de climat scolaire (tous les 3 ans dans les collèges, tous les 3 ans dans les lycées, et pour la première fois dans le premier degré) ont permis de montrer que le phénomène se tassait : on est passé de 10 % à 7 % environ.
Le programme pHARe du ministère de l'éducation nationale entend généraliser certaines mesures déjà existantes sur le terrain. C'est un élément positif. Nous appelons toutefois à la vigilance face aux injonctions descendantes pas toujours adaptées selon les territoires.
Nous avons néanmoins plusieurs points de vigilance : les mots sont importants. Harcèlement scolaire interroge une éventuelle violence de l'institution. Notre réflexion concerne le harcèlement subi par un ou une élève du fait de ses pairs. Il convient donc de préciser qu'il s'agit de harcèlement en milieu scolaire.
La politique de prévention se réduit actuellement à celle de la lutte contre le harcèlement en milieu scolaire. Il convient de travailler sur le problème de façon systémique à partir des travaux et expérimentations menés sur le climat scolaire. Traiter les problèmes de violence nécessite de traiter les sept facteurs du climat scolaire dont la justice scolaire, dans une démarche d'objectif de réussite des élèves, et non pas dans l'objectif de faire du climat scolaire un critère de comparaison entre établissements comme le suggère le ministre.
La problématique du cyberharcèlement - à ce terme nous préférons celui de cyber-violence - nécessiterait des moyens plus importants car il y a un risque que cela devienne un problème de santé publique. Car à partir de quand considère-t-on que ce qui relève de la cyber-violence concerne l'école plutôt que la société toute entière ?
Lutter contre le harcèlement c'est faire un travail systémique sur le climat scolaire afin que le climat relationnel soit au centre des préoccupations de tous.
Trop souvent encore, face à une situation demandant une réaction urgente, la victime de harcèlement est déplacée dans une autre école ou un autre établissement, alors qu'il conviendrait de donner les moyens aux équipes d'engager une réflexion collective avec tous les partenaires et proposer des actions à court terme mais aussi à moyen terme et à long terme.
Le terme d'« enseignants pas armés » (sondage IFOP) est inapproprié. N'ayons pas peur des mots, ils et elles ne sont pas formés (ni en formation initiale, ni en formation continue) à gérer des situations de violences pas plus qu'ils et elles ne sont formés à celles d'élèves à besoins éducatifs particuliers ou à la co-éducation. Aujourd'hui ce sont encore les professionnels qualifiés dans l'écoute et la prise en charge qui interviennent. Si les ressources et outils existent pour les enseignants - le site web « climat scolaire » est très fréquenté - ils sont peu connus ou développés par l'institution et les moyens pour leur diffusion collaborative insuffisants. La formation ne peut être une auto-formation. Ce qui est encore malheureusement le cas dans le programme pHARe. Le e-learning a de réelles limites. Rien ne remplace les regards croisés. L'expertise des acteurs et actrices de terrain ne peut pas ne pas être prise en compte. Une formation en deux jours clef en mains peut-elle « armer » les personnels ?
Peu ou pas de référence à la nécessaire collaboration école/familles pourtant essentielle est faite. Comment faire des parents des personnes ressources ou a minima des partenaires ?
La façon dont est posée la question concernant les non-enseignants laisse entendre que les relations dépendent des enseignants. L'équipe pluri-professionnelle constituée de personnels du service public formés est un outil précieux dans la prévention des violences. Elle n'a pas les moyens de faire vivre (temps, formation commune...) le collectif. Le non-recrutement de psychologues, assistantes sociales infirmières ou de CPE constitue un obstacle au travail d'équipe et à leurs missions de service public.
Les numéros d'appel, même s'ils sont diffusés et connus restent un outil peu efficace. Trop d'intermédiaires dans le traitement des demandes. Peu de remontées du fait des multiples canaux qui nécessitent un suivi. Les personnes qui reçoivent les appels ne sont pas suffisamment formées. Les appelants finissent par abandonner.
La solution proposée relève le plus souvent de la sanction. L'arsenal juridique ne permettrait pas d'enrayer les incidents selon nous.
Il y a eu trop peu de recherches sur la question depuis Éric Debarbieux.
Oui, il faut libérer la parole. Mais quand, comment ? Et qu'en fait-on ?
C'est avec plaisir que je m'exprime au nom de l'Unsa-éducation sur le sujet du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement. Ce phénomène s'est immiscé depuis de nombreuses années déjà dans le quotidien des professionnels de l'éducation, qui éprouvent des difficultés professionnelles et humaines, chaque fois renouvelées lorsqu'ils sont confrontés à un phénomène de cette ampleur. C'est d'abord une question de souffrance profonde qui se joue : celle du jeune, de sa famille, et pour tous le sentiment d'impuissance, l'incompréhension. « Comment est-ce arrivé ? Comment avons-nous pu ne pas voir ? » : voici le cortège des sentiments mêlés qui accompagne chaque nouveau cas.
Comme l'a décrit le rapport du député Erwan Balanant, ce phénomène complexe est incorrectement qualifié de scolaire, mais mêle différentes causes, qui chacune, combinée aux autres conduit de nombreux élèves parfois très jeunes au malaise le plus profond. Chaque cause doit être déconstruite méthodiquement. Unsa-éducation rassemble tous les métiers de l'éducation. Cela nous permet de nourrir une réflexion riche qui permet de montrer la voie. C'est en organisant et en exploitant la complémentarité de nos métiers que nous serons efficaces pour apporter un début de réponse à ce fléau qui dépasse largement les murs de l'école, mais qui l'empêche parfois de fonctionner correctement.
Dans la continuité du rapport de M. Balanant et de nos mandats, la fédération Unsa souhaite mettre en lumière plusieurs axes :
- La nécessité de repenser l'école comme lieu de vie et d'accueil, ainsi que de relai de la parole des jeunes.
- La nécessité de redistribuer voire de redéfinir les missions des personnels qui les accumulent, au risque de les diluer et de perdre de vue le sens de leur engagement.
- Le besoin de formation de tous les personnels de l'éducation nationale sur cette question.
- L'urgence de réfléchir à la coordination entre les corps de l'éducation nationale ainsi qu'à l'articulation avec les partenaires extérieures (partenaires de soins, la police, la justice).
- Enfin, la nécessité d'une présence accrue des personnels des corps médicaux et psychosociaux de l'éducation nationale dans chaque établissement scolaire.
Je vous remercie pour vos deux présentations liminaires qui se sont utilement complétées et nous ont offert un panorama complet de la façon dont les enseignants appréhendent le harcèlement scolaire qui est un phénomène profondément perturbateur par nature.
Permettez-moi donc de prolonger ce premier échange en vous faisant part de plusieurs des préoccupations qui sont les miennes.
Quelles sont vos relations avec les infirmiers, médecins et psychologues et assistants sociaux de l'éducation nationale sur ces questions ? De même, à quelles partenaires extérieurs faites-vous appel ?
Par ailleurs, avez-vous des exemples d'actions innovantes - ou au contraire des échecs, car on apprend aussi beaucoup des échecs - mis en place dans des écoles ou établissements pour prévenir le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ?
Troisièmement, estimez-vous que l'arsenal juridique existant soit suffisant pour faire face au harcèlement et cyberharcèlement ?
Et enfin, dans quelles conditions la responsabilité de l'enseignant ou du personnel de direction peut-elle être engagée en cas de harcèlement d'un élève ?
Je suis avec ma collègue Sylvie Perron, qui représente les personnels de direction, pour le SGEN-CFDT. Je suis là en tant que conseiller fédéral, mais je suis aussi acteur et formateur depuis cinq ans dans un dispositif innovant mis en place dans un collège de Nantes et dans plusieurs collèges de l'académie : « Sentinelle et référent contre le harcèlement ». Il en existe plusieurs dérivés partout en France, et il est bien qu'on puisse s'en inspirer.
En introduction, on ne peut que se féliciter de ce qui a été fait depuis dix ans. En lisant l'audition de Maître Bayon, il avait bien décrit qu'on partait de loin, qu'il fallait commencer par identifier qu'il y avait un problème et qu'il était de notre ressort.
Nous souhaitions insister sur quelques points, qui rejoignent vos questionnements, Madame la rapporteure.
Un phénomène revient dans les témoignages des auditions précédentes : le fait qu'on intervienne trop souvent au moment où les choses ont déjà dégénéré. M. le Recteur Kerrero soulignait que les faits étaient peu visibles aux yeux des adultes et qu'on intervenait finalement plutôt en réparation qu'en prévention.
À ce titre, les pistes qui ne sont pas encore explorées sont, selon nous, les suivantes. Premièrement, il faut mener un travail avec toute la communauté éducative. Vous parliez des infirmières, des CPE, mais j'ajouterai aussi les assistants d'éducation (AED), les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), les personnels du conseil général. Dans notre collège, associer les personnels, notamment qui travaillent à la cantine et voient un tas de choses, demeure un vrai souci. Leur appartenance à la communauté éducative n'est pas une évidence pour tout le monde. J'ajouterai aussi les parents. Nous avons eu la chance d'emmener deux parents avec nous, en formation pendant deux jours, et des parents élus au conseil d'administration (CA). C'était d'une grande richesse. Ce n'est toutefois pas évident : cela fait six ans qu'on fait cela, et la nouvelle direction s'y est opposée, car on fonctionne dans une logique de silo où chacun a sa place et où on pense parfois qu'une bonne réprimande dans un bureau suffira pour régler des chamailleries d'enfants. Le harcèlement serait un bien grand mot.
Deuxième chose : on n'explore pas assez les pratiques de justice restaurative. Avant de parler de faiblesse juridique, et notamment en termes de cyberharcèlement, ces pratiques, qui ont une dimension éducative, pourraient être intéressantes. Notre collectif a publié un livre écrit à plusieurs mains chez Dunod en février 2021, Violence et justice restaurative à l'école, qui donne des exemples de ces pratiques. En effet, quand on en arrive à un conseil de discipline ou, pire, que la victime est déplacée, le sentiment d'échec est fort pour tout le monde.
En ce qui concerne les pratiques innovantes, je peux parler des sentinelles contre le harcèlement. Leur particularité est d'agir sur les spectateurs passifs, qui sont souvent oubliés mais qui jouent un rôle essentiel dans le phénomène de bouc-émissaire et de harcèlement, car ce sont eux qui fixent la norme en restant silencieux. La méthode d'Emmanuelle Piquet, qui est très médiatisée et se rattache à l'école de Palo Alto, est aussi intéressante. Elle vise à donner des outils de réaffirmation de soi aux victimes : il peut être bon de moins se préoccuper des harceleurs, et plus des victimes et des spectateurs. Cette méthode peut présenter un risque si on se concentre uniquement sur la victime, et qu'on oublie les spectateurs, car on met ainsi de côté la responsabilité de la norme sociale dans laquelle on évolue. D'autre part, « armer la victime » est un mauvais terme, car cela peut conduire à passer à une posture de vengeance où les harceleurs sont parfois harcelés, qui découvrent la jouissance de devenir fort en rabaissant l'autre.
Parmi les méthodes, on peut évoquer la méthode Pikas - ou méthode de la préoccupation partagée. Nous l'utilisons, mais nous attirons votre attention sur le fait qu'elle est intéressante en prévention. Cela peut très bien marcher et dégonfler les situations émergentes, mais seulement si c'est pris et pratiqué au départ et si la situation n'est pas enkystée. Cela fonctionne quand les choses ne sont pas figées et qu'on peut faire bouger les postures.
Ces méthodes sont complémentaires. On essaie de ne pas les voir comme opposées : il existe bien un triangle. L'idée est d'introduire un quatrième acteur pour prendre conscience des trois postures.
J'en viens aux obstacles. Le premier est le roulement. La pérennité des équipes pose problème. Lorsque vous faites des formations très spécialisées, on s'est rendu compte au bout de six ans qu'il fallait installer une formation interne, sans trop attendre. Nous avons été au départ très solidement formés par une association, la société d'entraide et d'action psychologique (Sedap), avec Éric Verdier. On a fait en sorte de faire un roulement interne, où les plus aguerris forment les nouveaux collègues, et où les élèves qui arrivent en 6è sont formés par des élèves de 3è. Il est intéressant que les élèves montent en compétence en devenant aussi formateurs.
Cela me permet d'insister sur les élèves médiateurs, ambassadeurs ou sentinelles. C'est très intéressant car ils sont les premiers au courant. Si on ne veut pas intervenir trop tardivement, il s'agit de former les élèves et de les rendre acteurs. En revanche, cela ne doit pas se faire qu'une fois et il faut surtout ne pas les laisser seuls. Il peut être très contre-productif qu'ils soient vus comme des balances. C'est donc un collectif qui doit s'engager dans un suivi régulier.
Dans notre collège, nous avions deux permanences par semaine pour se retrouver, entre adultes et élèves, et se demander s'il s'agissait bien d'une situation de harcèlement, à quel stade on se trouvait, qui pouvait intervenir et comment, et rappeler des règles pour se protéger et la grille de lecture. On insiste sur cette idée de formation complète, qui permet, tout d'abord, de connaître suffisamment les mécanismes de harcèlement pour détecter les situations et, ensuite, d'être suffisamment formé aux solutions possibles et de manière suffisamment approfondie pour pouvoir les utiliser à bon escient.
Plus généralement, et pour terminer - cela est profondément lié à notre culture scolaire -, ces questions sont trop déléguées à la vie scolaire. Vous parliez des partenaires : on touche là à la définition du métier d'enseignant. Notre système scolaire aurait besoin d'un changement de paradigme. Des chercheurs comme Daniel Favre ou Sylvain Connac, qui travaillent sur la coopération, appellent cela de leurs voeux. Se pose en particulier la question de la place des émotions dans l'apprentissage. On demande encore trop de laisser au porte-manteau la dimension affective, qui est même associée à la féminité dans la formation des enseignants. Il est conseillé, dans la formation des AESH, de ne pas s'attacher aux élèves et de ne pas communiquer avec les parents - on est loin de la co-éducation. Dans les textes fondateurs des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), quelques lignes rappellent qu'il est important de connaître les processus émotionnels et affectifs, mais afin qu'ils ne perturbent pas l'apprentissage. On sait pourtant désormais que cognition et émotion indissociables.
Cela est important car les élèves harceleurs sont souvent coupés de leurs émotions et ont beaucoup de mal à s'auto-réguler et à ne pas tomber dans la contagion émotionnelle. Le nouveau paradigme viserait à conjuguer éducation de la raison et éducation émotionnelle, sans privilégier l'une sur l'autre.
Je reviens à l'idée de définition du métier enseignant. L'idée que l'enseignant enseigne une discipline et n'a pas à éduquer est encore très présente. On débat encore des termes, entre instruction et éducation, dans la salle des professeurs. J'insiste ici sur l'importance cruciale de la formation, initiale et in situ, en la matière : il ne suffit pas de suivre une formation deux jours, car la question du harcèlement bouscule des choses très profondes. Il faut travailler l'idée de communauté éducative, encore loin d'être partagée : le conseiller principal d'éducation est trop souvent un conseiller unique d'éducation.
M. Le Guevel a presque tout dit. Pour donner l'éclairage de la gouvernance des établissements - puisque je suis personnel de direction, et j'ai recueilli le sentiment des collègues sur le terrain - je rajouterai que, si c'est une problématique d'établissement, nous ne travaillons pas en silo mais en équipes pluriprofessionnelles. Cela est compliqué à certains endroits : nos collègues CPE peuvent être seuls et on manque cruellement d'infirmières et d'assistantes sociales. Toutefois, lorsque les équipes sont réunies, que l'ensemble des collègues enseignants sont sensibilisés, que des temps sont consacrés à cette question et que celle-ci n'est pas traitée à la suite d'une campagne de sensibilisation mais dans le cadre d'un travail au long cours sur le climat de l'établissement et sur la meilleure manière de faire progresser nos élèves dans les apprentissages et la vie collective, alors nous arrivons facilement à détecter ce qui relèverait du harcèlement. À ce moment-là, en effet, la parole est fluide, les élèves, les familles et les collègues savent que les choses seront traitées et non pas noyées par d'autres problématiques.
J'ai entendu ce que disait Gwenaël Le Guevel, et cela fait débat au sein de notre organisation. Il faut que le pilotage de l'établissement et que toutes les strates soient mobilisés mais également que, sur le territoire, soient organisées, avec les associations et les partenaires de l'école, des alliances éducatives pour que les phénomènes qui naissent à l'extérieur de l'établissement soient traités correctement, ne perturbent pas son fonctionnement.
Je vous fais part d'une grande inquiétude de mes collègues sur un point. On nous a présenté la dernière campagne que va lancer l'éducation nationale dans les semaines à venir, et notamment les sentinelles. Il ne faut surtout pas oublier la formation et l'association des élèves et des parents au long cours. Autrement, on risquerait de laisser les collègues dans l'insatisfaction de bien faire car l'ensemble des conditions ne seraient pas réunies.
Nous le disions au départ : il y a une prise de conscience au niveau de l'Éducation nationale sur la situation du harcèlement. Il faut rappeler que pour certains professionnels de l'Éducation nationale, cela faisait déjà partie de leurs missions de pouvoir effectivement intervenir pour que les situations dans les écoles soient meilleures que ce qu'elles étaient auparavant.
Les collègues CFDT n'ont pas beaucoup parlé des assistantes sociales, bien que la lutte contre le harcèlement se trouve parmi nos missions, vu le peu d'effectifs dont nous disposons à l'enseignement national. Nous avions justement alerté les sénatrices et sénateurs en les informant qu'il y avait un service social dédié à l'Éducation nationale, existant depuis près d'un siècle, et que nous voulions les rencontrer pour parler des différentes missions qu'il opère. L'intérêt est de diffuser l'ensemble des pratiques du travail social, et d'accorder une attention particulière à celui qui est en difficulté et qui souffre, pour qu'il puisse réussir.
Nous voulions tout de même « tirer le signal d'alarme », et dire tout ce que nous avons apporté au sein de l'Éducation nationale. Il y a effectivement un besoin de formation des enseignants, mais aussi des personnels qui déjà à l'heure actuelle travaillent au sein de l'Éducation nationale. Il faudra du temps pour que l'ensemble des personnels soit formé. En attendant, il y a toujours des personnels qualifiés, ayant fait trois ans de formation afin d'apprendre à évaluer une situation, à écouter, et à intervenir.
La prévention existe donc, mais il y a aussi toutes les situations de danger. Quand les enfants alertent, il faut intervenir, car nous avons des enfants en souffrance.
Former les enseignants, c'est une chose, mais il ne faut pas oublier de renforcer les équipes qui sont autour des enseignants et qui aident à la bonne marche de l'école : psychologues, infirmières, assistantes sociales, CPE, qui apportent toutes leurs connaissances.
Nous ne pourrons pas former des enseignants à faire de l'écoute au même titre que des professionnels qui ont des formations longues.
Nous voulions alerter là-dessus et rappeler que nous nous tenons à la disposition des sénateurs et sénatrices pour leur expliquer et faire connaitre le service social de l'Éducation nationale.
Je souhaitais revenir sur la question de la relation entre les différents partenaires. Je pense que le traitement des situations de harcèlement fonctionne et il faut qu'il y ait cette notion d'équipe. On ne peut pas faire les choses tout seul, mais il faut savoir respecter les missions de chacun. Il est important de ne jamais être seul face à une situation de harcèlement. Des protocoles sont mis en place, et fonctionnent plutôt bien. Ils prévoient d'intervenir et de ne pas être seul : ni face à la personne victime, ni face aux harceleurs, ni même face aux témoins. Cette notion d'un travail groupé pour aller dans le même sens va du haut de la direction de l'établissement, à tous les personnels. C'est très important. La vigilance est l'affaire de tous. Les relations qui fonctionnent correctement permettent de prendre en charge des situations de façon plus efficace et plus pertinente.
Nous parlions précédemment du besoin de libérer la parole, de mettre des interlocuteurs face aux élèves, qui soient effectivement formés pour la recevoir.
Je voulais revenir aussi sur l'impact à court, moyen et long termes qu'auront les situations de harcèlement, que l'on soit victime ou harceleur. Il est nécessaire de mettre en place avec l'équipe pédagogique - assistantes sociales, infirmières, CPE, enseignants aussi car dans la classe on observe évidemment les choses - une prise en charge des élèves dans la durée. Les élèves qui ont subi des phénomènes de harcèlement sont consommateurs d'infirmeries. Ils ont besoin d'un suivi régulier, d'appui et d'étayage pour passer ces moments difficiles. C'est aussi pour nous l'occasion, durant ces consultations, de faire le lien avec les familles, dont le rôle est important dans ces problématiques.
La prévention est essentielle et les séances d'éducation à la santé doivent effectivement être développées et aborder ces thématiques. Il faut renforcer les compétences psychosociales au niveau du premier degré. Nous savons que plus la prévention est faite tôt, plus elle aura de chances de fonctionner. Au lycée, les actions de prévention s'avèrent déjà plus compliquées. Plus les élèves grandissent, moins ils sont perméables à certains types d'actions de prévention.
Les actions au premier degré pour renforcer les compétences psychosociales, l'estime de soi, la capacité à réagir, sont extrêmement importantes. De même, pour les plus grands, la sensibilisation à la place des réseaux sociaux, aux dangers et à l'utilisation, sont des choses tout à fait nécessaires.
Sur les partenaires extérieurs, vous posiez la question : à qui fait-on appel ? Tout dépend des problématiques locales. Dans certains endroits nous aurons la chance d'avoir une « maison des adolescents » avec laquelle nous pouvons travailler correctement. Seulement, dans d'autres endroits, elle n'est pas tout près, les jeunes n'y ont pas forcément un accès facilité, et les liaisons avec les professionnels sont, dans ce cas, compliquées à établir. Cela dépend vraiment du « tissu » existant à l'endroit où l'on se trouve, et il y a de gros progrès à faire là-dessus.
Trop de jeunes ne peuvent pas accéder aux nombreuses structures existantes. Nous sommes ainsi obligés de travailler localement avec plusieurs partenaires, même si on ne s'interdit pas d'élargir le champ des personnes avec qui nous travaillons.
Les actions innovantes se mettent en place quand toute la communauté éducative et pédagogique est prête à « mouiller le maillot » sur cette problématique. Les actions ont dans ce cas des chances de pouvoir fonctionner. En revanche, les échecs arrivent probablement quand il y a des injonctions descendantes, lorsqu'il nous est demandé de faire tel ou tel type d'action.
C'est ce que l'on voit se développer au sein de l'Éducation nationale depuis un certain temps, en lien avec les agences régionales de santé (ARS) qui ont un programme précis d'intervention, ce qui peut ne pas fonctionner car ne correspondant pas à un besoin local.
Il faut vraiment s'appuyer, pour éviter les échecs, sur l'analyse que les différents professionnels ont d'un établissement, des jeunes qui le fréquentent, et de toutes les problématiques qui l'entourent. Des travaux doivent être menés dans ce cadre-là auprès des services de prévention des municipalités, où des personnels formés travaillent avec la police et la gendarmerie : c'est un mécanisme intéressant qui permet d'avoir un regard croisé.
Sur les actions c'est donc pour l'instant très interdépendants des ressources locales ou un peu plus élargies.
Vous nous demandiez quelles étaient nos relations avec le personnel infirmier : pour nous c'est une évidence, c'est notre quotidien, à la réserve que le personnel soit dans l'établissement au sein duquel nous travaillons. Cela va de soi. Je ne vois pas comment nous pourrions travailler sans eux. Ce travail d'équipe est incontournable, surtout sur la question du harcèlement - mais pas uniquement. La question « vie scolaire » consiste d'abord dans le suivi des élèves dans toutes leurs dimensions : scolaire, de santé, de prévention des risques, de sécurité, de citoyenneté etc.
Concernant les actions innovantes, l'innovation serait déjà que le travail en équipe soit une évidence pour tous. Nous ne croyons pas aux méthodes innovantes. Nous empruntons un peu partout, à la méthode Pikas ou à d'autres. Nous expérimentons grâce à ces méthodes, les réajustons en fonction de notre connaissance du terrain, les complétons et les enrichissons. Si innovation il doit y avoir, elle se trouve là : dans notre capacité à faire équipe, toujours dans le respect des missions des uns et des autres.
Concernant les partenaires extérieurs, nous y recourons aussi en fonction de la réflexion que nous avons pu mener et des besoins que nous avons pu identifier. Parfois, ils répondent à des sollicitations que nous n'avions pas forcément générées.
Il m'est arrivé parfois dans un établissement d'être sollicité par la Mutuelle générale de l'Éducation nationale (MGEN). Il peut arriver de dialoguer avec d'autres organismes, d'autres partenaires (associatifs ou autres) qui avaient des idées arrêtées, et dès lors que nous parvenons à dialoguer, nous pouvons réajuster leur offre. L'aide des partenaires extérieurs ne porte pas que sur la question du harcèlement. Il faut prendre le problème beaucoup plus largement. Par exemple, nous avons eu l'occasion de travailler sur des enquêtes à l'échelle de l'ensemble de l'établissement, de tous les élèves, de parents d'élèves de quartier, afin d'avoir une vision de leur ressenti, de leurs attentes, sur les questions santé notamment. C'était un questionnaire qui portait sur les questions de scolarité, d'apprentissage, et l'aspect santé pour lequel il pouvait y avoir des questions de violence dont la question du harcèlement. Le fruit de tout ce travail de longue haleine a été très intéressant et a permis ensuite d'activer des actions.
De façon générale, les partenaires extérieurs peuvent être sollicités aussi pour mener ce travail, pas spécifiquement sur la question du harcèlement.
Je veux revenir sur le travail en équipe qui est la clef d'entrée de situations bien gérées. Institutionnellement rien n'oblige les établissements dans le second degré à mettre en place une cellule pluridisciplinaire, c'est au bon vouloir et en fonction de la situation de l'établissement. Quand, comme dans mon établissement, l'assistante sociale n'est pas remplacée depuis mars, que l'infirmière n'est là que le matin et que la psychologue se partage entre plusieurs activités, le quotidien concret de l'élève fait que, lorsqu'il a besoin de déposer son fardeau, il n'a pas toujours devant lui la personne qu'il faut. Et donc parfois, cela émerge en plein cours d'où la difficulté de l'enseignant devant cette parole qui perturbe l'établissement et son cours.
En tant qu'assistante sociale en collège et en lycée, il est important d'avoir le temps d'écouter un enfant qui se déclare harcelé, pour l'aider à progresser, à se projeter, à se mettre à la place de l'autre. On peut ainsi chercher la preuve, décrypter les situations en collaboration avec les autres personnels. Or dans mon département comme dans beaucoup d'autres, mon souci est que des établissements ne sont pas couverts car il n'y a pas assez de postes voire pas du tout de travailleur social. Or, il suffit parfois de ne venir qu'une fois par semaine dans l'établissement pour faire le point puis continuer à travailler par téléphone, aider à réfléchir et accompagner.
Mon souci est d'aider y compris les parents à réfléchir - car parfois, ils minimisent - pour qu'ils réalisent ce qui se passe sur le téléphone de leur enfant, dans les deux sens, car rien n'est tout blanc ou tout noir. Ce temps passé permet à l'enfant de murir et aussi aux parents qui sont responsables légalement, par exemple en cas de rappel à la loi, de prendre conscience que ce rappel les concerne et que leur enfant n'a pas le droit de tout faire avec les images des autres. On revendique donc à l'UNSA qu'il y ait plus de postes pour faire ce travail de profondeur qui prend du temps, mais qui aide la communauté éducative.
Je reviens sur la procédure suivie en cas de harcèlement. Je le redis, la difficulté est de repérer la situation de harcèlement. Une fois qu'elle a éclaté, qu'elle a été signalée par l'enseignant ou les parents, en tant que chef d'établissement nous avons un outil « faits établissement » pour remonter à la structure rectorale ou départementale un incident qui se passe dans l'établissement, outil qui comprend trois niveaux de gravité. Pour le niveau 1 on consigne et cela reste au niveau de l'établissement, le niveau 2 est automatiquement transmis à l'inspection académique et il y a le niveau 3 qui concerne des faits extrêmement graves, comme l'introduction d'armes.
La remontée de faits mentionnant le harcèlement est systématiquement de niveau 2, soit avec une transmission quasi-instantanée. Généralement dans les deux jours qui suivent nous avons un appel de la cellule harcèlement de l'inspection académique qui nous demande des précisions, sur la façon dont cela a été traité, notamment avec les parents de la victime et du fauteur de trouble. Selon la gravité et le degré de traitement que nous avons pu y apporter, l'inspection académique s'en charge et met en relation les parents avec les différents acteurs, les référents harcèlement.
Une autre question portait sur l'arsenal judiciaire et son caractère suffisant ou pas. Je n'ai pas la compétence juridique mais il est insuffisamment connu des élèves et des parents. Il faudrait donc, très tôt, dès le cycle CM1-CM2-6è, éduquer les enfants au cadre légal, aux bonnes pratiques de la communication numérique. Le module SNT (sciences numériques et technologie) qui forme actuellement les élèves au numérique intervient trop tard, en 2nde, alors que l'élève devrait savoir très tôt qu'il faut respecter l'autre, son image, ne pas proférer des insultes.
Une précision : la plupart des faits de harcèlement que j'ai traités se déroulent non sur les réseaux « classiques » qui peuvent être partagés avec les parents, mais via l'application Snapchat qui permet de constituer des « groupes classe » fermés. En début d'année ils sont à vocation pédagogique, mais en cours d'année ils peuvent devenir le lieu d'insultes, de photos volées, etc. Les parents n'ont aucune idée de ce qui s'y passe. Ils ne regardent jamais et ne s'inquiètent pas de ce qu'il y a dans le téléphone de leurs enfants, téléphone qui leur a été initialement donné dans un but d'autonomie alors que c'est bien de leur responsabilité de le faire au titre du contrôle parental.
Je vais maintenant donner la parole à ceux de nos collègues qui l'ont demandée.
Je vous remercie pour vos interventions et me demande s'il y a différents types de harcèlement en fonction de la classe. Si le comportement de harcèlement commence dès la maternelle, il faudrait alors agir à ce stade et sensibiliser aux réseaux sociaux. Quelle est la responsabilité des parents ? Lorsque leurs enfants sont harcelés, ils sont toujours là mais, quand leurs propres enfants sont harceleurs, ils leur trouvent toujours des excuses.
Par ailleurs, la confiance des enfants à l'égard des adultes est une chose mais il faut encore que les enfants parlent. J'ai des exemples en tête où l'enfant harcelé en primaire ne l'a pas dit à ses parents depuis quatre semaines car il a peur que ses parents viennent à l'école et témoignent. Comment libérer la parole pour de si petits enfants ? S'agissant du dispositif des enfants aidants, c'est un bon dispositif car on se confie plus facilement à ses copains, mais comment les recruter et expliquer que la violence doit rester à l'extérieur de l'école ? Enfin, il faut parler de la responsabilité des réseaux sociaux qui nécessite une action forte.
Je souhaite revenir sur le travail en amont et le rapport à l'autre. L'une des préconisations du rapport de M. Balanant concerne l'empathie. Aux premiers abords, cette préconisation peut prêter à sourire. Mais cette empathie relève des compétences psychosociales précédemment évoquées. Travailler sur l'empathie revient à travailler sur sa relation à l'autre, être capable de reconnaître l'autre comme un sujet humain ressentant des choses. Cette éducation à l'empathie pourrait incomber aux assistantes sociales - la formation du citoyen fait partie de leurs missions. Toutefois, pour cela il est nécessaire qu'elles puissent intervenir très tôt dans la scolarité. Une telle intervention pourrait ainsi ruisseler tout au long de la scolarité au-delà du harcèlement.
Il est essentiel de libérer la parole. Certains élèves ne parlent pas par peur d'être vus comme des « balances ». Ce qui n'est pas encore assez développé, ce sont des lieux, du temps institués dans la classe, c'est-à-dire définis dans l'emploi du temps de l'élève. Les heures de vie de classe sont sous-utilisées. Des conseils d'élèves pourraient être mis en place au primaire. Certains enseignants le font. C'est à encourager, pour que l'élève sente qu'il y a un temps prévu dans la semaine. Cela permettrait également de différer, car souvent on est dans le registre de l'émotionnel. Ces temps doivent permettre d'éduquer à l'empathie. Aujourd'hui, de manière caricaturale, le temps de classe est considéré comme un temps pour les mathématiques et le français. D'ailleurs certains enseignants estiment avoir passé un CAPES pour enseigner telle ou telle matière et pas pour éduquer à l'empathie.
Le dispositif « élèves sentinelles » est intéressant. En effet, nous vivons dans une époque où l'on individualise et médicalise beaucoup de choses. Ce dispositif permet de voir le harcèlement comme un phénomène communautaire. L'idée des sentinelles est de ne surtout pas agir contre les harceleurs. Cela peut sembler contre-intuitif, et nous étions surpris au départ. Or, si les élèves agissent contre le ou les harceleurs, cela risque de mal se passer. Mais, ils ont la main - et on peut les aider - pour agir dans deux directions : vers la victime pour lui dire qu'ils sont là et lui rappeler que ce qui lui arrive n'est pas normal. En effet, les victimes finissent par douter d'elles-mêmes, se remettent en cause. Par ailleurs, les sentinelles peuvent agir envers les spectateurs, pour les bousculer, agir sur la norme - « et si c'était toi », « mets-toi à la place ». Cela rejoint l'idée de l'empathie.
Je rejoins également des précédentes déclarations de mes collègues. Nous avons dans le département des collèges de 600 à 700 élèves avec même pas un poste entier d'infirmiers. On ne peut pas travailler convenablement dans ces conditions.
Je suis enseignante en primaire. Dans le département dans lequel j'exerce a été mise en place une formation « le jeu des trois figures », créée par Serge Tisseron. Elle travaille sur l'empathie. Trois élèves vont jouer une saynète avec une situation problème qui interpelle, en prenant tour à tour les trois rôles de la victime, de l'agresseur et du médiateur. Tous les collègues formés à cette empathie par ce « jeu des trois figures » peuvent constater des effets quasi-immédiats.
Pour des enseignants de maternelle, parler d'enfant harceleur me semble relever de la faute professionnelle. C'est une méconnaissance de la psychologie de l'enfant, sur ce qu'un enfant de 3, 4, 5 ans peut avoir comme intention. Un enfant qui a un comportement violent est forcément un enfant qui subit un malaise tellement fort que cela le submerge. Je mets en parallèle l'idée d'enfant hautement perturbateur. L'enfant n'est pas perturbateur de sa volonté, mais il est submergé par quelque chose qu'il ne maîtrise pas. C'est un enfant qui a un comportement perturbateur, mais qui n'est pas dans une intention. Il est important de le souligner. En outre, le programme de maternelle de 2015 qui a mis en avant l'évaluation positive a été une révolution dans la façon de penser celle-ci. Cela peut apaiser et fait partie de ce que l'on met en place pour avoir un climat scolaire serein. Enfin, un temps institutionnalisé, dans la classe, au travers par exemple du « quoi de neuf », ou les ateliers de philosophie est un moyen essentiel pour travailler au respect de l'autre, à la solidarité ou encore à l'écoute.
Travailler sur le rôle du témoin permet d'amener l'enfant à réfléchir sur ses possibilités d'intervention, sa place. Cela permet de dire que l'on ne reste pas sans rien faire. Travailler à la fois sur la victime, l'enfant harceleur et celui qui regarde permet de travailler sur ce que l'enfant témoin peut faire.
Ma collègue parlait du temps. Le temps de présence dans un établissement signifie aussi - et tout simplement - d'avoir le temps de prendre un café dans la salle des professeurs, pour qu'au détour d'une conversation on puisse échanger, - et avec notre formation spécifique - et relever que telle ou telle situation nécessite de s'y intéresser. Mais, pour cela il faut être dans les établissements, il ne suffit pas d'avoir un nom relié à un établissement.
Les numéros verts permettent certes aux familles d'appeler. Mais les enfants ont besoin de présence, de connaître la personne à qui ils vont aller se confier.
Les collègues des services sociaux scolaires, du fait du peu de temps de présence, n'ont plus comme priorités celles de nos missions. Normalement, nous sommes un service de prévention. On devrait être avec les équipes, former des projets collectifs. Mais, nous sommes majoritairement sur la protection de l'enfance, dans l'intervention d'urgence. Les conseils départementaux, pour leur part, sont en train d'intervenir en prévention dans les établissements. Il y a ainsi un inversement de nos missions, où plus personne ne s'y retrouve.
De même que la formation initiale et continue est fondamentale dans la prise en compte du harcèlement, le temps de concertation laissé à la disposition des équipes est nécessaire. Ce temps doit être institué. La mise en place, dans les établissements d'éducation prioritaire, d'un temps de concertation pour les équipes officiellement prévu le montre. Le choix dans mon établissement a été de banaliser un temps dans la semaine, où toutes les équipes se retrouvent. Cela a permis de solidifier la cellule harcèlement. Sur ce temps institué, cette cellule a pu construire le travail de prévention du climat scolaire - très en amont -, et mettre en place un dispositif en cas d'alerte et de cas avéré. Si nous ne disposons pas de ce temps, en raison du quotidien très chargé, il est difficile de se retrouver. Lorsque je suis arrivé dans cet établissement il y a une dizaine d'années, j'avais l'expérience de la médiation par les pairs. Grâce à mes collègues, j'ai pu réaliser que ce dispositif, qui a fait ses preuves dans mon précédent établissement, n'est pas forcément le plus adapté pour celui que je rejoignais. Les causes de harcèlement prennent parfois leurs sources en dehors des établissements, notamment dans les quartiers. C'est encore plus accentué avec les réseaux sociaux. Dans ce cas, nous n'avons pas voulu lancer le dispositif de la médiation par les pairs qui risquait de mettre des enfants, de par le contexte de quartiers, en danger. Il faut tenir compte des circonstances locales. Le contexte n'est pas le même d'une académie et d'un établissement à l'autre. Nous avons également mis en place un partenariat avec la CADA (commission d'accès aux documents administratifs) et nos classes de 4è, sur la connaissance du droit, la visite de l'institution, pour leur donner une culture juridique, qui vient ensuite nourrir notre travail sur le harcèlement.
Je tire de toutes vos interventions que s'il y a un travail d'équipe, une volonté d'aboutir, et si les équipes sont au complet, les outils existent pour agir. La question est de savoir si chacun s'en saisit.
J'ai entendu chacun d'entre vous. J'ai compris que vous n'aimiez pas les injonctions descendantes. Plusieurs d'entre vous ont aussi parlé de la problématique des moyens. Je vais peut-être vous choquer en vous disant ça, mais il va peut-être falloir faire avec ce qu'on a !
J'ai entendu que, dans certains établissements, les choses fonctionnaient de manière transversale et construite avec les équipes. Vous avez parlé, Mme Andrieux-Hennequin, des limites des conseils départementaux sur la protection de l'enfance. Mais les départements sont tellement sollicités pour des prises en charge diverses et variées que, quel que soit le département, il faut faire avec ce qu'on a.
Nous, parlementaires - et je pense que c'est le cas de mes collègues -, nous recevons beaucoup de mails de parents très démunis, dont l'enfant a été victime de harcèlement et qui disent que la solution a été finalement de changer d'établissement. Je pense par ailleurs que le harcèlement ne doit pas être le même d'une région à une autre, d'un établissement à un autre : cela doit être vécu de manière assez différente. Ne pensez-vous pas, dès lors, que le sujet du harcèlement devrait faire l'objet d'un projet d'établissement individuel, propre à chacun d'entre eux, en intégrant l'équipe éducative au sens large (y compris les travailleurs sociaux, les parents et les délégués de classe) ? Ce projet serait construit, écrit et défini en termes d'alerte, de moyens, d'outils, pour être connu par les parents, les enfants et l'ensemble de l'établissement. Si c'était un sujet écrit et connu par tout le monde, certains élèves, notamment les harceleurs potentiels, sauraient que l'établissement a pris le sujet à bras le corps. Travailler chacun dans son coin ne me semble pas la solution la plus appropriée, car le sujet du harcèlement scolaire a probablement plusieurs causes. Il n'y pas uniquement l'origine sociale, mais parfois un malaise, probablement aussi l'âge. C'est sans doute en écrivant les choses un peu différemment qu'on pourra trouver des solutions.
Le projet d'établissement est un outil important, et est utilisé, notamment par les équipes qui fonctionnent bien.
Je ne parle pas d'un projet d'établissement, mais d'un projet sur le harcèlement.
Oui, mais c'est déjà un volet du projet d'établissement, qui doit avoir une cohérence. On ne peut pas isoler les problématiques, sinon on risque de se heurter à des dysfonctionnements. Nous disposons de tous les outils.
Pour commencer, le climat scolaire est fondamental. Un climat scolaire apaisé est un élément de prévention contre le harcèlement.
Le projet d'établissement est également un dispositif intéressant : c'est tout naturellement dans ce document qu'on élabore collectivement tous les projets de lutte contre le harcèlement. Je reviendrai dessus pour dire en quoi cela est compliqué.
Nous disposons aussi d'un règlement intérieur, qui est un texte juridique à visée éducative. La mention du harcèlement dans ce texte peut être l'aboutissement d'une première prise en main par l'ensemble de la communauté.
Par ailleurs, le comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) est un lieu collégial d'échange où l'on peut construire des plans d'action, élaborer une stratégie concertée contre le harcèlement. On peut construire ainsi l'information en classe et auprès des personnels, la sensibilisation des parents d'élèves, la mise en place de dispositifs d'interventions, de prise en charge des victimes et des harceleurs.
L'heure de vie de classe est aussi un moment de régulation de groupe. Les problématiques de citoyenneté et de santé peuvent y être évoquées, et notamment celle du harcèlement, en co-animation avec le professeur et, le cas échéant, un professeur documentaliste, une assistance sociale, une infirmière, le CPE mais aussi le personnel de direction. Pour ce qui concerne mon établissement, nous travaillons la vie de classe avec l'équipe de direction. Cela peut être utilisé pour résoudre un cas de harcèlement avéré dans la classe, parallèlement au suivi de la victime et de l'agresseur. Un temps collectif est aussi important dans la résolution des difficultés : il permet, après coup, aux élèves de comprendre la démarche des adultes et de se repositionner en toute connaissance de cause par rapport aux protagonistes. Aucune des parties n'est donc à négliger, que ce soit les victimes, les agresseurs, les complices et les spectateurs.
Nous disposons aussi des instances d'élèves : le conseil de la vie lycéenne ou le conseil de la vie collégienne. Tout un travail est fait autour de la formation des délégués. La lutte contre le harcèlement trouve naturellement sa place au sein de ses instances.
Nous avons ces outils à disposition, qui nécessitent un travail collégial. Mais ce n'est pas toujours évident, car on se heurte parfois aux incohérences de notre institution. Par exemple, les personnels défendent le projet d'établissement, mais l'institution a fait un autre choix ces dernières années, où on a vu les projets d'établissement plus ou moins abandonnés au profit des contrats d'objectif et des lettres de mission des chefs d'établissement. C'est une vision plus managériale, qui a mis à mal le travail collectif des projets d'établissement. On en reparle et ils réapparaissent.
En outre, le travail de vie de classe a été ébranlé avec la réforme du lycée, puisqu'on assiste à l'explosion du groupe classe. Le travail qu'on pouvait faire en partant de l'unité de la classe dans différents domaines a été secoué, voire annihilé. Les enseignements de spécialité et les groupes recomposés qu'ils induisent rendent ce travail très compliqué. On l'a vu l'an dernier lors de la constitution des conseils de classe, où l'on a dû gérer 50 professeurs pour un même groupe d'élèves, ce qui a été très compliqué.
En tant qu'acteurs de terrain avec tous les outils dont on essaie de s'emparer, on éprouve aussi cette difficulté : ces outils très intéressants sur le papier sont compliqués à l'usage, dans des situations de gestion de l'institution qui évolue. Lorsqu'on est dans une vision managériale et qu'on administre la tâche éducative, ce travail de fond est sacrément secoué.
On a oublié, en effet, de parler du CESC. Je voulais revenir sur le sujet de l'établissement qui dit, d'entrée de jeu, qu'il ne veut pas de harcèlement et qui essaye de tout mettre en oeuvre pour que ce ne soit pas le cas. Quand c'est fait de cette façon, cela fonctionne.
L'établissement où je travaille dispose d'une charte de lutte contre le harcèlement, que les élèves et les familles doivent signer en début d'année. Elle qualifie le harcèlement. Elle est lue de façon officielle à la rentrée pour dire qu'on le refuse, qu'il sera pris en charge et qu'on ne le tolérera pas. On rappelle que chacun doit pouvoir venir à l'école sereinement sans avoir la boule au ventre. Les élèves savent qu'il y a un protocole de gestion des cas. Cela est mis en place depuis plus de huit ans, au départ à l'initiative d'élèves, et cela est continué : ils se passent le relais. Dans une cité scolaire, c'est plutôt géré par les lycéens, mais ils entraînent des collégiens, et on voit des petits qui veulent aussi participer au groupe de lutte contre le harcèlement. Des interventions sont faites pour tous les niveaux entre la 6ème et la 2nde et de façon répétée chaque année. Cela permet de poser les choses de façon officielle. Les professeurs sont sollicités : ils accompagnent les classes, co-interviennent, voire encadrent des lycéens qui interviennent dans les classes. Ils reçoivent aussi, en début d'année - notamment pour les nouveaux arrivants - le protocole au moment de la rentrée. Les élèves sentent une volonté de ne pas tolérer. Depuis que cela a été mis en place dans mon établissement, la parole est plus facile, et les témoins s'autorisent à parler sans se sentir des « balances ». On sent la volonté de ne plus tolérer. Je vous rejoins donc sur la nécessité d'un affichage fort - mais que ne soit pas de « l'affichage » dans le sens où on l'entend traditionnellement et que, dans les faits, les actions soient poursuivies dans la durée.
Oui, bien sûr, volontiers. Je vais vous l'adresser.
Concernant le temps de concertation dans le cadre de ma mission d'accompagnement des équipes sur le climat scolaire, j'ai établi le bilan des 500 projets d'école du département pour l'axe « climat scolaire et relations avec les familles ». J'ai pu constater que la circonscription du réseau d'éducation prioritaire (REP +) au niveau du projet avait une maitrise très pertinente des indicateurs, des objectifs et des actions. Je pense que nous pouvons l'attribuer aux neuf journées de formation en REP +. Cela signifie que si l'on donne du temps aux équipes, les choses sont possibles.
Pour ce qui est de « faire avec ce qu'on a » comme cela a été suggéré, je vous signale que, dans mon département, une fiche action sera jointe au projet concernant l'accueil des élèves à besoin éducatif particulier. Cette préconisation devrait être retenue en cas de difficulté pour qu'il y ait une réflexion collective de l'équipe et que l'on travaille sur les représentations. C'est très important.
En faisant le parallèle avec le harcèlement, nous avons rapidement tendance à dire qu'un enfant est un harceleur parce qu'il est un peu trop collant ou qu'il demande une attention particulière. Nous travaillons donc aussi beaucoup avec les familles.
Nous menons des actions avec des objectifs clairement définis dans l'équipe. Nous allons le faire dans le département, mais pour y parvenir les collègues s'approprient le temps d'activités pédagogiques complémentaires (APC). Ils doivent en faire 36 heures. Les équipes qui décident de faire une fiche action, concernant les relations avec les familles, bénéficient de ces heures pour les rencontrer.
Dans le cadre du harcèlement, admettons que l'on ait recours à cette fiche action pour réfléchir ensemble, mais à ce moment-là, en contrepartie, du temps doit être donné aux équipes. C'est peut être effectivement « faire avec ce qu'on a », mais il y a un empêchement quand certains inspecteurs dans le premier degré refusent d'entendre cette possibilité. Il suffit de faire un choix pédagogique, voire social, de santé publique. C'est une décision plutôt politique et idéologique qu'en termes de moyens chiffrés.
Sur la question des moyens, dans le premier degré les REP + bénéficient de neuf jours de formation par an. Dans le second degré, les professeurs qui enseignent en REP + bénéficient d'une pondération de 1,1 : un certifié qui devrait faire 18 heures devant les élèves n'en fait plus que 16 et demie. Le temps dégagé par cette pondération en REP + est normalement consacré aux projets d'équipes, aux rencontres avec les parents, pour le dire autrement, au travail collectif.
Depuis 2015 et la mise en place de ces conditions particulières d'exercice en REP +, nous constatons que dans ces établissements fléchés comme ayant une difficulté supplémentaire, les équipes sont mieux fédérées, les projets sont mieux aboutis, les élèves réussissent globalement mieux et vivent dans des établissements où le climat est effectivement rasséréné par rapport à des établissements qui ne sont pas REP +.
La clé est la possibilité pour les équipes d'avoir un temps identifié, institutionnalisé, et rémunéré ou pris en compte dans leur rémunération hebdomadaire, pour pouvoir travailler en équipe disciplinaire d'enseignants mais aussi des équipes inter métiers. Il faut que toutes les équipes de l'Éducation nationale puissent travailler ensemble.
Je pense, en effet, qu'il est important de travailler ensemble pour avancer. Je trouve la question de la charte très intéressante. Le harcèlement n'est pas une fatalité, il est généralement dû à la différence. L'enfant différent n'est pas comme les autres, on en profite pour que ces jeunes le harcèlent.
Y a-t-il dans cette charte aussi la question de la différence ? Il faut faire comprendre que la différence fait partie de la vie, ce qui permettrait d'avancer et mieux comprendre pourquoi les harceleurs en viennent là.
Je ne trouve pas normal le fait que ce soit le harcelé qui doive partir de son école, collège ou lycée. C'est un peu trop facile. C'est se débarrasser du problème.
Aussi, plus l'enfant grandit, plus devient-il difficile pour lui de se confier. Lorsqu'ils sont petits il leur est plus facile de se confier à leurs parents. Lorsqu'ils sont au lycée ils se pensent incompris. Les parents ne se rendent parfois pas compte des choses parce qu'ils pensent que l'enfant est en pleine crise d'adolescence, qu'il change, et ne s'aperçoivent pas spécialement que l'adolescent est harcelé.
Concernant le numéro 30 20, une sénatrice a voulu voir comment les choses se passaient et a appelé le 30 20. Elle n'a eu de réponse que le lendemain. Cela signifie que finalement ce numéro ne sert pas à grand-chose. L'un d'entre vous a suggéré qu'il serait mieux d'avoir une personne. Je pense que cela vaut mieux qu'un numéro de téléphone. La personne pourra plus facilement s'expliquer, entendre, emmener l'enfant vers un professionnel. Avec un simple numéro de téléphone, l'on se retrouve en lien avec un inconnu, qui ne comprend pas toujours notre problème, notre souci, et ne nous envoie pas toujours vers le bon professionnel.
Le harcèlement ne se fait pas seulement en milieu scolaire. Une fois que l'enfant a quitté l'école, les choses continuent, notamment sur le téléphone par l'envoi de nombreuses insultes. Est-ce que tout se termine parce que l'enfant est sorti de l'école, du collège, ou du lycée ? Nous avons auditionné M. Hugo Martinez qui nous a parlé du référent municipal. Au premier abord cette proposition nous a interpellés. Nous nous sommes demandés à quoi il servirait, et comment il travaillerait au sein d'une commune et d'une mairie.
Concernant l'idée du référent en dehors de l'école, en effet, le harcèlement scolaire s'étend à l'extérieur des murs de l'école.
Pour les lycées, il y a eu un choix de retirer le service social scolaire. Il n'y a donc plus de collègues sur les lycées, excepté pour les lycées professionnels. C'était pourtant le service social qui permettait aux élèves de ces âges-là de pouvoir avoir quelqu'un effectivement en direct. Ces âges ont été « déshabillés », pour favoriser les plus jeunes. Auparavant, des collègues en primaire ont été mis sur les collèges. Actuellement, certains enseignants ont été mis sur les REP +, mais seulement quelques-uns car il n'y avait pas de création de poste. Ils sont tellement peu nombreux qu'ils ne font que du conseil technique, et ne font pas de présentiel. Ce n'est donc pas ce qui est souhaité, ou ce dont on a besoin.
À l'heure actuelle, même dans des départements où ont été placés des collègues REP +, ils ont été de nouveau retirés de ces postes par la suite. On s'est rendu compte qu'on avait besoin de présentiel, et pas seulement d'un numéro de téléphone. Comme il n'y avait pas assez de personnel, pas de création de postes, on prenait les collègues qui intervenaient sur les primaires en REP + pour renforcer de nouveau le personnel sur le second degré. Effectivement, tout ne se passe pas à l'école. Il faut que ceux qui ne sont pas à l'école puissent trouver un autre relais. Néanmoins, il faut bien se rendre compte qu'à l'école, les enfants n'ont pas partout accès à des interlocuteurs. À l'heure actuelle, quand il n'y a pas de moyens nécessaires, il est placé soit une assistante sociale, soit une infirmière, en se disant qu'il y aura au moins un personnel, mais ce ne sont pas les mêmes formations, et c'est bien la complémentarité qui fait cet ensemble. Le harcèlement est global.
Quand nous avons vu votre questionnaire, notamment sur le cyberharcèlement, nous nous sommes dits que la première des choses est aussi d'apprendre aux parents qu'il n'est pas obligatoire d'avoir un téléphone en primaire. C'est un objet qu'il faut savoir utiliser, pour ne pas que ce soit piégeant. Pour cela, il faut encore avoir des personnels qui puissent travailler avec les parents, avec les mairies et autres services. C'est aussi notre mission de travailler en concertation avec les autres partenaires. Il faut des personnels dont c'est le métier.
Je veux bien entendre qu'il faut « faire avec ce que l'on a », mais il y a aussi des personnels dont c'est la mission propre. C'est parce qu'ils sont à l'intérieur de l'Éducation nationale, avec un regard particulier de travailleurs sociaux, qu'ils ont amené des choses à l'Éducation nationale, un autre regard. Tout comme les collègues infirmières apportent, elles aussi, un regard précis de personnel de santé.
C'est tous ces regards-là qui font progresser l'école, et qui font qu'à un moment, lorsqu'on est dans un établissement, il est de notre mission d'agir.
Quand il n'y a pas ce personnel, il faudra attendre qu'un personnel se sente, en plus de sa mission, de bouger l'ensemble. Il y a des personnels dont c'est la mission, en vertu de leur circulaire de mission, de pouvoir interpeller effectivement l'ensemble des personnels de la communauté éducative.
Je voulais revenir sur ce qui a été dit : une charte doit être courte et simple pour être utilisée et lue par tous, chez nous de la 6è au BTS, mais cela n'empêchera pas le travail sur la différence, le respect de soi et de l'autre qui participent à la prévention du harcèlement. Il est effectivement anormal de déplacer l'enfant harcelé et quand on arrive par une libération de la parole, par une sensibilité dans l'établissement à éviter l'enkystement, alors, et c'est extrêmement satisfaisant, on peut souvent éviter un départ même s'il y a souvent le reflexe des parents de vouloir protéger ainsi leur enfant. Plus on s'y prend en amont, plus on aura pratiqué tôt une médiation entre élèves, prévu une réparation, dit ce qui est acceptable/inacceptable et sensibilisé les témoins, mieux on arrivera à éviter des départs de l'établissement.
Quand j'entends dire qu'on a plus de mal à parler quand on grandit, je constate qu'avec de la stabilité dans leur poste mes collègues peuvent établir une relation durable de confiance avec les élèves, y compris avec les camarades témoins et même quand ce sont des problématiques ou des faits très personnels, car il peut y avoir du harcèlement mais aussi des éléments autour de la sexualité.
Je voulais dire qu'il est difficile de parler à ses parents quand vous avez 16-17 ans et que vous êtes harcelés. C'est plus difficile qu'à 6-7 ans.
Alors oui, c'est plus facile de parler à d'autres adultes, comme l'infirmière, qui sont neutres, sans jugement de leur part ni notation, qu'à ses parents. Oui, je suis d'accord avec vous : on peut parler quand il y a un lien de confiance.
La fin de l'audition approche et je vais donc donner la parole à ceux qui le demandent.
Les assistantes sociales aident à la parentalité, par exemple en expliquant aux parents qu'il faut prendre et couper le téléphone de leurs enfants qui sont petits, car ils n'ont pas toujours ce reflexe. Il faut expliquer et sensibiliser les parents, par exemple par un clip, au fait qu'on coupe le téléphone le soir car ils n'en ont pas toujours l'idée afin que le harcèlement ne continue pas la nuit.
Il est évident pour nous que les adultes doivent être présents dans l'établissement, occuper le terrain pour ne pas laisser l'élève seul et ainsi l'accompagner au bon moment. Ce qui est redoutable dans le harcèlement comme dans tout phénomène de violence, c'est quand le jeune est seul, sans personne, sans adulte disponible vers qui se tourner. Le référent en mairie, pourquoi pas, mais en démultipliant les intervenants on peut porter atteinte à la visibilité et à la compréhension des dispositifs existant, même si cela peut être une aide pour la famille qui se tournera plus facilement vers un référent clairement identifié en mairie.
On le voit bien, il faut travailler ensemble, travailler sur les relais et donc les numéros d'appel peuvent être utiles, mais on n'a pas toujours de retour, il peut y avoir une certaine opacité.
Connaissez-vous une association Les Papillons qui exerce dans mon département et avec laquelle j'ai travaillé et dont le principe consiste surtout pour les élèves du primaire à permettre aux enfants harcelés ou témoins de déposer un petit mot dans une boite aux lettres installée dans les établissements ? Ce mot est relevé par un bénévole membre de l'association et qui peut ainsi faire le lien et informer pour que cela cesse.
On connaît cette association, mais il existe aussi des casiers, des boîtes aux lettres dans l'établissement pour voir l'infirmière ou l'assistante sociale, qui sont des personnes que les enfants connaissent. Ce qui m'inquiète, c'est qu'à force de mettre des numéros partout, on risque de ne pas répondre à des SOS lancés et nous préférons que des personnels puissent recevoir l'enfant, que ce soient des fonctionnaires avec des obligations, des missions, une formation ad hoc. Cette situation nécessite une réponse et des moyens publics et pas seulement de la bonne volonté, avec un endroit, à l'école, où chaque enfant peut dire que cela ne va pas.
Notre inquiétude, car c'est un sujet de santé publique, est que l'on cherche à remplacer les moyens du service public par des associations. On pense qu'il faut un projet d'équipe certes en lien avec les associations, mais un projet qui soit discuté et ne soit pas imposé, qui s'adapte à l'établissement. En effet, avoir subi du harcèlement ne suffit pas pour être en capacité de bien traiter et de prendre en charge le SOS. C'est, pour nous, au service public avec des personnes qualifiées de répondre, personnels dont c'est la mission d'intervenir.
Je voulais vous livrer une impression que je trouve révélatrice et qui ressort de nos échanges au vu des profils des participants à la table ronde. On a, en effet, l'impression que ce n'est pas le problème de l'enseignant, alors que j'ai l'idée qu'il faut laisser de la place en classe au vivant, aux émotions, sinon les élèves ne se confieront pas. Je ne veux pas caricaturer, mais dans la formation à l'Inspé si on est seulement sur le programme et pas sur l'affect, on risque de passer à côté de beaucoup de choses et alors on finit par externaliser le traitement hors de l'établissement.
Pour moi, il est intéressant dans cette table ronde de ne pas avoir que des enseignants. Ils sont présents dans les cellules de lutte contre le harcèlement en établissement mais, la réalité du travail et je veux rassurer notre collègue, c'est qu'ils ne sont pas les seuls à agir : il y a les infirmières, les CPE notamment qui savent convaincre et fédérer. Les réalités sont certes très différentes sur le terrain, mais dans les équipes qui fonctionnent, dans notre travail de fond qui est effectué, les émotions sont bien prises en compte.
Je vous remercie de ces échanges vraiment riches qui constituent autant d'apports pour notre réflexion et nos futures préconisations. On se rend compte qu'il y a un travail effectif, mais il faut avoir une meilleure coordination, une application partout et une bonne utilisation des outils qui existent. Ils sont nombreux, ce qui est rassurant. En tant que représentants des personnels de l'éducation nationale, vous démontrez qu'il y a matière à travailler, que ce sujet est grave et pris en compte pour aller de l'avant.
Ces échanges et vos retours d'expérience sont très riches pour nos travaux et leurs débouchés. Je vous remercie donc à nouveau.
(La réunion, suspendue à 18h20, reprend à 18h30.)
Madame la Proviseure, nous vous entendons aujourd'hui en votre double qualité de proviseure-adjointe du lycée Voltaire à Paris mais également de membre de l'exécutif du Syndicat national des personnes de direction de l'éducation nationale.
Vous le savez, le harcèlement scolaire est un fléau surtout quand il s'opère dans le monde « cyber » de façon anonyme, hors de l'enceinte physique de l'école ce qui en décuple les effets dévastateurs.
Mais à la base, il débute presque toujours dans un établissement d'éducation.
En vous auditionnant aujourd'hui, nous voulons donc savoir si la procédure suivie dans un établissement face à un cas de harcèlement scolaire vous paraît efficace.
À ce titre, estimez-vous que les personnels de direction soient suffisamment formés et outillés face à ce phénomène ?
Dans quelles conditions la responsabilité de l'enseignant ou du personnel de direction peut-elle être engagée en cas de harcèlement d'un élève ?
Au-delà de ces différentes interrogations, nous voulons, à l'issue de nos travaux en septembre prochain, aboutir à des conclusions opérationnelles en s'appuyant sur l'ensemble des parties concernées.
Votre regard est donc très important pour bien cerner et définir la notion, pour apprécier son ampleur, mais aussi pour comprendre les outils dont disposent les chefs d'établissement afin de résorber le harcèlement. Certains fonctionnent, d'autres moins : il nous conviendra de « faire le tri » pour privilégier, dans nos recommandations, les pratiques les plus efficaces.
Je vous propose donc de nous présenter votre approche du harcèlement scolaire, le tout pendant 10 minutes.
Puis, je passerai la parole à Colette Mélot, notre rapporteure, pour qu'elle puisse vous poser un certain nombre de questions.
Et je donnerai la parole à l'ensemble de nos collègues qui le souhaitent.
Le phénomène du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement s'est immiscé depuis de nombreuses années au sein de l'école. Les professionnels de l'éducation éprouvent une difficulté professionnelle et humaine lorsqu'un nouvel évènement de cet ordre est porté à leur connaissance. Dans les cas de harcèlement, nous sommes d'abord confrontés à la souffrance profonde de la victime, lycéen ou collégien et de sa famille, puis à la violence du harceleur, elle-même expression d'une autre souffrance qui doit, elle aussi, être prise en charge.
Par quels moyens les professionnels de l'éducation nationale peuvent-ils percevoir l'isolement d'un élève et les signes d'un mal-être ? Nous ne voyons pas toujours ce mal-être car nous n'avons pas toujours été formés à la détection de ce phénomène, dont les signes nous échappent de plus en plus en raison de l'évolution constante des moyens de communication numérique.
L'Unsa-éducation rassemble tous les métiers de l'éducation nationale. Cela nous permet de nourrir une réflexion riche. C'est en organisant et en exploitant la complémentarité de nos métiers que nous serons efficaces pour apporter une réponse à ce fléau. Aujourd'hui, la fédération Unsa-éducation souhaite mettre en lumière la nécessité d'intégrer la problématique du harcèlement dans une politique éducative plus globale sur le vivre-ensemble. Le besoin de formation de tous les personnels de l'éducation sur cette question et l'urgence de réfléchir à la coordination entre les corps de l'éducation nationale, ainsi qu'à l'articulation avec les partenaires extérieurs (santé, police, justice,...) est prégnant. Il est également nécessaire d'avoir une présence accrue des personnels des corps médicaux et psycho-sociaux dans les établissements scolaires.
Pour nous, le harcèlement a toujours existé. Ce qui est nouveau, c'est le cyberharcèlement, du fait des réseaux sociaux et des groupes de discussion. Notre ressenti, puisqu'on ne peut pas le mesurer, est que le harcèlement et le cyberharcèlement sont en augmentation. Il faudrait que les chefs d'établissement signalent systématiquement les situations de harcèlement, quelle qu'en soit la gravité, selon la procédure de signalement mise en place dans chaque académie. De manière générale, pour tout incident significatif, nous avons la possibilité de le signaler. Il faudrait que cela soit systématiquement fait pour les cas de harcèlement. Cela permettrait de quantifier le phénomène et d'avoir des données fiables.
Les réseaux sociaux et les groupes de discussion numériques sont de nouveaux usages de communication et d'échanges qui permettent, abrité derrière un écran, pour le ou les auteurs, l'utilisation d'un nouveau moyen technique d'expression du harcèlement. Les groupes de discussion permettent une expression à caractère plus large et plus efficace, qui ne se limite pas au temps de la récréation puisque ces échanges peuvent avoir lieu à n'importe quel moment de la journée ou de la nuit.
Avec les moyens numériques, il y a également un effet de dissémination : on peut harceler plusieurs personnes en même temps ou se faire harceler par plusieurs harceleurs. Enfin, sur internet, il est possible de harceler de manière anonyme avec la création d'un avatar. Des élèves viennent nous voir parce qu'on diffuse des vidéos, des photos d'eux, ou des insultes et des menaces, sans savoir qui en sont les auteurs. En contactant la police, nous pouvons essayer de savoir qui utilise cet avatar. Mais, selon la gravité des menaces ou des propos tenus, la police ne mène pas toujours cette enquête.
Pendant le confinement, les fils de discussion se sont généralisés dans les classes, via WhatsApp et Snapchat. Il n'est pas une classe qui n'ait pas son fil aujourd'hui. Cette utilisation existait avant le confinement, surtout au lycée. La nouveauté a été au collège, car les collégiens n'avaient pas l'habitude de ces fils de discussion. Les élèves ont découvert, par ces fils, la possibilité de harceler leurs camarades. La problématique de cyberharcèlement à la sortie du confinement était plus importante au collège.
En ce qui concerne le sondage de l'IFOP qui souligne le fait que près de deux tiers des enseignants ne se sentent pas armés pour faire face à une situation de harcèlement, le manque de formation des enseignants, mais aussi de tous les personnels qui travaillent dans les établissements scolaires auprès des élèves est à déplorer. On pourrait améliorer la formation des conseillers principaux d'éducation (CPE), des personnels de direction, de tous les personnels en contact des élèves, au cours d'une formation initiale et continue sur le harcèlement, ses formes, ses effets sur les victimes et sur les actions à mener. Plus largement, il faudrait renforcer leur formation dans la gestion de classe, en psychologie de l'adolescent et à l'entretien avec les élèves, afin de leur permettre de détecter les signaux d'une situation de harcèlement et une prise en charge efficace.
Les personnels doivent aussi connaître leurs obligations de fonctionnaires : ils ont l'obligation de dénoncer toute situation de harcèlement dont ils auraient connaissance afin de protéger les victimes.
Quel regard portons-nous sur les actions mises en place par le ministère de l'éducation nationale pour lutter contre ce phénomène ? Il y a certes des actions comme la journée de lutte contre le harcèlement, qui a lieu chaque année en novembre. Beaucoup d'acteurs trouvent que celle-ci a lieu un peu tôt dans l'année scolaire. Il existe également un numéro dédié. En effet, il a récemment été annoncé la mise en place d'un référent dans chaque établissement. Pour nous, ces actions sont insuffisantes. Il faudrait pouvoir agir en amont avec les élèves, leurs parents et les enseignants, avec une formation des personnels, mais aussi des parents : sensibiliser les parents, les familles aux bonnes pratiques numériques, ainsi qu'aux signaux d'alerte chez leurs enfants. La formation des élèves est également importante avec une sensibilisation au harcèlement. Plus largement, il faut travailler sur toutes les formes de discrimination (racisme, antisémitisme, handicap, LGBT), et l'égalité homme-femme, le droit à la différence, pour apprendre à respecter l'autre.
En cas de harcèlement dans un établissement scolaire, nous auditionnons dans un premier temps les élèves : la victime, le harceleur présumé, ainsi que les témoins, afin de caractériser - ou non - la situation de harcèlement. Nous convoquons les familles pour les informer de la situation. Si la situation de harcèlement a entraîné des violences graves, souvent nous conseillons à la famille de porter plainte. En outre, nous informons et échangeons avec nos partenaires : le professeur principal de la classe du ou des élèves, le conseiller principal d'éducation, l'infirmier, l'assistant social, et éventuellement le psychologue de l'éducation nationale. La sanction est prise en fonction de la gravité du harcèlement. Pour nous, la gravité dépend de la durée dans le temps des violences physiques, psychiques et verbales des menaces. La sanction peut aller jusqu'à la convocation d'un conseil de discipline, qui peut prononcer l'exclusion définitive d'un élève.
Dans une situation de harcèlement qui débute, souvent lorsque l'élève harceleur est convoqué par la direction, le harcèlement cesse. Si nous pouvons intervenir rapidement, nous avons remarqué que le harcèlement peut cesser rapidement.
Vous nous interrogiez sur le changement de classe. Nous n'y sommes pas opposés. Cela peut aider un élève à pouvoir suivre sa scolarité dans un autre environnement. L'élève peut manifester ce désir, car souvent la place d'un élève harcelé n'est pas facile à tenir au sein d'une classe. Mais une prise en charge des auteurs du harcèlement est nécessaire pour une prise de conscience et éviter la répétition. Or cette partie est souvent oubliée : on va traiter la situation de la victime, sans s'occuper des élèves harceleurs, au-delà de la sanction. Il ne va pas y avoir de travail avec eux, et avec la classe, pour éviter cette répétition. Souvent, les élèves harcelés demandent plutôt à changer d'établissement et pas de classe. C'est ce que j'ai pu observer en collège et lycée. Il est regrettable que ce soit la victime qui doive partir et non le harceleur.
La responsabilité de tout fonctionnaire peut être engagée si des faits graves ont été portés à la connaissance du personnel et qu'il n'a rien fait. Tout fonctionnaire a l'obligation d'agir lorsqu'il a connaissance d'une information préoccupante. Les obligations du chef d'établissement portent sur la sécurité des élèves et la responsabilité de l'ordre dans l'établissement. Ne pas agir serait un manquement grave à sa fonction.
L'arsenal juridique existant est-il suffisant pour faire face au harcèlement et cyberharcèlement ? Il y a bien un arsenal juridique qui caractérise les infractions de violences physiques ou verbales, les menaces, la diffamation, l'injure ainsi que les infractions en ligne.
Mais il n'existe pas de délit spécifique de harcèlement scolaire. Peut-être faudrait-il le créer ? Il pourrait également être utile de modifier le code de l'éducation, en affirmant le droit de tout élève à une scolarité sans harcèlement.
Les journées de lutte contre le harcèlement permettent de sensibiliser et de mener des actions. Mais force est de constater que peu d'établissements s'en emparent réellement. C'est l'éducation durable, tout au long de la scolarité et dès le plus jeune âge, qui permet de lutter durablement contre le harcèlement.
Le dispositif des élèves médiateurs est plutôt une bonne idée. L'éducation par les pairs est une dynamique positive et nous y croyons. Mais attention, toutefois à ne pas faire porter une charge morale trop lourde sur les élèves. Savoir être médiateur s'apprend. Nous devons former les élèves : il ne faudrait pas que leurs actions se retournent contre eux.
La formation des élèves aux usages raisonnés du numérique et à leurs dangers se fait surtout grâce à la collaboration de partenaires extérieures : des associations comme e-Enfance, Marion La main tendue ou Respect Zone. Au lycée, avec la création de la nouvelle matière sciences numériques et technologie (SNT) en seconde, cette formation est prévue dans le programme. Mais elle intervient trop tard dans la scolarité des élèves. Elle devrait commencer dès le collège, soit dès que les élèves sont en possession d'un téléphone portable, sont en possession d'un ordinateur et qu'ils ont un accès régulier à internet et aux réseaux sociaux. L'accès à ces outils numériques se fait de plus en plus jeune. Il est nécessaire que cette formation se fasse plus tôt.
Il faudrait intégrer cette thématique à un enseignement du primaire et du collège, adaptée à l'âge et à la compréhension de l'élève. L'éducation morale et civique pourrait s'en charger au collège.
Comment peut-on agir sur les témoins, actifs ou passifs, d'un harcèlement scolaire ? En les formant sur le repérage des signaux faibles, et pas seulement forts et en les sensibilisant sur la nécessité de signaler à un adulte de l'établissement toute situation de harcèlement.
Les enseignants sont suffisamment formés et outillés face à ce phénomène, y compris dans sa composante numérique ? Vous m'interrogiez notamment sur la fin des IUFM et l'impact qu'a pu avoir le transfert de la formation des enseignants aux INSPE. Je ne crois pas que ce transfert ait eu un impact. Cette formation a toujours été insuffisante, voire inexistante.
Les enseignants sont plutôt démunis lorsqu'ils sont confrontés à cette situation. Ils sont aussi démunis dans la perception des signes. C'est aussi dans la classe qu'une situation de harcèlement peut être perçue. La formation en INSPE doit prévoir un module de plusieurs heures sur le sujet, intégré dans le tronc commun de la formation. Ce ne serait pas une formation par discipline mais toutes disciplines confondues, y compris pour les CPE.
Les personnels de direction ne sont pas davantage formés que les enseignants mais la confrontation à des situations de harcèlement et la nécessité d'agir a impliqué le développement d'un mode opératoire et un travail d'équipe avec les partenaires internes à l'établissement (CPE, professeur principal, infirmier, assistant social, psychologue de l'éducation nationale).
Vous m'interrogiez sur la méthode de la préoccupation partagée. À titre personnel, je ne la connais pas. J'ai interrogé plusieurs collègues qui ne semblent pas non plus la connaître.
Les relations avec les infirmiers, médecins, assistants sociaux et psychologues de l'éducation nationale sont incontournables et précieuses dans ces situations.
On peut regretter qu'ils ne soient pas suffisamment nombreux dans les établissements scolaires. Les psychologues de l'éducation nationale sont plus présents dans les établissements dans des missions d'information et de conseil sur l'orientation, moins sur le volet psychologique.
Afin de proposer une prise en charge rapide des élèves, il serait bon que l'institution prévoie des moyens : un psychologue qui n'interviendrait que dans des situations de harcèlement, à la fois auprès de la victime et du harceleur, devrait être mis à disposition pour un bassin, un district ou une petite ville.
Nous faisons régulièrement appel à la police, à la gendarmerie et divers associations, qui sont nos partenaires réguliers.
Enfin, de manière générale dans la lutte contre le harcèlement et le cyberharcèlement, nous sommes confrontés à un manque de temps et d'expertise, mais aussi à la difficulté de recueillir des preuves, particulièrement lorsque le harcèlement est numérique, le manque de personnels dédiés et formés pouvant apporter leur aide ou encore le manque d'interlocuteurs spécialisés dans l'éducation, dans la gendarmerie ou la police.
Les numéros 30 18 et 30 20 ne sont ni suffisamment connus ni systématiquement affichés dans les établissements. Ce sont pourtant des numéros utiles. Une affiche pourrait être obligatoirement placée sur les portes des CPE, de l'assistante sociale, de l'infirmière et de la direction.
Parmi les actions intéressantes que j'ai eu l'occasion de connaître, je signale le théâtre forum qui me paraît efficace. Le spectacle peut être fait par des professionnels, mais peut aussi être réalisé en partenariat avec des élèves. Il peut également y avoir des échanges dans les classes à partir de vidéos. La circulation de la parole peut impliquer l'élève dans sa réflexion. C'est toujours plus efficace, avec les élèves, lorsque la formation n'est pas descendante.
Enfin, il nous semble indispensable de former les enfants, leurs parents, et d'instituer des référents police et gendarmerie pour chaque école et établissement.
Mme la Proviseure, permettez-moi de prolonger votre très intéressante présentation en vous faisant part de plusieurs de mes préoccupations en tant que rapporteure. Vous avez déjà évoqué de nombreux sujets.
En ce qui concerne l'arsenal juridique, j'ai noté que vous considériez celui-ci déjà étoffé, mais étiez plutôt favorable à la création d'un délit spécifique. L'incrimination générale de harcèlement assortie de circonstances aggravantes « suffit-elle » ?
Cela concerne le volet justice. Pour nous, si un délit spécifique de harcèlement devait être créé, c'est pour le volet éducatif. Les violences physiques et psychologiques sont répréhensibles par la loi. Mais il y a parfois des situations de harcèlement très fortes, qui durent dans le temps, et qui devraient être caractérisées et prises en charge comme un délit.
Nous avons auditionné la semaine dernière le Recteur de Paris. Il nous a présenté l'organisation mise en place par le rectorat pour lutter contre le harcèlement, avec quatre pôles, et un partenariat établissements/rectorat/Procureur de la République, l'existence d'un référent dans chaque commissariat d'arrondissement. Il expliquait notamment que « si la réticence de signaler un harcèlement existe, c'est parce que souvent le chef d'établissement se sent seul. Or, la seule réponse face aux harcèlements est la réponse d'équipe. Le chef d'établissement doit être soutenu pour avancer ». Quel regard portez-vous sur le dispositif mis en place par l'académie de Paris ?
Ce dispositif n'est pas très connu. Par exemple, je ne savais pas qu'il y avait un référent harcèlement dans chaque commissariat. Nous avons un référent dans chaque commissariat, mais je ne savais pas qu'il y avait un référent spécifique pour le harcèlement. Il est important que les chefs d'établissement soient accompagnés. Il faut que l'on signale les situations de harcèlement. Mais signaler une situation de harcèlement peut être préjudiciable à la réputation de l'établissement. C'est peut-être la raison pour laquelle certains collègues sont réticents à les signaler. Mais c'est en passant une situation sous silence que les choses peuvent empirer. Déclarer une situation de harcèlement, c'est montrer que le problème est reconnu et sera pris en charge.
Vous avez évoqué les numéros 30 18 et 30 20. J'ai bien entendu qu'ils n'étaient pas suffisamment connus.
Après la réception de vos questions, j'ai eu l'occasion d'aller dans trois ou quatre établissements. Ces numéros n'étaient pas affichés. Il faut qu'ils soient affichés dans un endroit stratégique de l'établissement.
Il faut également expliquer à un élève ce qu'est un harcèlement, à partir du moment où il est harcelé, où il harcèle.
Il y a parfois une banalisation de l'insulte et de la moquerie. Souvent, les enseignants les banalisent, alors qu'il faudrait qu'ils reprennent systématiquement les élèves en cas d'insultes.
Comment associez-vous l'ensemble de la communauté éducative (parents, personnels médicaux-sociaux de l'éducation nationale) ?
Il y a une bonne association de l'ensemble de l'équipe éducative.
Dans mon établissement, c'est plus compliqué avec les familles. Les familles qui suivent leurs enfants viennent. Les autres familles ne viennent pas. Or, ce sont ces familles que nous devrions toucher, et on n'y arrive pas. Quand on ne peut pas toucher les familles, on cherche à agir via les élèves. Certains enseignants considèrent qu'ils sont là pour enseigner et que tout ce qui est autour est une perte de temps. Il est parfois compliqué de dire à un enseignant que l'on va utiliser ses heures de cours pour faire de l'information et de la formation sur le harcèlement, les discriminations, les relations hommes-femmes. La loi prévoit trois séances par an pour l'éducation sexuelle. La même chose devrait être mise en place pour des formations à la citoyenneté incluant la lutte contre le harcèlement, pour que les enseignants s'en saisissent et voient leurs caractères obligatoires.
Ce qui est compliqué avec le théâtre forum est son coût. Or, les collèges ont moins d'argent que les lycées. Un niveau par an pourrait être désigné. Cela permet au cours de la scolarité de toucher tous les élèves.
Vous avez également indiqué qu'il fallait que la lutte contre le harcèlement soit inscrite dans le code de l'éducation.
N'y a-t-il pas un programme prévu en primaire sur la bonne utilisation du numérique ?
Je n'en ai jamais entendu parler.
Nous devons creuser cette question, pour voir son contenu exact et la manière dont il est mis en place.
La réunion est close à 19h10.