Intervention de Dominique Dunon-Bluteau

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 22 octobre 2020 à 9h30
Audition commune de M. Dominique duNon-bluteau responsable du département scientifique biologie-santé de l'agence nationale de la recherche anr et des docteurs dominique martin directeur général et stéphane vignot référent essais cliniques de l'agence nationale de sécurité du médicament ansm

Dominique Dunon-Bluteau, responsable du département scientifique du département « ?Biologie-Santé ?» de l'Agence nationale de la recherche (ANR) :

Je reviens sur la question de la multiplicité des projets et vous propose un exemple probant. À ce jour, sur les 174 projets financés, 21 portent sur la recherche de molécules antivirales. 11 entrent dans le cadre de l'appel Flash : cinq se concentrent sur diverses stratégies de criblage haut débit de molécules ; deux s'attachent à mieux caractériser les protéines virales afin d'identifier de nouvelles molécules ; un projet vise à déterminer l'ensemble des structures de protéines codées par SARS-CoV2 ; trois correspondent à des repositionnements de molécules déjà approuvées pour diverses applications thérapeutiques. Dans le cadre de l'appel R/A, 10 projets ont été financés, dont deux proposant des repositionnements.

L'un d'eux a connu une médiatisation importante : le projet ANTI-CoV, porté par Jean Dubuisson de l'Institut Pasteur de Lille, ayant pour objectif de cribler le SARS-CoV2 sur des composés pharmaceutiques disponibles dans le commerce par une approche à haut débit, de les valider dans un modèle in vitro préclinique, avant de passer à des tests plus prometteurs sur le modèle élaboré par Roger Legrand. L'ambition est de proposer rapidement un essai clinique multicentrique. En même temps qu'il a obtenu son projet Flash en avril, Jean Dubuisson s'est vu ouvrir l'accès à la chimiothèque de la société APTEEUS. Une molécule prometteuse a été identifiée après une cascade de criblages. De grands espoirs sont placés dans cette découverte, même si la preuve de concept doit encore être apportée. La région Hauts-de-France a décidé de financer ce projet à hauteur de 785 k€ et la fondation LVMH pour 5 millions d'euros. Cette cascade de financements illustre bien la façon dont la recherche devrait fonctionner, ainsi que l'intérêt de la recherche en amont initiée par l'ANR.

Une grande diversité de projets a donné des résultats dans des délais extrêmement courts par rapport à la normale. Les premiers résultats retentissants ont été obtenus sur l'hydroxychloroquine et rapportés dans un article de Roger Legrand, démontrant l'inactivité de ce médicament dans le traitement de la Covid-19 dès le mois de juillet. Le chercheur a mis au point un modèle animal de la maladie chez des primates non humains. Il est donc sollicité pour valider d'autres études. Dans le cadre de son projet, il continue de tester des anticorps monoclonaux anti-Covid, pour vérifier s'ils pourraient jouer un rôle curatif.

Le second domaine dans lequel les équipes françaises se sont illustrées concerne l'analyse du rôle clef de l'interféron dans la réponse antivirale. Ces équipes se sont attachées à identifier les mécanismes liés aux formes graves de la maladie. Frédéric Rieux-Laucat de l'Institut Imagine et James Di Santo ont démontré que les cas graves présentent une absence de réponse à l'interféron, généré par le corps pour se défendre. Une seconde équipe a poussé la recherche plus loin avec le projet GEN-COVID, porté par Jean-Laurent Casanova, qui a mis en place un consortium international permettant d'identifier toutes les caractéristiques génétiques ou immunitaires des formes graves de la maladie. Il a ainsi pu confirmer que 15 à 20 % des patients lourdement touchés possèdent des auto-anticorps contre l'interféron, qui le neutralisent. La présence de ces anticorps a été démontrée comme antérieure à l'infection, et n'a pas été relevée chez les patients ne développant pas une version grave de la maladie. D'autres projets se sont concentrés sur l'interféron, comme celui de Guy Gorochov, coordinateur scientifique d'i-COVID, avec pour objectif de stratifier les patients en fonction de la sévérité de la maladie. Une demande de brevet est en cours sur une méthode pronostic de la sévérité.

Dans le domaine de la prévention, l'ANR finance un projet porté par le professeur Bernard Martel de l'Université de Lille, qui propose d'incorporer dans les masques une couche de textile filtrante à activité biocide, pour neutraliser le micro-organisme. L'objectif est de disposer d'une technologie opérationnelle d'ici 18 mois, afin d'en effectuer le transfert vers un fabricant. Le niveau de TRL de ce projet est de 4. Un autre exemple concerne l'évaluation de l'impact du confinement : il est porté par Vittoria Colizza de l'Inserm et s'appuie sur une modélisation mathématique et numérique utilisant les données de téléphonie mobile. Une première étude a démontré que le confinement avait joué un rôle important dans l'abaissement du facteur R en dessous de 1. Une seconde étude a porté sur le comportement de la population lors du déconfinement, démontrant un retour très rapide à la mobilité dans tout le pays, sauf en région Île-de-France où la reprise a été nettement plus lente, attestant d'une prise de conscience plus forte de la maladie. Ces études ont été rendues publiques dès la mi-avril et ont été transmises aux autorités de santé.

Des projets se sont penchés sur la gestion de crise, comme celui de Gaëlle Clavandier de l'Université de Saint-Étienne, consistant à analyser les pratiques funéraires. Les résultats de l'étude ont mis en évidence des contradictions avec les normes édictées en matière de soins, et ont démontré que l'ensemble des morts n'a pas fait l'objet des mêmes préconisations sanitaires, induisant un risque non négligeable de hiérarchisation. Ces travaux ont fait l'objet d'une audition auprès de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Le projet COCONEL, porté par Patrick Peretti-Watel, s'est concentré quant à lui sur l'effet du confinement sur la population. L'enquête a révélé un soutien massif à cette mesure, mais avec une augmentation des inégalités sociales, des troubles de la santé mentale, de l'adhésion aux théories complotistes, de la politisation des questions publiques, une baisse des recours aux soins et une augmentation de l'hostilité à un vaccin contre la Covid-19. Ces travaux ont fait l'objet de sept publications, ont généré onze notes de synthèse transmises à la conseillère Santé de l'Élysée et aux membres du comité scientifique. Enfin, le projet CoCo, porté par Ettore Recchi, s'est focalisé sur les réactions des groupes face aux mesures de distanciation sociale et de confinement, et les effets générés sur les inégalités. Les premiers résultats ont démontré un accroissement des inégalités de genre concernant le travail domestique, une résilience de la sociabilité et du niveau de bien-être, ainsi qu'une augmentation régulière de l'inquiétude quant à l'impact économique. Ce projet a par ailleurs révélé que le télétravail, quoique bien accepté, accentue les inégalités sur le marché de l'emploi. Ces travaux ont fait l'objet d'une publication, d'une audition devant le conseil scientifique le 14 octobre, et ont engendré la diffusion de quatre notes de synthèse et d'un rapport d'une quarantaine de pages.

Tous ces projets ont été financés dans l'appel Flash. Je terminerai en citant trois projets de l'appel R/A Covid-19, parce qu'ils sont prometteurs et touchent des domaines peu investigués. Le premier est le projet COVID-IN-UNI de Christine Musselin (Sciences Po) : il incarne la présence des universités françaises face au virus. Le deuxième projet a été baptisé DISCO, Dissémination et Stabilité du SARS-CoV2 dans l'environnement côtier : porté par Soizick Le Guyader de l'Ifremer, il constitue l'un des rares projets environnementaux et vise à étudier la dissémination du vecteur dans l'océan, avec un focus sur la contamination des coquillages et crustacés et l'évaluation des risques de transmission auprès des consommateurs. Enfin, le projet EpiCOV s'intéresse à l'épidémiologie environnementale de la Covid-19 en Guyane française, combinant analyses ADN et biogéographie pour prédire les futurs pics épidémiques. Dans les travaux qu'elle soutient, l'ANR n'oublie pas les départements et territoires d'outre-mer.

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