Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 55
Mes chers collègues, nous allons poursuivre nos travaux, avec une audition consacrée à la recherche dans le cadre de la crise sanitaire. Les questions de méthode, s'agissant notamment d'essais cliniques, ont été fortement discutées. Nous souhaitons donc effectuer un point sur l'effort de recherche : ses principaux axes, sa méthodologie et ses perspectives.
Sur toutes ces questions, nous avons souhaité entendre M. Dominique Dunon-Bluteau, responsable du département scientifique « Biologie-Santé » de l'Agence nationale de la recherche (ANR), les docteurs Dominique Martin, directeur général, et Stéphane Vignot, référent des essais cliniques, de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), ainsi que Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale adjointe, qui pourra répondre à toute question portant sur l'organisation de l'agence.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Elle sera consultable à la demande.
Je rappelle aux collègues et à l'administration que le port du masque est obligatoire. Je vous remercie de bien vouloir y veiller tout au long de cette audition.
Conformément à la procédure applicable aux procédures d'enquête, je vais maintenant vous demander, madame, messieurs, de prêter serment. Je vous rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est passible des peines prévues aux articles 434-13 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Dominique Dunon-Bluteau, Dominique Martin, Stéphane Vignot et Mme Christelle Ratignier-Carbonneil prêtent serment.
Je vous donne la parole pour un propos liminaire, puis nos rapporteurs vous poseront leurs questions. Je passerai ensuite la parole à l'ensemble de nos collègues.
responsable du département scientifique du département « ?Biologie-Santé ?» de l'Agence nationale de la recherche (ANR). - En guise de discours liminaire, je souhaite replacer la position de l'ANR dans l'écosystème de la recherche sur la covid-19. Je commencerai par souligner que les essais cliniques, tout comme le développement vaccinal, ne font pas partie du périmètre d'action de l'ANR. Nous nous concentrons sur la recherche fondamentale, dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la biologie et de la santé, des sciences humaines et sociales, de la gestion de crise ou de l'environnement. Un rapport de l'OCDE, qui paraitra très prochainement, souligne d'ailleurs la nature holistique des projets que nous avons proposés.
Les actions menées par l'ANR en 2020 sont les suivantes :
- un appel « ?Flash Covid-19 », lancé en mars, visant à donner une réponse immédiate à l'épidémie ;
- un appel ouvert « Recherche-Action », s'étirant d'avril à octobre, visant à prendre en compte la diversité des questions apparaissant lors du développement de la pandémie, afin de fournir un livrable dans les trois à douze mois suivant le démarrage du projet et susceptible d'être mis en action dans la foulée ;
- la promotion de collaborations internationales sur la Covid-19 avec des agences partenaires de l'ANR ;
- la conduite, en tant qu'opérateur, d'appels à projets « ?Résilience Covid-19 », élaborés par les régions Grand Est et Hauts-de-France et bénéficiant d'un budget de deux millions d'euros financé à 50 % par la région et à 50 % par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et de l'innovation (MESRI) ;
- l'inscription d'une priorité Covid-19 sur l'appel à projets génériques 2021, ouvert à tous les domaines et portant sur le moyen terme (trois à quatre ans), afin de maintenir la lutte contre la pandémie et d'en tirer tous les enseignements pour accroître la résilience de notre société.
Face à la résurgence de la pandémie, nous envisageons également une action très court terme au premier semestre 2021, en attendant les résultats de l'appel à projets génériques.
Le budget total alloué aux deux appels phares de l'ANR (« ?Flash » et « Recherche-Action ») a été de 25,54 millions d'euros, grâce au concours de nombreux cofinanceurs. L'ANR a, pour le moment, contribué à ce budget à hauteur de 3 millions d'euros, le MESRI a apporté 13 millions d'euros, la Fondation pour la recherche médicale 4,7 millions d'euros, la Fondation de France 3 millions d'euros et les régions d'Occitanie, des Hauts-de-France, du Grand Est, d'Auvergne-Rhône-Alpes et des Pays de Loire un montant global de 1,8 million d'euros. L'appel « Recherche-Action » nécessitera un budget supplémentaire de 2 millions d'euros à fin 2020, déjà provisionnés par le MESRI et l'ANR, et sans doute 4 millions de plus début 2021.
Quels enseignements l'ANR a-t-elle tirés de la crise ?
Nous avons considérablement modifié nos procédures, afin de réaliser très rapidement les évaluations et en publier les résultats. La communauté scientifique s'est massivement mobilisée : de grands noms de la recherche, travaillant pourtant dans d'autres domaines, se sont concentrés sur la Covid-19 ; les forces vives ont convergé pour expertiser les quelque 700 projets proposés, exigeant la réalisation de 4000 expertises en moins d'un an. Les experts internationaux comme français ont répondu présents, à un moment où leurs propres activités les accaparaient déjà.
Je tiens à souligner que, en mars 2020, aucun spécialiste de la Covid-19 n'existait encore, ce qui a amplement compliqué les évaluations. La multiplication des publications a également complexifié la mise à jour des données. Je pense que, malgré la tragédie que constitue cette pandémie, le travail fourni a été remarquable et mérite d'être salué.
Je vous rappelle que l'ANSM est chargée de la sécurité de tous les produits de santé : médicaments, dispositifs médicaux et tests de diagnostics. Il s'agit d'une agence d'expertise et de régulation, qui intervient sur des bases scientifiques et réglementaires. Sa mission est d'autoriser, de surveiller et de prendre, le cas échéant, des mesures de police sanitaire. Il est important de rappeler que le droit applicable est quasiment exclusivement d'ordre européen. Enfin, l'agence n'a pas de fonction logistique, visant à la distribution des produits. Elle n'est pas non plus chargée d'élaborer des stratégies thérapeutiques.
L'ANSM agit en collaboration avec de nombreuses structures, telles que le ministère de la Santé et ses différentes directions (la Direction générale de la santé, le cabinet du ministre, le ministre en personne, ou encore le Haut Conseil de la santé publique). L'ANSM entretient également des liens étroits avec d'autres institutions, agences ou organisations, comme Santé publique France, la Haute Autorité de Santé ou encore la CNAM. Enfin, l'agence intervient au niveau européen.
Dans le cadre particulier de la crise Covid-19, l'ANSM a endossé des missions s'inscrivant dans son périmètre d'actions, a intensifié son lien avec ses interlocuteurs habituels et élargi son champ relationnel, en travaillant intensément avec le cabinet du Premier ministre, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, la Direction générale des entreprises, la Direction générale du travail, les douanes et les fraudes. L'agence a par ailleurs élargi son champ d'action, en intervenant dans la régulation de certains produits de santé, comme les médicaments de réanimation, et en apportant son expertise à la création des « masques grand public ».
L'ANSM a autorisé les essais cliniques RIPH1 dans des délais extrêmement courts. Elle a fourni son expertise au ministère pour la préparation des textes réglementaires dans le cadre des mesures d'urgence. Elle a travaillé en lien étroit avec le Haut Conseil de santé publique, pour l'aider à préparer ses avis et lui apporter son expertise en pharmacologie sur le bénéfice des médicaments, ainsi que sur leur surveillance et leur profil de risques. Elle a suivi et assuré l'approvisionnement des médicaments déjà commercialisés, utilisés dans le cadre des essais cliniques sur les patients Covid-19, et veillé à l'absence d'impacts négatifs de cet approvisionnement sur d'autres patients. L'agence a travaillé en lien étroit avec les patients, les professionnels de santé et les industriels, pour identifier et prévenir d'éventuelles ruptures de stock, puisque beaucoup de matières premières provenaient d'Asie. Elle a organisé la régulation nationale des produits de réanimation, notamment les curares et sédatifs. Elle a bien évidemment mis en place une surveillance étroite des essais cliniques, mais également des produits utilisés dans le cadre des mesures d'urgence, en s'appuyant sur son réseau de pharmacovigilance et sur l'analyse permanente de la littérature scientifique, extrêmement abondante. L'ANSM travaille enfin en lien étroit avec l'Europe sur la mise au point des vaccins.
Dans le domaine des dispositifs médicaux, l'agence a dérogé massivement au marquage CE pour permettre l'importation et la disponibilité de différents dispositifs médicaux, tels que les masques ou les respirateurs. L'agence est intervenue de très nombreuses fois auprès des douanes pour débloquer des importations stoppées pour des raisons réglementaires. Elle a fourni des informations utiles à l'administration, compte tenu de sa connaissance du tissu industriel, pour maintenir l'approvisionnement en dispositifs médicaux. Elle a travaillé en étroite collaboration avec la Direction générale des entreprises sur les innovations de ces dernières. Elle a oeuvré, sous l'autorité du Premier ministre, avec la Direction générale de l'armement et la DGE, à la mise en place de la nouvelle catégorie de masques grand public et répondu à de très nombreuses sollicitations.
Concernant les diagnostics, l'agence est intervenue sur le plan réglementaire pour vérifier la conformité des tests, dans le cadre de l'auto-certification, en lien avec la Haute Autorité de santé et le CNR.
Enfin, l'ANSM a assuré un suivi épidémiologique étroit à partir des données de l'Assurance maladie, en veillant à la disponibilité de nombreux médicaments, ce qui a permis de mettre en lumière la chute de l'utilisation de certains d'entre eux, confirmant un affaissement de l'activité médicale. Les rapports publiés sont extrêmement importants et utiles : ils ont permis de déceler une reprise progressive vers la normale et une surconsommation de certains psychotropes.
Durant plusieurs mois, l'ANSM s'est organisée en cellule de crise, maintenant en permanence une trentaine de personnes sur site, qui ont travaillé 7 jours sur 7. Une centaine de personnes dédiées à la crise ont été placées en télétravail, auxquelles se sont ajoutées environ deux cents personnes consacrant une partie de leur temps à l'épidémie. L'activité normale de l'agence a par ailleurs été maintenue, grâce au recours massif au télétravail.
Je souhaite savoir quels étaient les liens de l'agence avec le CARE. Des recherches sont-elles menées sur un vaccin ? La multiplicité des projets et études ne s'est-elle pas accompagnée d'une certaine dispersion ? La rapidité dont a fait preuve l'ANSM sur les essais cliniques sera-t-elle pérennisée ? Dans un contexte épidémique où aucun traitement n'existe pour lutter contre la maladie, est-il possible d'articuler des possibilités de prescription hors, autorisation de mise sur le marché (AMM) ou à titre compassionnel, et la conduite de travaux de recherche, qu'elle soit observationnelle ou interventionnelle ? Enfin, sur quelles données l'autorisation européenne de mise sur le marché du Remdesivir s'est-elle appuyée ?
Concernant la première question, je tiens à préciser que nos collaborations ne se sont pas limitées au CARE. Les actions de l'ANR n'auraient pu être menées à bien sans un partenariat étroit avec le MESRI, entretenu depuis 2012, notamment pour assurer l'interface entre la recherche fondamentale et la recherche clinique.
Dans le cadre des appels Flash Covid-19 et R/A Covid, nous avons développé un lien avec la DGOS, qui a réparti les projets entre l'ANR et le PHRC.
L'une des pièces maîtresses dans la mise en oeuvre de nos appels a été REACTing, structure gérée par l'INSERM et faisant partie du COPIL, qui a concouru à la définition des axes de recherche. REACTing nous a poussés à sortir de nos « ?règles conventionnelles? », pour nous montrer plus ouverts dans la prise de risques des projets et dans l'origine des déposants. Pour exemple, nous avons soutenu un projet porté par une infirmière, détentrice d'une thèse en santé publique, alors que l'ANR a plutôt l'habitude de soutenir des chercheurs statutaires.
CARE a été créé après le lancement de l'appel Flash. Nous avons donc été mis en contact avec CARE à partir de l'appel R/A Covid. CARE a orienté des chercheurs vers notre appel, et en retour, nous lui avons adressé des projets actions (inférieurs à trois mois). Par la suite, un lien étroit a été conservé : la liste des projets déposés et financés a été transmise à CARE, car cela lui permettait d'avoir une vision globale du vivier de chercheurs travaillant sur la question.
Je tiens à souligner que l'origine de l'orientation des projets n'était jamais mentionnée dans les dossiers. Les comptes rendus et rapports intermédiaires des différents projets seront adressés aux deux structures, ainsi qu'au MESRI et à nos différents cofinanceurs.
Concernant la recherche sur un vaccin, je rappelle que le développement vaccinal ne rentre pas dans le périmètre d'action de l'ANR. Toutefois, l'agence est présente en amont : par exemple, Frédéric Tangy, qui a produit le « vaccin Pasteur », cite notre agence pour des projets antérieurement soutenus antérieurement ayant contribué à développer de nouvelles méthodologies vaccinales. Deux projets en lien avec un vaccin ont été retenus dans nos appels :
- le projet NANO-SARS-CoV2, à base de nanoparticules biocompatibles, encapsulant des candidats antigéniques. Il est porté par cinq équipes très complémentaires : trois équipes de recherche, une société de recherche et développement en biotechnologie et un institut de bioproduction.
- le projet DC-COVAC, porté par Véronique Godot de l'Institut Mondor, est un projet de recherche préclinique qui s'attache à développer des vaccins anti-SARS-CoV2. Il nécessite la réalisation d'une étude de réponse immunitaire chez des souris humanisées.
Concernant les essais cliniques, bien que le délai réglementaire soit de 60 jours, l'ANSM s'astreint à un délai de 45 jours, se plaçant ainsi parmi les agences les plus performantes d'Europe. Ce délai est tombé à une vingtaine de jours en moyenne durant la crise, et même onze jours au cours des mois d'avril et mai.
À l'heure actuelle, 130 essais cliniques ont été soumis à l'agence : 70 ont été autorisés, 19 ont été suspendus ou terminés, 31 ont été refusés, et 10 sont en cours d'instruction. Il s'agit majoritairement d'essais cliniques sur des médicaments ou des RIPH1. Ce nombre considérable d'essais a exigé une importante coordination, désormais prise en charge par le ministère. La rapidité d'évolution de l'épidémie, que ce soit à la hausse ou à la baisse, nous contraint à faire preuve d'une grande adaptation et entraine parfois des difficultés d'inclusion, certains essais ne parvenant plus à trouver de patients.
Concernant les prescriptions hors AMM, je rappelle que de très nombreux médicaments et indications disposent d'une AMM. Le paracétamol, qui soulage le symptôme de fébrilité de la Covid, se trouve bien dans son AMM et ne constitue nullement un médicament anodin ou inefficace. D'un point de vie collectif, l'AMM reste donc notre coeur d'activité. Les prescriptions hors AMM peuvent intervenir dans plusieurs configurations :
- Les essais cliniques : la prescription est ici, par nature, hors AMM, et certains essais peuvent d'ailleurs être lancés pour des motifs compassionnels. L'ANSM a favorisé les essais cliniques pour des médicaments posant difficulté. La prescription dans le cadre des essais cliniques présente l'avantage de l'encadrement : l'autorisation accordée par l'ANSM permet de garantir la sécurité maximale de l'essai, bien supérieure à celle observée dans le cadre d'un traitement courant réalisé à l'hôpital.
- Les situations relevant du champ législatif ou réglementaire, comme l'article 3131, qui permet à l'État d'autoriser le recours à un médicament, hors mise sur le marché. L'agence fournit alors à l'administration toute information utile pour encadrer l'utilisation, ce qui a été le cas pour le Kaletra ou l'hydroxychloroquine. Des cadres réglementaires président aux prescriptions hors AMM, qui sont assujetties à une autorisation temporaire d'utilisation (nominative ou de cohorte), et à une recommandation temporaire d'utilisation (qui permet d'utiliser un médicament disposant d'une AMM, mais pour une autre indication). L'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) et la recommandation temporaire d'utilisation (RTU) relèvent toutes deux de la responsabilité de l'ANSM.
- Le code de la santé publique autorise le recours à des médicaments, hors mise sur le marché, s'il n'existe aucune autre alternative et si des données scientifiques valident leur utilisation. Il est question ici d'une autorisation au cas par cas, soumise à une obligation d'information du patient, une obligation de traçabilité, et une obligation de déclaration auprès de la sécurité sociale.
Je souligne que les dispositifs d'ATU et RTU sont particulièrement développés en France, et que la RTU ne connait pas d'équivalent en Europe.
Les études interventionnelles portent sur les essais cliniques, en particulier les RIPH1. La prise en charge des patients est alors organisée dans la perspective d'une étude, avec obligation d'obtenir l'autorisation d'un comité de protection des personnes (CPP) et de l'ANSM. Les études observationnelles sont quant à elles rétrospectives et portent sur d'anciens patients ayant reçu un traitement ordinaire. Ces études ne répondent à aucune obligation particulière, en dehors de la traditionnelle autorisation de la commission nationale informatique et liberté (CNIL), et s'inscrivent normalement dans le cadre d'une AMM. Cependant, en cette période de crise sanitaire, des études observationnelles ont pu être conduites sur l'utilisation de médicaments hors AMM par volonté réglementaire, et selon un encadrement strict. Enfin, il faut garder à l'esprit que la médecine est d'abord empirique : de nombreuses initiatives hors AMM ont été lancées, puisqu'aucun traitement véritablement efficace n'était disponible. Cet élan était tout à fait légitime, tout en appelant bien sûr une validation scientifique.
Pour ce qui est du Remdesevir, il a fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché par l'agence européenne, le 3 juillet. Cette autorisation s'est basée sur une étude « Remdesevir versus placebo » ayant confirmé une réduction de la durée d'hospitalisation. Aucun effet significatif sur la mortalité n'a cependant été relevé. De façon à disposer d'un accès au produit, l'ANSM a mis en place une ATU de cohorte le 2 juillet, après avis du CHMP. Aucune étude particulière n'a présidé à cette ATU. Je souligne que l'AMM accordée est conditionnelle, car basée sur l'étude sus-citée.
Je reviens sur la question de la multiplicité des projets et vous propose un exemple probant. À ce jour, sur les 174 projets financés, 21 portent sur la recherche de molécules antivirales. 11 entrent dans le cadre de l'appel Flash : cinq se concentrent sur diverses stratégies de criblage haut débit de molécules ; deux s'attachent à mieux caractériser les protéines virales afin d'identifier de nouvelles molécules ; un projet vise à déterminer l'ensemble des structures de protéines codées par SARS-CoV2 ; trois correspondent à des repositionnements de molécules déjà approuvées pour diverses applications thérapeutiques. Dans le cadre de l'appel R/A, 10 projets ont été financés, dont deux proposant des repositionnements.
L'un d'eux a connu une médiatisation importante : le projet ANTI-CoV, porté par Jean Dubuisson de l'Institut Pasteur de Lille, ayant pour objectif de cribler le SARS-CoV2 sur des composés pharmaceutiques disponibles dans le commerce par une approche à haut débit, de les valider dans un modèle in vitro préclinique, avant de passer à des tests plus prometteurs sur le modèle élaboré par Roger Legrand. L'ambition est de proposer rapidement un essai clinique multicentrique. En même temps qu'il a obtenu son projet Flash en avril, Jean Dubuisson s'est vu ouvrir l'accès à la chimiothèque de la société APTEEUS. Une molécule prometteuse a été identifiée après une cascade de criblages. De grands espoirs sont placés dans cette découverte, même si la preuve de concept doit encore être apportée. La région Hauts-de-France a décidé de financer ce projet à hauteur de 785 k€ et la fondation LVMH pour 5 millions d'euros. Cette cascade de financements illustre bien la façon dont la recherche devrait fonctionner, ainsi que l'intérêt de la recherche en amont initiée par l'ANR.
Une grande diversité de projets a donné des résultats dans des délais extrêmement courts par rapport à la normale. Les premiers résultats retentissants ont été obtenus sur l'hydroxychloroquine et rapportés dans un article de Roger Legrand, démontrant l'inactivité de ce médicament dans le traitement de la Covid-19 dès le mois de juillet. Le chercheur a mis au point un modèle animal de la maladie chez des primates non humains. Il est donc sollicité pour valider d'autres études. Dans le cadre de son projet, il continue de tester des anticorps monoclonaux anti-Covid, pour vérifier s'ils pourraient jouer un rôle curatif.
Le second domaine dans lequel les équipes françaises se sont illustrées concerne l'analyse du rôle clef de l'interféron dans la réponse antivirale. Ces équipes se sont attachées à identifier les mécanismes liés aux formes graves de la maladie. Frédéric Rieux-Laucat de l'Institut Imagine et James Di Santo ont démontré que les cas graves présentent une absence de réponse à l'interféron, généré par le corps pour se défendre. Une seconde équipe a poussé la recherche plus loin avec le projet GEN-COVID, porté par Jean-Laurent Casanova, qui a mis en place un consortium international permettant d'identifier toutes les caractéristiques génétiques ou immunitaires des formes graves de la maladie. Il a ainsi pu confirmer que 15 à 20 % des patients lourdement touchés possèdent des auto-anticorps contre l'interféron, qui le neutralisent. La présence de ces anticorps a été démontrée comme antérieure à l'infection, et n'a pas été relevée chez les patients ne développant pas une version grave de la maladie. D'autres projets se sont concentrés sur l'interféron, comme celui de Guy Gorochov, coordinateur scientifique d'i-COVID, avec pour objectif de stratifier les patients en fonction de la sévérité de la maladie. Une demande de brevet est en cours sur une méthode pronostic de la sévérité.
Dans le domaine de la prévention, l'ANR finance un projet porté par le professeur Bernard Martel de l'Université de Lille, qui propose d'incorporer dans les masques une couche de textile filtrante à activité biocide, pour neutraliser le micro-organisme. L'objectif est de disposer d'une technologie opérationnelle d'ici 18 mois, afin d'en effectuer le transfert vers un fabricant. Le niveau de TRL de ce projet est de 4. Un autre exemple concerne l'évaluation de l'impact du confinement : il est porté par Vittoria Colizza de l'Inserm et s'appuie sur une modélisation mathématique et numérique utilisant les données de téléphonie mobile. Une première étude a démontré que le confinement avait joué un rôle important dans l'abaissement du facteur R en dessous de 1. Une seconde étude a porté sur le comportement de la population lors du déconfinement, démontrant un retour très rapide à la mobilité dans tout le pays, sauf en région Île-de-France où la reprise a été nettement plus lente, attestant d'une prise de conscience plus forte de la maladie. Ces études ont été rendues publiques dès la mi-avril et ont été transmises aux autorités de santé.
Des projets se sont penchés sur la gestion de crise, comme celui de Gaëlle Clavandier de l'Université de Saint-Étienne, consistant à analyser les pratiques funéraires. Les résultats de l'étude ont mis en évidence des contradictions avec les normes édictées en matière de soins, et ont démontré que l'ensemble des morts n'a pas fait l'objet des mêmes préconisations sanitaires, induisant un risque non négligeable de hiérarchisation. Ces travaux ont fait l'objet d'une audition auprès de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Le projet COCONEL, porté par Patrick Peretti-Watel, s'est concentré quant à lui sur l'effet du confinement sur la population. L'enquête a révélé un soutien massif à cette mesure, mais avec une augmentation des inégalités sociales, des troubles de la santé mentale, de l'adhésion aux théories complotistes, de la politisation des questions publiques, une baisse des recours aux soins et une augmentation de l'hostilité à un vaccin contre la Covid-19. Ces travaux ont fait l'objet de sept publications, ont généré onze notes de synthèse transmises à la conseillère Santé de l'Élysée et aux membres du comité scientifique. Enfin, le projet CoCo, porté par Ettore Recchi, s'est focalisé sur les réactions des groupes face aux mesures de distanciation sociale et de confinement, et les effets générés sur les inégalités. Les premiers résultats ont démontré un accroissement des inégalités de genre concernant le travail domestique, une résilience de la sociabilité et du niveau de bien-être, ainsi qu'une augmentation régulière de l'inquiétude quant à l'impact économique. Ce projet a par ailleurs révélé que le télétravail, quoique bien accepté, accentue les inégalités sur le marché de l'emploi. Ces travaux ont fait l'objet d'une publication, d'une audition devant le conseil scientifique le 14 octobre, et ont engendré la diffusion de quatre notes de synthèse et d'un rapport d'une quarantaine de pages.
Tous ces projets ont été financés dans l'appel Flash. Je terminerai en citant trois projets de l'appel R/A Covid-19, parce qu'ils sont prometteurs et touchent des domaines peu investigués. Le premier est le projet COVID-IN-UNI de Christine Musselin (Sciences Po) : il incarne la présence des universités françaises face au virus. Le deuxième projet a été baptisé DISCO, Dissémination et Stabilité du SARS-CoV2 dans l'environnement côtier : porté par Soizick Le Guyader de l'Ifremer, il constitue l'un des rares projets environnementaux et vise à étudier la dissémination du vecteur dans l'océan, avec un focus sur la contamination des coquillages et crustacés et l'évaluation des risques de transmission auprès des consommateurs. Enfin, le projet EpiCOV s'intéresse à l'épidémiologie environnementale de la Covid-19 en Guyane française, combinant analyses ADN et biogéographie pour prédire les futurs pics épidémiques. Dans les travaux qu'elle soutient, l'ANR n'oublie pas les départements et territoires d'outre-mer.
Je souhaite poser quelques questions au docteur Martin. Tout d'abord, dans le cadre de vos travaux, quels échanges avez-vous eus avec Santé publique France ? Ensuite, quel est votre retour d'expérience et quelles seront vos actions quant à la prévention de la rupture de stock ? Enfin, les professeurs Yazdanpanah et Costagliola se sont dits raisonnablement optimistes quant à la mise à disposition de vaccins partiels d'ici la fin de l'année : quel est votre avis sur la question ?
Les liens avec Santé publique France étaient pluriquotidiens durant la période de crise. Nous sommes massivement intervenus pour débloquer de nombreuses importations de produits, en accordant des centaines de dérogations au marquage CE. Je suis directeur général de l'ANSM depuis six ans et n'avais jusqu'alors jamais dérogé à ce marquage obligatoire. Nous continuons à oeuvrer dans ce sens et menons également des évaluations sur la qualité de certains produits, car norme et qualité sont deux éléments bien distincts. L'agence apporte donc sa double expertise à SPF, à la fois scientifique et réglementaire, en lien continu avec la cellule de crise ministérielle.
Les stocks de médicaments de réanimation constituent une préoccupation majeure de l'ANSM, qui doit veiller à la couverture des besoins sanitaires de l'ensemble des patients français. Le début de la crise a fait craindre des perturbations quant aux approvisionnements, puisqu'un certain nombre de matières premières sont fabriquées en Chine. Les besoins ont été multipliés par 2000 pour cent en quelques jours et la demande a explosé au niveau mondial. Dans le même temps, nous avons dû faire face à une hétérogénéité des stocks disponibles dans les établissements de santé. Enfin, le séjour des patients en réanimation s'est révélé très long et, la posologie étant adossée au poids du patient, le facteur aggravant d'obésité a compliqué encore la situation.
Le Gouvernement a alors mis en place une régulation nationale pour garantir la couverture des besoins sanitaires et éviter que, à l'instar d'autres États, des intubations ne puissent être réalisées faute de médicament. Dans un premier temps, il a été décidé d'acheter l'entièreté des stocks disponibles auprès des industriels du territoire national, et de lancer un achat massif au niveau international. Puis le gouvernement a élaboré une régulation en flux poussé, en attribuant aux différents établissements de santé les quantités adaptées à leur nombre de patients. Aidée de statisticiens, l'ANSM a élaboré des algorithmes, en fonction des données quotidiennes du nombre de patients hospitalisés en réanimation. Les quantités de médicaments nécessaires ont été définies avec des professionnels de santé, afin de modéliser un patient-type, puis elles ont été réparties établissement par établissement, en fonction des files actives de patients Covid et non-Covid.
La régulation nationale s'est étirée du 23 avril à la fin juillet. En parallèle, un stock de sécurité a été constitué, permettant de couvrir le traitement de 29 000 patients. À partir de juillet, nous sommes revenus à une situation classique de flux tiré : les établissements de santé ont repris leur rythme normal de commandes auprès des industriels du territoire national. Un suivi hebdomadaire de l'ensemble des quantités de médicaments stockées et consommées est désormais effectué. À l'heure actuelle, la situation est sous contrôle, mais la vigilance reste maximale.
Les trois quarts des 130 essais cliniques nous sont parvenus au cours des trois premiers mois de l'épidémie et portaient essentiellement sur des repositionnements de médicaments déjà connus. La piste immunitaire de l'appréhension de la maladie a émergé assez tôt. Des solutions faisant appel à des immunorégulateurs pouvaient être mises en place rapidement, notamment par le biais de la recherche académique, très dynamique en France.
Dans le cadre d'un vaccin, les données sont différentes. Nous nous basons sur des connaissances fondamentales, mais aucun repositionnement n'est possible. Du temps est donc nécessaire pour construire la fusée du vaccin, constituée de trois étages :
- L'avis scientifique. Il a débuté dès le mois d'avril, à travers la consultation d'industriels et d'académiques nationaux et internationaux, afin de grouper les expertises et gagner ainsi collectivement du temps.
- L'essai clinique. Il observe plusieurs étapes : premières administrations et vérification de la sécurité. Le test du modèle Pasteur a débuté dès juillet, en France et en Belgique.
- Les études de phase 3. Elles sont en cours, en France, en Europe et aux États-Unis, afin d'accumuler les données sur l'efficacité d'une dizaine de candidats vaccins prometteurs.
L'autorisation de mise sur le marché sera effectuée au niveau européen, selon un dispositif spécifique de « relying review » : les fabricants de vaccins ne fourniront pas un dossier unique, comme ils le font habituellement, pour obtenir leur autorisation, mais communiqueront leurs données au fur et à mesure de leur obtention. Cinq vaccins sont déjà en cours d'évaluation, dont nous commençons déjà à recevoir les données de modélisation, les données précliniques des études animales... Cela complique l'évaluation, mais nous permet aussi de la construire de façon optimale. Nous avons été contraints de revoir notre organisation, pour assurer une continuité de service de tous les métiers impliqués et une collaboration étroite avec nos collègues européens.
Il ne m'est pas possible de vous annoncer une date de mise à disposition d'un vaccin. Dans tous les cas, nous nous donnons toutes les chances, collectivement, au niveau européen, d'arriver rapidement à une mise sur le marché. Dès qu'une étude clinique de phase 3 confirmera que l'un des candidats permet d'obtenir une réponse immunitaire satisfaisante, nous disposerons déjà de la connaissance de ce vaccin, puisque toutes les études précédentes nous seront parvenues. Notre réactivité sera ainsi maximale.
Je vous donne lecture du texte qui m'a été laissé par ma collègue Victoire Jasmin, contrainte de partir : « J'apprécie que la recherche fondamentale ait une dimension holistique, pour une véritable prise en compte globale et humaine. La recherche ne bénéficie pas toujours d'autant de cofinanceurs et de moyens financiers : pourquoi ne pas poursuivre dans ce sens pour d'autres programmes, afin de valoriser la recherche française et l'innovation de jeunes chercheurs ?? »
Pour ma part, je souhaite savoir si vous disposez de chiffres concernant la surconsommation des psychotropes durant le confinement. Quel est votre avis au sujet du décès survenu au Brésil lors d'un essai clinique ? Enfin, le rhésus sanguin semble jouer un rôle dans le développement d'une forme grave de la maladie : cette information a-t-elle une base scientifique ?
Concernant les programmes holistiques, sur les cinquante comités de l'ANR, quinze sont interdisciplinaires et associent des domaines très différents. L'ANR recourt donc déjà à l'interdisciplinarité et l'intègre à sa réflexion dans l'élaboration de son plan d'action 2022/2024. Bien sûr, nous tirerons des enseignements de l'expérience que nous vivons, mais l'approche holistique doit être justifiée par une valeur ajoutée.
Quant au cofinancement exceptionnel constaté durant cette crise, il tient au caractère inédit de la situation et n'a pas vocation à généralisation. Je souligne qu'il n'a été rendu possible que parce que nous avons su éviter la multiplication des guichets de dépôts de projets.
Pour ce qui est de l'influence du rhésus sanguin, je vous répondrai à titre personnel : il semble qu'il s'agisse d'un facteur complémentaire, et non d'un facteur absolu.
Concernant la surconsommation des psychotropes, je m'engage à vous adresser les données chiffrées. L'augmentation concerne principalement les anxiolytiques et les hypnotiques, tandis que tous les autres produits subissaient une baisse de consommation drastique.
Au sujet du décès survenu au Brésil, nous ne disposons pas d'informations complémentaires à celles déjà connues. Il est intervenu dans le cadre de l'essai du vaccin AstraZeneca/Oxford : il semble que le jeune médecin de 28 ans ait été traité par le placebo et serait décédé des suites de la maladie. Cette tragédie montre tout l'intérêt de l'encadrement étroit des essais cliniques pour pouvoir réagir immédiatement à un effet indésirable majeur.
Merci mesdames et messieurs.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 55.