Intervention de Valérie Létard

Réunion du 14 mars 2023 à 14h30
Objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Valérie LétardValérie Létard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où débute cette discussion générale, je souhaiterais vous lire quelques phrases : « En matière d’artificialisation des sols, le Gouvernement propose des objectifs ambitieux, mais se trompe sur la méthode. Il propose un dispositif extrêmement centralisé, peu en prise avec la réalité du territoire français, qui se caractérise par des dynamiques d’artificialisation très différentes. Il est à craindre que la compétence régionale ne donne davantage de poids aux revendications des métropoles et des zones urbanisées, au détriment des territoires ruraux. En outre, la notion d’artificialisation nette n’est aujourd’hui ni définie ni mesurée par les collectivités ou par l’État. Enfin, la loi fixe des délais absolument irréalistes. »

Ces mots ne m’appartiennent pas : ce sont ceux de la commission des affaires économiques voilà déjà presque deux ans, au moment où notre assemblée avait examiné le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit Climat et résilience. Il est frappant de constater qu’avant même l’adoption de cette loi-fleuve, en l’absence d’étude d’impact fournie par le Gouvernement, nous avions déjà pointé du doigt les problématiques qui nous réunissent aujourd’hui.

Ce n’est un secret pour personne que la mise en œuvre du « zéro artificialisation nette » (ZAN) est aujourd’hui extrêmement compliquée : à la fois par des problèmes d’ordre presque technique, comme en ce qui concerne la nomenclature des sols artificialisés, mais aussi par d’autres problèmes éminemment politiques, comme le degré de contrainte du document régional ou les équilibres entre territoires.

Je pense que ces problèmes proviennent, au moins en partie, d’une concertation insuffisante avec les élus au moment de la loi Climat et résilience, puis d’un certain défaut d’écoute de la part du Gouvernement. Le Sénat avait déjà proposé certaines évolutions dès l’examen de la loi en 2021, comme une territorialisation plus poussée ou un décalage du calendrier de révision des documents d’urbanisme : elles avaient pourtant été rejetées dans la suite de la navette.

Il nous a donc fallu remettre la loi Climat et résilience sur le métier, d’abord dans le cadre de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) pour prévoir des délais supplémentaires devant l’impossibilité des conférences des schémas de cohérence territoriale (Scot) à tenir le calendrier fixé par la loi. Puis, il a fallu que les décrets d’application soient attaqués devant le Conseil d’État pour que le Gouvernement admette l’inapplicabilité de la nomenclature des sols artificialisés et les carences du décret relatif aux schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).

Le chemin qui nous amène ici, dans l’hémicycle, pour examiner ce texte, a donc été long. Il y a désormais consensus sur le fait qu’il faut modifier la loi, et je pense que nous, sénateurs et sénatrices, avons fait un travail important pour mettre le sujet en haut de l’agenda, comme nous l’enjoignaient les élus locaux.

Je veux à ce titre saluer le travail important de notre rapporteur Jean-Baptiste Blanc, au sein des murs du Palais comme en dehors, sur le terrain, pour expliquer, éclaircir, améliorer la loi sur le ZAN. Je remercie aussi l’ensemble de nos collègues issus de toutes les travées qui ont participé à la mission conjointe de contrôle créée par le Sénat au mois de septembre dernier. Celle-ci a abouti au dépôt de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Dès l’examen de la loi Climat et résilience, nous avions adopté une approche collective, avec le rapport d’information Objectif de zéro artificialisation nette à l ’ épreuve des territoires de MM. Blanc et Redon-Sarrazy et de Mme Loisier.

Nous nous sommes tous retrouvés au mois de septembre dernier autour de cette mission au format inhabituel, qui témoigne de la manière dont le ZAN envahit aujourd’hui toutes les politiques publiques, tous nos débats de commission, tous nos territoires.

Le texte qui a émergé des travaux de la mission vise à répondre de manière très concrète aux difficultés d’application du ZAN. Il s’est nourri de nos dizaines d’auditions et d’un travail approfondi sur les données. Je regrette à ce titre que nous n’ayons pas disposé de ces données précises dès l’examen de la loi, car elles auraient pu nous éclairer plus précisément sur les choix que nous opérions.

Cet enjeu de transparence et d’étude de l’impact des textes est fondamental : je tiens à le dire ici devant vous, monsieur le ministre. Cette transparence sera aussi essentielle pour la suite de l’application du ZAN ; je pense notamment au traitement des grands projets ou encore à la collecte des données d’artificialisation.

Je le disais, le chemin qui a mené à cette proposition de loi a été long. Malgré certaines annonces au cours des derniers mois, c’est le Sénat qui a dû prendre l’initiative de déposer un texte pour faire bouger les lignes législatives. Nous avons perdu un temps précieux, même s’il a finalement contribué à faire mûrir les réflexions de part et d’autre.

Je salue néanmoins le ministre Christophe Béchu et la ministre Faure, qui ont accepté le dialogue engagé par le Sénat, autour de ce sujet complexe, dont ils ont hérité du gouvernement précédent. Je remercie aussi le Gouvernement d’avoir demandé le recours à la procédure accélérée sur ce texte, ce qui nous permettra, en cas d’accord, d’apporter plus rapidement les réponses qu’attendent les élus locaux. Ces derniers se retrouvent actuellement dans une situation intermédiaire difficile à vivre.

Je voudrais dire un mot plus général de la philosophie du texte présenté par la mission conjointe de contrôle, que nous examinerons aujourd’hui.

D’abord, c’est un texte qui vise à apporter davantage de pragmatisme et d’efficacité. Les imprécisions et le formalisme de la loi Climat et résilience compliquent énormément la tâche des élus locaux, qui sont finalement les seuls à porter la responsabilité pratique de l’atteinte des objectifs, sans pour autant en avoir les outils. Il faut donc nous assurer que ce que la loi met en place est effectivement applicable et que l’on ne crée pas un monstre administratif ni des situations absurdes.

C’est aussi la raison pour laquelle nous plaidons pour davantage de temps, car toutes les personnes auditionnées nous ont dit clairement que la qualité de la réflexion en amont permettra d’aller plus vite et plus efficacement ensuite. Cela justifie enfin d’offrir de nouveaux outils juridiques pour que les élus aient effectivement la maîtrise concrète de l’artificialisation, comme le sursis à statuer ou le droit de préemption spécifiques au ZAN.

Ensuite, c’est un texte qui vise à éviter la création de nouvelles inégalités. Le dispositif de territorialisation, si absolument nécessaire, peut présenter certains risques, notamment celui que les grandes métropoles, comme les communes urbaines, captent une grande partie des enveloppes futures d’artificialisation. C’est un enjeu fondamental : il faut permettre à chaque territoire, urbain comme rural, de réaliser son potentiel. Si le ZAN est perçu comme une nouvelle inégalité, comme une mise sous cloche des territoires ruraux au profit de la consommation des zones urbaines, comme organisant le sous-développement de certains territoires, il échouera. Il faudra aussi prendre en compte les conséquences sociales du ZAN, …

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