Intervention de Jean-Baptiste Blanc

Réunion du 14 mars 2023 à 14h30
Objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Baptiste BlancJean-Baptiste Blanc :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nouvelle expression s’est imposée dans le débat public : zéro artificialisation nette.

Sous une apparence assez technique, voire technocratique, ce terme recouvre une réalité qui s’impose d’ores et déjà aux territoires et qui affectera peu à peu les modes de vie de nos concitoyens. Nous avons approuvé cet objectif voilà deux ans dans la loi Climat et résilience, et nous ne le remettons pas en cause aujourd’hui, car l’enjeu du changement climatique est plus que jamais actuel.

Toutefois, nous sommes à l’écoute des habitants et des élus. Or depuis des mois nous alertons sur les difficultés pratiques auxquelles ces derniers font face dans la mise en œuvre des dispositions de la loi Climat et résilience.

C’est la raison pour laquelle la commission spéciale vous présente aujourd’hui un texte issu de dix-huit mois de réflexion collective depuis l’entrée en vigueur de la loi Climat et résilience. Il a été rédigé par une mission qui réunissait quatre commissions permanentes et qui a travaillé au-delà des clivages politiques traditionnels.

Notre commission spéciale a poursuivi le travail dans des délais contraints, et est parvenue au texte que nous examinons aujourd’hui, en rendant ses dispositions plus opérationnelles sans en modifier l’esprit général.

C’est donc un travail de fond qui a été mené, dans la tradition d’écoute qui est la marque de fabrique du Sénat. Je veux en remercier une nouvelle fois l’ensemble des membres de la commission spéciale, sur toutes les travées de cet hémicycle, à commencer par Mme Valérie Létard, dont le travail essentiel a une nouvelle fois grandement favorisé l’atteinte d’un très large consensus.

Pourtant, le texte que nous examinons aujourd’hui a été parfois présenté de manière un peu caricaturale.

Non, il ne tend pas à remettre en cause les dates cibles de 2031 et 2050 fixées par la loi Climat et résilience. Il vise seulement à ajuster les dates intermédiaires d’ici à 2031, afin de rendre plus opérationnel le calendrier de modification des documents d’urbanisme.

Non, la définition des « grands projets » retenue par la proposition de loi ne conduit pas à un abandon des ambitions de réduction de l’artificialisation. Au contraire, il s’agit de responsabiliser les acteurs : non seulement les régions, mais aussi l’État lui-même. La proposition de « mutualisation », à l’inverse, dilue la responsabilité en la faisant peser sur des régions qui ne sont pas à l’origine de ces projets et qui ne bénéficient pas de leurs retombées.

Le texte présenté par la commission spéciale n’est pas seulement une mesure de justice pour les régions. En créant une incitation à réduire l’artificialisation des grands projets, je crois qu’il renforce les chances d’atteindre réellement les objectifs de sobriété foncière.

Non, la garantie du « droit à l’hectare » n’ajoute pas 35 000 hectares à l’artificialisation des sols en France ! C’est sans doute le chiffre le plus contestable qui a été avancé. D’abord, ce « droit » reste comptabilisé dans l’enveloppe régionale. Il ne porte donc pas du tout atteinte aux objectifs de 2031 et de 2050. Il s’agit seulement d’une répartition différente des droits à construire.

En outre, la garantie rurale, comme toute garantie, n’est activée qu’en cas de nécessité. C’est seulement pour une minorité de communes, les plus rurales en général, qu’elle aura un effet. Il s’agit de communes qui n’ont pas forcément eu beaucoup de projets depuis 2011, mais qui, précisément pour cette raison, pourraient en avoir quelques-uns dans les années à venir.

Au total, ce sont 9 200 hectares environ qu’il faudra répartir différemment entre les communes, soit 7, 5 % du total. Je suis prêt à parier que cette garantie rurale aura en réalité un effet positif sur l’atteinte des objectifs ZAN, car elle ne sera pas consommée par toutes les communes.

Ces mesures ont un point commun : faciliter la mise en œuvre des objectifs ZAN. C’est bien ce qui est inscrit dans l’intitulé de la proposition de loi, où il est par ailleurs précisé qu’il s’agit d’un objectif « au cœur des territoires ».

Car il n’y a rien de plus « territorial » que la mise en œuvre des objectifs de sobriété foncière. Rien ne sera fait sans les élus. Rien non plus ne devrait être fait contre eux, tout simplement parce qu’ils représentent les habitants et sont les mieux à même d’apprécier l’ensemble des besoins d’un territoire.

C’est pourquoi le texte tend à leur apporter des outils indispensables. Je pense à la conférence régionale de gouvernance du ZAN. De nombreuses communes avaient ressenti que leur parole n’avait pas pu être entendue dans le fonctionnement actuel des conférences des Scot. La commission spéciale en a amélioré le fonctionnement, afin de répondre à certaines des objections qui avaient été faites. L’examen en séance permettra d’améliorer encore le dispositif.

Je pense aussi et surtout aux outils juridiques apportés par la proposition de loi : sursis à statuer, droit de préemption et motif de refus d’autorisation d’urbanisme spécifiques aux enjeux de lutte contre l’artificialisation des sols. La création ou le renforcement de ces outils ont été largement salués lors des auditions que nous avons conduites.

L’accès aux données est également un enjeu essentiel : les élus constatent, dans bien des territoires, que celles qui sont fournies par l’État sont insuffisantes, et il est important qu’ils puissent utiliser celles qui proviennent des observatoires locaux.

Je pense enfin à la prise en compte des spécificités de certains territoires, par exemple ceux soumis au recul du trait de côte, ainsi qu’à la prise en compte des efforts passés de sobriété foncière.

Les débats restent réels sur certains sujets. J’en distinguerai deux.

Sur la nomenclature des espaces artificialisés, nous avons approuvé la souplesse apportée par le texte, qui permet aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de délimiter dans leurs documents d’urbanisme des périmètres au sein desquels l’artificialisation des surfaces herbacées n’est pas décomptée, car les appréciations varient selon les lieux.

Dernier point, et non des moindres : l’articulation entre les Sraddet et les documents d’urbanisme. Le Sraddet n’est pas un document d’urbanisme. Nous pensons nécessaire d’indiquer explicitement qu’il s’applique dans un rapport de prise en compte et non de compatibilité. L’acceptabilité des objectifs ZAN dans les territoires passe, encore une fois, par la responsabilisation de l’ensemble des acteurs, en particulier ceux à qui la loi attribue la compétence en urbanisme, et non par la verticalité.

Bien que la politique de sobriété foncière soit imposée et pilotée à l’échelon national et à l’échelon régional, les élus locaux sont en première ligne. Ils n’ont pas bénéficié d’un soutien suffisant, malgré la nouveauté et la complexité des enjeux. C’est à nous de leur donner les moyens et les outils pour mettre en œuvre cette politique.

La mise en œuvre de la loi Climat et résilience doit respecter les compétences et l’intelligence de nos collectivités. Elle ne peut nous imposer d’organiser leur sous-développement. L’objectif est bien de concilier la sobriété foncière avec le développement harmonieux.

Le Gouvernement nous a d’ores et déjà écoutés sur plusieurs points. Il a reconnu que l’artificialisation induite par les « grands projets » ne pouvait pas être comptabilisée intégralement sur les droits à construire de la région dans laquelle ils sont implantés. Il a admis une évolution du calendrier et la nécessité de préserver des possibilités de construire minimales dans les communes rurales. Il faut reconnaître et saluer ces avancées, mais – disons-le, monsieur le ministre – ce n’est pas encore assez. Je sais que vous avez identifié les enjeux posés par le ZAN dans les territoires, mais nous essaierons de vous convaincre que les réponses que vous proposez sont encore insuffisantes.

Cette proposition de loi a vocation à poursuivre sa navette jusqu’au bout. Avec ce texte, le Sénat donne l’occasion d’ajuster les conditions de mise en œuvre de la loi Climat et résilience, ce que le Gouvernement a bien compris en déclarant la procédure accélérée. Nous vous encourageons à favoriser à présent l’inscription de ce texte la plus rapide possible à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

En effet, il faut aller vite. Ce texte s’inscrit dans un double calendrier : celui de la révision des Sraddet, qui doit s’achever pour le mois d’avril 2024, et celui de la mise en œuvre de l’objectif de réduction de 50 % de la consommation d’espaces entre 2021 et 2031. Il est essentiel de rendre la loi lisible, opérationnelle et adaptée aux réalités de nos collectivités. Voilà bien l’objet du texte présenté aujourd’hui par la commission spéciale.

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