Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 12 décembre 2007 à 15h00
Rôle d'eurojust et du réseau judiciaire européen — Discussion d'une question orale européenne avec débat

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les traités de Maastricht et, plus encore, d'Amsterdam ont permis la création d'un espace commun de liberté, de sécurité et de justice en Europe.

Dans cette perspective, plusieurs outils ont été mis en place, notamment le mandat d'arrêt européen, l'embryon de réseau judiciaire européen et Eurojust, organe créé voilà cinq ans pour lutter contre la grande criminalité organisée en facilitant la coordination des enquêtes et des poursuites pour les crimes et délits ayant un caractère transnational.

Toutefois, et cela a été souligné, Eurojust ne dispose pas de véritables pouvoirs d'enquête propres. Il doit donc passer par des parquets nationaux.

Dans une communication du mois d'octobre dernier, la Commission européenne a proposé de renforcer Eurojust, et ce à deux niveaux temporels.

D'une part, à traité constant, un certain nombre de mesures ont été envisagées en vue d'améliorer le fonctionnement d'Eurojust.

D'autre part, et il s'agit là d'une action à plus long terme, des modifications plus importantes ont été suggérées. Je pense notamment à la possibilité pour Eurojust d'engager des poursuites pénales dans le cas d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne. Au demeurant, il conviendrait de s'interroger sur la définition exacte de telles infractions. Je mentionnerai également l'attribution de pouvoirs propres à Eurojust, qui permettrait de trancher des conflits de compétence entre différentes juridictions, et la faculté de déclencher directement des enquêtes et des poursuites sur le territoire d'un État membre.

Telle est actuellement la situation. De ce point de vue, il convient de rappeler que la France a toujours défendu une politique ambitieuse en matière de coopération judiciaire européenne.

Ainsi, et j'y reviendrai dans quelques instants, notre pays avait proposé la création d'un espace judiciaire européen en 1977, puis d'une cour pénale européenne en 1982. De même, avec d'autres partenaires européens, la France a été à l'initiative de la création d'Eurojust.

La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si une telle ambition est toujours d'actualité.

Eurojust se situe désormais à la croisée des chemins. Il faut le dire, après cinq ans d'existence, le bilan est mitigé. C'est probablement lié au fait que cet organe ne dispose pas des pouvoirs et des compétences dont il aurait besoin pour remplir ses missions.

Si le nombre d'affaires traitées augmente effectivement très fortement, seuls dix États membres ont mis en oeuvre la législation nécessaire pour appliquer Eurojust. Pour le moment, on ne peut donc pas dire que l'Union européenne dans son ensemble se sente concernée par cet instrument.

En outre, les différences de statuts des représentants des États membres, par exemple du point de vue de la durée de leur mandat, et la diversité de leurs pouvoirs respectifs ne contribuent pas à une coopération cohérente et efficace entre eux. Cela ne permet pas non plus de doter Eurojust d'une quelconque autorité sur les différentes juridictions nationales, notamment en matière de transmission d'informations.

Certes, la communication de la Commission européenne, qui vise à doter Eurojust d'un socle commun de pouvoirs cinq ans après sa création, peut paraître opportune. De ce point de vue, l'année 2008 sera effectivement déterminante. En effet, c'est la réaction des différents États membres - cela concerne tant les pays ayant mis en place les instruments nécessaires pour appliquer Eurojust que les autres - qui déterminera la portée effective de cette initiative.

Je remercie donc mon collègue Hubert Haenel, le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, d'avoir interrogé le Gouvernement sur son attitude à l'égard des propositions de la Commission européenne.

Quelle sera son ambition au niveau européen, mais aussi au niveau national ? Comme l'a dit M. François Zocchetto, si l'on dote Eurojust de pouvoirs supplémentaires, il faudra également en traduire la répercussion sur notre organisation judiciaire interne.

La création d'un espace commun de liberté, de sécurité et de justice est essentielle dans le projet européen. Mais c'est le projet « sécurité » qui a été le plus souvent privilégié par la Commission - il convient de le souligner -, parfois au détriment du volet « liberté », et nous pourrions trouver des exemples à cet égard. Quant au volet « justice », il a encore besoin d'être affirmé et renforcé.

La question qui se pose à nouveau, trente ans après, est la suivante : veut-on vraiment un espace judiciaire européen ? En tout cas, je pense que celui-ci ne se conçoit que dans un espace politique européen. Or, aujourd'hui, force est de constater que l'espace politique européen et la citoyenneté européenne n'existent pas : il n'y a que des États membres qui essaient de coopérer dans différentes politiques. C'est, à mon avis, la question essentielle.

La création d'Eurojust a été une première étape. Aujourd'hui, on nous dit qu'il faudrait créer un parquet européen véritablement efficace, capable de déclencher des poursuites, de suivre les enquêtes. Personnellement, j'y suis assez favorable, mais cela suppose un certain nombre de conditions.

Il est vrai - mais c'est anecdotique - que le traité de Lisbonne mentionne un véritable parquet européen. Toutefois, ce traité, simple copie alambiquée, illisible et compliquée de la défunte constitution européenne rejetée par 55 % des Français, n'est pas encore ratifié par les vingt-sept États membres. À cet égard, j'espère que le peuple français aura le droit de s'exprimer...

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