Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, dans leurs multiples et vaines tentatives de convaincre l’opinion de la nécessité de la réforme des retraites, le Gouvernement et ses alliés de la majorité sénatoriale ont souvent fait valoir la question de la dette.
C’est précisément ce chantage qui a amené le Gouvernement à reprendre la rhétorique de François Fillon en 2007 sur le thème de la faillite.
Malgré le manque de succès de telles tentatives, nous voici réunis avec les représentants de la Cour des comptes, afin d’examiner, dans une sorte de numéro de duettistes bien huilé, le rapport public annuel de cette dernière, qui nous alerte sur la dette publique. En effet, ce rapport invoque des « risques élevés » sur la soutenabilité de celle-ci.
Ce faisant, la Cour remplit son rôle classique de critique de l’exécutif du point de vue de l’orthodoxie financière. Toutefois, ne soyons pas dupes : elle adresse un reproche en forme de soutien des mesures de répression sociale du Gouvernement.
Aussi, je déplore le fait que la Cour ne s’interroge pas sur une éventuelle hausse des prélèvements obligatoires pour relever les comptes publics. Car l’exécutif trouve ainsi dans ce rapport un prétexte pour aller plus loin dans la compression des dépenses sociales, ainsi qu’une justification de ses contre-réformes.
D’ailleurs, le ministre Bruno Le Maire ne s’y est pas trompé : dans sa réponse officielle au rapport, il a déclaré que les réformes des retraites et de l’assurance chômage, par les économies qu’elles devraient permettre, répondaient aux recommandations de la Cour.
Mais nous voyons clair dans le jeu du Gouvernement. Étant établi que les entreprises disposent toujours du levier du chantage à l’emploi et que le mouvement social est ignoré par ce gouvernement, il est aisé de deviner où l’exécutif compte réaliser l’essentiel de ces économies. En effet, je ne pense pas que les 160 milliards d’euros d’aides aux entreprises feront l’objet d’une refonte massive, afin d’éviter à nos concitoyens une cure austéritaire…
Reste désormais à savoir sur quoi repose cette nouvelle alerte sur la dette publique. Dans son rapport, la Cour des comptes critique le scénario d’évolution de la dette publique construit par le Gouvernement. Néanmoins, monsieur le Premier président, il comporte un impensé de taille. Je serai clair : il est frappant que, dans ce rapport, la question de l’inflation soit si rapidement évacuée.
Alors que la hausse des prix s’est accélérée depuis la mi-2021 et devrait vraisemblablement durer, cette question devrait constituer un axe central de réflexion. Comme vous le savez, il existe une dynamique fondamentale entre la dette et l’inflation. Aussi, je m’étonne que cette question soit absente des discussions entre Bercy et la rue Cambon. L’inflation étant avant tout un phénomène redistributif, il n’est pas inutile de rappeler que des dynamiques similaires à celles opérant entre capital et travail existent également entre le débiteur et le créancier.
En effet, lorsque survient l’inflation, la valeur monétaire de la somme empruntée diminue. Le débiteur doit alors rembourser sa dette à l’aide d’une monnaie dont le pouvoir d’achat est amoindri. De la même manière, la dette détenue par le créancier perd de sa valeur.
Le taux d’intérêt doit en théorie couvrir ce risque, mais si le taux auquel la dette a été contractée est fixe et inférieur au taux d’inflation, alors le créancier ne peut pas compenser cette perte de valeur. Celui-ci ne peut alors qu’ajuster le taux des nouvelles émissions, ce qui ne règle pas le problème de la dette passée.
Ainsi, l’inflation conduit souvent à une redistribution entre créanciers et débiteurs au profit des seconds. Dans la période actuelle, cela se vérifie particulièrement pour ce qui concerne la dette publique. Celle-ci est contractée très largement à taux fixe, et elle est « roulée ». De fait, le capital est remboursé par une nouvelle dette. Mais comme le capital remboursé est déprécié par l’inflation, le poids de la nouvelle dette contractée pour le rembourser l’est également.
Voilà précisément ce qui est évacué dans le rapport, alors même que le Fonds monétaire international (FMI) estimait, dans une étude réalisée en 2019, qu’une inflation de 6 % pendant cinq ans permettrait de réduire le ratio de dette publique de la France de 13 points de PIB.
En conclusion, ce rapport pose les bases pour imposer au pays des cures austéritaires dans les années à venir, sans que tous les paramètres macroéconomiques aient été appréciés de manière efficiente. Or si la tension qui s’exerce sur les finances publiques ne peut pas être ignorée, il apparaît primordial d’explorer toutes les pistes d’assainissement, afin que celui-ci ne s’effectue pas au prix d’une nouvelle casse sociale que notre pays et nos concitoyens ne pourraient pas supporter.