Pour donner du poids à mes propos, je précise que j'ai présenté, en 2003, mon premier projet de rénovation des logements de France à un conseiller du Président Jacques Chirac puis à tous ses ministres. Par ailleurs, j'ai dirigé pendant quarante ans le bureau d'études Enertech, qui ne fait que de la rénovation et des bâtiments très performants. Enfin, je suis l'inventeur de la méthode Dorémi - Dispositif opérationnel de rénovation énergétique des maisons individuelles -, à laquelle j'ai formé les 200 premiers artisans spécialisés en la matière.
Nous avons demandé aux étudiants de Sciences Po de faire une étude comparative européenne sur le sujet il y a quelques années et il en ressort que tout le monde fait la même chose : de l'incitation. Chaque pays le fait selon son orientation, le Royaume-Uni de façon plus libérale, l'Allemagne de façon très encadrée et très subventionnée. C'est l'Allemagne qui s'en sort le mieux, mais, malgré des aides élevées et un accompagnement important, elle ne rénove que quelques dizaines de milliers de logements au bon niveau par an, alors qu'elle devrait en rénover 1 million. Ce n'est rien !
Ainsi, l'incitation, que nous pratiquons tous, car elle correspond à notre sentiment de liberté, nous mène dans le mur ; c'est terrible à dire, car nous sommes dans un pays de liberté, mais on ne peut pas continuer ainsi : il faut passer à l'obligation. Pour que cette obligation soit acceptée, il faut trois conditions : tous les ménages sans exception doivent bénéficier d'un financement - j'y reviendrai - ; il doit y avoir, dès la première année, un reste à charge nul ou négatif - les ménages ne doivent pas perdre d'argent et si possible doivent en gagner - ; et il faut un vrai guichet unique.
Sur le financement, la meilleure solution - je l'avais recommandée aux conseillers de Nicolas Hulot voilà cinq ans - est un prêt à taux zéro (PTZ) massif et ne reposant pas sur une vérification de l'usage des fonds par les banquiers. Avec un prêt à taux zéro, on n'a que du capital à rembourser, cela permet d'arriver à un équilibre. Si on n'arrive pas à l'équilibre, ce qui peut se produire dans certains logements, on peut imaginer en complément une subvention liée au décile de revenu du ménage. Ce système bicéphale est très simple et il permet d'engager une obligation sur le long terme, ce que demandent tous les artisans, qui souffrent d'un manque de visibilité à long terme.
Il y a une deuxième critique du système actuel : nous avons un système « par étapes » et on espère qu'en 2050 tout le monde aura fait les gestes requis. Enertech a montré que le système « par étapes » est 20 % à 25 % plus cher et qu'il entraîne une perte d'efficacité, en raison d'un manque d'interfaces, de défauts d'étanchéité, etc. Au-delà de trois étapes, on a trop perdu, on a tué le gisement d'économies.
Ce sont les deux points à régler. Le prêt à taux zéro ne doit être destiné qu'à des rénovations complètes et performantes, car c'est le type de rénovation conduisant à un équilibre en trésorerie ; les opérations Dorémi reposent là-dessus et cela fonctionne. Tout l'enjeu est de définir le financeur de ce prêt. L'État n'est pas très favorable, pourtant cela ne lui coûterait pas cher : j'avais estimé en 2018 que, pour rénover 700 000 logements par an, cela lui coûterait 2 milliards d'euros, certes avec les taux négatifs de l'époque. Même si cela coûtait 5 milliards d'euros aujourd'hui, on pourrait le financer en supprimant toutes les aides - TVA, crédit d'impôt pour la transition énergétique, etc. - et en les convertissant dans le PTZ. Il faut envisager cette piste, qui est très rentable. Pour le particulier, cela permet d'équilibrer la trésorerie, avec des annuités inférieures aux économies d'énergie.