Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, dans les territoires d’outre-mer subsistent un grand nombre de disparités, notamment du fait de l’éloignement géographique avec la métropole. La vie y est chère, le chômage y est deux à trois fois plus élevé et le taux de pauvreté avoisine les 40 % en moyenne.
Depuis près de vingt ans, les crises économiques et sanitaires s’y succèdent – chikungunya, « gilets jaunes », covid-19, etc. –, entraînant des conséquences encore plus frappantes qu’en métropole, à l’image de l’augmentation constante des prix, de la suppression de milliers d’emplois ou encore de la diminution du nombre de nouveaux logements construits.
Depuis 2019, les effets de l’actuelle crise sanitaire ont accentué le mal-être social, les inégalités et la précarisation de nombreux concitoyens ultramarins.
Parmi les très nombreux problèmes auxquels ils sont confrontés, c’est sans aucun doute le logement, au côté de l’emploi, qui figure en haut du classement.
Si le manque de logements est malheureusement une triste réalité qui se ressent chaque jour, un phénomène suscite de plus en plus l’inquiétude des pouvoirs publics et des associations de défense de consommateurs : la non-décence des logements sociaux existants. Bien que toute la France soit concernée, l’outre-mer l’est tout particulièrement.
Le texte que je vous propose aujourd’hui a d’abord été déposé à l’Assemblée nationale par l’ancien député de La Réunion David Lorion, qui a été comme moi interpellé par la situation préoccupante de notre île. Une très grande partie de notre population est confrontée à des malfaçons et à des problèmes d’humidité ou de sécurité électrique, avec toutes les conséquences qui vont avec, notamment pour la santé.
Tant dans les logements anciens que dans les constructions neuves, beaucoup vivent dans des conditions d’extrême insalubrité ou d’indécence.
Aussi, cette proposition de loi vise-t-elle à inciter encore plus fortement les bailleurs à mettre en conformité leurs logements avec les critères de décence fixés par la loi.
Le droit actuel prévoit la suspension des aides personnelles au logement (APL) pour les logements non décents ; nous proposons la consignation des loyers jusqu’à la réalisation des travaux de mise en conformité.
Le texte de l’Assemblée nationale avait été cosigné par des députés métropolitains comme ultramarins, notamment par deux vice-présidents du parti Les Républicains.
Parce que tous les territoires de la République sont susceptibles d’avoir besoin de ce dispositif, nous avions conservé l’application nationale de la proposition. La commission nous a dit qu’une telle application ferait courir le risque d’effets de bord.
Pour répondre aux inquiétudes, nous proposons, comme la commission l’envisageait initialement, une expérimentation ciblée sur le territoire de La Réunion. En effet, si le problème du logement non décent ne se pose pas qu’à La Réunion, il s’y pose là-bas avec beaucoup d’acuité. La commission a alors estimé qu’une telle expérimentation ferait courir le risque d’une rupture d’égalité.
Pour nos concitoyens qui subissent le mal-logement, pour tous ceux qui vivent dans les moisissures, dans l’inquiétude d’un dégât des eaux ou d’un accident électrique causé par les infiltrations ou les malfaçons, je ne puis me résoudre à ne rien faire.
Tout comme six députés sur sept de La Réunion, tout comme mes trois collègues sénateurs de ce département, j’observe régulièrement la situation de notre territoire.
Des personnes âgées, d’autres en situation de handicap, des familles nombreuses déjà durement touchées par la précarité financière, énergétique et sociale vivent dans des conditions parfois dignes du tiers-monde, alors que nous sommes au XXIe siècle et dans un pays qui figure parmi les premières puissances mondiales.
Nous ne pouvons pas rester sans solution. Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas. Si la route est encore longue avant de résoudre toutes les difficultés qui sont au cœur du problème du logement dans nos territoires, je veux faire ce premier pas avec vous.
Il consiste à empêcher que l’on puisse tirer profit des infractions à la loi. Un bailleur qui met en location un logement non décent ne doit pas toucher de loyers. Il ne s’agit pas d’exempter le locataire du paiement, puisqu’il devra continuer de le verser. Mais le bailleur ne percevra les loyers que lorsqu’il aura mis son bien en conformité avec les critères de décence fixés par la loi.
Afin de permettre un suivi de cette loi, je proposerai qu’une commission mixte soit mise en place sur le territoire réunionnais, composée à parité de membres de la société civile et des institutions publiques nommés par décret ministériel, afin d’évaluer de manière totalement neutre la bonne application de la loi, ses limites et les améliorations qui seraient éventuellement nécessaires.
L’inaction, quels qu’en soient les motifs, reste l’inaction. En votant aujourd’hui cette proposition de loi, nous mettrons les choses en mouvement. Nous permettrons à la navette parlementaire d’enrichir le texte. Nous affirmerons aux bailleurs notre détermination à faire respecter la loi.
Cette mobilisation, à laquelle je vous appelle aujourd’hui, mes chers collègues, représente un pas supplémentaire pour faire de la lutte contre le mal-logement une priorité politique essentielle, afin de répondre aux besoins des citoyens mal logés, en souhaitant que toutes les collectivités puissent à terme porter cet enjeu crucial à la bonne échelle.
Il s’agit simplement de garantir le respect d’un droit fondamental pour permettre à chaque citoyen d’accéder à un logement digne et décent adapté à ses besoins et ses ressources et de s’y maintenir.
Cette proposition de loi est une réponse qui devra incontestablement en appeler d’autres. Une réflexion beaucoup plus large devra ainsi être menée, particulièrement dans les outre-mer, notamment sur les questions de production de logements sociaux et de lutte contre le sans-abrisme.
Je demande à l’État de prendre toutes ses responsabilités et de faire de la lutte contre le mal-logement une grande cause nationale. L’abbé Pierre disait : « La maladie la plus constante et la plus mortelle, mais aussi la plus méconnue de toute société est l’indifférence ».
Aussi, mes chers collègues, montrons aux plus vulnérables de nos concitoyens que nous agissons pour les protéger !