Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat doit aujourd’hui s’exprimer sur la proposition de loi du sénateur Jean-Louis Lagourgue visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d’une allocation de logement et vivant dans un habitat non décent.
Dans son article unique, ce texte vise à augmenter la contrainte qui pèse sur les propriétaires bailleurs en vue de procéder aux travaux de mise en décence des logements loués à des personnes bénéficiant des APL.
Même si le Gouvernement partage pleinement l’objectif de cette proposition de loi, nous constatons que le mécanisme actuel de conservation des aides est suffisant pour mettre fin aux situations de non-décence.
À ce jour, la plupart des situations de conservation des APL cessent avant la fin du délai maximum prévu par le code de la construction et de l’habitation.
En moyenne, on constate une sortie de conservation d’environ 320 dossiers par mois, dont 300, soit en moyenne 93 %, au sens où la situation de non-décence a pris fin et le versement de l’APL a été rétabli, et seulement une vingtaine de situations dans lesquelles l’APL n’a pas été rendue une fois la période de conservation écoulée. Dans ces derniers cas, la conservation peut, dans certaines situations, être prolongée, notamment pour finir les travaux.
Vous le comprenez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’efficacité du mécanisme actuel de conservation des aides est, à notre avis, avérée.
J’ajouterai que la mise en place de la conservation ne se limite pas à son caractère coercitif ; elle s’accompagne d’une information du propriétaire par l’organisme payeur.
De façon plus globale, l’engagement de ce gouvernement est total pour lutter contre le phénomène de non-décence des logements.
Nous avons souhaité faire évoluer le mécanisme de conservation des aides, pour qu’il s’adapte aux politiques publiques de lutte contre le logement indécent.
Ainsi, l’entrée en vigueur au 1er janvier 2023 et la future montée en charge du critère de non-décence énergétique, à la suite de la réforme du diagnostic de performance énergétique et aux dispositions de la loi Climat et résilience, créent une condition d’ouverture supplémentaire d’une mesure de conservation des aides.
Les critères de non-décence et incidemment les causes d’ouverture d’une mesure de conservation des APL englobent la non-décence énergétique. L’obligation qui pèse sur les bailleurs a ainsi été renforcée.
Pour lutter contre le fléau que constitue l’habitat indigne et dégradé, un important arsenal de procédures et de dispositifs, qui reposent la plupart du temps sur des partenariats locaux et associent notamment les collectivités territoriales, a été développé.
Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement travaille à l’amélioration constante de ces outils. Je le répète, la lutte contre l’habitat indécent est ma priorité – ceux qui connaissent mon parcours le savent bien –, comme c’est celle du Gouvernement.
Parmi les mesures prises, je citerai les dispositifs de déclaration et d’autorisation de mise en location. Pérennisés par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové et reposant sur l’initiative des collectivités, ces deux dispositifs continuent de se déployer. Je tiens d’ailleurs à saluer les maires et élus locaux qui sont engagés dans cette démarche – je sais qu’ils sont nombreux.
Le dispositif d’autorisation préalable de mise en location a par ailleurs fait l’objet de modifications en 2021, via la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets du 22 août 2021.
Je veux également mettre en avant le travail de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), qui finance l’amélioration de l’habitat des propriétaires bailleurs. En effet, l’Anah octroie des subventions, sous conditions, aux propriétaires bailleurs pour réaliser des travaux de sortie d’indignité ou de forte dégradation, via les aides « Habiter sain », « Habiter serein » ou « Habiter mieux ».
À la fin de l’année 2018, l’Anah a aussi décidé de consacrer des crédits supplémentaires, dans le cadre d’une expérimentation, à la lutte contre l’habitat indigne dans six territoires dits « d’accélération », particulièrement touchés par ces problématiques.
Reconduit jusqu’en 2023, ce dispositif a d’ores et déjà permis de mobiliser plus de 33 millions d’euros supplémentaires en quatre ans sur ces six départements : les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône, l’Essonne, le Nord, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne.
Il a permis la majoration des taux de subvention pour les propriétaires occupants et bailleurs, ainsi que le financement à 100 % hors taxes des travaux d’office à la charge des communes, notamment à la suite de la prise d’arrêtés de péril.
Ce dispositif, qui va se terminer dans sa forme expérimentale, fait actuellement l’objet d’une évaluation. Les résultats dégagés permettront de déterminer des axes d’action sur le champ du financement par l’Anah de la sortie d’indignité à partir de 2024.
L’Anah a par ailleurs majoré depuis 2021 les crédits consacrés au financement des opérations de résorption de l’habitat indigne : ils sont passés de 15 millions d’euros à 23 millions par an. Tous les territoires engagés dans ce type d’opérations sont éligibles à ces financements.
Nous aurons l’occasion, au cours du débat, d’évoquer plus particulièrement le cas des territoires ultramarins.
Pour en revenir à cette proposition de loi, je le redis et vous l’avez compris, nous partageons l’objectif, mais la mesure proposée soulèverait plusieurs contraintes opérationnelles.
En effet, si les organismes payeurs – Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ou Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) – ne sont pas directement concernés par cette proposition, ils seraient néanmoins placés au cœur d’un tel dispositif, puisque la responsabilité leur reviendrait de transmettre à la Caisse des dépôts et consignations chaque ouverture de conservation des aides et, en toute logique, chaque levée de conservation.
Il est d’ailleurs à noter que le système d’information de la Cnaf est actuellement surchargé, ce qui laisse envisager une difficulté réelle quant à la possibilité d’automatiser un tel signalement, sans compter la question de la sécurisation du transfert de ces données.
Je veux rappeler d’ailleurs que la création du dispositif de conservation a permis d’impliquer davantage les Caisses d’allocations familiales (CAF) dans la lutte contre le mal-logement en tant que partenaires des autres acteurs intervenant dans ce domaine – je tiens à les en remercier.
Enfin, à la lecture de cette proposition de loi, il est permis de s’interroger sur le potentiel effet dissuasif de la mesure proposée. En effet, la suspension du versement direct des loyers aux propriétaires pourrait inciter ces derniers à retirer leurs biens du marché de la location pour les mettre en vente.
De plus, l’absence de versement du loyer résiduel peut priver certains propriétaires des ressources nécessaires pour financer la réalisation des travaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la détermination est là, les outils sont mobilisés, et nous continuerons de lutter contre l’habitat indigne et dégradé. C’est un enjeu majeur, pour permettre à chacun, notamment aux plus modestes, de vivre dignement dans leur logement.
Nous devons faire en sorte que l’endroit où nos concitoyens se sentent à l’abri et où ils veulent se reposer après une dure journée de travail ne soit pas un logement qui les rende malades ou dans lequel ils ne supportent pas de vivre.
C’est donc bien parce que le mécanisme actuel de conservation des aides est suffisant pour mettre fin aux situations de non-décence que le Gouvernement s’en remettra sur ce texte à la sagesse du Sénat.