Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout comme l’habitat insalubre et l’habitat indigne, le chantier de l’habitat non décent est gigantesque.
Comme le soulignait notre rapporteur, sur l’ensemble du territoire français, au moins 420 000 logements seraient indignes, dont 110 000 dans les départements et régions d’outre-mer, qui sont particulièrement confrontés à ces difficultés.
Contrairement aux procédures relatives à l’indignité, à l’insalubrité ou au péril, qui relèvent des autorités administratives, la lutte contre la non-décence relève exclusivement d’une action privée, celle du locataire contre le bailleur.
Toutefois, les problématiques de fond sont similaires : l’accompagnement des propriétaires et le reste à charge des travaux, qui est bien souvent hors de portée du budget des ménages modestes. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’entamer des travaux de rénovation globale, qui peuvent être effectués pour des logements qualifiés de non décents, pour renforcer l’étanchéité contre les infiltrations d’eau ou d’air, ou isoler les murs et les fenêtres, etc.
Après l’aide de MaPrimeRénov’, le reste à payer pour les ménages très modestes s’élève en moyenne à 33 % du montant des travaux – 52 % pour les ménages modestes –, d’après les calculs de France Stratégie en 2021.
Je ne reviendrai pas en détail sur le dispositif actuel, car vous l’avez toutes et tous à l’esprit.
L’article unique de cette proposition de loi tend à consigner le reste à charge du loyer auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Le locataire continuerait de payer le loyer, mais celui-ci ne serait plus versé au bailleur. Cette mesure semble, de prime abord, aller dans le bon sens pour répondre à l’objectif indispensable de lutte contre la non-décence des logements.
L’examen en commission a toutefois mis en avant un certain nombre d’écueils et le manque d’opérationnalité du dispositif. La commission a également estimé que le dispositif actuel de consignation du montant des APL fonctionnait dans la majorité des cas pour que les travaux soient engagés. Plus de 95 % des procédures aboutiraient à une remise en état dans les dix-huit mois impartis, selon les services de l’État.
Par ailleurs, le risque de priver les propriétaires modestes a été mis en avant lors de l’examen en commission – nous l’entendons –, à cause de la consignation du reste à charge de ressources nécessaires pour engager les travaux de remise en décence de leur bien.
En effet, nombre de propriétaires rencontrent eux-mêmes des difficultés financières et peinent à financer les travaux, comme le démontrent régulièrement les rapports de la Fondation Abbé Pierre. Encore une fois, l’accompagnement des bailleurs est l’un des sujets essentiels !
Le risque que ce nouveau mécanisme rende l’actuel plus complexe et moins lisible a aussi été souligné. Pour l’instant, après le signalement à la CAF, le locataire n’a aucune démarche supplémentaire à effectuer, puisque la CAF procède d’elle-même à la retenue des allocations de logement.
Le dispositif proposé est plus complexe. Il introduit une procédure active de consignation du reste à charge. Une mauvaise compréhension du dispositif pourrait conduire une partie des locataires vers des situations d’impayés de loyer, qui pourraient in fine déboucher sur leur expulsion.
Par ailleurs, le texte n’aborde pas la question épineuse du sort des reliquats des loyers qui resteraient consignés une fois la période de blocage des aides révolue. Qu’adviendrait-il de ces sommes ?
Une fois le délai épuisé, les aides de la CAF sont perdues, cela risquerait donc de faire peser le loyer sur le seul locataire.
Les cas seront certes limités, mais le locataire aura donc tout intérêt à avoir saisi un juge pour obliger son bailleur à réaliser les travaux nécessaires ou à faire réduire son loyer. Cela soulève la question de l’opportunité de saisir le juge. Le plus efficace serait donc de prévoir une procédure simplifiée pour obtenir plus rapidement une décision de justice.
Se pose également la question de la possibilité de remise en location du logement si les travaux ne sont toujours pas effectués, mais le texte n’y répond pas non plus.
Compte tenu de ces éléments, la question de l’opérationnalité du dispositif est posée et sa plus-value n’est pas évidente, dans la mesure où il ne tend pas à améliorer le sort du locataire de manière significative. Il est peut-être même contre-productif, car le risque que le dispositif fragilise les propriétaires modestes et les locataires semble réel, à La Réunion comme en métropole.
La bataille contre l’habitat non décent ne pourra être gagnée qu’une fois la crise du logement enrayée, c’est-à-dire à la suite de la mise en œuvre de mesures réellement structurelles.
Je pense à la production massive de logements sociaux, à l’encadrement des loyers en secteurs tendus, à l’augmentation des APL, à la garantie universelle des loyers, à l’intensification de la prévention des expulsions locatives, au renforcement des moyens pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville, et, bien sûr, à un réel accompagnement humain et financier des propriétaires pour la rénovation de leur logement.
Il convient également de communiquer plus efficacement auprès des publics concernés sur les différents dispositifs existants qui s’offrent à eux pour la réhabilitation de leur logement.
La procédure actuelle n’est engagée que dans trop peu de situations – quelques centaines de cas avérés par an à La Réunion –, alors qu’il existe plusieurs dizaines de milliers de logements indécents. Même si le taux de réussite s’élève à 95 % dans ce domaine, le dispositif ne concerne que trop peu de personnes.
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra.