Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon les sources, le nombre d’habitats indignes en France est estimé à 450 000 logements ou à 600 000, selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, qui ne saurait être accusée d’excès, compte tenu des situations dramatiques qu’elle étudie et suit de près.
Selon ce même rapport, rien ne permet d’indiquer une quelconque évolution positive en 2022, et aucune dynamique n’a été lancée pour les années à venir.
Dans les territoires d’outre-mer, la situation est particulièrement critique. Selon le rapport d’information sénatorial sur la politique du logement en outre-mer, près de 13 % du parc sont jugés indignes.
L’estimation du nombre de logements jugés non décents pâtit d’une définition imprécise du terme.
Faute de chiffres précis, nous pouvons nous référer à plusieurs critères. Selon l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques, quelque 2, 3 millions de personnes vivent dans des logements possédant des défauts graves. Il y manquerait au moins un élément élémentaire, tel que l’eau chaude ou le chauffage, et il y aurait des défauts structurels essentiels, liés à une plomberie défectueuse causant des fuites, ou encore à une mauvaise étanchéité.
Un chiffre semble fiable : 600 000 enfants vivraient dans ces conditions aujourd’hui dans notre pays.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à mieux protéger les locataires bénéficiant d’une allocation logement et vivant dans des habitats considérés comme non décents.
Depuis la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite Alur, si le logement est reconnu comme tel, alors la CAF retient le montant de l’allocation logement et le locataire ne verse que le loyer résiduel et les charges locatives au bailleur durant dix-huit mois. Ce délai doit permettre au bailleur d’effectuer les travaux nécessaires pour rendre le logement apte à la location.
Si nous adoptions cette proposition de loi, le locataire d’un logement indécent verserait le loyer résiduel non plus au bailleur, mais à la Caisse des dépôts et consignations. De ce fait, le bailleur ne percevrait plus aucune somme tant que le logement ne répondrait pas aux normes de décence.
Si nous comprenons bien l’intention qui se trouve derrière cette proposition, nous ne pouvons manquer de formuler plusieurs réserves.
En premier lieu, il existe déjà des procédures permettant d’inciter le bailleur à effectuer des travaux de réhabilitation d’un logement non décent.
Comme l’a rappelé en commission Mme le rapporteur, contrairement aux procédures relatives à l’indignité, à l’insalubrité ou au péril, qui relèvent des autorités administratives, la lutte contre la non-décence relève exclusivement d’une action privée, celle du locataire contre le bailleur. Si ce dernier refuse d’exécuter les travaux de remise en état d’un logement en situation de non-décence, le locataire peut en effet saisir le juge.
Le juge peut notamment ordonner l’exécution des travaux, assortie d’une éventuelle réduction du montant du loyer pour toute la durée pendant laquelle le logement demeure non décent.
Cette procédure a concerné 2 647 situations en 2017 et 4 079 en 2019. Le chiffre est en augmentation, ce qui signifie bien que les locataires, mieux informés sur leurs droits, n’ont pas hésité à les faire valoir auprès des autorités compétentes. La grande majorité des travaux ont été effectués dans les dix-huit mois par les propriétaires.
En second lieu, le dispositif proposé par nos collègues du groupe Les Indépendants – République et Territoires pourrait entraîner des conséquences négatives, sans répondre pour autant de manière efficace à la lutte contre les logements dégradés.
En effet, la mesure précitée a peut-être pour objet de sanctionner plus efficacement les propriétaires indélicats qui louent délibérément des logements indécents, mais elle tendrait à priver les bailleurs de bonne foi de ressources utiles pour financer les travaux nécessaires. Cela reviendrait in fine à pénaliser des locataires déjà en situation de précarité.
Ce point me permet d’aborder le sujet de l’accompagnement des propriétaires bailleurs ou occupants : ils n’en disposent pas toujours pour réaliser des travaux d’amélioration de leur logement, notamment pour en améliorer la performance énergétique, afin de lutter contre la précarité.
Depuis la loi Climat et résilience, les logements doivent présenter une performance énergétique minimum. Cela se traduit par l’interdiction de louer les logements les plus énergivores à compter du 1er janvier 2023 et par l’interdiction progressive de louer les logements de catégorie G à partir du 1er janvier 2025 et du 1er janvier 2028 pour ceux de catégorie F.
Outre l’inconfort et le poids financier des factures d’énergie, un logement humide ou mal chauffé risque d’amplifier les pathologies de certaines personnes âgées ou plus fragiles.
Or force est de constater que la politique menée ces dernières années ne produit pas les effets escomptés, car les aides sont mal ciblées.
Rémi Cardon et moi avons déposé une proposition de loi pour recentrer l’effort budgétaire du pays sur l’éradication des passoires thermiques et engager une stratégie de rénovation plus inclusive.
Nous constatons en effet aujourd’hui que la précarité énergétique s’accroît et que le nombre de passoires thermiques ne baisse pas, malgré le vote de la loi Climat et résilience.
Les raisons sont simples. Trop peu de personnes s’engagent dans un parcours de rénovation. Près de la moitié des ménages résidant en passoire thermique ont des revenus modestes, voire très modestes. Quelque 37 % de ces logements sont occupés par des ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté.
Toujours selon la Fondation Abbé Pierre, le reste à charge des plus modestes serait actuellement de l’ordre de 39 % pour une rénovation globale, ce qui est bien trop important pour les familles les plus précaires, y compris dans le cadre du prêt avance rénovation mis en place par le Gouvernement, dont les résultats ne sont pas aussi bons qu’escomptés. Il y a pourtant urgence !
La hausse générale des prix de l’énergie a des conséquences importantes sur les ménages, tout particulièrement sur les plus vulnérables, qui sont les premiers à en subir les effets.
Il y a urgence, également, car les logements les plus énergivores vont disparaître du marché de la location, faute de rénovation. Cette interdiction est entrée en vigueur au 1er janvier 2023 pour les logements de classe G, c’est-à-dire pour ceux qui ont une consommation supérieure à 450 kilowattheures.
Il y a urgence, enfin, à prendre en compte les spécificités des territoires ultramarins, à promouvoir les techniques les mieux adaptées et à faciliter le recours à des matériaux de construction et de rénovation produits et utilisés localement.
Ainsi, plutôt que de confisquer, pour ainsi dire, les revenus locatifs des propriétaires, nous pensons qu’il est préférable de mieux les accompagner. Il est nécessaire que les citoyens perçoivent enfin les signes concrets et positifs de la transition énergétique. Celle-ci est encore trop souvent perçue comme inefficace et inégalitaire.
Notre politique climatique et énergétique doit comporter une stratégie de rénovation des logements et de lutte contre la précarité énergétique plus performante et plus inclusive. Notre priorité devrait être de sortir les 5, 6 millions de ménages de la précarité, qu’ils soient propriétaires ou copropriétaires, bailleurs ou occupants.
Les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui mettent en lumière un réel problème et partent d’une bonne intention ; nous ne pouvons que partager leurs constats.
Cependant, les solutions qui sont proposées nous semblent inadaptées pour répondre à de tels enjeux. Par conséquent, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a choisi de s’abstenir sur ce texte.