Intervention de Daphné Ract-Madoux

Réunion du 16 mars 2023 à 9h00
Allocation logement et habitat non décent — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Daphné Ract-MadouxDaphné Ract-Madoux :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où la vie n’a jamais été aussi chère et où la précarité ne cesse d’augmenter, le logement demeure la première dépense contrainte de nos concitoyens, à hauteur de 30 % à 40 % de leur budget. Nous devons plus que jamais nous saisir du sujet et le mettre à l’ordre du jour pour agir concrètement afin d’améliorer le quotidien des Français.

Toutes les initiatives allant dans ce sens sont à saluer. Je tiens donc à remercier notre collègue Jean-Louis Lagourgue et les autres signataires de cette proposition de loi, qui ont ainsi permis de relancer le débat sur la situation du logement dans notre pays, un sujet qui préoccupe tant de nos concitoyens.

Je salue également les apports précieux de la rapporteure Micheline Jacques et de la commission des affaires économiques ; ils rappellent tout l’intérêt et toute la vitalité du travail parlementaire.

Toutefois, avec mes collègues de l’Union Centriste, nous considérons que ce texte n’est pas abouti, à ce jour, et partageons la position de la rapporteure.

Nous souscrivons évidemment à la volonté de protéger plus efficacement les locataires confrontés à des bailleurs malveillants, mais nous tenons également à ce que les propriétaires les plus modestes, qui sont, de surcroît, le plus souvent de bonne foi, ne soient pas pénalisés par un dispositif qui risquerait, en l’état, d’être trop rigide.

Priver un petit bailleur du loyer qu’il perçoit pourrait en effet lui faire perdre une part importante de ses revenus, qui n’excèdent parfois pas ceux de ses locataires. Cela pourrait aussi, tout simplement, l’empêcher de procéder aux travaux nécessaires à la rénovation du logement, ce qui irait à l’encontre de l’objectif des auteurs de la proposition de loi.

De plus, la procédure de constat en non-décence, bien que trop peu usitée, a fait preuve de son efficacité et nous manquons de données pour évaluer d’éventuels dysfonctionnements.

Enfin, le déficit que connaît notre pays en matière d’offre de logements nous astreint à faire preuve de pragmatisme et de nuance. Certains propriétaires ne seront jamais prêts à louer s’ils craignent que la mise en location de leur bien représente, in fine, une charge plutôt qu’une source de revenus. Or nous avons plus que jamais besoin de nouveaux bailleurs.

C’est en ayant ces éléments à l’esprit que, avec une grande majorité du groupe Union Centriste, nous suivrons la rapporteure et la commission en votant contre l’adoption de ce texte.

Je veux profiter du reste du temps qui m’est imparti pour mettre l’accent sur les urgentes priorités qui doivent être les nôtres en matière de logement.

Les chiffres du dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre nous rappellent la réalité brutale du mal-logement dans notre pays.

Aujourd’hui en France, on compte 330 000 sans-abri et 4, 1 millions de personnes mal logées ; plus de 12 millions de personnes se trouvent en situation de fragilité en matière de logement.

Or les personnes qui paient le plus lourd tribut au mal-logement, ce sont, comme souvent, les femmes. Il est plus difficile pour une femme, et plus encore pour une mère célibataire, de sortir du mal-logement ; celui-ci renforce la précarité des femmes et les expose, plus que les hommes, au risque de violences sexuelles. Le logement reste malheureusement le creuset des inégalités dans notre pays.

Face à cette situation, il serait faux de dire que le Gouvernement est demeuré passif : 440 000 personnes sont sorties de l’hébergement d’urgence ou du sans-abrisme grâce au plan Logement d’abord au cours du dernier quinquennat ; 250 000 logements sociaux ont été construits entre 2021 et 2022 ; enfin, 6, 7 milliards d’euros ont été consacrés par le plan France Relance à la rénovation des logements privés et sociaux, des bâtiments publics et des locaux des PME-TPE.

Toutefois, pour atteindre les objectifs ambitieux auxquels nous astreint la situation du logement dans notre pays, ces efforts doivent être poursuivis et complétés. L’offre de logements demeure en effet très insuffisante au regard des besoins croissants de la population, en particulier dans les territoires qui connaissent les tensions les plus fortes.

Cela s’explique, tout d’abord, par la raréfaction du foncier. Nous manquons de terrains constructibles et nous devrons veiller à ce que l’objectif de « zéro artificialisation nette » des sols en 2050, le fameux ZAN, ne fasse pas peser de contraintes trop lourdes sur la construction de logements neufs.

Je salue à ce titre l’excellent travail réalisé par la commission spéciale présidée par Valérie Létard autour de la proposition de loi dont nous débattons cette semaine. Ce sont des signes forts envoyés aux acteurs de nos territoires.

En outre, la construction et l’amélioration des logements sont compliquées par le foisonnement des normes qui les encadrent. Entre 2002 et 2022, le code de l’urbanisme est passé de 1 584 à 3 542 pages. La prolifération des normes augmente le coût de la construction et peut en limiter le volume ; parfois, ces normes sont tout simplement absurdes.

Je me réjouis à ce propos que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, présidée par notre collègue Françoise Gatel, organise ce matin même les États généraux de la simplification.

La crise de l’offre est enfin celle de la location. Il importe à ce titre que les bailleurs soient accompagnés dans la rénovation de leurs logements, afin que les obligations de performance énergétique auxquels ils sont soumis ne représentent pas une charge trop lourde et désincitative.

Au Sénat, la commission d’enquête sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, proposée par notre collègue Guillaume Gontard et présidée par Dominique Estrosi Sassone, commission d’enquête dont je suis membre, mène à cette fin, depuis plusieurs semaines, de nombreuses auditions.

Nous tentons notamment d’évaluer le service MaPrimeRénov’ et, plus largement, les freins et les dysfonctionnements qui entravent les dispositifs d’aide à la rénovation énergétique, empêchant à ce jour de massifier ces rénovations et de répondre à cette priorité nationale. C’est l’une des missions du Parlement que d’évaluer et de contrôler les politiques publiques.

Mes chers collègues, gardons toujours à l’esprit ces mots de l’abbé Pierre : « Gouverner, c’est d’abord loger son peuple. »

Le logement est un sujet complexe, qui fait intervenir de très nombreux acteurs et soulève des problématiques variées, qu’elles soient de nature économique, sociale, ou environnementale.

Je souhaite que l’initiative de Jean-Louis Lagourgue, à défaut de constituer à ce stade une réponse viable à la problématique du mal-logement, marque le début d’un vrai débat de fond sur ces questions chères aux Français.

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