Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « la France est un désert médical. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 87 % du territoire français est un désert médical. Paris comme la Nièvre sont des déserts médicaux ».
Tels étaient vos mots, madame la ministre, à l’occasion du 104e congrès de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) en novembre dernier.
Notre pays connaît, en effet, de grandes difficultés en matière de démographie médicale. Toutefois, ce n’est pas une fatalité. Cette question mérite un plan Marshall pour apporter à tous nos concitoyens une offre de soins correspondant à leurs besoins.
Nous n’en pouvons plus de voir l’offre de soins se dégrader pour s’adapter aux moyens disponibles, alors qu’aucune perspective d’amélioration ne se profile.
Le constat étant connu, je n’y reviendrai que brièvement. La France a perdu plus de 5 000 médecins généralistes entre 2010 et 2021, alors que la population s’est accrue de 2, 5 millions d’habitants sur la même période. La situation est alarmante : 11 % des Français, soit six millions de personnes, n’ont pas de médecin traitant. Plus de huit millions de Français, faute d’un praticien proche de chez eux, ne peuvent consulter plus de deux fois par an.
Par ailleurs, l’augmentation de la demande de soins liée au vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques et le non-remplacement d’un grand nombre de médecins généralistes partant à la retraite aggravent ce phénomène.
Les inégalités territoriales d’accès aux soins ne cessent de se creuser : vivre dans une zone sous-dense multiplie par deux le taux de renonciation aux soins. Les pertes de chances pour certains d’entre nous sont une réalité inacceptable dans notre pays, où le système de santé se fonde sur la solidarité nationale.
Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), la propension à renoncer à des soins est multipliée par huit lorsque le fait de vivre dans un désert médical se couple à une pauvreté en conditions de vie.
S’ils s’étendent en priorité dans les territoires ruraux, les déserts médicaux existent aussi dans des territoires urbains tels que l’Île-de-France et plus encore dans nos départements et collectivités d’outre-mer.
Qu’elles soient liées à la fermeture des urgences ou à l’absence de praticien à proximité, les difficultés d’accès aux soins entraînent une dégradation de leur qualité susceptible de mettre en péril la santé et la vie de nos concitoyens.
Cette situation dramatique devient insupportable à vivre pour les patients et insoutenable pour les élus, qui se battent sans relâche pour trouver des solutions.
Des réponses concrètes et ambitieuses sont plus que jamais nécessaires pour préserver notre système de soins.
Pour ne pas laisser nos concitoyens dans la détresse, sans solution pour se soigner, et afin de leur garantir un égal accès à la santé, il appartient au législateur et au Gouvernement d’agir.
La proposition de loi de notre collègue Dany Wattebled, présentée au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, vise à améliorer la situation dégradée que nous connaissons dans nos communes. Elle a pour objet d’autoriser la mise à disposition de fonctionnaires territoriaux auprès des cabinets médicaux ou des maisons de santé.
Ce texte s’inscrit dans une logique intéressante, puisqu’elle tend à libérer du temps médical et à faciliter l’intégration des nouveaux médecins sur un territoire.
La mise à disposition d’un fonctionnaire territorial permettrait de répondre à la préoccupation de médecins, qui seraient prêts à s’installer dans une zone sous-dense, mais qui s’inquiéteraient des contraintes financières et administratives à supporter.
Bien qu’il prévoie un dispositif facultatif, ouvert uniquement aux collectivités locales volontaires, ce texte suscite l’étonnement des associations d’élus, lesquelles ont émis des réserves.
Le caractère opérationnel du dispositif appelle en effet plusieurs réserves.
Comment s’articulera-t-il avec les dispositifs existants, notamment celui des secrétaires médicaux ou des assistants médicaux, dont l’assurance maladie facilite l’embauche grâce à une aide financière significative, à hauteur de 36 000 euros par an, sous réserve que le médecin traite un minimum de patients et exerce de manière coordonnée ?
Le texte ne prévoit aucun financement de l’État ou des agences régionales de santé. Le dispositif, dont le coût est à la charge des collectivités locales, a été très justement modifié par le rapporteur Daniel Chasseing, qui en prévoit le remboursement par le médecin lui-même. Cependant, cette mesure pose une difficulté au moment où les marges de manœuvre en matière de ressources humaines et financières des collectivités sont restreintes, et alors qu’elles sont elles-mêmes confrontées à des difficultés de recrutement.
Enfin, les personnels mis à disposition doivent pouvoir bénéficier d’une formation adaptée à la terminologie médicale et aux outils de gestion de l’assurance maladie, formation qui est sans lien direct avec celle des fonctionnaires territoriaux. Cette formation minimale, mais essentielle, ne vaudrait que pour quelques mois, compte tenu de la durée maximale du dispositif qui est limitée à trois mois, renouvelable dans la limite de deux fois.
Il nous semble plus adapté de prévoir, dès l’installation du médecin, un recrutement direct sous contrat de droit privé.
L’amendement du Gouvernement, qui ouvre le bénéfice du dispositif aux agents des trois fonctions publiques, dont ceux de la fonction publique hospitalière, pourrait améliorer ce point, mais, au vu de l’état actuel de l’hôpital public, le remède serait pire que le mal : l’hôpital souffre aujourd’hui d’une hémorragie, d’une fuite de ses agents qu’il convient plutôt de colmater !
Permettez-moi également de rappeler que les agents de la fonction publique territoriale sont soumis au devoir de réserve et à la discrétion d’usage, mais qu’ils ne sont pas assujettis au secret médical, contrairement aux assistants médicaux. Cela pose un vrai problème, susceptible de fragiliser la relation de confiance entre les patients et le personnel médical.
Par ailleurs, le caractère optionnel du dispositif risque d’accroître les inégalités territoriales et, ainsi, d’amplifier la concurrence entre collectivités, sans effet global sur l’attractivité médicale.
Lors de son examen en commission, le rapporteur a réécrit, à très juste titre, l’article unique de la proposition de loi.
Il a encadré la durée de recours au dispositif, en la limitant à une période maximale de trois mois, renouvelable deux fois. Les fonctionnaires territoriaux n’ont pas vocation à se substituer durablement au personnel des cabinets libéraux et des maisons de santé libérales.
Le rapporteur a également conditionné le dispositif à la participation des organismes à la mission de service public de permanence des soins ambulatoires, en cohérence avec le droit en vigueur en matière de mise à disposition.
Pour pallier tout risque de détournement, le dispositif a principalement pour but d’accompagner les médecins lors de leur arrivée sur un nouveau territoire.
Pour autant, nous estimons que d’autres mesures ont déjà été prises par les ARS en lien avec les collectivités, au travers notamment des contrats locaux de santé, des CPTS, ainsi que du soutien et de l’accompagnement accordés aux nouveaux médecins qui s’installent dans une commune – le guichet unique.
Une installation se prépare et doit s’inscrire dans un exercice coordonné, en lien avec les autres professionnels de santé. Les collectivités territoriales sont sollicitées au-delà de leurs compétences pour financer de tels dispositifs incitatifs.
Je rappelle que la santé est une compétence de l’État, à qui il appartient d’établir une offre de soins équilibrée sur l’ensemble du territoire.
L’origine du problème tient au manque de médecins et de professionnels de santé, qui ne résulte pas d’une crise des vocations, car nombreux sont les jeunes souhaitant s’impliquer dans ces métiers, mais de l’inadaptation des recrutements, de la formation et de la désorganisation actuelle de notre offre de soins.
La mise à disposition d’un fonctionnaire est une procédure administrative lourde, qui prend du temps, car elle doit faire l’objet d’une information préalable de l’assemblée délibérante et de l’accord préalable de l’intéressé. Ces démarches, étant donné les trois mois de mise à disposition, posent la question de l’efficacité relative du dispositif pour les communes qui seront concernées.
Pour lutter contre les déserts médicaux, surmonter la crise de l’hôpital, pallier le manque d’attractivité des métiers du soin et de la santé et répondre aux enjeux de santé de la population, il nous faut un grand projet de loi d’orientation et de programmation.
La mise en œuvre d’un plan Marshall pour un accès de tous et de toutes à la santé, partout sur le territoire national, qu’il soit rural, urbain ou ultramarin, devient urgente.
Si l’intention des auteurs de la proposition de loi est louable, le dispositif nous semble être une fausse bonne solution ! Nous partageons les réserves des associations d’élus, notamment celles de l’Association des maires ruraux de France et de l’Assemblée des départements de France.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, pour toutes les raisons que je viens d’énoncer, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne votera pas cette proposition de loi.