Intervention de Rima Abdul-Malak

Réunion du 16 mars 2023 à 14h30
Fraudes en matière artistique — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Rima Abdul-Malak  :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier l’ensemble du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen d’avoir mis ce texte à l’ordre du jour et de féliciter le rapporteur pour son travail précis et solide.

Cette proposition de loi permet d’aborder un défi majeur pour l’ensemble du secteur du marché de l’art : la lutte contre les faux artistiques.

Qu’est-ce qu’un faux artistique ? Vous l’avez dit, au sens large, il s’agit d’un objet destiné à passer pour autre chose que ce qu’il est réellement. Le but est de tromper l’acheteur en faisant passer cet objet pour une œuvre authentique.

Si ces fraudes ne constituent pas un phénomène nouveau, on constate ces dernières années une multiplication sans précédent des transactions illicites et l’apparition de nouvelles formes de falsifications d’œuvres d’art, notamment liées au développement des plateformes en ligne.

Je souhaite saluer le travail mené par l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels, compétent pour diligenter les enquêtes, y compris les plus complexes, et celui de la société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), qui contribue pleinement à la réflexion et à la sensibilisation sur ce sujet si important.

Les faux artistiques constituent en effet un véritable fléau, qui porte atteinte aux intérêts des professionnels du marché de l’art, mais aussi et surtout à ceux des acheteurs, des auteurs et de leurs ayants droit.

La lutte contre les faux artistiques trouve son fondement juridique dans la loi du 9 février 1895, dite loi Bardoux, du nom du sénateur qui en fut le principal artisan. Si plusieurs autres infractions de droit commun, comme la contrefaçon, l’escroquerie, le faux et usage de faux, permettent également de sanctionner les coupables de telles fraudes, ce texte apparaît aujourd’hui daté, car il présente des lacunes et n’est plus adapté au marché actuel de l’art.

Ces lacunes sont de plusieurs ordres. La liste des œuvres falsifiables est réduite aux seules œuvres de peinture, de sculpture, de dessin, de gravure et de musique. Elle ne permet pas d’appréhender la diversité des œuvres d’art d’aujourd’hui. Je pense à la photographie, aux arts appliqués, mais également à l’ensemble des nouvelles formes d’art numérique, dont les frontières ne cessent d’être repoussées, comme le montre le développement NFT (Non Fungible Tokens) ou « jetons non fongibles ».

Autre lacune, l’incrimination de fraude artistique est limitée aux seules œuvres « non tombées dans le domaine public », alors même que les œuvres anciennes suscitent une part très importante des affaires de faux. Enfin, les sanctions prévues par la loi Bardoux – deux ans d’emprisonnement, 75 000 euros d’amende – peuvent sembler peu dissuasives.

Je partage donc l’avis du rapporteur : oui, la loi Bardoux mérite d’être actualisée.

Le ministère de la culture en est pleinement conscient et le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), placé sous l’égide de mon ministère, s’est emparé de ce sujet l’an dernier, confiant à MM. Tristan Azzi et Pierre Sirinelli, deux éminents spécialistes, une mission visant à évaluer l’opportunité d’une évolution du cadre juridique actuel pour mieux définir le faux en art, faciliter sa détection et renforcer sa répression. Les résultats de cette mission seront connus définitivement en juillet prochain.

Le présent texte propose plusieurs évolutions de la loi pour répondre à cette forte attente d’actualisation et la rendre plus opérationnelle.

Il prévoit notamment l’élargissement du périmètre de l’infraction aux falsifications affectant l’ensemble des biens artistiques et objets de collection, afin de protéger l’ensemble des supports ; l’alourdissement des peines, afin de les aligner sur celles applicables en matière d’escroquerie ; ou encore l’extension de l’infraction aux falsifications relatives à la datation, l’état ou la provenance d’une œuvre d’art, pour ne pas la limiter plus aux seules falsifications liées à la signature ou à la personnalité de l’artiste.

Plusieurs évolutions ont été apportées lors de l’examen du texte en commission la semaine dernière, afin de prendre en compte les échanges et remarques formulées au cours des auditions.

Ces dispositions vont dans le bon sens. Nous sommes pleinement convaincus de la nécessité de faire évoluer cette loi pour renforcer la lutte contre la fraude en matière artistique.

Nous en sommes ici à la première étape, avec cet examen en première lecture. Il est important, comme l’a indiqué le rapporteur, d’ajuster le texte et de l’enrichir au cours des prochaines étapes de la navette parlementaire, afin de prendre en compte les conclusions, très attendues, de la mission sur les faux artistiques lancée par le CSPLA.

Soyez en tout cas assurés de la disponibilité de mes équipes et de tous les services concernés du ministère de la culture pour travailler avec vous sur ce sujet dans les prochaines semaines.

Avant de conclure, je souhaite profiter de cette occasion pour revenir sur les inquiétudes exprimées ces derniers jours par un certain nombre d’acteurs du marché de l’art français, et par de nombreux artistes, à propos de l’impact d’une directive européenne sur la fiscalité des œuvres d’art en France. Je sais que c’est un sujet que vous suivez au sein de votre commission et je souhaitais vous apporter quelques éléments d’information.

Aujourd’hui, on ne le sait pas assez, le marché de l’art fonctionne avec deux dispositifs de TVA dérogatoires : un taux réduit, de 5, 5 %, à l’achat d’œuvres et, à la revente, un taux de 20 % ne s’appliquant qu’à la marge faite par le marchand.

La directive européenne d’avril 2022 interdit de cumuler deux dispositifs dérogatoires différents. Dès lors, quelles sont les possibilités ?

Si nous voulons maintenir un taux de TVA sur la seule marge à la revente, il faut rétablir à 20 % le taux à l’achat, ce qui rognerait les marges des galeristes. Si nous maintenons à 5, 5 % le taux à l’achat, nous ne pouvons plus appliquer la TVA sur la seule marge à la revente. Les œuvres risqueraient donc de se renchérir en France.

Mais la France peut décider que les œuvres d’art relèvent du taux réduit de bout en bout. Le taux de 5, 5 % s’appliquerait alors à l’achat et à la revente – sur le prix global. Cela maintient un système quasiment équivalent à l’actuel, puisqu’appliquer un taux de 5, 5 % sur le prix total revient à peu près au même que d’appliquer un taux de 20 % sur la marge.

Des expertises et simulations sont encore nécessaires pour avancer vers cette possibilité. C’est pourquoi, avec Gabriel Attal, nous venons de lancer une concertation avec les professionnels du secteur, pour qu’une décision soit prise avant l’été. L’objectif est d’aboutir à une disposition qui sera inscrite dans le projet de loi de finances pour 2024, afin qu’elle soit examinée par le Parlement cet automne, ce qui permettra d’achever, d’ici à la fin de l’année 2023, la transposition de cette directive.

Soyez en tous cas assurés que la ministre de la culture que je suis, comme l’ensemble du Gouvernement, suit très attentivement ce dossier et demeure très attachée à la compétitivité et au dynamisme du marché de l’art français, qui représente 50 % du marché de l’art de l’Union européenne !

Vu le nombre de galeries internationales qui s’installent à Paris, le dynamisme de nos musées, le succès des foires et la vitalité de la scène de l’art contemporain de notre pays, la France est véritablement aujourd’hui au centre du marché européen. Elle doit le rester. Elle peut le rester.

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