La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons déjà eu de nombreuses occasions de débattre et de légiférer sur notre système de santé ces dernières années.
Et pour cause, nous héritons aujourd’hui d’un système de soins dégradé après quarante années de politiques publiques, qui n’ont pas été à la hauteur des enjeux et qui n’ont pas permis d’anticiper les transformations de notre société.
La baisse du nombre de médecins engendrée par un numerus clausus beaucoup trop restreint, à des fins de régulation des dépenses de santé, a conduit à la pénurie actuelle.
Dans le même temps, le vieillissement de la population, ainsi que l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques ont aggravé la situation. Aujourd’hui, 72 % de la population vit dans une zone où l’offre de soins est insuffisante, soit 48 millions de Français.
Malgré le numerus apertus, les difficultés perdureront plusieurs années, en raison notamment du nombre élevé de médecins qui partiront à la retraite sans être remplacés. La nouvelle génération souhaite mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle, ce qui est légitime. Il faut désormais deux, voire trois médecins généralistes pour remplacer celui qui s’en va.
Cette réalité a naturellement suscité de nombreuses initiatives parlementaires. En règle générale, je suis sceptique sur l’empilement des textes visant à lutter contre la désertification médicale. Je suis surtout convaincue que les tentatives, nombreuses et répétées, de renforcer les obligations des professionnels ne réconcilieront pas les jeunes avec l’exercice de ce métier, devenu peu attrayant, même si dans le contexte actuel, la tentation est grande.
Cela étant, la présente proposition de loi vise à créer un nouvel outil, qui ne s’inscrit pas dans la logique de coercition et la logique financière habituelles, tout en permettant de dégager du temps médical. Elle autorise la mise à disposition de fonctionnaires dans les cabinets médicaux et les maisons de santé en zone sous-dense.
Les agents des trois fonctions publiques, si l’amendement du Gouvernement était adopté, pourraient ainsi réaliser des tâches de secrétariat, gérer l’accueil des patients et effectuer une partie du travail administratif.
Pour un jeune qui s’installe, le fait d’avoir à ses côtés, dès le départ, une personne de confiance qui connaît le territoire pourrait avoir un caractère incitatif et l’aider à s’installer rapidement.
La rémunération sera versée par l’administration d’origine, puis remboursée par le médecin : il s’agira donc d’une opération neutre pour les finances de la collectivité, en plus d’être facultative et temporaire. Le contrat pourrait également prévoir que le remboursement du salaire soit décalé dans le temps.
La commission a souhaité fixer certaines limites, bienvenues, à ce nouvel outil, en créant un dispositif d’amorçage d’une durée maximale de neuf mois, uniquement dans les cabinets libéraux récemment installés, le tout dans le cadre d’une participation du médecin à la permanence des soins ambulatoires.
Ces précisions et contreparties devraient rassurer ceux qui craignent de voir les agents publics se substituer durablement aux personnels que le médecin pourrait recruter.
La question de la désertification médicale inquiète les élus locaux. De nombreuses initiatives ont déjà été mises en œuvre par les élus pour améliorer l’accès aux soins. Notons que les collectivités locales sont à l’origine de la création de 23 % des centres de santé à activité médicale.
Les auteurs de ce texte veulent donner des moyens nouveaux et supplémentaires aux élus pour agir en matière de santé, en s’attaquant de manière pragmatique à la question de la charge administrative, qui est un réel problème.
La mesure proposée permettra de compléter les dispositifs existants mis en place par la Cnam et les ARS. Elle contribuera également à soutenir les efforts déjà déployés par les élus locaux, qui ne ménagent ni leur temps ni leur énergie pour offrir un cadre de vie agréable aux médecins.
On le sait, seule une politique globale visant à rendre les territoires plus attractifs, en jouant sur l’emploi, le logement, les transports, sera en mesure de garantir une meilleure répartition de l’offre de soins, même si nous savons tous que le nerf de la guerre reste le nombre de médecins formés.
La proposition de loi apportera une réponse à certaines collectivités territoriales qui, aujourd’hui, peuvent aider leurs médecins salariés – c’est le cas dans certaines maisons de santé –, mais qui ne peuvent pas, même de manière temporaire, le faire pour les médecins libéraux, y compris quand les deux statuts coexistent au sein d’une même structure – l’un de mes collègues sénateurs m’a récemment fait part d’un exemple de cet ordre.
J’ai conscience qu’il existe des points de vigilance dans ce contexte de pénurie de médecins, notamment le fait que ce nouveau dispositif pourrait créer une concurrence entre territoires et un effet d’aubaine.
Toutefois, attaché à la décentralisation, convaincu que les leviers d’action doivent être actionnés à l’échelon des territoires, le groupe du RDSE soutiendra cette proposition de loi.
Mme Véronique Guillotin. Certes, comme certains d’entre vous l’ont dit, elle ne résoudra pas à elle seule le problème de la désertification médicale, mais elle offre un outil supplémentaire, facultatif, transitoire, qui ne comporte aucun risque et ne fait aucun perdant.
Applaudisseme nts sur les travées des groupes RDSE et INDEP.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, la problématique de la désertification médicale est l’une de celles qui reviennent le plus souvent ces derniers mois au centre des débats de la Haute Assemblée.
En plus d’être une préoccupation majeure de nos concitoyens, elle est celle des sénatrices et des sénateurs que nous sommes, l’ensemble des territoires ruraux, périurbains et urbains, étant confrontés aujourd’hui à une démographie médicale en baisse et, donc, à un temps médical devenu très précieux.
Face à ce constat alarmant, les élus locaux, de très bonne volonté, se retrouvent bien souvent désemparés. Pourtant, ils continuent d’être force de proposition, afin de créer les conditions nécessaires et favorables à l’installation dans leurs territoires de professionnels de santé et, plus particulièrement, de médecins généralistes.
Ce texte s’ajoute à la panoplie des propositions faites au sein de cette assemblée en matière de lutte contre la désertification médicale. Il prévoit d’étendre le dispositif de mise à disposition des fonctionnaires territoriaux aux cabinets médicaux et aux maisons de santé. Cela permettrait aux médecins souhaitant s’installer dans une zone sous-dotée de ne pas avoir à s’occuper temporairement du recrutement et de la rémunération du personnel administratif.
Si nous comprenons l’objectif visé par les auteurs de cette proposition de loi, qui a pour objet de répondre à certaines situations, sa mise en œuvre nous laisse songeurs.
Même si le texte a été amendé en commission, reconnaissons que l’installation d’un médecin, généraliste par exemple, ne s’improvise jamais et qu’elle se programme au contraire plusieurs mois à l’avance.
Le recrutement du personnel administratif pourrait donc parfaitement faire l’objet de la réflexion à mener par le praticien dans ce laps de temps, surtout si un accompagnement de la collectivité est prévu, notamment sous la forme de la recommandation de candidats susceptibles d’être recrutés, sans que ceux-ci soient des agents de la collectivité en question.
Nous avons bien sûr entendu l’exemple cité par notre collègue Véronique Guillotin de médecins exerçant sous des statuts différents – médecins libéraux ou salariés – au sein d’un même organisme, mais, au regard du temps dont un médecin a besoin pour planifier son installation, il me semble que cette proposition de loi n’est pas forcément pertinente.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains, bien que sensible à l’objectif visé, votera contre cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, 49 millions d’habitants vivent dans un désert médical, soit 72 % de la population française.
Certes, notre population est vieillissante, mais nous avons formé moins de soignants. Des experts ont pensé faire des économies sur le système de santé, tout en gagnant en innovation et en efficacité.
Au contraire, la gouvernance s’en est trouvée alourdie et a contribué à rigidifier beaucoup de procédures. Le cloisonnement entre l’exercice en libéral et à l’hôpital s’est par ailleurs renforcé.
Les conséquences de cette politique sont bien connues : allongement des délais pour obtenir un rendez-vous, au risque d’une dégradation de l’état de santé du patient, déport des consultations vers les urgences médicales, difficultés, pour le moins, de trouver un médecin traitant et, donc, rupture du parcours et de la permanence des soins, pourtant garantis par la loi…
Si nous partageons ce constat, nous partageons également la responsabilité de résoudre ce problème.
Certaines réponses ont été apportées. Je pense notamment à la création d’une quatrième année d’internat de médecine générale, consacrée à des stages en cabinet médical, en priorité dans les zones médicalement tendues. Cette proposition, formulée initialement par le président Retailleau est de bon aloi et attendue. Toutefois, il nous faut encore en attendre les premiers effets.
Mes chers collègues, cette situation nous oblige à accueillir toute initiative avec responsabilité. Il n’est pas question de se priver d’outils qui se révéleront utiles.
La proposition de loi examinée aujourd’hui est l’un de ces outils. Déposée par notre collègue Dany Wattebled, elle comporte un article unique qui prévoit la mise à disposition d’agents auprès de cabinets médicaux et de maisons de santé par les collectivités territoriales.
En début d’année, lors de ses vœux aux acteurs de la santé, le Président de la République a précisé que « les médecins généralistes doivent pouvoir se concentrer sur la santé, et rien que sur la santé ». Ce texte pourrait permettrait de tendre vers cette ambition.
Toutefois, il n’est pas question de déléguer la gestion administrative des cabinets médicaux aux collectivités territoriales. À cet égard, je tiens à saluer le travail du rapporteur, le docteur Daniel Chasseing qui, fort de sa connaissance du monde médical en milieu rural, a su donner à cette proposition de loi une orientation précise.
Il faut comprendre ce texte comme l’ouverture d’une possibilité pour les collectivités territoriales volontaristes. Il s’agit de leur donner la faculté de mettre à disposition un agent, pendant une courte période, soit trois mois, renouvelable deux fois, auprès d’un cabinet médical ou d’une maison de santé. Le traitement de l’agent sera naturellement remboursé ultérieurement par la structure d’accueil.
Ce dispositif pourrait n’être utilisable que lorsqu’un nouveau médecin arrive, et si celui-ci exerce la mission de service public de permanence des soins.
Ce dernier point est très important. La permanence des soins est au fondement de notre réflexion sur la lutte contre la désertification médicale. Elle doit être l’affaire de toutes et de tous. Les élus locaux souhaitent légitimement pouvoir assurer cette mission de service public sur leurs territoires. Nous devons les accompagner dans cette démarche.
Vous le savez, mes chers collègues, je suis un ardent défenseur de l’initiative parlementaire. Les expériences sur le terrain, en contact direct avec les élus locaux et nos concitoyens, nous conduisent à élaborer et à proposer des évolutions législatives ayant pour objectif de répondre à des difficultés concrètes. Le texte proposé par notre collègue Dany Wattebled s’inscrit dans cet esprit.
J’ai relevé les propos de certains des orateurs m’ayant précédé à cette tribune, notamment lorsqu’ils ont évoqué les compétences et le nécessaire respect de la confidentialité par les personnels des collectivités territoriales. Mes chers collègues, nous leur avons fait confiance quand il s’est agi de mettre en place les agences postales dans une situation similaire ; nous leur avons également fait confiance pour mettre en œuvre nos décisions lorsqu’il s’est agi de lutter contre la covid-19.
Alors, ne manquons pas l’occasion de créer un nouveau levier pour lutter contre la désertification médicale. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera naturellement cette proposition de loi !
Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’accès aux soins dans les territoires, particulièrement ruraux, est un problème majeur dont vous avez tous une conscience aiguë – je ne vous apprends rien.
Face à cette situation, chaque élu, qu’il soit local ou national, cherche des solutions. Ce sont parfois des propositions de réformes structurelles, parfois simplement des outils pratiques, mais qui peuvent faire la différence et permettre d’accueillir de nouveaux soignants.
Dans cet esprit, notre collègue Dany Wattebled, peut-être inspiré par une situation concrète ou par son expérience du terrain, nous fait une proposition intéressante.
En prenant exemple sur les partenariats qui ont pu être établis, par exemple entre les collectivités et La Poste, afin de garantir un maillage territorial et une proximité, pourquoi ne pas mettre à disposition d’un cabinet médical ou d’une maison de santé, de façon temporaire et remboursable, un agent communal ?
En dépit de leur nombre, les outils financiers et fiscaux, aides de diverses natures déjà en place, ne parviennent plus à déclencher chez les jeunes praticiens la décision d’installation. C’est une vraie difficulté !
Ces étudiants en fin de cursus, au moment de franchir le grand pas vers l’exercice en autonomie, en indépendance et sous leur propre responsabilité, sont souvent angoissés par des questions pratiques, qui peuvent les amener à reculer. Concrètement, qui pour décrocher le téléphone le premier jour ? Connaître la population locale, le contexte social ? Éventuellement, pouvoir indiquer les lieux et les adresses des patients ?
Personnellement, je me souviens, pour avoir accueilli sur ma commune nivernaise un nouveau médecin arrivant de Belgique, de l’aide précieuse de mon adjoint d’alors, facteur retraité, qui l’accompagnait bénévolement dans ses premières tournées. Ce même médecin, n’ayant pas pu s’occuper de recruter une collaboratrice et ne connaissant personne de confiance, décrochait lui-même le téléphone au cours des premières semaines d’installation, ce qui lui faisait perdre beaucoup de temps.
Lorsqu’un médecin arrive dans une commune, particulièrement rurale, l’équipe municipale au sens large fait un véritable service d’accompagnement dans les premières semaines, et c’est une des conditions d’une installation réussie. Dès lors, permettre la mise à disposition d’un agent public d’accueil connaissant le territoire et ses habitants, afin de faire un lien, aider à la prise de contact pendant une période d’« amorçage », me semble un outil intéressant, et même assez évident.
Les soucis d’ordre pratique font partie des critères poussant les candidats à l’installation vers le salariat plutôt que vers l’exercice libéral. Ils nous le disent. Ils apprécient, au moins dans les premiers temps, d’être épaulés et déchargés de certaines contingences matérielles.
Évidemment, cette facilité ne réglera pas, malgré son titre prometteur, nos problèmes dramatiques de désertification médicale. Il faudrait pour cela bien d’autres outils, et il faudrait surtout beaucoup plus de médecins, un plan massif de formation.
Les médecins sont désormais tellement rares, la pression est devenue telle sur les épaules des étudiants en fin de cursus que ces derniers sont écrasés par les demandes, les attentes, les offres, la responsabilité. On leur propose des primes, des surprimes, des avantages matériels, et dans le même temps on les insécurise, on les terrorise, on les fait fuir.
Ce n’est pas en formant 15 % de médecins en plus qu’on sortira de cette surenchère malsaine et contre-productive.
Il faut des outils sécurisants, mais surtout une vraie décision politique qui n’a pas encore été prise. Les jeunes Français vont toujours apprendre la médecine en Roumanie ou en Espagne…
Vous aurez compris, mes chers collègues, que cet outil est un outil de plus, et nous y sommes favorables. En l’occurrence, qui peut le plus peut le moins !
J’espère seulement que l’expression « maison de santé » sera entendue au sens large, avec ou sans médecin, car il est évident que tous les autres professionnels de santé nous sont également précieux. Infirmiers, dentistes, kinésithérapeutes, pharmaciens : tous devraient pouvoir bénéficier des mêmes facilités.
Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le rapporteur applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le présent texte tend à apporter une nouvelle solution à la désertification médicale, sujet déjà traité au cours des derniers mois, à travers les projets de loi de financement de la sécurité sociale et d’autres propositions de loi. Je pense notamment à la proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale, adoptée le 18 octobre 2022.
Le constat de la désertification médicale a déjà été longuement abordé dans cet hémicycle.
Le texte que nous examinons aujourd’hui, comme cela a déjà été rappelé, vise à autoriser la mise à disposition de fonctionnaires territoriaux auprès de cabinets médicaux ou de maisons de santé.
La possibilité offerte aux collectivités territoriales de mettre temporairement à disposition un agent public constituerait un nouveau levier d’attractivité médicale pour les territoires, en allégeant les contraintes financières et administratives qui pèsent sur l’installation des médecins. L’accompagnement serait prévu sur toute la durée de l’installation en zone sous-dense. Le fonctionnaire territorial pourrait, éventuellement, être chargé de l’accueil de la patientèle.
Si cette solution, visant à favoriser l’implantation de médecins dans les déserts médicaux, est louable, les moyens choisis interrogent. Malgré les améliorations apportées par le rapporteur Daniel Chasseing pour clarifier le caractère transitoire et temporaire du dispositif, celui-ci appelle des réserves.
En effet, le recours aux ressources humaines d’une collectivité locale pour la gestion d’un secrétariat médical soulève de nombreuses interrogations sur la formation professionnelle et les risques d’incompatibilités avec le statut du fonctionnaire, les filières et cadres d’emploi.
La proposition de loi ne traite pas la nature des missions qui pourraient être confiées au fonctionnaire territorial. Qu’il s’agisse de la responsabilité juridique de l’employeur et de la garantie du secret médical, le dispositif proposé ne paraît pas d’une opérationnalité optimale.
J’ajoute à cela les réserves émises par les associations d’élus locaux lors de leurs auditions sur différents points : les difficultés de recrutement rencontrées par les collectivités dans les métiers susceptibles d’être concernés par la mise à disposition ; le risque de doublon avec d’autres dispositions existantes, notamment la fonction d’assistant médical, ou d’inadéquation entre la formation des personnels mis à disposition et les besoins des cabinets médicaux ; les effets pervers de concurrence entre les collectivités en matière d’attractivité médicale.
Outre ces réserves, j’attire aussi votre attention sur les solutions existantes. Je rappelle, par exemple, que nous avons amélioré, simplifié et renforcé la coordination de l’installation des professionnels de santé, en harmonisant les dispositifs d’aide à l’installation dans l’article 24 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
De plus, les expériences locales peuvent aussi être source d’inspiration. En ce sens, j’évoquerai rapidement la politique d’attractivité expérimentée en Aveyron depuis 2010 pour inciter les médecins de médecine générale à s’installer.
L’implication des médecins en exercice et du Conseil de l’ordre des médecins a été cruciale dans la définition d’une politique d’attractivité médicale qui a emporté, dès ses débuts, l’adhésion de l’ARS. Aborder la désertification médicale recommande une approche globale et partagée à l’échelle d’un territoire.
La stratégie repose sur un accompagnement de la profession : d’abord, en favorisant l’accueil de stagiaires par la promotion des terrains de stage, par l’intégration des stagiaires et par une aide financière au transport et au logement des internes éloignés de leur résidence ; ensuite, en soutenant l’établissement de maisons de santé pluriprofessionnelles, adossées à un projet de santé ; enfin, en créant un guichet unique d’accompagnement à l’installation.
Le succès repose sur une coordination inédite de tous les acteurs. La cellule d’accueil des médecins s’est imposée progressivement comme un interlocuteur privilégié. Elle réunit plusieurs acteurs, dans une approche partenariale volontariste et informelle.
Depuis 2011, il y a eu 105 installations de médecins généralistes en Aveyron, pour 107 départs.
Au vu de ces éléments, nous sommes très réservés sur cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte tend à mettre un nouvel outil à la disposition des collectivités territoriales, comme cela a été dit précédemment. La rédaction de l’article unique issue des travaux de la commission répond aux inquiétudes que celle-ci avait soulevées.
À ce sujet, s’agissant de la concurrence que l’on pourrait constater entre les communes, il faut souligner qu’elle existe déjà. Les collectivités territoriales financent les installations, accordent des aides – dans le département de l’Indre, ce sont 30 000 euros qui sont proposés et viennent se conjuguer avec des aides nationales, par exemple pour les zones de revitalisation rurale, les ZRR. N’oublions pas que les collectivités territoriales financent aussi la construction de maisons de santé, même si, comme je le dis souvent, le parpaing ne fait, hélas ! pas le médecin…
Ce texte vient donc aider temporairement à l’installation des médecins, en permettant aux maisons de santé et cabinets libéraux en zone sous-dense de bénéficier d’une mise à disposition de fonctionnaires territoriaux, qui, connaissant bien leur territoire et ses habitants, pourront parfaitement offrir un accompagnement dans la gestion quotidienne du cabinet médical.
Les médecins manquent partout en France, madame la ministre. Certes, vous n’êtes pas responsable des mauvaises décisions prises par les précédents gouvernements en matière de formation. En revanche, vous êtes responsable du bon fonctionnement du centre national de gestion – le CNG –, qui, disons-le franchement, ne fonctionne absolument pas ! De par son opacité – aucune information – et son inefficacité dans la gestion des dossiers – les commissions ne se réunissent que très rarement –, le CNG bloque la possibilité pour des milliers de médecins, français ou étrangers, ayant des diplômes hors Union européenne de s’installer dans les territoires, notamment ruraux, s’ils le souhaitent, et je précise que c’est le cas !
Entre octobre 2020 et octobre 2021, ce sont 4 500 dossiers qui ont été déposés auprès des ARS pour validation par le CNG, après un parcours de consolidation de un à deux ans dans les hôpitaux, ce qui offre une main-d’œuvre peu chère. Seulement quelques centaines de dossiers avaient reçu un avis favorable du CNG au début de l’année 2022. Des années d’attente, donc, pour ces professionnels, avec des examens au compte-gouttes et très peu de validations. Je connais personnellement de nombreux cas.
Madame la ministre, il y a urgence dans toutes les spécialités. Nos territoires se meurent, car aujourd’hui, en France, les Français ne sont pas soignés. Palliez donc le manque d’organisation et de disponibilité des ARS et des jurys du CNG, manque reconnu dans cet hémicycle par votre prédécesseur !
Peut-être faudrait-il abandonner totalement ce système, qui, d’ailleurs, n’a pas été retenu par le ministre de l’intérieur pour la création, dans le cadre du futur projet de loi sur l’immigration, de la carte de séjour « talent-professions médicales et de la pharmacie ». L’administration centrale de votre ministère pourrait alors reprendre en charge – elle le faisait par le passé – toutes ces demandes d’homologation, dont les médecins et professionnels de santé ont tant besoin, et la France aussi !
Applaudissements sur des travée s du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chacun ici – cela va sans dire – mesure l’impact de la désertification médicale pour nos concitoyens et, incidemment, pour nos collectivités. Les conséquences sont nombreuses : urgences débordées, renoncement aux soins et, en conséquence, dégradation de l’état médical ou rupture du parcours de soins.
Désormais, comme cela a déjà été observé, 72 % de la population habite dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins ; 12 % dans un désert médical à proprement parler.
Dans mon département de la Haute-Savoie, le phénomène est amplifié du fait de la proximité avec la Suisse, qui entraîne une hausse du coût de la vie décourageant les professionnels de santé à s’y installer, mais aussi une fuite chez nos voisins helvétiques.
Certaines communes désespèrent de trouver des médecins. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai remarqué que l’une d’entre elles en était même venue à installer des panneaux à l’entrée du village, indiquant qu’elle cherchait désespérément un médecin généraliste.
Le problème de fond est celui du manque de médecins. Il est désormais identifié et des mesures ont été prises à l’échelon national pour y remédier, comme la fin du numerus clausus. Mais les effets ne seront pas tangibles avant quelques années… Dans l’attente, je suis plutôt favorable à ce que nous prévoyions des dispositifs complémentaires, en particulier s’ils offrent de nouveaux leviers aux collectivités volontaristes sur le sujet.
Nombre d’entre elles le sont déjà, malgré le peu d’outils à leur disposition. Elles créent des maisons de santé, mettent à disposition des locaux et offrent des aides financières aux nouveaux médecins qui s’installent. Il faut les en féliciter, tout en étant vigilants sur les possibles tendances à la surenchère de certains professionnels.
J’accueille donc plutôt positivement la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, visant à permettre aux collectivités de mettre des fonctionnaires territoriaux à disposition de cabinets médicaux et de maisons de santé dans les zones sous-denses. Elle ajoute une corde à l’arc des collectivités, et va dans le sens de la décentralisation et de la confiance en nos élus locaux pour être force de proposition.
Les modifications adoptées par la commission me semblent bienvenues, car elles viennent border le dispositif dans le but d’en faire une aide temporaire à l’installation de nouveaux médecins, qui pourraient y avoir recours pour un appui administratif ou pour la coordination avec d’autres professionnels de santé du territoire. De même, conditionner la mise à disposition à une participation à la permanence des soins ambulatoires permet de clarifier le lien avec le service public nécessaire à toute mise à disposition.
Le fait qu’il s’agisse d’une simple faculté et qu’il n’y ait pas d’impact financier pour la collectivité puisque les salaires devront être remboursés engendre une souplesse qui pourrait être appréciée par les médecins, comme par les collectivités. Par ailleurs, la crainte d’une concurrence entre communes me paraît infondée, dès lors que le dispositif est temporaire et qu’il interviendrait seulement après la prise de décision d’installation par le médecin.
Je voterai donc en faveur de ce texte, ma seule réserve étant que, compte tenu des difficultés rencontrées par les collectivités pour recruter, il est nécessaire que sa mise en œuvre aille de pair avec un travail sur l’attractivité de la fonction publique.
Enfin, avant de conclure, je tiens à insister sur le fait que la mise en place d’outils à destination des collectivités pour participer à la lutte contre les déserts médicaux ne doit pas conduire l’État à se dédouaner de sa responsabilité. C’est à lui que revient en premier lieu le rôle de trouver des solutions, et beaucoup reste encore à faire pour clore ce chapitre. Cela passera nécessairement par une différenciation en fonction des spécificités des territoires, par exemple, pour mon département, la mise en place d’établissements de santé et de formation transfrontaliers, une meilleure prise en charge des soins réalisés dans l’autre pays ou encore une prise en charge des frais de scolarité des personnels de santé en contrepartie d’un engagement à exercer un certain nombre d’années en France.
Je suis d’ailleurs, madame la ministre, à votre entière disposition pour échanger sur ces propositions.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Marc applaudit également.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, voilà plusieurs années que j’interviens dans cet hémicycle pour alerter sur la désertification médicale, notamment dans les territoires d’outre-mer, où la densité de médecins est très inférieure à la moyenne nationale.
Je commencerai mon intervention par une illustration, que ma collègue Victoire Jasmin connaît bien : l’année dernière, en Guadeloupe, l’île de la Désirade souffrait d’une absence totale de médecin. Aujourd’hui, malgré l’ouverture récente d’un centre de santé, et la présence quelques jours par semaine d’un médecin, l’offre de soins y demeure très insuffisante et la population rencontre une forte difficulté d’accès aux soins.
Ce territoire souffre, en effet, de sa double insularité et des difficultés d’accès qui en découlent, tout comme les deux îles des Saintes – Terre-de-Bas et Terre-de-Haut – et Marie-Galante.
Classée au quatrième rang des régions françaises ayant les densités de médecins généralistes libéraux les plus faibles, la Guadeloupe est donc bien un véritable désert médical.
Toutefois, nous misons beaucoup sur les maisons de santé qui se développent dans les communes pour attirer et fidéliser les médecins, et également, dans les prochaines années, sur les premiers résultats de la faculté de médecine de plein exercice aux Antilles.
Je tiens à saluer le rapport réalisé par nos collègues Patricia Schillinger et Philippe Mouiller, en octobre 2021, qui préconise de bâtir des centres ou maisons de santé « partenariaux », en étroite concertation entre les élus locaux et les professionnels de santé, ainsi que le renforcement des liens entre les collectivités territoriales et les facultés de médecine.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, dans le cadre de la niche réservée au groupe Les Indépendants - République et Territoires, s’inscrit dans cette dynamique, en permettant l’élargissement de la liste des entités susceptibles d’accueillir un agent public aux cabinets médicaux et aux maisons de santé.
Cette mesure renforcera la boîte à outils mise à la disposition des acteurs locaux pour agir concrètement sur l’accès aux soins.
Si nous émettions quelques réserves en commission, nous saluons la réécriture globale de l’article unique sur la proposition du rapporteur, qui permet d’établir un équilibre en encadrant la durée potentielle de recours au dispositif et en le conditionnant à une installation récente des médecins exerçant en cabinet libéral.
Le dispositif a en effet pour principale vocation d’accompagner les médecins à leur arrivée et les inciter à s’installer sur un nouveau territoire.
Il nous faudra toutefois être vigilants sur les phénomènes de concurrence entre territoires, car il pourrait y avoir un risque que certains d’entre eux multiplient les dispositifs incitatifs, quand d’autres ne pourront rien proposer par manque de moyens. Il ne faudrait pas que la multiplication des dispositifs, sans vision systémique et globale, entraîne une nouvelle hiérarchisation locale.
Malgré cela, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. Tout dispositif visant à multiplier les leviers d’action pour répondre à l’une des attentes les plus essentielles de nos concitoyens doit effectivement être encouragé.
Je voudrais tout d’abord rappeler à l’attention d’Annie Le Houerou que le dispositif proposé est ponctuel.
S’il faut bien sûr une formation médicale et une connaissance des termes médicaux, pour travailler dans le cabinet d’un médecin spécialiste, ici la situation est tout autre. Ce que l’on demande, c’est simplement d’avoir quelqu’un pour prendre les appels, en plus du recours éventuel à une plateforme, pour accueillir la patientèle, pour renseigner le médecin quand celui-ci a des visites à faire sur le territoire – qu’il ne connaît pas, notamment s’il est étranger. Et, j’y insiste, il s’agit d’une aide totalement ponctuelle.
Lorsque j’ai parlé de coordination, ce terme était à prendre entre guillemets… Comme vous le savez, le médecin est un peu le chef d’orchestre dans la maison de santé. Des documents vont donc lui être demandés, parfois par les pharmaciens, mais surtout par les infirmiers, le kinésithérapeute, les orthophonistes, la pédicure, etc. Je pense, par exemple, à des certificats à renouveler. Or le médecin n’est pas toujours disponible pour rencontrer ces professionnels paramédicaux, d’où la possibilité que la personne mise à disposition se charge de collecter et traiter ces demandes.
Vous avez évoqué la CPTS, madame Le Houerou… Il faut voir un médecin pour pouvoir participer à une CPTS. Sans médecin, pas de CPTS !
Concernant l’intervention de Laurence Cohen, l’évolution du numerus clausus portera ses fruits en 2030. Il aurait fallu, en effet, que celle-ci intervienne beaucoup plus tôt.
Je voudrais par ailleurs remercier Jocelyne Guidez de son intervention – et j’entends sa remarque sur le secret médical –, ainsi que Véronique Guillotin, qui a exprimé des sentiments de médecin de terrain.
J’en viens aux propos de Corinne Imbert. Bien sûr, une installation se décide plusieurs mois avant qu’elle n’ait lieu. Mais, prenons le cas d’un médecin étranger : à son arrivée, il lui faut un logement, il ne connaît absolument pas le secteur et, malheureusement, tout le monde n’a pas la chance de profiter d’un travail en amont tel que celui que le département de l’Aveyron a réalisé, et que je salue. C’est pourquoi on doit pouvoir proposer cet accompagnement, qui, je le répète encore, est ponctuel.
Merci aussi à Nadia Sollogoub, qui nous a livré la vision d’une élue rurale, …
… ainsi qu’à notre collègue de l’Aveyron, Jean-Claude Anglars. Je voudrais lui dire qu’il ne s’agit pas d’un doublon : dès l’arrivée d’un assistant médical ou d’une secrétaire, la personne s’en va évidemment. De nouveau, c’est ponctuel.
C’est ce que Nadine Bellurot a souligné, et je suis également d’accord avec ses propos sur l’homologation.
Pour réagir à ceux de Cyril Pellevat, je confirme que ce nouveau levier est en effet une marque de confiance envers les élus locaux. Comme il l’a remarqué, nous avons ajouté – je l’ai proposé, et la commission m’a suivi – une condition de participation à la permanence des soins ambulatoires. Le médecin doit s’y engager.
Enfin, je remercie Dominique Théophile de son intervention. Il n’y a pas de concurrence entre les communes et les territoires, du fait du remboursement obligatoire.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Le code général de la fonction publique est ainsi modifié :
1° L’article L. 512-13 est complété par des 3° et 4° ainsi rédigés :
« 3° D’un médecin exerçant dans un cabinet libéral situé dans les zones mentionnées au 1° de l’article L. 1434-4 du code de la santé publique, sous réserve que celui-ci ait changé de résidence professionnelle depuis moins de trois mois et participe à la mission de service public mentionnée à l’article L. 6314-1 du même code ;
« 4° D’une maison de santé mentionnée à l’article L. 6323-3 dudit code située dans les zones mentionnées au 1° de l’article L. 1434-4 du même code, sous réserve que plus de la moitié des médecins y exerçant participent à la mission de service public mentionnée à l’article L. 6314-1 du même code. » ;
2° Après l’article L. 512-13, il est inséré un article L. 512-13-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 512 -13 -1. – Lorsque le fonctionnaire est mis à disposition auprès d’un organisme d’accueil mentionné aux 3° ou 4° de l’article L. 512-13, la mise à disposition est prononcée pour une durée maximale fixée par décret et ne pouvant excéder trois mois, renouvelable dans des conditions fixées par décret dans la limite de deux fois. »
L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code général de la fonction publique est ainsi modifié :
1° Au dernier alinéa de l’article L. 512-7, les mots : « au titre des 6°, 7° et 8° » sont remplacés par les mots : « au titre des 6° et 7° » ;
2° L’article L. 512-8 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« 8° D’un médecin exerçant dans un cabinet libéral situé dans les zones mentionnées au 1° de l’article L. 1434-4 du code de la santé publique, sous réserve que celui-ci ait changé de résidence professionnelle depuis moins de trois mois et participe à la mission de service public mentionnée à l’article L. 6314-1 du même code ;
« 9° D’une maison de santé mentionnée à l’article L. 6323-3 du code de la santé publique située dans les zones mentionnées au 1° de l’article L. 1434-4 du même code, sous réserve que plus de la moitié des médecins y exerçant participent à la mission de service public mentionnée à l’article L. 6314-1 dudit code. » ;
3° Après l’article L. 512-8, il est inséré un article L. 512-8-… ainsi rédigé :
« Art. L. 512 -8 -… – La mise à disposition prévue aux 8° et 9° de l’article L. 512-8 est prononcée pour une durée qui ne peut excéder trois mois, renouvelable deux fois dans la limite d’une durée totale de neuf mois. »
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Il s’agit d’un amendement de réécriture globale de l’article unique de la proposition de loi, visant notamment à clarifier la rédaction, en permettant aux fonctionnaires des trois versants de la fonction publique de participer au dispositif.
Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, le Gouvernement soutient cette proposition de loi qui, certes, n’est pas une révolution, mais apporte une réponse.
Nous souhaitons apporter des réponses pragmatiques, mesdames, messieurs les sénateurs ; de fait, le vote de cette proposition de loi apporterait une réponse pragmatique. Il n’y a pas d’obligation – l’accompagnement est facultatif – et il n’y a pas d’engagement de moyens financiers publics par les collectivités territoriales – il s’agit d’une avance.
J’entends les messages envoyés par les associations d’élus, par exemple la difficulté dans laquelle certains se trouvent pour recruter, y compris des secrétaires de mairie. Mais on doit aussi pouvoir faciliter l’installation de médecins : quand on arrive dans un territoire qu’on ne connaît pas, madame Imbert, on peut juste avoir besoin d’une personne pendant trois mois pour nous faire connaître le territoire ou prendre en charge quelques tâches le temps de réaliser les embauches nécessaires.
Ce texte n’est pas une révolution, nous sommes tous très clairs sur ce point. Il s’agit juste d’une proposition pragmatique permettant de lever les freins à l’installation, et nous souhaitons l’accompagner.
Contrairement à ce que sa rédaction et son objet pourraient laisser penser, cet amendement ne modifie que très partiellement le dispositif adopté la semaine dernière par la commission des affaires sociales.
Je constate que le Gouvernement a conservé les modifications apportées, sur mon initiative, pour clarifier le dispositif : celui-ci demeure limité aux organismes participant à une mission de service public, conditionné à une installation récente des professionnels libéraux et son recours encadré dans le temps.
Le seul objet du présent amendement est d’ouvrir la mise à disposition des fonctionnaires auprès de cabinets médicaux ou de maisons de santé en zone sous-dense aux trois versants de la fonction publique, et non plus à la seule fonction publique territoriale.
À titre personnel, je n’y voyais que des avantages. L’adoption d’une telle mesure donnerait une ampleur supplémentaire au dispositif, lui permettant d’atteindre avec plus d’efficacité son objectif de lutte contre la désertification médicale. Par ailleurs, un tel amendement montre bien que cette lutte contre la désertification médicale n’est pas à la seule charge des collectivités territoriales, mais qu’elle constitue bien une responsabilité partagée.
La commission a émis des réserves sur ce dispositif, eu égard, notamment, aux difficultés de recrutement rencontrées par les employeurs hospitaliers, qui limiteraient la portée de l’amendement. Son avis est donc défavorable.
Je vais mettre aux voix l’amendement n° 1 de rédaction globale de l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
L’adoption de cet amendement vaudrait adoption de l’ensemble de la proposition de loi.
La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour explication de vote.
Quand on y regarde bien, mes chers collègues, nous sommes tous favorables à la lutte contre la désertification médicale. Mais on voit bien, aussi, que nos collectivités font face à des difficultés et, quand l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et l’Assemblée des départements de France (ADF) sont hostiles à cette proposition, nous, qui représentons les collectivités, nous ne pouvons pas accepter n’importe quoi.
Pourquoi, dans mon territoire, et plus généralement en outre-mer, le recours aux contrats de redressement en outre-mer (Corom) s’accroît ? C’est parce que, justement, les collectivités ont des difficultés budgétaires. On ne peut pas être incohérent à ce point !
Je voterai donc contre ce texte, tout comme mon groupe a indiqué qu’il le ferait.
Il y a d’autres possibilités, mes chers collègues. Faisons en sorte de réfléchir à des systèmes cohérents, pertinents et efficients – pas à du bricolage !
Cette proposition de loi est volontariste, mais nous ne pouvons pas accepter n’importe quoi. Après avoir entendu l’ensemble des collègues qui se sont exprimés, je crois que nous devons réfléchir encore pour trouver les meilleures solutions possible. Il faut éviter le pire dans nos territoires – c’est vrai –, mais nous ne pouvons pas accepter une telle proposition, compte tenu de la situation actuelle de nos collectivités.
Personnellement, j’estime que cette réécriture conforte notre proposition de loi en ouvrant les maisons de santé et les cabinets libéraux aux trois versants de la fonction publique. La mise à disposition de ce personnel, qu’il soit territorial, médical ou d’État, n’est qu’un plus, d’autant que la liberté de choix sera toujours garantie.
Je suis donc très favorable à cet amendement.
Mes chers collègues, je le répète, il n’y aura pas de concurrence entre les communes et, financièrement, ces dispositions seront complètement neutres. Vous le savez très bien, si un agent public va travailler dans un cabinet médical ou dans une maison de santé, cela donnera obligatoirement lieu à un remboursement.
Je mets aux voix l’amendement n° 1.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 253 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative aux outils de lutte contre la désertification médicale des collectivités.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?…
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 254 :
Le Sénat n’a pas adopté.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à quinze heures vingt, est reprise à seize heures.
Madame la présidente, lors du scrutin n° 254 sur l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative aux outils de lutte contre la désertification médicale des collectivités, M. Pellevat souhaitait voter pour.
Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Mon rappel au règlement, qui porte sur l’organisation de nos travaux, se fonde sur les articles 44, alinéa 3, et 49, alinéa 3, de la Constitution.
Quelle violence est faite au Parlement : après avoir bloqué, avec la complicité de la droite, le vote au Sénat pour accélérer les débats, le Gouvernement, sur ordre d’Emmanuel Macron, vient d’engager l’article 49.3 de la Constitution pour éviter la sanction de l’Assemblée nationale, qui s’apprêtait à rejeter le projet de réforme des retraites.
Ainsi, le Gouvernement est seul : les salariés rejettent massivement son texte ; l’opinion publique est vent debout ; l’unité intersyndicale est totalement contre lui. Et, maintenant, l’Assemblée nationale refuse de s’engager à ses côtés, malgré les tentatives honteuses de débauchage de certains députés.
Dans sa solitude, l’exécutif pousse encore plus loin l’autoritarisme. Il a commencé en corsetant les débats avec l’article 47-1. Il finit en interdisant le débat et le vote à l’Assemblée nationale. L’insincérité et l’illégitimité du débat sont totales.
Emmanuel Macron et le Gouvernement devront répondre devant le peuple de ce coup de force démocratique. Ce gouvernement ne peut plus rester aux affaires. Il sème le chaos dans le pays.
La voix de la raison, la voix de la sagesse, eût été le retrait de ce texte.
Les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE vont renforcer encore leur soutien à toutes celles et à tous ceux qui vont redoubler d’effort dans le pays pour obtenir le retrait de ce projet injuste, ce projet décidé par les marchés financiers.
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à permettre une gestion différenciée de la compétence eau et assainissement, présentée par M. Jean-Yves Roux et plusieurs de ses collègues (proposition n° 908 [2021-2022], texte de la commission n° 382, rapport n° 381).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai le plaisir de vous présenter une proposition de loi visant à permettre une gestion différenciée de la compétence eau et assainissement.
J’y associe bien sûr d’autres propositions de loi, questions orales et questions écrites présentées au Sénat comme à l’Assemblée nationale, qui, très récemment, ont repris cette thématique. Je pense notamment à la proposition de loi de Mathieu Darnaud et de plusieurs de ses collègues ; aux travaux de notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, placée sous la présidence de Françoise Gatel ; ou encore à la proposition de loi de Jean-Michel Arnaud, mon collègue des Hautes-Alpes.
Les associations d’élus ne sont pas en reste. De l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) à l’Association des maires ruraux de France (AMRF) en passant par l’Association nationale des élus de la montagne (Anem), toutes continuent d’exprimer régulièrement ce que j’appellerai la permanence de leurs réserves et la croissance de leurs incertitudes.
Mes chers collègues, toutes ces initiatives parlementaires relèvent, dans des tonalités et des périmètres différents, bien sûr, l’inadéquation d’un dispositif pensé de manière uniforme, quels que soient les territoires : la transformation de la compétence optionnelle eau et assainissement des communautés de communes et d’agglomération en compétence obligatoire.
Bon an mal an, ce transfert s’est effectué dans les communautés d’agglomération. Mais, dans les communautés de communes, les obstacles s’accumulent. Les conseils municipaux ne cessent de nous alerter par des motions et des délibérations s’opposant à ce qui leur apparaît comme une délégation de compétence beaucoup trop technocratique.
Je conçois bien ce qu’un tel texte peut avoir d’agaçant. Nous mettons une fois de plus sur la table ce que certains désignent avec morgue comme des problèmes de fuites d’eau, des lubies sénatoriales ou des agitations rurales. Mais, si ce sujet revient une nouvelle fois, c’est parce qu’aucune solution n’a été trouvée.
Il s’agit ni plus ni moins que de la ressource en eau. Devons-nous tourner la tête sous prétexte que les territoires ruraux concernés ne rassemblent pas 76 % de la population ? Ils couvrent, en revanche, la grande majorité des linéaires de cours d’eau à entretenir.
Face aux premières difficultés rencontrées, notamment dans la ruralité et dans les communes de haute montagne, notre législation a cherché à assouplir les modalités de transfert.
La loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite Engagement et proximité, autorise ainsi les communautés de communes et les communautés d’agglomération à déléguer aux communes tout ou partie des compétences liées à l’eau, à l’assainissement des eaux usées ou à la gestion des eaux pluviales.
La loi du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement, dite Ferrand, a quant à elle ouvert la possibilité de reporter ce transfert au 1er janvier 2026 pour les communautés de communes. Or, près de cinq ans après ce dernier assouplissement, l’association représentant les intercommunalités de France nous livre un verdict qu’il faut entendre : seul un tiers des communautés de communes concernées exercent à ce jour cette compétence.
Sommes-nous étonnés ? Pas vraiment. Je vous invite à relire le compte rendu intégral de notre séance du 26 juillet 2018 : des sénateurs pourtant favorables à l’intercommunalisation de la gestion de cette compétence évoquaient déjà cette éventualité.
M. Sueur, nous faisant bénéficier de sa fine connaissance des questions territoriales, …
Sourires.
… soulignait ainsi : « La question est si complexe sur le terrain, entre les régies, les concessions, les affermages et autres, que la réalisation d’un tel transfert dans de bonnes conditions demande du temps. »
Nouveaux sourires.
M. Gontard regrettait pour sa part que les revendications des communes, notamment au sujet de leurs spécificités, n’aient pour ainsi dire pas été entendues. « Nous arriverons à l’échéance de 2026 sans être plus avancés », prédisait-il avant de conclure : « Il importait non seulement de laisser ce choix, mais aussi d’apporter une certaine visibilité. » Aurions-nous dit mieux ?
Mes chers collègues, devons-nous nous attendre à un mouvement spontané de communes qui opéreraient ce transfert de compétences avant 2026, alors que rien n’a fondamentalement changé ?
Je crois assez peu aux propriétés du ruissellement. De même, je ne crois ni aux stratégies d’assèchement financier ni au mariage forcé auquel ces dernières sont censées aboutir.
Madame la ministre, les communes n’ayant pas transféré la compétence observent bien la loi. Elles peuvent comme les autres prétendre au concours des agences de l’eau. Les écarter de ces possibilités de subvention pour des motifs – il faut le dire – tatillons ne les conduira pas à déléguer plus vite.
Il en est de même pour les syndicats, qui déplorent ces stratégies punitives. Le risque écologique, s’il faut le prendre, est tout de même une nouvelle dégradation des réseaux et un sous-investissement dangereux qui, tôt ou tard, sera assumé par les intercommunalités. Quant au risque démocratique, c’est celui de la démission des maires.
Les plus petites communautés de communes concernées ne disposent pas davantage des capacités financières nécessaires pour assumer le plein exercice de cette compétence. Certaines d’entre elles ne souhaitent pas s’engager dans une délégation complexe, avec moult frais cachés qui font ployer la barque.
Reconnaissons, moi le premier, que nous devons envisager la question autrement. Nous disposons en effet d’un cadre conceptuel plus souple que nous pouvons faire vivre.
Ce cadre d’action – je vais vous étonner –, c’est la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe, qui a reconnu l’existence de communautés de communes à partir de 5 000 habitants.
Ce cadre d’action, c’est la loi relative au développement et à la protection de la montagne, dite Montagne, qui nous invite à prendre en compte les aménités des territoires montagneux.
Ce cadre d’action, c’est la différenciation territoriale. Comme le soulignait Jacqueline Gourault, alors ministre de la cohésion des territoires, ce principe est garant d’« un État plus agile, plus réactif et plus proche, qui adapte sa réponse et accompagne main dans la main les initiatives des collectivités ».
Mes chers collègues, n’en avons-nous pas assez de nous gargariser de « logiques ascendantes » sans pour autant les faire vivre quand nous en avons l’occasion ?
Je dois vous le dire : échaudés par les réalités économiques et l’âpreté de leur mission, les élus concernés – maires et conseillers intercommunaux – ne placeront leur confiance dans ce transfert de compétences que s’ils ont l’absolue certitude que cette décision rime avec efficacité et bonne gestion ; que ce transfert sera pris dans l’intérêt de leur commune et leurs administrés ; et qu’il n’engendrera pas une augmentation inconsidérée des coûts et du prix de l’eau, dans le contexte d’une forte inflation que beaucoup peinent à supporter.
Madame la ministre, nos élus de proximité sont parfaitement conscients de leur grande responsabilité en la matière.
Votre collègue Christophe Béchu nous rappelait récemment que la nature ne nous laisse pas le choix. C’est vrai : face à une sécheresse structurelle, la réponse ne sera pas uniforme ; elle sera collective.
Mme la ministre déléguée acquiesce.
L’Anem, dont je salue le travail, vient de rendre publics les principaux arguments développés par ces maires réticents. Ce sont autant de pistes de différentiation territoriale sur lesquelles il serait – j’en suis sûr – utile de s’appuyer.
Ces élus soulignent tout d’abord la nécessité de permettre un exercice de proximité de la compétence, lequel fait défaut dans les ensembles intercommunaux de très grande superficie. Il n’est guère aisé de réparer une fuite de canalisations lorsque le siège d’intervention est à quatre-vingts kilomètres de distance. À l’évidence, cette organisation n’est pas tout à fait performante.
Ils relèvent également le risque de doublons, qui implique une forte augmentation des personnels consacrés à ces tâches. Les petites communautés de communes ne pourraient assumer cette charge, si tant est qu’elles réussissent à recruter et à les attirer sur leurs territoires, tant ces métiers sont en tension.
Les mêmes élus s’inquiètent surtout des conséquences financières des transferts de compétences prévus : « Les études préalables concluent trop souvent à une forte augmentation du prix de l’eau, difficilement supportable, surtout en période d’inflation. »
Foncièrement pragmatiques, les élus de montagne mettent enfin en avant des traditions de mutualisation existantes, notamment au sein des syndicats, qu’il conviendrait de conforter.
Dans son rapport d’information intitulé Comment éviter la panne sèche ? Huit questions sur l ’ avenir de l ’ eau en France, la délégation sénatoriale à la prospective dresse un constat cruel : « La gestion de l’eau est un domaine ardu, souvent laissé aux techniciens, dont les élus ont du mal à se saisir. Or la légitimité des choix politiques en matière de gestion de l’eau passe par une repolitisation de ses instances et le renforcement de l’échelon local de prise de décision. »
La gestion différenciée de la compétence eau et assainissement et, au travers d’elle, la bataille contre la sécheresse replacent les élus au cœur de la décision politique. Il y va de notre destin commun.
Nos élus demandent cette compétence, car ils souhaitent livrer bataille.
Madame la ministre, c’est pourquoi je vous propose de lever le verrou du transfert en 2026 pour les communautés de communes et d’engager dès maintenant des conventions décentralisées permettant l’exercice réel de cette compétence.
Je vous le dis en écho à ce que nous vivons aujourd’hui : écoutons les élus, écoutons le Parlement !
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, SER et CRCE.
Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de Jean-Yves Roux a une ambition simple. Son article unique vise à supprimer le transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement aux communautés de communes prévu au 1er janvier 2026.
Ce texte, qui permet de répondre aux attentes légitimes des élus des territoires ruraux et de montagne, traduit une position défendue de manière constante par le Sénat depuis le vote de la loi NOTRe en août 2015.
Vous le savez, en matière d’eau et d’assainissement des eaux usées, le Gouvernement a brutalement remis en cause la liberté des communes par le biais de simples amendements déposés à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi NOTRe. Ces dispositions n’ont jamais été introduites sur l’initiative du Sénat.
Notre assemblée s’est opposée à ce transfert obligatoire, consciente des difficultés qu’il allait poser aux communes de nos territoires qui ne connaissent pas la même urbanisation que les autres intercommunalités.
Toutefois, la commission mixte paritaire (CMP) a trouvé un compromis en reportant le transfert obligatoire au 1er janvier 2020.
Par la suite, le Sénat a tenté d’obtenir le rétablissement du caractère facultatif du transfert des compétences eau et assainissement lors de l’examen de différents textes.
En effet, dès janvier 2017, le président Retailleau a déposé une proposition de loi visant à rétablir le caractère optionnel du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et d’agglomération. Ce texte a été voté à l’unanimité par le Sénat en octobre 2017, mais les députés ont renvoyé son examen en commission.
Par la suite, le Parlement a voté plusieurs assouplissements à cette obligation de transfert, à défaut d’un véritable retour en arrière.
Avec la loi du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes, dite Ferrand-Fesneau, le Parlement a voté le report de ce transfert au 1er janvier 2026 pour les communautés de communes.
Puis, la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite Engagement et proximité, a permis aux communautés de communes de déléguer l’exercice des compétences eau et assainissement à une commune membre de l’intercommunalité ou à un syndicat infracommunautaire.
Enfin, la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS, rend possible le maintien des syndicats infracommunautaires après le 1er janvier 2026.
Ces différents aménagements n’offrent toutefois qu’un semblant de liberté aux communes, car ils sont limités dans le temps ou dans leurs conditions de mise en œuvre. Cette situation doit donc évoluer rapidement : l’échéance du 1er janvier 2026 est proche et risque de provoquer un effet cliquet.
En outre, les arguments qui justifient la suppression du transfert obligatoire sont toujours d’actualité. On peut notamment évoquer le risque d’augmentation du tarif de l’eau et de l’assainissement, une perte de connaissance des réseaux et une inadaptation du périmètre administratif de l’intercommunalité à la réalité géographique et hydrique des communes concernées.
Nous l’avons maintes fois rappelé : nous, élus ruraux, savons bien que les limites administratives des communautés de communes ne correspondent pas toujours à la géographie physique des cours d’eau.
De surcroît, de nombreuses communautés de communes n’ont pas la volonté d’exercer ces compétences. Le Sénat a souhaité que des communautés de communes de 5 000 habitants puissent exister, mais j’ai moi-même été président d’une communauté de communes et tous les collègues que je connais ne le veulent surtout pas. J’en prends à témoin notre collègue Mathieu Darnaud, qui s’est déplacé sur tout le territoire national et avec qui j’ai beaucoup travaillé.
Au 1er octobre 2022, moins de 30 % des communautés de communes exercent la compétence liée à l’eau et moins de 50 % d’entre elles sont en charge de l’assainissement collectif. Il est évident que les territoires pour lesquels la mutualisation de ces compétences est pertinente l’ont déjà fait depuis plusieurs années, et ce sans attendre que la loi NOTRe le leur impose.
Au surplus, l’idée selon laquelle l’intercommunalisation de la compétence eau permettrait de faire diminuer le taux de fuite des réseaux ne nous semble pas sérieuse. Ce n’est pas parce que l’on fait basculer la compétence que le taux de fuite s’améliore, notamment parce qu’aucun fonds de concours supplémentaire n’est attribué à la communauté. De plus, nous savons que la proximité renforce l’efficacité, ainsi que de nombreux exemples de mutualisation le démontrent. Les communautés de communes n’obtiendront pas davantage de financements que les communes, de sorte que le transfert de cette compétence n’aura pas d’effet réel sur la diminution de ces fuites.
C’est pourquoi l’intention qui anime la proposition de loi de Jean-Yves Roux a emporté la complète adhésion de la commission, qui a néanmoins souhaité améliorer le caractère opérationnel de son dispositif au bénéfice des communes qui souhaitent conserver ou retrouver l’exercice des compétences eau et assainissement. La rédaction qu’elle a retenue entend donc donner son plein effet au principe de différenciation, voté par le Parlement dans la loi 3DS voilà tout juste un an.
En premier lieu, elle a prévu un mécanisme de restitution des compétences eau et assainissement aux communes qui les ont déjà transférées. Cette faculté peut s’exercer à tout moment et pour tout ou partie des compétences concernées. Le texte confère aux communes, et non à l’intercommunalité, le pouvoir de lancer un tel processus. Ainsi, la restitution pourra être obtenue si une majorité des conseils municipaux la demande.
Cette proposition vise à répondre aux préoccupations des communautés de communes dans lesquelles une seule commune peut représenter jusqu’à 80 % de la population, ce qui pourrait déséquilibrer les décisions en sa faveur.
Afin d’éviter aux communes minoritaires de se voir imposer une redescente de compétences qu’elles ne souhaitent pas exercer, il est prévu un mécanisme de transfert à la carte et simplifié des compétences redescendues à la communauté de communes.
À l’inverse, pour empêcher qu’une minorité de communes se retrouve dans l’impossibilité d’exercer de nouveau les compétences eau et assainissement en cas de majorité défavorable à une restitution de compétences, le dispositif proposé prévoit que, dès lors qu’il existe un accord sur cette demande entre, d’une part, la communauté de communes, d’autre part, une ou plusieurs communes, la restitution peut être opérée.
En deuxième lieu, la commission a entendu assurer une stabilité aux conventions de délégation existantes entre les communautés de communes et leurs délégataires. Il ne faut pas remettre en cause des modalités de fonctionnement satisfaisantes pour les communes.
Néanmoins, dans l’hypothèse d’un changement du titulaire de l’exercice des compétences eau et assainissement, en raison d’une restitution de ces dernières à la commune, le texte de la commission permet à la commune de mettre fin à la convention de délégation avant son terme dans le but de la renégocier, d’assurer une restitution effective des compétences aux communes ou de modifier le périmètre des syndicats délégataires.
En troisième lieu, la commission a choisi de créer un mécanisme dérogatoire de délégation de compétence plus souple que le droit commun. En effet, les délégataires pourront être des communes ou des syndicats infracommunautaires existants ou créés postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, ce qui est actuellement impossible.
Pour conclure, je tiens à souligner que j’ai œuvré en parfaite coopération avec notre collègue Jean-Yves Roux ainsi qu’avec Mathieu Darnaud, qui a beaucoup travaillé sur ce sujet et auditionné de nombreux élus locaux, avec Françoise Gatel, à l’échelon national. J’ai également échangé avec tous les collègues issus des territoires ruraux qui m’ont fait part de leur préoccupation commune : faire en sorte qu’en 2026 il n’y ait pas de transfert obligatoire de la compétence aux intercommunalités. Le maintien de cette possibilité est très cher au Sénat, mais aussi à nos communes et à de nombreux présidents de communautés de communes.
Je tiens à remercier tous les collègues qui ont participé à cette démarche pour la qualité de nos discussions et de notre collaboration en vue de formuler des pistes de solution équilibrées et consensuelles, dans l’intérêt de nos communes.
(Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains. – M. Sebastien Pla applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Jean-Yves Roux, mesdames, messieurs les sénateurs, votre Haute Assemblée débat aujourd’hui de la question de l’exercice des compétences eau et assainissement au sein du bloc communal.
Ce sujet fait l’objet d’un fort intérêt de la part de nos collègues élus locaux. Il est aussi passionnant que passionné et, pour m’être moi-même penchée sur cette question, je sais combien il est sensible dans nos territoires. Et c’est parce qu’il est sensible que le Gouvernement est aussi attaché, depuis dix ans, à ce qu’il soit traité à la hauteur des enjeux qu’il représente.
La position du Gouvernement ne sera pas nécessairement partagée sur vos travées, mais je me permets de dire que j’exprimerai également ma position personnelle : celle d’une élue locale, d’une maire, dont l’intime conviction est que la mutualisation de cette compétence relève d’une ardente nécessité. Je vais bien entendu, dans le fil de mon propos, justifier cette position.
Regardons les choses froidement : quelle est la situation après dix ans d’efforts collectifs tendus vers une meilleure gestion quantitative et qualitative de l’eau ? Aujourd’hui, 14 % des communes appartenant à une communauté de communes exercent encore la compétence eau sans aucune forme de mutualisation. Elles se sont saisies de la possibilité que leur offre la loi de reporter le transfert de cette compétence à 2026. C’est sur ces 14 % de communes que se portent aujourd’hui toutes nos attentions, soit que celles-ci soient plus durement frappées par les conséquences des épisodes de sécheresse, soit qu’elles estiment ne pas devoir transférer cette compétence à leur établissement public de coopération intercommunale (EPCI).
Le Sénat s’est déjà saisi de cette question à de nombreuses reprises. Avec le soutien du Gouvernement, il a pu, dans le cadre des lois Engagement et proximité et 3DS, apporter les assouplissements nécessaires pour permettre aux collectivités d’adapter et de différencier les modalités de la gestion de l’eau en fonction des enjeux et des contraintes spécifiques de chaque territoire.
Vous estimez que ces assouplissements ne sont pas suffisants et qu’il convient de revenir davantage sur les règles que la loi a fixées voilà plus de dix ans.
Si je ne peux que partager, de manière générale et plus encore en l’espèce, votre souhait d’apporter une réponse plus différenciée aux contraintes de chaque territoire, je ne peux non plus passer sous silence ce que la mutualisation nous apporte de façon évidente. Cela tient en quatre points : protection de la ressource, sobriété dans son utilisation, qualité de l’eau et meilleure allocation de nos ressources dans la gestion de nos infrastructures.
Il nous faut en effet nous battre pour protéger les ressources en eau. La période que nous traversons nous fait davantage réaliser chaque été à quel point elles sont mises sous tension, voire menacées. L’équilibre entre nos prélèvements – 5, 5 milliards de mètres cubes par an tous usages confondus – et ce que les cycles de l’eau, petits et grands, restituent aux milieux naturels se dégrade continuellement.
Nul besoin de rappeler ici ces faits préoccupants : les épisodes de restriction au niveau de crise sont de plus en plus fréquents : 2 000 collectivités se sont trouvées en tension ou en rupture d’alimentation en eau potable lors de l’été 2022 et 110 bassins versants, sur le millier que compte la France métropolitaine, sont déjà en déséquilibre quantitatif structurel au mois de février, entraînant des restrictions de consommation dans les territoires concernés.
Bref, nous manquons et nous allons manquer d’eau dans les années qui viennent et vous, élus des territoires, êtes sans aucun doute les mieux placés pour savoir ce qu’en seront les conséquences :…
… c’est le champ que l’on n’irrigue plus, c’est le puits qui manque d’eau, c’est la citerne que l’on doit monter au village.
Je sais que vous partagez le constat et l’objectif de protection de la ressource, mais il ne me paraissait pas inutile de commencer par là : s’il y a moins d’eau, il faudra la gérer mieux, et il faudra le faire ensemble et partout.
Nous devons ensuite relever un défi en termes de sobriété pour assurer une gestion plus efficiente de l’eau potable. Or la performance globale de notre réseau ne nous le garantit pas : nous perdons chaque année 30 % du volume que nous prélevons, ce qui, dans le contexte hydrique que nous connaissons, n’est évidemment pas un facteur facilitant.
Actuellement, 170 collectivités ont un réseau dont le rendement est inférieur à 50 %, ce que les techniciens appellent, dans leur jargon, les points noirs de la gestion quantitative de l’eau. Ce taux de perte est lié à l’état de nos réseaux, lesquels, même si les maires ont fait les meilleurs efforts pour les entretenir, nécessitent encore de lourds investissements. Plus de 40 % de notre réseau devra être renouvelé dans les quarante ans qui viennent. C’est une charge et une dette que nous laissons à ceux qui vont nous succéder, ne nous le cachons pas. Si nous voulons accélérer ces investissements, nous devons le faire ensemble.
La sobriété passe aussi par un travail sur les usages : je sais que nos collègues sont, avec les préfets et la profession agricole, très investis pour favoriser une utilisation raisonnable et rationnelle de l’eau.
Nous allons, en outre, devoir garantir la qualité de nos eaux. L’eau est une ressource du quotidien pour nos concitoyens, qui s’attendent à pouvoir la consommer sans se poser de questions. Or, en 2021, 11 millions de Français ont été alimentés par une eau non conforme. Ce n’est bien sûr pas toujours lié à l’absence de mutualisation, mais l’évidence est tout de même que nous assurerons mieux le contrôle de la qualité des eaux en faisant gérer nos ressources par des structures de plus en plus professionnalisées. Le fait est que, dans les services d’eau les plus mutualisés, le taux de conformité microbiologique est excellent. Là encore, nous devons traiter ensemble ce sujet majeur de santé publique.
Vous connaissez aussi les enjeux de gestion des infrastructures liés à la mutualisation. Un bon gestionnaire sait que son actif se déprécie s’il ne l’entretient pas. C’est bien selon ce modèle que les maires se préoccupent de leurs réseaux et je veux rendre hommage au travail qu’ils ont souvent fourni, avec les techniciens des eaux, pour assurer l’entretien et la pérennité du réseau.
Pour autant, la réalité est là : nous faisons et nous ferons face, dans les trente ans qui viennent, à un mur d’investissements de près de 10 milliards d’euros par an. Toute la bonne volonté de nos élus n’y suffira pas et nous devons trouver les moyens d’investir vite et à la hauteur des besoins.
Je me permets de me mettre à la place des maires des 3 600 communes qui n’ont pas encore mutualisé et qui doivent donc faire face seuls à ces investissements. Évidemment, ils peuvent avoir accès aux soutiens de la Banque des territoires, donc de l’État, via ses agences, mais quelle ingénierie technique et financière ne faut-il pas développer pour souscrire des Aqua Prêts ou remplir un dossier de subvention !
Quelle expertise ne faut-il pas déployer pour poser le diagnostic de l’état du réseau et planifier ses travaux !
Je fais toute confiance aux maires, mais, soyons lucides, ceux-ci sont et seront plus forts en s’associant à leurs collègues, dans le cadre de l’EPCI, et en mutualisant ressources, moyens et ingénierie. Là encore, c’est ensemble que nous construirons le réseau de demain.
Pour toutes ces raisons, j’ai l’intime conviction que nous devons poursuivre dans la voie de la mutualisation, car seule une gouvernance collective de la ressource est à même de nous permettre de relever le défi.
Vous le savez, le transfert à l’échelle intercommunale vise plusieurs objectifs : redondance et interconnexion des réseaux, mutualisation des moyens humains, techniques et financiers, performance accrue, maîtrise et modernisation des équipements, qualité du service rendu à l’usager.
L’EPCI, c’est l’échelle pertinente pour prendre en charge ces compétences, dans le cadre tracé par les documents de planification que sont les schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage) et les plans de gestion de la ressource en eau (PGRE). L’EPCI, c’est ce qui permet de faire ensemble !
Cela n’interdit évidemment pas de mener une gestion différenciée, non plus que de la déléguer à un syndicat infracommunautaire, comme le permet déjà la loi.
De ce point de vue, les territoires spécifiques, notamment en montagne, peuvent utiliser les marges et les souplesses prévues par la loi pour adapter la gestion de l’eau à leurs contraintes. Il n’a jamais été question de ne pas le leur permettre.
Il me semble, ainsi que l’a d’ailleurs demandé le Comité national de l’eau, que nous avons besoin de donner de la stabilité et de favoriser l’anticipation et la planification. Pour cela, il nous faut nous concentrer, plus que sur la répartition des compétences au sens juridique du terme, sur la façon dont nous œuvrons collectivement, dans chaque territoire, pour gagner sur la raréfaction et sur la qualité de la ressource.
Mon intime conviction est que l’enjeu se situe à ce niveau, et c’est de cela que je souhaite débattre avec vous.
Encore une fois, ne nous leurrons pas : même si de nombreux maires ont géré et gèrent encore l’eau et l’assainissement avec autant de rigueur et de passion, ils ont absolument besoin du collectif pour faire face aux exigences réglementaires, pour mobiliser de l’ingénierie et pour investir massivement dans le renouvellement des réseaux.
Non, monsieur le sénateur, je ne m’arrêterai pas ; j’utiliserai mon temps de parole pour exprimer mes convictions, mais je respecte profondément les vôtres.
C’est pourquoi le Gouvernement, investi de la responsabilité de garantir la gestion de la ressource, ne peut revenir davantage en arrière.
Dans quelques semaines, il sera en mesure de vous présenter un plan Eau susceptible de répondre à ces enjeux, …
… fruit d’un travail transparent et responsable. Nous sommes conscients des chantiers qui sont devant nous.
Pour ces raisons, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne pas soutenir la proposition de la loi qui vous est soumise.
Exclamations nourries sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit.
Vous portez atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales !
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Jean-Yves Roux entend rétablir les compétences eau et assainissement dans la liste des compétences facultatives de la communauté de communes.
Son auteur souhaite ainsi revenir sur les acquis de la loi NOTRe, laquelle avait prévu le transfert obligatoire de ces compétences, jusque-là communales à de rares exceptions près, à l’échelon de l’intercommunalité. L’ambition du législateur était de maîtriser les coûts et d’offrir aux Français, grâce à la mutualisation des moyens, des services de meilleure qualité.
Cette réorganisation territoriale avait suscité à l’époque, et suscite toujours, des inquiétudes chez de nombreux élus, parfois à raison.
Trois lois sont venues moduler le dispositif adopté en 2015. Elles ont notamment permis le report de la date butoir de ce transfert au 1er janvier 2026.
Vous les avez évoquées à l’instant.
La proposition de loi que nous examinons cet après-midi s’inscrit donc à rebours de ces évolutions. Elle n’est pas pour autant le premier texte présenté au Sénat qui vise cet objectif et, selon toute vraisemblance, elle ne sera pas le dernier.
Mes chers collègues, nous ne partageons pas cette position, d’abord parce que le transfert des compétences eau et assainissement à l’échelon de l’intercommunalité fonctionne bien. Plus de la moitié des intercommunalités sont désormais compétentes sur l’eau et 55 % des communautés de communes sur l’assainissement, ce qui confirme le caractère réalisable de cette réforme.
Ensuite, ces transferts de compétence ont permis de réaliser les économies d’échelle, de moyens et de coûts que la réforme promettait, même si ce n’est peut-être pas le cas partout. Au bout du compte, cela signifie des services publics plus performants et des factures sans doute allégées.
Nous entendons les difficultés que rencontrent certaines collectivités. Elles sont authentiques et nous ne les contestons pas.
Pour autant, la question de la réalité géographique et hydrique, par exemple, qui est souvent citée pour contester cette réforme, ne nous semble pas trouver d’issue dans un éparpillement des responsabilités. Il est vrai que certaines intercommunalités sont à cheval entre deux bassins versants, ce qui provoque certains problèmes, mais cela peut également être le cas de communes.
C’est précisément pour cela qu’un changement d’échelle est nécessaire, parfois au-delà de la communauté de communes, comme chez moi. Nous avons ainsi créé un syndicat mixte qui couvre tout le territoire de la Guadeloupe.
Marques d ’ ironi e sur les travées du groupe Les Républicains.
J’appelle enfin votre attention sur un point : le défi qui s’impose à nous aujourd’hui n’est plus seulement celui de la gestion et du transport de l’eau, mais aussi celui de la disponibilité de la ressource.
L’eau devient plus rare en raison du réchauffement climatique, des déséquilibres entre les prélèvements et les réserves et de pollutions diffuses.
Le niveau de 80 % des nappes souterraines est inférieur à la normale, selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), et la sécheresse s’annonce pire que celle de l’année dernière.
Sur ce sujet aussi, la réponse à apporter est bien l’interconnexion et la mutualisation, et non l’éparpillement, qui me semble dépassé.
Dans un esprit de stabilité, de continuité, de lisibilité et de clarification des compétences entre les collectivités territoriales, et pour ne pas revenir sur les grands équilibres adoptés en 2015, …
M. Dominique Théophile. … notre groupe votera contre cette proposition de loi. Pour autant, nous entendons ce qui se passe sur certains territoires.
M. Jean-Pierre Sueur applaudit.
Sourires sur les travées des grou pes Les Républicains et UC.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question de l’eau est tellement cruciale qu’elle sera sans doute l’un des problèmes politiques les plus complexes et les plus dirimants auxquels nous serons confrontés au cours des prochaines décennies, voire des prochaines années.
Il s’agit d’une question grave, à laquelle nous devons apporter des réponses solides. Je ne reprendrai pas tous les arguments que Mme la ministre Dominique Faure et M. Théophile ont développés à l’instant. Ils sont véridiques et je les partage.
C’est pourquoi, mes chers collègues, j’ai voté en faveur de la loi NOTRe en 2015.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Je tiens à rappeler ici, car certains semblent l’avoir oublié, que si ce texte a été adopté en ces lieux, c’est parce qu’il a recueilli les suffrages de la majorité de la majorité et de la majorité de l’opposition de l’époque. J’ai ainsi entendu quelques discours singuliers sur la loi NOTRe, de la part même de ceux qui l’avaient votée.
Pour ma part, je suis clair : nous avons alors décidé de mutualiser la question de l’eau.
Pour autant, certaines choses ne fonctionnaient pas du tout. En particulier, je me souviens très bien que, lors de la commission mixte paritaire, nos collègues députés avaient souhaité la mise en œuvre de cette mesure dès 2018. J’étais parmi ceux qui leur ont indiqué qu’ils rêvaient, que c’était impossible. Nous, les sénateurs, avons donc proposé 2020.
J’ai même déclaré à l’époque, comme le montre le compte rendu, que, de toute façon, l’échéance de 2020 ne serait pas tenable. C’est pour cette raison que j’ai voté la loi présentée par M. Retailleau en 2017 : ce délai était totalement irréaliste. C’est également pour cette raison que j’ai voté, avec mes collègues, la loi Ferrand-Fesneau, qui l’a fort heureusement repoussé à 2026, afin que nous ayons le temps d’effectuer les études et les diagnostics nécessaires.
La situation est très complexe. Certaines communes n’ont rien fait et le prix de l’eau y est bas. Il leur est alors facile de s’en réclamer pour refuser de rejoindre l’intercommunalité, au motif que cela ferait augmenter les coûts. À l’inverse, celles qui ont investi pour disposer d’un bon réseau connaissent un prix plus élevé.
Il est donc naturellement nécessaire de réaliser des calculs pour prendre en compte ces situations, afin que certains ne paient pas deux fois. Je conviens que ce n’est pas simple. Néanmoins, la mutualisation est une nécessité absolue pour l’efficacité.
Je défends ce point de vue en cohérence avec ce que j’ai toujours soutenu, avec la majorité du groupe socialiste. C’est clair et cela aura été dit à cette tribune.
Ensuite, la loi Engagement et proximité a représenté un grand pas en avant en permettant des assouplissements, tels que la délégation et la subdélégation aux syndicats.
Je me souviens d’ailleurs des propos de M. Mathieu Darnaud à cette tribune. Mon cher collègue, après avoir relevé que le texte répondait « à des préoccupations du quotidien », vous avez indiqué qu’il permettait de « trouver l’échelon adéquat pour offrir le meilleur service au moindre coût à nos concitoyens ». Je ne mentionnerai pas les mots dithyrambiques que prononçait alors Mme Gatel !
La loi 3DS a également permis, à juste titre, des assouplissements en matière de concertation, de possibilité d’investir avec le budget principal et de dérogation à la dissolution des syndicats.
Vous avez raison : la réalité hydrique ne correspond pas forcément à la réalité communautaire. Cela impose que l’on puisse déroger, déléguer et subdéléguer à des syndicats existants. Une certaine souplesse est donc nécessaire, nous sommes d’accord.
Néanmoins, la position majoritaire du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est de continuer à avancer et de ne pas revenir en arrière, quelles que soient les difficultés.
Nous avons effectué un travail approfondi au sein de notre groupe. J’ignore encore si un scrutin public sera demandé sur le texte, …
M. Jean-Pierre Sueur. … mais je peux d’ores et déjà vous dire que quarante-neuf de nos collègues voteront contre ce texte, qu’ils considèrent comme un recul, douze seront pour
Exclamation s sur les travées du groupe Les Républicains
J’ai donc présenté la position de la majorité de mon groupe ainsi que celle de sa minorité, tout en exprimant ma conviction personnelle : quelles que soient les difficultés, l’enjeu est tel qu’il faut continuer à aller de l’avant !
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois – cela a déjà été rappelé tant par l’auteur de la présente proposition de loi que par notre rapporteur – que nous évoquons au Sénat la question des compétences eau et assainissement et que nous débattons de l’opportunité de leur maintien parmi les compétences communales ou de leur remontée parmi les compétences obligatoires des intercommunalités.
Le bilan de la remontée de compétences obligatoires pour les métropoles, les communautés urbaines et les communautés d’agglomération est mitigé. Nous constatons que les différents dispositifs que nous nous sommes efforcés d’imaginer pour permettre des subdélégations ne fonctionnent pas, ou du moins qu’ils ne répondent pas aux attentes des élus locaux concernés. Seule échappe à ce bilan, si je puis dire, la « catégorie » des communautés de communes.
Je ne reviendrai pas sur les débats qui ont amené à la loi NOTRe, à la loi Engagement et proximité et à la loi 3DS.
Je rappellerai toutefois que le Sénat, comme il l’a montré en votant en 2017 la proposition de loi tendant au maintien des compétences eau et assainissement dans les compétences optionnelles des communautés de communes, a toujours porté une attention particulière à la gestion de ces compétences à l’échelle communale.
Dire cela ne revient en aucun cas à affirmer que chaque commune doit gérer son eau et son assainissement et que des miradors empêchant toute mutualisation, toute gestion commune et toute sécurisation de l’apport en eau et des réserves constituées en vue des incendies doivent être érigés entre deux périmètres communaux. Il convient de respecter les arguments de chacun, mes chers collègues !
Mme Maryse Carrère renchérit.
Dire cela, c’est poser la question de l’enjeu politique de la gestion de l’eau et de l’assainissement. L’eau a en effet permis à l’homme de faire société. Il s’est sédentarisé à proximité des ressources en eau et il s’est organisé en société afin de capter, de transporter et de traiter l’eau par l’action collective pour satisfaire aux nécessités de sa survie.
Si demain la démonstration était faite que la simple remontée de compétences permettait de régler la question de la pluviométrie dans notre pays, ce qui est tout de même le premier enjeu, si la remontée de compétences permettait de régler la question des finances publiques – le rapporteur y a fait référence – et de la capacité à résorber les fuites sur un certain nombre de réseaux, peut-être pourrions-nous revoir notre positionnement.
Mais jusqu’à preuve du contraire, je n’y crois pas, car à l’instar de saint François, je ne crois que ce que je vois.
Une voix sur les travées du groupe Les Républicains. C’est saint Thomas !
Sourires sur les mêmes travées.
Le véritable enjeu de cette proposition de loi de nos collègues du RDSE est au fond celui de la liberté locale. La liberté locale est non seulement fondamentale, mais au regard des événements qui se tiennent en dehors de cet hémicycle, elle devient plus que jamais un enjeu impératif, car elle détermine la capacité à protéger la commune, cellule de base de la République et de la démocratie.
Oui, la liberté locale dérange parfois. Cette liberté du quotidien, cette liberté de proximité traduit pourtant la réalité des femmes et des hommes des différents territoires de notre République. Il nous revient ensuite d’y apporter des réponses collectives conformes aux enjeux de liberté, d’égalité et de fraternité.
En tout état de cause et sans surprise, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera, comme il le fait depuis 2015, la présente proposition de loi.
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et du RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mmes Viviane Artigalas, Marie-Pierre Monier et Angèle Préville, ainsi que M. Sebastien Pla applaudissent également.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner la proposition de loi de Jean-Yves Roux et de plusieurs de nos collègues du RDSE.
À la suite de la proposition de loi de Mathieu Darnaud et de celle que j’ai moi-même déposée l’année dernière, ce texte constitue une nouvelle tentative de remettre en cause le caractère impératif du transfert des compétences eau et assainissement des communes aux intercommunalités.
Il s’agit en effet de revenir sur une obligation instaurée en 2015 par la loi NOTRe. Lors de l’examen de cette dernière à l’Assemblée nationale, le Gouvernement avait déposé deux amendements visant à rendre obligatoire un tel transfert de compétences. Cette évolution législative – il importe de le rappeler – a été introduite sans aucune étude d’impact préalable et sans concertation.
Sous l’impulsion du Sénat, divers ajustements ont par la suite permis de corriger à la marge un certain nombre de dispositifs jugés brutaux et inapplicables sur le terrain.
Un aménagement des modalités de transfert de compétences via l’activation d’une minorité de blocage a été rendu possible par la loi du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes. La loi Engagement et proximité a doté les intercommunalités de la faculté de déléguer tout ou partie des compétences en la matière. Et, depuis 2021, les communautés de communes ont la possibilité de maintenir les syndicats infracommunautaires après le 1er janvier 2026 dès lors que ces derniers – c’est un point important – existaient antérieurement.
Pour autant, l’obligation de transfert à l’horizon du 1er janvier 2026 demeure. C’est pourquoi, sans doute en vain, mais avec courage et ténacité, je m’attellerai à vous convaincre, madame la ministre, du bien-fondé de la position d’une majorité de nos collègues – je l’espère du moins –, notamment ceux qui sont issus d’un territoire rural.
Pour ce qui concerne les périmètres des comités de communes, je rappelle que, contrairement à ce que j’ai entendu encore aujourd’hui, le territoire d’une intercommunalité est le fruit d’une histoire politique.
Il ne correspond donc pas toujours au bassin de vie ni à la réalité hydrique du territoire.
L’intercommunalité politique et institutionnelle et les jalons du réseau d’eau et d’assainissement ne se superposent pas nécessairement.
Vous avez également affirmé, madame la ministre, que l’intercommunalisation permettait de sécuriser les réseaux et de mieux penser la gouvernance de l’eau de demain.
Vous avez indiqué que les fuites étaient mieux gérées par les intercommunalités, notamment les métropoles et les agglomérations.
La raison en est simple, madame la ministre : dans un territoire rural, quel qu’en soit le mode de gestion, le réseau est beaucoup moins dense que dans une métropole, et il compte un nombre bien plus grand de mètres linéaires à entretenir. Il est donc normal que le taux de fuite soit plus élevé. §Il convient de comparer ce qui est comparable, toutes choses égales par ailleurs !
Vous avez également indiqué que l’intercommunalisation permettait de mutualiser les services. Ne s’agit-il pas plutôt de les transférer ?
Je puis témoigner que, dans les communes rurales, des agents techniques et des maires assurent bien souvent une gestion directe en lien avec la commande publique de proximité, notamment avec des artisans qui connaissent parfaitement le réseau.
Vous avez par ailleurs évoqué la nécessité de protéger la ressource. Vous nous expliquez, au fond, que les difficultés de disponibilité de la ressource en eau sont dues à la moins bonne gestion des réseaux par les communes, notamment rurales, que par les intercommunalités, alors qu’il s’agit avant tout d’une question de moyens financiers.
Donnez des instructions à vos services et aux agences diverses et variées, notamment aux agences de l’eau, madame la ministre, pour que les communes rurales soient traitées sur un pied d’égalité avec les intercommunalités en matière d’attribution des financements.
Dans nos communes, des intercommunalités qui n’exercent pas à ce jour les compétences eau et assainissement se voient notifier par les agences de l’eau des décisions de non-financement du fait de l’absence de transfert des compétences. Nous ne sommes pourtant pas encore au 1er janvier 2026 ! Encore une fois, votre argumentation est biaisée !
Vous avez ensuite souligné la nécessité de garantir la qualité des eaux en vous appuyant sur l’exemple de quelques communes qui ont distribué une eau dont la qualité était insuffisante. Mais ces difficultés sont liées à la sécheresse importante que nous avons connue et les intercommunalités y sont tout autant exposées que les communes rurales.
Par ailleurs, celles-ci font face aux difficultés : elles diligentent des analyses, mobilisent les entreprises et informent la population.
Je vous ferai une confidence, madame la ministre : dans mon département, l’agglomération de Gap-Tallard-Durance, dont je suis par ailleurs élu, a été confrontée à de telles difficultés, non pas dans une commune rurale, mais dans un quartier de la commune de Gap, qui a dû faire l’objet d’un accompagnement spécifique.
Pour importante qu’elle soit, la qualité de l’eau n’est donc pas un argument pertinent.
Vous avez enfin évoqué la nécessité d’investir. Je vous rejoins sur ce point : il faut bien sûr investir pour rénover nos réseaux, pour abaisser les taux de fuite et pour créer de l’interconnexion. Je vous ferai toutefois une révélation, madame la ministre : nous n’avons pas attendu l’intercommunalisation pour le faire. Des dizaines de communes ont maillé leur réseau par le biais, non pas de l’intercommunalisation, mais parfois uniquement de conventions.
MM. Loïc Hervé et Jean-Yves Roux approuvent.
Je connais aussi des communes qui attendent des moyens de l’État et des financements des agences de l’eau pour rénover leur réseau.
Il faut déconnecter l’attribution des financements des modalités de gestion de la ressource, madame la ministre !
M. Jean-Michel Arnaud. M. le Président de la République a demandé que l’on s’efforce de régler les difficultés au plus près du territoire. Par cette proposition de loi qui rétablit la liberté locale et la différenciation territoriale, notre collègue Jean-Yves Roux nous offre une opportunité de le faire !
Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP, et CRCE. – Mmes Viviane Artigalas et Angèle Préville, ainsi que MM. Sebastien Pla et Jean-Yves Roux applaudissent également.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP et UC.
Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, chacun se souvient ici du mois de juillet 2021, au cours duquel nous avons longuement débattu de la différenciation territoriale à l’occasion de la loi 3DS.
La ministre de la cohésion des territoires de l’époque, Mme Jacqueline Gourault, avait pris le temps de nous expliquer le sens de cette différenciation territoriale. Je me permets donc de reprendre ses mots : « Une République différenciée, c’est […] une République davantage décentralisée, où les compétences des collectivités sont confortées et clarifiées. C’est un État plus agile, plus réactif et plus proche, qui adapte sa réponse et accompagne main dans la main les initiatives des collectivités. »
La proposition de loi de notre collègue Jean-Yves Roux me semble parfaitement conforme à cet état d’esprit. Celle-ci se propose en effet de ménager une administration plus agile, plus réactive et plus proche des petites collectivités.
Vous le savez, mes chers collègues, le groupe du RDSE s’attache à toujours défendre les territoires et leurs spécificités, particulièrement celles des territoires ruraux.
Notre groupe n’était pas favorable au transfert obligatoire des compétences eau et assainissement des communes aux communautés de communes et aux communautés d’agglomérations instauré par la loi NOTRe. Avec quelques années de recul, nous constatons, hélas ! que ce transfert imposé pose des difficultés. En effet, comme nous le redoutions, le niveau intercommunal ne permet pas toujours de répondre aux besoins de chaque commune.
Les remontées de terrain sont sans équivoque : au-delà des positions de principe que l’on peut avoir sur l’intercommunalité, ce recours forcé pose de réelles difficultés.
Notre groupe a toujours dit son attachement au tandem commune-département. Pour autant, nous ne sommes pas obtus et nous reconnaissons que la mise en commun des moyens peut également être une bonne chose. Mais tel n’est pas le cas ici.
Nous rappelons régulièrement dans cet hémicycle que nous sommes la chambre des territoires ; il nous revient donc d’agir en responsabilité sur cette question. C’est la raison pour laquelle je salue cette initiative de notre collègue Jean-Yves Roux, tout comme celles de Mathieu Darnaud et de Jean-Michel Arnaud, qui ont également déposé des propositions de loi sur cette thématique. Depuis cinq ans, celle-ci fait du reste l’objet d’un travail constant au Sénat, lequel ne manque pas une occasion de rappeler ses positions.
Notre rapporteur Alain Marc a travaillé pour améliorer le dispositif proposé. Je salue sa connaissance du sujet et son expertise.
Ce texte prévoit de mettre un terme au transfert obligatoire des compétences eau et assainissement en introduisant un dispositif assoupli, lequel prendra en considération les situations créées par la loi NOTRe tout en laissant une marge de liberté aux communes.
Madame la ministre, pour 3 600 communes qui assument cette compétence seules, …
… on déstabilise des centaines de syndicats et de communes qui n’ont pas attendu la loi NOTRe pour mutualiser leurs moyens de gestion ou se fédérer et qui font aujourd’hui un travail exemplaire.
Ce transfert de compétences aux communautés d’agglomérations est obligatoire depuis deux ans. Il me semble que le moment est venu de réaliser un bilan, car de nombreuses communautés d’agglomérations sont embourbées dans des problématiques de création de services et dans des difficultés techniques et surtout financières.
Mme Maryse Carrère. Cette proposition de loi constitue un compromis acceptable. Mon groupe y sera donc unanimement favorable.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC et Les Républicains. – Mmes Viviane Artigalas et Angèle Préville, ainsi que M. Sebastien Pla applaudissent également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ». Par ces vers empruntés à Boileau, madame la ministre, je veux traduire l’état d’esprit qui nous anime.
Vous avez bien compris la détermination, l’opiniâtreté à ne rien lâcher, à ne rien concéder sur ce sujet. Je veux toutefois redire, à la suite de mes collègues, notamment Jean-Michel Arnaud, Maryse Carrère et Cécile Cukierman, que, s’il est une compétence singulière qui ne ressemble à aucune autre, c’est bien celle de l’eau plus encore que de l’assainissement.
Cette compétence répond en effet, non pas à une logique intercommunale – elle n’y répondra jamais –, mais à une logique de bassin versant. En dépit de tous vos efforts et des contre-vérités que vous nous assénez, vous ne parviendrez jamais à contredire cette vérité implacable, dont découle la nécessaire liberté qui doit être accordée à ceux des élus de nos territoires qui ont la meilleure expertise pour organiser la politique en matière d’eau. §
Mais qu’il me soit permis, avec un peu plus de gravité, de revenir sur certains des propos que vous avez tenus à cette tribune, madame la ministre.
Vous venez nous dire que les agences de l’eau financent les communes isolées, qu’elles sont à l’écoute des territoires.
Je vous invite à prendre attache avec les communes qui ont mis en place des dossiers de subvention pour leur schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux. Aucune d’entre elles n’est financée dès lors qu’elle est isolée !
Autrement dit, le Gouvernement et vos agences de l’eau, madame la ministre, foulent aux pieds la loi elle-même, puisque le transfert n’est obligatoire qu’à compter de 2026. Il est grave de ne respecter ni le législateur ni la volonté des élus des territoires !
Je ne reviendrai pas sur les arguments techniques et juridiques – les orateurs qui m’ont précédé les ont remarquablement exposés – qui ont présidé au dépôt de cette proposition de loi. Je souhaite à mon tour remercier notre collègue Jean-Yves Roux, ainsi que Jean-Michel Arnaud qui avait pris la même initiative avant lui et toutes celles et tous ceux qui, depuis la loi NOTRe, s’efforcent de faire entendre la singularité de la compétence eau.
Madame la ministre, le Gouvernement doit respecter le travail accompli par les élus locaux de nos territoires.
Vous avez tenté de nous asséner une autre contre-vérité, en soulignant que les syndicats existants, y compris ceux qui sont infracommunautaires, étaient préservés et pouvaient continuer à exercer les compétences.
C’est aussi ce que la ministre avait essayé de nous vendre lors de l’examen de la loi 3DS, dont j’étais corapporteur avec Françoise Gatel.
Or à y regarder de plus près – c’est subtil ! –, par le principe de la subdélégation, vous ne permettez même pas au syndicat infracommunautaire d’avoir sa propre existence et ses propres règles juridiques.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE, ainsi que sur des t ravées des groupes SER, GEST et CRCE.
Encore une supercherie gouvernementale, mais s’agissant de la compétence eau, nous y sommes désormais habitués !
Vous avez abordé le sujet sous l’angle de la culpabilisation, madame la ministre, nous reprochant de ne pas avoir le souci d’économiser l’eau dans les Hautes-Alpes, les Alpes-de-Haute-Provence, en Ardèche…
… ou en Haute-Savoie en effet, parce que ces territoires ne seraient pas concernés par la sécheresse.
Permettez-moi de vous dire, madame la ministre, que dans mon département, les robinets de la commune de Coucouron ne distribuent pas d’eau potable depuis le mois d’août. Gardez donc vos leçons de morale et écoutez plutôt ce que nous avons à vous dire, car, s’il est un sujet sur lequel nous sommes soucieux de ce qui se passe sur le territoire, c’est bien celui de l’eau !
Pour avancer de manière constructive, encore faut-il considérer le sujet de la façon la plus objective possible. Il est à cet égard absolument nécessaire que le Gouvernement entende ce que les élus de ces communes et de ces syndicats ont à lui dire.
Vous n’évoquez jamais les syndicats, madame la ministre, car votre volonté – nous le savons – est de les placer eux aussi en coupe réglée sous le joug des intercommunalités.
Pour notre part, nous affirmons avec force que l’eau a sa propre vérité, à l’aune de chacun des territoires de France, et que, si nous voulons être demain au rendez-vous des enjeux de l’eau comme vous nous y invitez, il est grand temps de redonner aux élus la liberté et l’agilité à laquelle ils aspirent !
Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE . – A pplaudissements sur les t ravées des groupes SER, GEST et CRCE.
Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour évoquer ensemble le sujet, récurrent dans notre hémicycle, du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes.
Rappelons que ce transfert obligatoire imposé par le Gouvernement en 2015 lors de l’examen de la loi NOTRe, et auquel le Sénat s’oppose avec constance, est inadapté à la réalité des territoires.
Je tiens tout d’abord à saluer, cher Jean-Yves Roux, votre initiative d’inscrire ce sujet ô combien important à notre ordre du jour. Celle-ci s’ajoute aux initiatives de nos collègues Mathieu Darnaud et Jean-Michel Arnaud.
À la réticence des élus locaux et du Parlement, différents motifs censés justifier la nécessité de ce transfert ont été opposés. À titre d’exemple, je citerai l’urgence de réduire la dispersion des compétences ou encore l’importance d’abaisser le taux de fuite des réseaux.
Ces explications ne sauraient justifier le transfert définitif des compétences en 2026, qui suscite l’opposition d’une large partie des élus locaux – des maires, bien sûr, mais aussi d’un certain nombre de présidents d’intercommunalités – qui, dans le contexte inflationniste que nous connaissons, ont bien d’autres préoccupations et urgences en tête – énergie, investissements…
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires estime que l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) n’est pas toujours l’échelon idoine pour assurer le service de l’eau et de l’assainissement en ce qu’il ne coïncide pas du tout avec la réalité hydrique et géographique du terrain.
Comme l’a rappelé notre rapporteur Alain Marc, dont je salue le travail, ce passage de flambeau engendre une perte de compétences à l’échelon local, mais aussi une hausse des dépenses publiques locales du fait du recrutement de nouveaux agents dédiés.
La commune reste dans certaines situations l’échelon le plus satisfaisant pour exercer les compétences eau et assainissement.
À plusieurs reprises, le Parlement a tenté de revenir sur le caractère impératif de ce transfert. Certains reports et assouplissements – il convient de le rappeler – ont été permis grâce au Sénat.
L’échéance se rapprochant, force est de constater que de nombreuses communes éprouvent des difficultés à régulariser dans les temps ce transfert de compétences. C’est tout particulièrement le cas dans les territoires les plus ruraux et de montagne.
D’après une publication récente d’Intercommunalités de France, seulement 48 % des intercommunalités exerçaient la compétence eau en octobre dernier. Ce chiffre illustre bien les difficultés ressenties sur le terrain pour faire face à ce transfert imposé au forceps.
Plutôt qu’une approche uniformisée, nous souhaitons privilégier une réponse sur mesure adaptée aux besoins et aux spécificités des territoires. Il convient de faire confiance aux élus locaux.
Le texte amendé par la commission et notre rapporteur apporte la souplesse nécessaire et permet de répondre à tous les cas de figure qui se présentent à nous. En permettant un transfert à la carte des compétences eau et assainissement, cette proposition de loi donne aux communes la marge de manœuvre indispensable pour mener sereinement leur mission et offrir les meilleurs services à leurs habitants.
Il conviendra toutefois de veiller – c’est un véritable défi pour demain – à ce que nos concitoyens disposent d’une eau de qualité et en quantité suffisante, conformément à la réglementation.
Adopter cette proposition de loi, c’est faire confiance aux maires. Adopter cette proposition de loi, c’est faire vivre les principes de différenciation et de subsidiarité en s’appuyant sur une dynamique de liberté locale.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires que je représente votera donc en faveur de ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte dont nous débattons aujourd’hui vise à faire figurer de nouveau les compétences eau et assainissement dans la liste des compétences facultatives des communautés de communes.
J’aurais aimé faire une synthèse des propos tenus par notre collègue Sueur et par les autres orateurs, mais je dois avouer que le débat au sein du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a été assez animé.
Les questions de l’eau et de l’assainissement sont centrales. La présente proposition de loi interroge la capacité des communes à choisir de transférer ou non les compétences eau et assainissement à l’intercommunalité, ce qu’une précédente loi avait rendu obligatoire.
Par respect du principe de subsidiarité, nous jugeons légitime que des élus puissent librement choisir de mettre en commun, ou non, les compétences eau et assainissement et décider des modalités de cette mise en commun selon les particularités de leur territoire.
En matière de gestion de l’eau, les questions relatives à la géographie et aux capacités techniques se posent nécessairement.
Souvent, le périmètre administratif de l’intercommunalité ne se superpose pas à la réalité hydrique du territoire. Je pense notamment aux territoires ruraux et aux territoires de montagne, pour lesquels le transfert de ces compétences peut ne pas être opportun.
Cette proposition de loi a le mérite de faire véritablement confiance aux élus locaux. Elle leur laisse une liberté de choisir, « à la carte », la manière dont ils veulent gérer l’eau et l’assainissement : ensemble ou seuls, une compétence sans l’autre ou les deux en même temps.
Il faut toutefois admettre que l’intercommunalité permet d’envisager des projets plus ambitieux et de mutualiser les coûts et les risques pour mieux investir face aux enjeux environnementaux croissants.
Car oui, la multiplication des épisodes de chaleur et de sécheresse nécessitera de plus en plus de mises en commun pour éviter les conflits d’usage autour de l’eau.
À ce titre, je souhaite revenir sur la question centrale qui se posera à l’avenir. On a longtemps cru, en France, que l’accès à l’eau serait garanti à tous et pour tous les usages. Cette affirmation n’est plus d’actualité : nous avons connu des sécheresses estivales redoutables, et nous connaissons aujourd’hui des sécheresses hivernales dont la réalité brutale annonce de nouveau des étés difficiles.
L’été 2022 nous a bien montré que l’accroissement du nombre des épisodes de canicule et de sécheresse a des conséquences directes sur l’eau potable et sur l’assainissement. Ceux qui s’en sortent bien aujourd’hui de façon isolée s’en sortiront-ils toujours aussi bien demain ?
Quelque 90 % des cours d’eau étaient en grand déficit cet été – les gorges du Verdon et le lac de Serre-Ponçon étaient complètement à sec – et une centaine de collectivités ont été privées d’eau potable, ce qui a rendu nécessaire l’acheminement d’eau par camions-citernes et la distribution de millions de bouteilles.
À l’aune de ces crises, on comprend que la présente proposition de loi ne constitue pas une solution en soi pour répondre à ces enjeux locaux, car aucune collectivité ne s’en sortira seule.
Que l’on se place à l’échelle communale ou intercommunale, le problème demeure le même. Aujourd’hui, la politique de l’eau est sous-financée dans une fourchette de 800 millions à 3 milliards, voire 4 milliards d’euros par an. On est loin du compte !
Les réseaux, souvent vieillissants et usagés, ont besoin d’être rénovés. Les canaux sont vétustes au point que 20 % de l’eau produite disparaît dans les sous-sols avant d’atteindre un robinet.
C’est aussi un enjeu social fort, car l’inflation et le sous-investissement gonflent et gonfleront les prix de l’eau au détriment des usagers. Aujourd’hui, 1 million de foyers sont déjà concernés par une facture d’eau d’un montant supérieur à 3 % de leurs revenus.
Si l’on peut soutenir l’intelligence des élus territoriaux et respecter leur faculté de faire les meilleurs choix pour leur commune, on peut aussi souligner la nécessité de mutualiser et d’investir collectivement.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires se partagera sur ce texte entre quelques votes pour et une majorité d’abstentions, mes collègues estimant que cette proposition de loi n’est pas la réponse aux problèmes évoqués.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans la vie législative – nous ne le savons que trop –, de simples amendements peuvent avoir une immense portée.
C’est en effet par un simple amendement gouvernemental au funeste projet de loi NOTRe, en 2015, sans étude d’impact ni avis du Conseil d’État, que le gouvernement d’alors avait fait adopter le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux EPCI, y compris dans les communautés de communes.
Face à l’opposition farouche de l’Association des maires de France et d’une bonne partie du Sénat, nous avons depuis obtenu de haute lutte un certain nombre d’assouplissements : plusieurs reports de la date de transfert, finalement fixée au plus tard au 1er janvier 2026 sous conditions, la possibilité de déléguer la compétence à un syndicat ou à une commune par la loi du 3 août 2018 et la loi Engagement et proximité du 27 décembre 2019. Enfin, la loi 3DS du 21 février 2022 prévoit le maintien après le 1er janvier 2026 des syndicats infracommunautaires de gestion des eaux existant au 1er janvier 2019 au sein d’une communauté de communes, sauf délibération contraire de cette dernière.
Nonobstant ces différentes mesures d’adaptation législative, le résultat final ne semble pas avoir répondu totalement aux inquiétudes des élus de la ruralité et de la montagne, car il ne résout pas le problème de fond : la loi oblige toujours les communes à transférer l’eau et l’assainissement à leur communauté de communes.
La mise en place de cette communautarisation généralisée a été voulue, nous dit-on, pour éviter une trop forte dispersion des modalités d’exercice de ces compétences, laquelle, selon le législateur de l’époque, serait à l’origine d’un manque de rationalisation des services.
La loi NOTRe se donnait ainsi pour objectif une mutualisation efficace des moyens techniques et financiers nécessaires à une meilleure maîtrise des réseaux de distribution d’eau potable et d’assainissement, notamment dans les zones rurales.
Nous y voilà, les mots magiques sont lâchés : « rationalisation, maîtrise, mutualisation, circulez ! »
Combien d’inepties génératrices de gabegie d’argent public ont été inventées sur la base de ce mirage ? Comment un principe aussi général peut-il être opérant au vu de la très grande hétérogénéité des situations locales ?
L’Assemblée des communautés de France (AdCF) a constaté que, à la fin de 2021, seules 33 % des communes avaient effectivement transféré aux communautés de communes la compétence en question.
À l’évidence, la fixation du niveau d’exercice de cette compétence ne peut être uniforme et déconnectée du terrain, mais doit a contrario relever de considérations matérielles et techniques propres à chaque territoire.
Cela vaut encore davantage pour les territoires ruraux, où les modalités de gestion d’un service public peuvent varier d’une commune à l’autre et nécessiter de maintenir une gestion directe par la commune ou les syndicats en place afin de permettre une capacité d’intervention plus souple et plus efficace.
Que dire encore des investissements coûteux et des recrutements qui seraient nécessaires à la seule mise en œuvre de ces transferts, si tant est qu’ils ne soient pas contestés par la Cour des comptes, sans réel bénéfice en termes d’efficacité pour les territoires concernés ? À n’en pas douter, ces transferts s’accompagneraient dans certains cas d’une hausse importante du prix de l’eau !
Aussi, en ce qui concerne les communautés de communes, les auteurs de la présente proposition de loi entendent privilégier une approche pragmatique, moins coûteuse et technocratique, adaptée aux réalités géographiques et hydrologiques des territoires. Suivant l’essence même du principe de subsidiarité, il reviendrait aux communes de décider du niveau d’exercice de ladite compétence en matière d’eau et d’assainissement.
Nous sommes donc impatients de connaître la position du Gouvernement et, par la suite, l’avis de l’Assemblée nationale. Le Gouvernement finira-t-il par accepter de revenir sur une disposition profondément contestée sur le terrain ?
Le fait qu’à peine un tiers des communautés de communes se soient vu transférer la compétence eau, presque dix ans après la loi NOTRe, montre que les maires restent prudents sur le sujet, ce qui devrait suffire à faire réfléchir le Gouvernement.
Pour conclure, et avant même d’examiner le texte proposé par nos collègues du groupe RDSE, que je remercie, il me semble indispensable de préciser un point technique qui peut prêter à confusion lorsque l’on évoque, sans autre précision, l’eau et l’assainissement.
Le réseau d’eau potable est sous pression et peut donc avoir n’importe quel périmètre. En revanche, les réseaux d’eaux pluviales et d’eaux usées sont gravitaires. L’eau potable est facturée, comme l’assainissement des eaux usées, via une redevance pour la collecte, le transport et l’épuration. Au contraire, …
… les dépenses de collecte d’eaux pluviales ne sont pas couvertes par des recettes propres. Les coûts afférents sont donc incorporés dans le budget général de la collectivité.
Attention donc au titre même de la proposition de loi puisque, traditionnellement, …
… le terme « eau » renvoie à l’eau potable, alors même que l’assainissement inclut les eaux usées et les eaux pluviales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Peut-être ne suis-je pas suffisamment intelligent ?
Je souscris à ce qu’a dit mon collègue du groupe écologiste : si l’on bascule la compétence à l’intercommunalité, comment fera-t-on pour celles qui ne comptent que 5 000 habitants, comme chez moi, avec des secteurs où l’on ne trouve pas plus de cinq habitants au kilomètre carré ? Je précise que, dans le Sahel, on est à onze habitants au kilomètre carré !
Cela signifie, madame la ministre, que la problématique de la sécheresse et des retenues d’eau ne pourra être résolue à l’échelle intercommunale, mais seulement à celle, a minima, des départements.
En outre, puisque nous faisons face à des problèmes liés au manque de pluie, j’allais vous suggérer, si vous ne souhaitez pas faire évoluer votre position sur cette compétence, que vous y glissiez l’obligation pour nos intercommunalités d’apprendre la danse de la pluie. Au moins, nous y gagnerons un peu d’humour.
L’idée de basculer la compétence à l’intercommunalité me semble pour le moins relever de l’obstination.
M. Alain Marc, rapporteur. Les études montrent toutes que cela relève parfois même – j’ose le dire – de la bêtise !
M. Jean-Michel Arnaud applaudit.
Y aurait-il, dans les hautes sphères de l’exécutif, une collusion avec certains grands groupes ? Je n’ose le penser et j’espère que tel n’est pas le cas.
Je souhaite que nous soutenions collectivement, les uns et les autres, cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
I. – L’article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Les 6° et 7° sont abrogés ;
b) Les treizième à dix-septième alinéas sont supprimés ;
2° Le II est ainsi modifié :
a) Les 6° et 7° sont ainsi rétablis :
« 6° Assainissement des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8 du présent code ;
« 7° Eau. » ;
b)
« La communauté de communes peut, avec l’accord du conseil municipal des communes concernées, déléguer, par convention, tout ou partie des compétences mentionnées aux 6° et 7° du présent II ainsi que la compétence relative à la gestion des eaux pluviales urbaines définie à l’article L. 2226-1 à l’une de ses communes membres. Lorsqu’une commune demande à bénéficier d’une délégation, l’organe délibérant de la communauté de communes statue sur cette demande dans un délai de deux mois.
« La délégation prévue au douzième alinéa du présent II peut également être faite au profit d’un syndicat mentionné à l’article L. 5212-1 et inclus en totalité dans le périmètre de la communauté de communes.
« Les compétences déléguées en application des 6° et 7° du présent II sont exercées au nom et pour le compte de la communauté de communes délégante.
« La convention, conclue entre les parties et approuvée par leurs assemblées délibérantes, précise la durée de la délégation et ses modalités d’exécution. Elle précise notamment les conditions tarifaires des services d’eau et d’assainissement des eaux usées sur le territoire de la communauté de communes. Les autres modalités de cette convention sont définies par un décret en Conseil d’État.
« Les compétences mentionnées aux 6° et 7° du même II exercées par une communauté de communes peuvent, à tout moment et en tout ou partie, être restituées à chacune de ses communes membres après accord de la moitié au moins des conseils municipaux des communes membres, ou à une ou plusieurs de ses communes membres après délibérations concordantes de l’organe délibérant de la communauté de communes et des conseils municipaux des communes membres concernées. Sont applicables à ces restitutions de compétences les articles L. 1321-1 à L. 1321-6 du présent code.
« Les délibérations mentionnées au seizième alinéa du présent II définissent le coût des dépenses liées aux compétences restituées ainsi que les taux représentatifs de ce coût pour l’établissement public de coopération intercommunale et chacune de ses communes membres ou à une ou plusieurs communes membres dans les conditions prévues au 4 du 3° du B du III de l’article 85 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.
« La restitution de compétences est prononcée par arrêté du ou des représentants de l’État dans le ou les départements intéressés.
« Une ou plusieurs communes membres d’une communauté de communes peuvent transférer à cette dernière, en tout ou partie, les compétences mentionnées aux 6° et 7° du présent II ainsi que les biens, équipements ou services publics nécessaires à leur exercice. Le transfert intervient après délibérations concordantes de l’organe délibérant de la communauté de communes et des conseils municipaux des communes membres concernées. Sont applicables à ces transferts de compétences les articles L. 1321-1 à L. 1321-6 du présent code.
« Les conventions de délégation conclues en application des treizième à dix-septième alinéas du I du présent article, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° … du … visant à permettre une gestion différenciée des compétences “eau” et “assainissement”, ou du IV de l’article 14 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique demeurent valables en l’absence de modification du titulaire de l’exercice des compétences eau et assainissement des eaux usées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° … du … précitée.
« Lorsque les compétences eau et assainissement des eaux usées sont restituées, en tout ou partie, aux communes, les conventions de délégation, conclues en application des treizième à dix-septième alinéas du I du présent article, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° … du … visant à permettre une gestion différenciée des compétences “eau” et “assainissement”, ou du IV de l’article 14 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, sont maintenues pendant une durée d’un an à compter de la délibération des conseils municipaux se prononçant sur la restitution des compétences précitées. La communauté de communes et les communes concernées délibèrent, au cours de cette année, sur le principe d’une délégation de tout ou partie des compétences eau et assainissement des eaux usées ou de l’une d’entre elles, aux communes ou aux syndicats délégataires à la date de la restitution de compétences. »
II
III
1° Le II est abrogé ;
2° Le IV est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « au deuxième alinéa du I de l’article L. 5214-21 et » et les mots : « d’une communauté de communes exerçant à titre obligatoire ou facultatif ces compétences ou l’une d’entre elles, ou dans celui » sont supprimés ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au deuxième alinéa du I de l’article L. 5214-21 du code général des collectivités territoriales, les syndicats compétents en matière d’eau, d’assainissement, de gestion des eaux pluviales urbaines ou dans l’une de ces matières inclus en totalité dans le périmètre d’une communauté de communes exerçant à titre facultatif ces compétences ou l’une d’entre elles sont maintenus jusqu’à neuf mois suivant la prise de compétence. Le syndicat exerce, sur son périmètre, ses attributions pour le compte de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et lui rend compte de son activité. » ;
c) Le dernier alinéa est supprimé.
IV
Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Claude Anglars, pour explication de vote.
Je voudrais tout d’abord apporter mon soutien à cette proposition de loi. Tout a été dit par les précédents orateurs sur la dimension dans laquelle il faut se situer.
Ensuite, madame la ministre, par rapport à ce que vous avez indiqué et à votre obstination à vouloir transférer la compétence eau à la communauté de communes, je me souviens d’une discussion que nous avions eue, lors d’un de vos passages en Occitanie : vous me posiez une question sur le vote des territoires ruraux en faveur de certains extrêmes. L’eau, c’est la vie : mes collègues l’ont bien expliqué. Il s’agit donc d’une compétence tout à fait particulière. Vous ne pouvez pas ne pas entendre qu’il faut laisser cette liberté aux communes, en les laissant faire comme elles le souhaitent.
Je voulais simplement vous le dire et apporter tout mon soutien aux auteurs de la proposition de loi, au rapporteur et à tous les intervenants précédents.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.
Les élus locaux ne veulent pas, à juste titre, que la compétence eau et assainissement soit gérée à l’échelon intercommunal. Les conseils municipaux souhaitent conserver ce levier, qui a aussi une dimension sociale. Le coût varie en fonction du mode de gestion s’il s’agit d’une régie, d’une concession ou bien encore d’une délégation de service public (DSP).
Cela dépend aussi des investissements effectués par les collectivités locales pour la qualité du service apporté à la clientèle, ainsi que des contraintes géographiques. En effet, la qualité et la quantité de ressources disponibles tout comme l’éloignement du lieu de captage, qui génère une certaine longueur de canalisations, et les conséquences liées à la nature des sols sur le vieillissement des canalisations ont un effet sur les coûts de production et d’entretien.
Il faut aussi prendre en compte le fait que, dans les zones rurales, l’habitat dispersé oblige à se doter d’un réseau de distribution de grande longueur. Les coûts d’entretien par habitant des réseaux de distribution et de collecte ne sont pas les mêmes qu’en agglomération. Comment une intercommunalité pourrait-elle gérer de façon efficiente ce type de difficultés ?
Vous comprenez bien que la réponse du Gouvernement, par votre voix, madame la ministre, le 24 janvier dernier, pour défendre le principe du transfert sans l’ombre d’un argument fondé, comme vous venez de le faire, ne me convient pas. Mais je ne pense pas que vous soyez responsable de cette situation. Je crois plutôt que c’est encore une conséquence négative de la fameuse loi NOTRe.
Pour rappel, la vision pragmatique sur ce dossier nous avait conduits, le 23 février 2017, sur l’initiative de Bruno Retailleau, au vote d’un texte d’équilibre qui ne supprime pas le transfert, mais le rend facultatif.
Je me réjouis que cette proposition de loi soit reprise par notre collègue Jean-Yves Le Roux ; je la voterai des deux mains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Par cette proposition de loi, nous voulons corriger l’un des irritants les plus récurrents de ces dernières années et qui concerne tous les élus de terrain : celui du transfert forcé de la compétence eau et assainissement aux communautés de communes.
Encore faut-il rappeler la faute originelle qui nous réunit ici, celle qui provient de la funeste loi NOTRe, à propos de laquelle la ministre chargée des collectivités locales de l’époque, Marylise Lebranchu, déclarait, trois ans après avoir tordu le bras du Parlement et de la majorité du Sénat pour la faire adopter : « Sur la loi NOTRe, nous n’avons pas été bons. » Quel aveu d’impuissance et quel aveu tout court !
Ce n’est pourtant pas faute, au Sénat, d’avoir constamment refusé ce transfert forcé en signifiant notre volonté de respecter la liberté communale la plus élémentaire, c’est-à-dire le droit pour les communes d’exercer cette compétence de service public majeure à l’échelon d’administration qui lui semble le plus efficient.
Ce n’est pas faute non plus d’avoir été à l’origine d’autres initiatives législatives visant à corriger cette situation – je pense notamment aux travaux de Mathieu Darnaud et de Françoise Gatel.
La loi du 3 août 2018 a permis, malgré l’opposition du Gouvernement, de revenir sur le transfert forcé, mais seul un report au 1er janvier 2026 était prévu. Cinq ans après, sans surprise, nous n’avons que des remontées négatives. Les élus locaux, les maires et les syndicats, tous expriment leurs inquiétudes à l’approche du grand saut.
Si vous vous entêtez à ne pas reconnaître cette liberté communale fondamentale, vous confirmerez et conforterez le sentiment de dépossession des maires au moment même où nous assistons à une vague de démissions d’élus locaux partout sur le territoire.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Yves Roux applaudit également.
Je voudrais simplement ajouter à mon intervention précédente un fait qui vient encore une fois tordre le cou à votre argumentaire, madame la ministre.
Vous venez nous dire que l’intercommunalité, c’est mieux, c’est plus efficace et, pour reprendre l’expression que vous avez assénée à plusieurs reprises, qu’« il faut le faire ensemble ».
Nous avons pu auditionner l’ensemble des présidents et directeurs des agences de l’eau dans le cadre d’une mission d’information sur la gestion durable de l’eau créée par nos collègues socialistes. Nous les avons interrogés sur les Aqua Prêts. Tous nous ont dit que ce dispositif ne fonctionnait pas, y compris dans les intercommunalités qui disposent de la compétence.
Madame la ministre, nous attendons encore que vous répondiez sur le fond à nos arguments. Car vous ne répondez que sur la forme : « il faut aller plus vite », « il faut avancer coûte que coûte », « si vous n’entrez pas par la fenêtre, on vous fera entrer par la cheminée », « tout doit se faire dans le cadre de l’intercommunalité »…
Si vous avez la prétention d’avancer au moins un argument de fond pour nous convaincre, essayez donc ! C’est le moment, madame la ministre : jusqu’à présent, vous n’en avez pas produit un seul qui expliquerait pourquoi et comment nous devrions y aller ensemble, au travers de l’intercommunalité.
Enfin, je serais curieux de vous entendre sur les Aqua Prêts. C’est bien la démonstration la plus absolue que rien ne marche mieux en plaçant la compétence sous le joug et sous le prisme de l’intercommunalité.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Je voudrais tout d’abord remercier les auteurs de cette proposition de loi et le groupe RDSE.
Les élus sont des personnes responsables, nous pouvons et nous devons leur faire confiance. Je voudrais souligner une réalité toute simple que mes collègues ont déjà rappelée : le contour des communautés de communes est purement artificiel. Il ne respecte aucune géographie ni aucune réalité, pas même hydrique. Ici, il y a une nappe phréatique ; là-bas, on va puiser dans une rivière. Il n’y a donc aucun sens à rendre cette compétence obligatoire.
De plus, ce transfert nécessitera la création d’un service au sein d’une communauté de communes, ce qui entraînera vraisemblablement une hausse du prix de l’eau, voire un recours à une société privée. Telles sont les questions que je me pose.
Dans ma commune, dont je suis toujours conseillère municipale, nous sommes en régie : nous entretenons nos réseaux et tout se passe bien en qualité et en volume. C’est une petite commune industrielle, dont de nombreux habitants ont des salaires modestes ; nous sommes heureux et fiers d’offrir l’eau à un coût très bas, bien en dessous de la moyenne, autour de 1 euro.
S’il y a des fuites, nous avons un adjoint et un agent qui interviennent immédiatement.
La vie réelle, c’est en effet toute la richesse que nous avons : des élus qui s’investissent, qui sont bien souvent à la retraite et qui peuvent consacrer du temps à la commune et être présents. Or, si l’on transfère la compétence, nous perdrons tout cela. Cette organisation est précieuse : elle nous permet de faire de grosses économies et d’avoir un service immédiat.
S’il y a une fuite dans la nuit, ils interviennent immédiatement, ce qui n’est pas le cas dans d’autres communes.
J’ai aussi le mérite de la cohérence, cher Jean-Pierre Decool : j’ai été présidente de l’association des maires de mon département des Hautes-Pyrénées en 2014 et j’ai toujours milité pour que la compétence eau et assainissement reste optionnelle.
Je reste sur cette position parce que tout ce que j’ai vu dans mon territoire me montre bien que c’est la seule solution pour que la compétence eau et assainissement soit gérée au mieux, dans la diversité de nos territoires.
Les communes n’ont pas attendu la loi NOTRe ni d’autres lois pour mutualiser sur des sujets d’intérêt général : elles l’ont fait pour l’eau ou pour les déchets, par exemple.
Marques d ’ approbation sur les travées des groupes Les Républicains et UC.
Dans mon département, la communauté d’agglomération regroupe deux grandes villes et une multitude de toutes petites communes. Elle n’avait aucune envie de prendre cette compétence et les petites communes du pays de Lourdes, qui ont dû la lui transférer, ne sont plus compétentes du tout.
Certaines communes ont fait des investissements, même avec de petits moyens ; d’autres ont fait un choix différent : cela relève de leur responsabilité.
Chacun a de bonnes raisons de faire ou de ne pas faire. Certaines communes, même sans obligation, ont fait le choix du transfert. Il faut laisser le choix aux communes, particulièrement en zone de montagne et partout où c’est nécessaire.
Je voterai cette proposition de loi.
Je voudrais remercier le groupe RDSE d’avoir une énième fois déposé une proposition de loi sur ce sujet. Mathieu Darnaud avait également déjà travaillé sur la question et bien d’autres de nos collègues aussi.
Je souscris à ce que tous les orateurs ont dit dans la discussion générale, sauf ceux qui sont contre ce texte : tout le monde n’habite pas Paris ou Orléans…
Je voudrais ajouter un élément qui n’a pas forcément été bien précisé, à savoir que les intercommunalités ne sont pas du tout demandeuses : il va leur falloir créer des services et engager des dépenses pour inventer des choses qui coûtent fort cher !
On a parlé des sécheresses, qui surviennent de plus en plus souvent. Il est donc essentiel de favoriser la création de syndicats, éventuellement départementaux, pour la production d’eau et non pour la distribution.
Enfin, je voudrais souligner que cette intercommunalisation entraînera naturellement une augmentation du prix du mètre cube.
Madame la ministre, les éleveurs sont vent debout contre votre projet. Ils sont nombreux, mais leurs bovins le sont plus encore. Savez-vous combien de litres d’eau boit une vache laitière chaque jour ? Plus de 100 litres, madame la ministre ! Compte tenu de la taille des exploitations, cela fait 10 mètres cubes par jour. Vous imaginez bien, avec l’augmentation du prix de l’eau, ce que cela donnerait pour l’élevage, qui est déjà dans un marasme complet.
Par conséquent, je soutiens cette proposition de loi que je voterai en applaudissant des deux mains.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.
Je souhaite à mon tour apporter mon soutien total à cette proposition de loi. Je remercie ses auteurs et tous ceux qui, depuis de nombreuses années, se battent pour rétablir cette liberté locale.
Il ne s’agit pas seulement de conviction, même s’il en est bien évidemment question, mais aussi de la réalité de nos territoires et de la réalité locale. En effet, le rétablissement de la confiance dans nos territoires passe par le maintien de cette compétence à une échelle maîtrisée, de manière à permettre l’intervention des services mutualisés et des élus locaux dans une petite commune.
C’est aussi, et vous l’avez souligné, madame la ministre, une question grave : raison de plus pour la confier au bon sens des élus locaux et pour la leur laisser ! Ils ont démontré, dans l’exercice de cette liberté locale, leur capacité à agir et à travailler ensemble. À la question posée, on apporte une réponse qui ajoute une confusion entre la compétence et la gestion des ressources.
Bien évidemment, les élus locaux n’ont pas attendu un texte nouveau pour interconnecter des réseaux, pour travailler ensemble, pour partager des ressources et pour communiquer à leur échelle, c’est-à-dire à l’échelle la plus pertinente.
La mutualisation choisie est déjà en place. Quand il y a des besoins d’ingénierie complémentaires, ils sont mutualisés avec les agences techniques des départements, par exemple, de manière à apporter ce complément aux communes lorsque les besoins s’expriment à cette échelle. Il me semble donc que la liberté doit prévaloir.
Enfin, je conclurai en revenant sur le sujet des syndicats infracommunautaires. À une question que je vous ai posée, vous avez répondu qu’il n’était plus possible de constituer de syndicats infracommunautaires, ce qui est là aussi une limite à cette liberté locale, alors qu’elle serait la bienvenue, y compris du point de vue des communautés de communes. §
À mon tour, je veux remercier le groupe RDSE pour cette initiative importante.
Eu égard à ce que j’ai entendu précédemment, et je souscris à bon nombre des propos qui ont été tenus, je voudrais rappeler qu’il faut se méfier des lois fourre-tout comme la loi NOTRe de 2015, mais aussi la loi Climat et résilience de 2021, dont nous aurons, ce soir, à corriger les erreurs en ce qui concerne l’objectif du zéro artificialisation nette.
Surtout, madame la ministre, il est extrêmement important de faire confiance aux élus locaux. Il faut, à l’image de ce que le Gouvernement veut promouvoir, notamment la décentralisation et la différenciation, que l’on puisse tenir compte des réalités des territoires : la mutualisation est un processus positif dans certains territoires, mais pas dans d’autres.
Je vais assez régulièrement au Grand-Bornand, à l’invitation de mon collègue Loïc Hervé, …
… où je mesure, en parlant avec les élus locaux, combien il est indispensable que la compétence demeure à l’échelon local. À défaut, c’est toute l’économie générale qui serait remise en cause : l’eau sert pour l’alimentation en eau potable des habitants et des élevages, nombreux dans cette région, ainsi que pour la production de neige. Au regard de ces différents usages, la gestion locale prend ici tout son sens.
Il est important de faire confiance aux élus locaux, de s’appuyer sur leurs choix et de les respecter.
Applaudisse ments sur les travées du groupe UC e t sur des travées du groupe Les Républicains.
Laissez-moi retracer devant vous, de manière anecdotique, mais si peu, le parcours d’un permis de construire avant et après le transfert de la compétence eau et assainissement de la commune à une communauté d’agglomération.
Avant ce transfert, le pétitionnaire déposait en mairie son permis de construire, laquelle envoyait la demande d’avis au syndicat intercommunal d’eau potable, qui renvoyait son avis à la commune une semaine après.
Aujourd’hui, avec le transfert à la communauté d’agglomération, la commune reçoit le permis de construire, l’envoie à la communauté d’agglomération, qui l’envoie au syndicat, puis le syndicat rend son avis à la communauté d’agglomération qui le retransmet à la mairie. Ce parcours prend environ quatre semaines : c’est autant d’agents publics à recruter pour contrôler et pour examiner les dossiers et autant d’augmentation du coût d’instruction des dossiers, sans compter que l’on tombe dans la caricature en termes d’empilement des échelons !
Mme Maryse Carrère. Au-delà des considérations financières et techniques et des difficultés que peut poser le transfert de cette compétence, on peut faire mieux en matière de simplification. Nos concitoyens risquent de ne plus rien y comprendre.
M. le rapporteur et M. Jean-Yves Roux applaudissent .
Qualité ou défaut, voilà maintenant quelques années que je siège dans cet hémicycle.
Je me souviens de ce qui a été dit au moment de l’examen de la loi NOTRe : à aucun moment la question de la gestion des sécheresses n’a été évoquée pour justifier la remontée de compétence obligatoire aux intercommunalités.
Priorité était alors donnée à la recherche de rentabilité, aux coupes drastiques dans les finances locales et aux économies. À l’époque, on entendait dire qu’il fallait « réduire par plus de dix le nombre de services dans notre pays et réduire l’émiettement » pour satisfaire ainsi l’exigence de la Cour des comptes et du Conseil d’État. À aucun moment les enjeux que nous évoquons aujourd’hui n’ont été mentionnés.
Nous avons de la chance, en quelque sorte, de tenir ce débat en mars 2023, après un été de sécheresse. Car si nous avions eu le même débat voilà un an, quels arguments auraient été avancés après l’été 2021, plutôt pluvieux par rapport à l’été dernier ?
Nous avons besoin d’un peu de sincérité. Le vrai débat qui a prévalu en son temps était celui des remontées de compétences pour satisfaire une exigence de rentabilité, y compris au travers de la casse de la gestion publique de l’eau dans nos territoires. Voilà ce qui a prévalu !
Je voudrais dire à ceux de nos collègues qui défendent aujourd’hui encore les positions d’hier – la constance en politique, c’est magnifique ! – que le temps nous apprend que faire la loi, c’est exigeant ; l’évaluer, c’est indispensable ; savoir la réécrire quand elle ne répond pas aux attentes de la population et des territoires, c’est une exigence démocratique !
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, RDSE, UC et Les Républicains.
Beaucoup a déjà été dit et je voudrais seulement apporter mon témoignage, madame la ministre, sur la situation de la communauté d’agglomération de Gap-Tallard-Durance, qui a basculé, par obligation et contre l’avis unanime des communes membres, vers la compétence intercommunale.
Je serai bref et me contenterai, si vous le permettez, d’inviter vos services, puisque visiblement ils ont beaucoup d’influence sur les choix politiques de votre ministère, à consulter le rapport de la chambre régionale des comptes qui évalue la situation de cette communauté d’agglomération entre 2017 et 2020. Cela permettra d’alimenter la réflexion de votre administration.
Un contentieux est en cours avec la direction générale des finances publiques (DGFiP). Certaines entreprises ne sont pas payées depuis trois ans. Les entreprises, les collectivités locales et les maires sont à feu et à sang, car ils ne comprennent pas ce qui se passe. Les travaux sont bloqués compte tenu de ces difficultés. J’ai cru comprendre que la situation était similaire dans le secteur de Tarbes.
Madame la ministre, je vous invite à organiser une mission flash, puisque vous les affectionnez tant. Je serai votre homme, si vous le souhaitez, pour la mener afin d’analyser au fond la situation.
Enfin, sans être trop long, je voudrais citer quelqu’un d’importance, selon qui, « dans la très grande majorité des cas, les territoires savent mieux ce qui est le plus pertinent pour eux ».
Il s’agit d’Emmanuel Macron, lors de la Conférence nationale des territoires, le 18 juillet 2017.
À défaut d’écouter le Sénat, même si vous l’avez fait tout à l’heure et durant de longues journées de manière constructive sur la question des retraites, écoutez au moins le Président de la République qui a su dire, lors de cette Conférence, des choses puissantes et utiles.
Permettez-moi d’évoquer l’expérience très douloureuse vécue par le maire d’une petite commune de 150 habitants.
Ce maire a très bien travaillé pendant dix ou quinze ans. Il a refait sa station d’épuration, réhabilité l’intégralité de son réseau, dont il a porté le taux de rendement à 98 %, réalisé les travaux nécessaires non seulement pour protéger la ressource, mais également pour prêter de l’eau à la commune voisine lorsqu’elle n’en avait pas.
Puis, un jour, patatras ! En 2018, l’intercommunalité a annoncé à ce maire qu’elle allait prendre la compétence de l’eau. Il a alors réalisé un audit de l’ensemble des communes de l’intercommunalité et découvert que les niveaux et les coûts de gestion de l’eau n’étaient pas les mêmes partout.
Certaines petites communes ont alors décidé d’appliquer la loi et de réunir une minorité de blocage, soit 25 % des communes membres représentant 20 % de la population, afin de s’opposer au transfert de la compétence. Le département, l’Agence de l’eau, les services de l’État, le préfet ont gentiment commencé à exercer un chantage et à leur dire qu’elles n’obtiendraient pas de subventions si elles ne transféraient pas la compétence eau à l’intercommunalité.
Ces communes ont alors saisi le tribunal administratif pour casser l’arrêté. Après rejet de leur demande en référé, elles ne se sont pas démontées et sont allées jusqu’au Conseil d’État, qui in fine leur a donné raison et a considéré que le transfert de la compétence eau de ces petites communes à l’intercommunalité était abusif.
Ce maire, élu pendant vingt ans à Duilhac-sous-Peyrepertuse, qui s’est battu pour conserver la compétence eau, c’est moi ! J’ai estimé qu’il n’était pas nécessaire de transférer cette compétence et que les services de l’État, en particulier les préfets de deux départements, l’Aude et les Pyrénées orientales, avaient fait un peu d’excès de zèle et abusé de leurs compétences.
Je voterai avec grand plaisir la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise. Laissons un minimum de liberté à nos communes, sinon il va falloir que l’on ferme la porte et que l’on rende les clefs aux préfets. Est-ce ce que vous voulez ? Ce n’est pas la culture de la France, de la ruralité. Laissez les maires tranquilles et laissez-les gérer leurs compétences en proximité.
Applaudisseme nts sur des travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains .
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans ce temple du girondisme qu’est le Sénat, là où on a la subsidiarité chevillée au corps, il est important de vous rappeler, madame la ministre, que si un certain nombre de communes n’ont pas encore transféré la compétence eau et/ou assainissement, c’est peut-être pour de bonnes raisons, des raisons objectives.
Il fut un temps où l’on pouvait être à la fois sénateur et président d’une intercommunalité. Cela a été mon cas pendant trois ans. Si les montagnards ont été nombreux à s’exprimer cet après-midi, c’est qu’ils ont des raisons hydrauliques, géographiques de s’opposer au transfert. Ce n’est pas vrai qu’en montagne, mais c’est particulièrement vrai dans ces régions.
La gestion syndicale ou communale de l’eau, parfois de l’assainissement, laquelle relève certaines fois de l’intercommunalité, y est le fruit de la volonté des conseils communautaires, dans le cadre d’un accord général.
Je vous le dis très sincèrement, madame la ministre, dans ce pays, comme on l’a encore vu hier lors de l’examen de la proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l’incendie à la réalité des territoires ruraux, l’hypercentralisation et le pouvoir des technocrates se heurtent à la réalité d’élus locaux honnêtes, compétents, qui savent rendre un service public à des coûts raisonnables. Le refus de transférer la compétence eau n’est pas de l’égoïsme de leur part. Dans un certain nombre de territoires, ce transfert à l’intercommunalité va faire flamber les coûts !
C’est une perspective que nous devons combattre ! Ce n’est pas de la solidarité, madame la ministre. Il faudra l’assumer dans les territoires où ce n’est pas le cas…
Dans le territoire que je représente, la Haute-Savoie, il faut laisser cette compétence à l’échelon où les élus veulent la conserver.
Farouchement opposé !
J’y suis opposé pour deux raisons, madame la ministre. Je ne reviendrai pas sur les arguments qui ont déjà été avancés, mais la compétence eau et, dans une moindre mesure, la compétence assainissement forment l’ADN de nos territoires, de nos communes. La compétence eau est exercée par l’ensemble des communes de France. C’est le point commun entre elles. C’est même souvent sur cette base que certaines d’entre elles ont été créées ou assemblées voilà quelques années.
Je ne connais pas un élu, madame la ministre, pas un maire qui se désintéresse de la gestion de l’eau dans sa commune. Pas un ! C’est probablement la compétence la plus importante exercée par nos élus locaux. Ils ont développé une connaissance de ces réseaux à nulle autre pareille, ainsi que des compétences techniques et d’adaptabilité en matière de gestion de ces réseaux avec lesquelles aucune société privée, aucun service technique mis en place dans les intercommunalités ne sauraient rivaliser.
Nous sommes ici en train de modifier la nature de l’intercommunalité. D’un point de vue sémantique, le mot « intercommunalité » veut dire « entre les communes ». Cela signifie que les communes décident entre elles des compétences qu’elles doivent transférer. Quand le Gouvernement décide du transfert obligatoire de la commune à l’intercommunalité, il modifie la nature même de l’intercommunalité. Il crée un échelon de collectivité territoriale qui n’est pas celui que l’on souhaite.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.
Madame la ministre, je serai aujourd’hui le porte-voix des élus de la montagne, dont certains ont déjà pris la parole aujourd’hui dans cet hémicycle.
Nous avons collecté les témoignages d’un certain nombre d’élus de la montagne, de tous les massifs, que nous vous avons remis.
Loin de justifier leur opposition au transfert obligatoire par le seul désir de conserver à l’échelon communal une compétence supplémentaire, les élus locaux avancent des arguments de fond. Ainsi, ils insistent sur l’importance de conserver une gestion de proximité des réseaux d’eau et d’assainissement dans les territoires où l’habitat est dispersé et où la densité de population au kilomètre carré est faible.
Au quotidien, l’entretien des réseaux est assuré par les agents techniques, mais aussi, souvent, par des élus bénévoles, comme cela a été dit. Élus et techniciens ont acquis une connaissance des réseaux et une réactivité qui permettent d’assurer un service de qualité à un faible coût pour les usagers.
Le transfert de la compétence à l’intercommunalité suscite des interrogations sur la capacité des agents de la communauté de communes à assurer les travaux de surveillance et d’entretien, ainsi que la gestion des pannes, sachant qu’il faut souvent plus d’une heure en temps normal pour se rendre au siège de la communauté de communes et que les déplacements sont très difficiles, parfois impossibles, en hiver. Les usagers devront également se déplacer pour tous les litiges ou toutes les questions.
À long terme, la perte d’expertise des techniciens et des élus communaux et l’absence de transmission de cette expertise conduiront à dégrader encore plus le service aux usagers.
Il ressort par ailleurs de l’ensemble des études préalables et des témoignages recueillis une augmentation des prix de l’eau, liée notamment à l’harmonisation des prix à l’échelon intercommunal et au surcoût en équipements et en masse salariale qu’entraîne une gestion intercommunale. Les conséquences financières du transfert de la compétence ne sont pas négligeables. Ces études concluent à une forte augmentation des prix de l’eau difficilement supportable, surtout en période d’inflation, pour les ménages à faible revenu et pour les agriculteurs montagnards, très dépendants de l’eau et déjà économiquement fragilisés.
Les élus de montagne s’inquiètent aussi de la gouvernance dans la gestion des compétences eau et assainissement dans les intercommunalités où les communes de montagne ne sont pas majoritaires et où les spécificités de leurs problématiques ne sont pas prises en compte ni même parfois comprises.
Madame la ministre, vous avez évoqué les travaux nécessaires.
Je rappelle que les subventions ont été asséchées par les agences de l’eau, lesquelles sont malheureusement elles-mêmes ponctionnées par l’État.
M. Jean-Claude Requier . Je remarque que les bonnes lois portent en principe le nom de ceux qui les ont inspirées ou portées. Je pense à la loi Malraux, à la loi Barnier ou encore à la loi Chevènement. Quand les lois n’ont pas de nom, c’est un peu plus compliqué. Ainsi, la loi NOTRe n’a ni père ni mère, même si Mme Lebranchu l’a défendue ici.
Sourires.
Les membres de notre groupe, dont Jacques Mézard était alors le président, ont combattu cette loi. Ils ont voté contre ou se sont abstenus. Ils poursuivent aujourd’hui ce combat avec la proposition de loi de Jean-Yves Roux qui vise à modifier la loi NOTRe, sur laquelle d’aucuns ont fondé beaucoup d’espoir. Or il est assez décevant de voir le résultat !
Sur la compétence eau, je suis tout à fait d’accord avec ce qui a été dit. Avec cette proposition de loi, nous essayons modestement de rebrancher ce que Mme Lebranchu a débranché !
Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains, ains i que sur les travées du groupe CRCE.
Je vais tout à fait dans le sens de cette proposition de loi : laissons les maires faire ce qu’ils souhaitent. L’intercommunalité peut parfois être un bon projet, mais laissons les communes décider entre elles si elles veulent gérer seules ou dans le cadre d’un syndicat ou d’une intercommunalité. Écoutons les élus, ne décidons pas à leur place. Comme cela a été dit, ils connaissent souvent très bien les réseaux et leurs ressources en eau, qu’ils savent gérer.
Écoutons les élus qui veulent modifier la loi NOTRe ; ils sont très nombreux dans nos territoires ruraux.
Je voterai bien évidemment cette proposition de loi.
Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.
J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Union Centriste et, l’autre, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 255 :
Nombre de votants341Nombre de suffrages exprimés329Pour l’adoption259Contre 70Le Sénat a adopté.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC, Les Républicains et CRCE, ainsi qu e sur des travées du groupe SER .
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, présentée par M. Bernard Fialaire et plusieurs de ses collègues (proposition n° 177, texte de la commission n° 403, rapport n° 402).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bernard Fialaire, auteur de la proposition de loi et rapporteur.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, faux Poussin, faux Cranach, faux Miro, faux Picasso, faux Chagall, fausses antiquités, faux meubles Boulle ou faux sièges XVIIIe : les dernières années ont été marquées par la révélation de nombreuses affaires de faux.
Si le phénomène des fraudes artistiques n’est pas nouveau, il semble aujourd’hui en pleine expansion. La hausse de la demande, l’explosion des prix sur le marché de l’art et l’essor de la vente d’art en ligne contribuent sans doute très largement à doper et à faciliter ce type d’escroqueries.
Aucune forme d’art n’est épargnée et la nature des fraudes se diversifie. Loin de se réduire à la fabrication de fausses œuvres d’art, ces fraudes prennent aussi la forme de faux certificats attestant d’une fausse authenticité, mais aussi, de plus en plus, d’une fausse provenance.
L’office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), que nous avons reçu en audition, n’a pas caché l’intérêt croissant des organisations criminelles à l’échelon mondial pour cette forme de trafic. Il est donc important que nous disposions d’outils efficaces pour prévenir et réprimer ce type d’infractions.
Le problème, c’est que le seul texte de nature législative dont nous disposons en France pour réprimer spécifiquement les fraudes artistiques est un texte daté, d’application limitée et aux effets peu dissuasifs. Il s’agit de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, plus connue sous le nom de loi Bardoux.
Son champ d’application ne correspond plus à la diversité des œuvres d’art que l’on trouve aujourd’hui sur le marché et, par conséquent, à la diversité des faux. Il concerne uniquement les catégories d’œuvres d’art en vogue à la Belle Époque – peinture, sculpture, dessin, gravure, musique – et laisse de côté les faux manuscrits, fausses photographies, faux meubles ou faux objets de design, ainsi que les œuvres d’art numériques, qui soulèvent de nombreuses difficultés en matière de respect des droits de la propriété intellectuelle.
Au sein de ces catégories déjà très limitées, la loi Bardoux ne vise que les faux qui correspondent à des œuvres authentiques qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public. Elle n’est donc pas applicable aux faux qui concernent des œuvres anciennes, en dépit du nombre important d’affaires en la matière.
Enfin, le texte en vigueur ne s’intéresse qu’aux faux revêtus d’une signature apocryphe. Il exclut donc tous les faux sans signature, à l’instar des faux « à la manière de », ainsi que tous les faux sans auteur identifié, dont relèvent pourtant l’essentiel des arts premiers, des antiquités, de l’art médiéval, de l’art islamique, des arts asiatiques ou des arts appliqués.
À cela s’ajoute le fait que les peines prévues par la loi Bardoux ne sont pas assez sévères pour être dissuasives. Elles sont de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Il n’est en outre pas possible de les alourdir, quelle que soit la circonstance dans laquelle l’infraction est commise.
Il y a bien un autre texte spécifique aux fraudes artistiques : le décret Marcus, datant de 1981, qui vise à réprimer les tromperies sur l’authenticité d’une œuvre d’art et d’un objet de collection. Néanmoins, ce texte ne s’applique qu’aux transactions : il permet de sanctionner les seuls vendeurs contrevenants d’une amende d’un montant maximal de 1 500 euros.
Il est vrai que plusieurs infractions de droit commun peuvent être utilisées pour poursuivre les auteurs de fraudes artistiques. Je pense en particulier aux délits de contrefaçon, d’escroquerie, de tromperie ou de faux et usage de faux, qui sont beaucoup plus lourdement sanctionnés. Mais, comme aucun de ces délits n’est propre au marché de l’art, leur champ d’application n’est pas parfaitement adapté pour assurer la répression des fraudes artistiques dans leur globalité.
La caractérisation des faits se révèle complexe pour certaines natures de faux ou dans certaines circonstances, notamment lorsque le faux n’a pas fait l’objet d’une quelconque transaction.
C’est pour combler les insuffisances du cadre juridique en vigueur que j’ai déposé, en décembre dernier, avec mes collègues du groupe RDSE, la proposition de loi dont nous débattons ce soir portant réforme de la loi Bardoux.
Nous nous sommes appuyés sur les différentes réflexions conduites sur le sujet au cours des dernières années. La Cour de cassation a notamment consacré un colloque à ce sujet en 2017 et l’Institut Art et Droit, une association de réflexion réunissant juristes et acteurs du monde de l’art, a mis en place un groupe de travail à compter de 2018. Le résultat de ses travaux a été présenté lors d’un colloque en mars 2022 et a inspiré notre proposition de loi.
Notre texte propose la création d’une nouvelle infraction pénale dans le code du patrimoine, destinée à remplacer celle qui est prévue par la loi Bardoux. Afin de mieux appréhender la diversité des phénomènes de fraudes artistiques, nous avons décidé de faire porter la matérialité de l’infraction non plus sur le nom ou la personnalité de l’artiste, comme le prévoit la loi Bardoux, mais sur les atteintes portées aux œuvres d’art elles-mêmes, quelle que soit la catégorie dont elles relèvent et que l’auteur de l’œuvre authentique soit ou non identifié ou identifiable.
C’est la raison pour laquelle le texte, tel qu’il a été déposé, prévoit de sanctionner la réalisation, la présentation, la diffusion ou la transmission, à titre gratuit ou onéreux, de tout bien artistique ou objet de collection qui serait, par quelque moyen que ce soit, affecté d’une altération de la vérité sur l’identité de son créateur, sa provenance, sa datation, son état ou toute autre caractéristique essentielle, et ce sous réserve qu’elle ait été faite en pleine connaissance de cause.
Afin d’améliorer la prévention et la répression des fraudes artistiques, nous avons veillé à durcir suffisamment l’échelle des peines. À titre principal, nous avons proposé d’aligner celles-ci sur celles qui sont applicables en matière d’escroquerie, de recel ou de blanchiment, soit cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.
Nous avons proposé qu’elles puissent être alourdies à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende lorsque le délit est commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteurs ou de complices ou lorsqu’il est commis de manière habituelle. Nous avons prévu enfin qu’elles passent à dix ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende lorsque les faits sont commis en bande organisée.
À titre de peine complémentaire, notre texte autorise la confiscation du bien ou de l’objet saisi ou sa remise au plaignant. Elle rend également possible cette confiscation ou cette remise en cas de relaxe ou de non-lieu, lorsqu’il est établi, à l’issue de la procédure judiciaire, que le bien ou l’objet saisi est affecté d’une altération de la vérité. Ces dispositions ne changent pas le droit existant.
Comme la création de cette nouvelle infraction rend obsolètes les dispositions de la loi Bardoux, l’article 2 l’abroge et opère les coordinations afférentes dans le code général de la propriété des personnes publiques, seul texte de valeur législative au sein duquel cette loi est mentionnée.
Maintenant que je vous ai exposé les raisons qui nous ont amenés à déposer cette proposition de loi, permettez-moi de vous présenter la position de la commission de la culture sur ce texte.
La proposition de loi lui paraît répondre à une véritable attente, exprimée aussi bien par les artistes ou leurs ayants droit, que par les professionnels du marché de l’art, les praticiens du droit et les services enquêteurs. Le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, n’avait-il pas lui-même appelé, en 2017, à repenser intégralement le délit même de fraude artistique ?
Ces fraudes ne portent pas seulement atteinte à des intérêts privés, ceux des acquéreurs lésés, ceux des artistes dont les droits sont bafoués, elles érodent également la confiance dans le marché de l’art et les institutions patrimoniales et constituent, finalement, une menace pour la création.
La commission est donc convaincue qu’une réforme de la loi Bardoux est indispensable afin d’améliorer la protection des acquéreurs et le respect des droits des artistes, de restaurer la crédibilité du marché de l’art et d’accroître la transparence et la fiabilité dans ce secteur.
Le fait que la proposition de loi prévoie de réprimer les atteintes portées aux œuvres d’art elles-mêmes plutôt que de chercher à réparer le seul préjudice subi par les acquéreurs ou les auteurs des œuvres authentiques, comme dans la loi Bardoux, présente à ses yeux un double avantage.
D’une part, elle permet de ne plus conditionner l’infraction ni à la nécessaire identification d’un artiste ni à celle d’une transaction ou d’un cadre contractuel ; d’autre part, elle revêt un caractère hautement symbolique en ce qu’elle est une manière d’affirmer que les œuvres d’art ne sont pas assimilables à de simples marchandises, mais qu’elles constituent, au contraire, un bien commun à tous.
La création d’une infraction spécifique aux différents types de fraudes artistiques envoie un signal fort aux auteurs de ces fraudes sur le caractère hautement répréhensible de leurs actions.
La proposition de loi permet de corriger les principales lacunes de la loi Bardoux.
Elle élargit le périmètre de l’infraction aux falsifications affectant l’ensemble des œuvres d’art, quel que soit leur support, sans la restreindre à certaines catégories d’œuvres particulières ni distinguer entre les œuvres selon qu’elles sont encore ou non couvertes par les droits patrimoniaux de l’auteur authentique.
Elle étend l’infraction aux falsifications relatives à la datation, l’état ou la provenance d’une œuvre d’art, sans la limiter aux seules falsifications liées à la signature ou à la personnalité de l’artiste.
Elle alourdit considérablement le régime des peines et rend possible leur aggravation dans certaines circonstances, tout en restant dans une échelle comparable à ce qui est prévu en matière d’escroquerie, de recel ou de blanchiment. Ce niveau apparaît cohérent compte tenu de l’implication croissante des réseaux criminels en matière de trafic d’œuvres d’art.
La commission a aussi souhaité clarifier la rédaction de certains aspects de la proposition de loi pour garantir son caractère pleinement opérationnel.
Les auditions ont en effet mis en évidence un certain nombre d’ambiguïtés de la rédaction initiale, incompatibles avec l’exigence de précision imposée par la matière pénale ou susceptibles de nuire à la qualification des faits.
Je pense ainsi à l’emploi de la notion de « bien artistique », jugé trop risqué dans la mesure où aucun code ni texte ne la définit ni ne l’utilise. Je pense aussi à la notion d’« altération de la vérité » employée dans le cadre du délit de faux et usage de faux, qui pourrait se révéler inopérante en matière artistique tant la vérité est souvent difficile à établir en ce domaine, comme en témoignent les fréquentes querelles entre experts.
Notre objectif n’est ni d’empêcher à l’avenir les experts d’émettre une opinion ni d’entraver la liberté de création des artistes en rendant impossible la pratique de la copie, du plagiat, de la parodie ou du détournement d’œuvre d’art dès lors qu’il n’y a pas d’intention de tromper autrui en faisant passer l’œuvre ainsi créée pour ce qu’elle n’est pas.
La commission a décidé de recentrer l’infraction sur les différents types de comportements frauduleux destinés à tromper autrui sur et autour de l’œuvre d’art.
La définition de l’infraction a été totalement revue et distingue désormais quatre hypothèses.
La première hypothèse est celle de la réalisation ou de la modification d’une œuvre d’art ou d’un objet de collection dans l’intention de tromper autrui sur l’identité de son créateur, son origine, sa datation, sa nature ou sa composition. Cette définition reprend les éléments rendus obligatoires par le décret Marcus sur les certificats d’authenticité délivrés par les vendeurs à l’occasion des transactions. Elle permet de sanctionner l’auteur ou le commanditaire du faux proprement dit.
La deuxième hypothèse est celle de la présentation, de la diffusion ou de la transmission, à titre gratuit ou onéreux, d’un faux en toute connaissance de son caractère trompeur et sans rétablir la vérité à son sujet. Elle vise à sanctionner le receleur.
La troisième hypothèse est celle de la présentation, de la diffusion ou de la transmission d’une œuvre ou d’un objet authentique en mentant sur l’identité de son auteur, son origine, sa datation, sa nature ou sa composition dans l’intention de tromper autrui. Elle vise à sanctionner l’escroquerie sur l’authenticité de l’œuvre, même en l’absence de remise de fonds.
La dernière hypothèse est celle de la présentation, de la diffusion ou de la transmission d’une œuvre ou d’un objet en lui inventant une fausse provenance. Elle vise à sanctionner l’escroquerie sur la provenance de l’œuvre ou de l’objet, peu importe que celui-ci soit authentique ou faux.
La commission s’est également attachée à clarifier la rédaction des dispositions destinées à permettre au juge de mettre hors circuit les œuvres et objets qui seraient reconnus comme des faux.
Les auditions ont révélé à quel point cette mise hors circuit constitue une question complexe. À la fois, il est à n’en pas douter essentiel que les faux artistiques soient détruits ou retirés par quelque moyen que ce soit pour éviter qu’ils ne reviennent tôt ou tard sur le marché, mais, en même temps, force est de reconnaître que la question du faux n’est pas totalement binaire : comment être certain qu’une œuvre constitue un faux, en dehors des faux grossiers, par exemple ceux qui ont manifestement été réalisés après la mort de l’artiste qui en serait prétendument l’auteur ? Peut-on considérer qu’une œuvre d’atelier signée de la main du maître est un faux ?
Est-il possible de porter atteinte au droit de propriété, garanti par la Constitution, en confisquant une œuvre lorsque celle-ci appartient à un propriétaire de bonne foi ? C’est cette question qui a conduit en 2021 la Cour de cassation, dans une affaire dite Chagall, à confirmer la décision de la cour d’appel qui avait ordonné l’apposition de la mention « Reproduction » sur une œuvre contrefaisante avant sa restitution à un propriétaire, plutôt que de demander sa destruction. Cette décision suscite l’incompréhension des représentants des artistes au regard des atteintes aux droits privatifs de l’auteur. Elle illustre bien toute la difficulté de cette question.
La commission a donc souhaité mettre à la disposition du juge un panel d’outils pour écarter définitivement les faux des circuits commerciaux : la confiscation de l’œuvre ou de l’objet, sa destruction ou sa remise à l’artiste victime de la fraude ou à ses ayants droit.
Sur ma proposition, la commission a choisi de ne pas faire mention du marquage, de peur que le juge ne retienne systématiquement cette option qui, pour être moins attentatoire au droit de propriété, n’apporte aucune garantie réelle d’un retrait définitif de l’œuvre ou de l’objet du marché.
Pour autant, la commission n’a pas souhaité imposer au juge le retrait systématique des œuvres du marché. Il ne s’agit que d’options à sa disposition. La rédaction retenue lui laisse la possibilité, en fonction des circonstances d’espèce, d’ordonner l’une ou l’autre de ces solutions, ou de n’en rien faire, parce que toutes les œuvres ou objets litigieux ne sont pas nécessairement des faux intégraux. Certains peuvent revenir sur le marché dès lors que leurs véritables caractéristiques sont rétablies.
Pour compléter ce dispositif, la commission a décidé de mettre en place un registre des fraudes artistiques, sur lequel auraient vocation à être inscrits tous les faux reconnus comme tels qui ne seraient pas détruits. Ce registre est très largement inspiré du Thésaurus de recherche électronique et d’imagerie en matière artistique (Treima) développé par Interpol afin de recenser les œuvres d’art volées. Le caractère mondial du marché de l’art nécessiterait qu’une telle base soit, à terme, gérée à l’échelon international. Nous comptons sur le Gouvernement pour en convaincre nos partenaires.
Pour finir, la commission a très largement complété le dispositif de la proposition de loi en matière de sanctions. Elle a prévu les peines applicables en cas de commission des faits par une personne morale. Elle a élargi le champ des circonstances aggravantes, pour répondre à l’émotion suscitée par plusieurs affaires récentes, comme celle des faux meubles de Versailles, qui a d’autant plus choqué l’opinion que son auteur était un professionnel extrêmement reconnu et qu’il a fait du tort à l’une de nos plus prestigieuses institutions patrimoniales.
Il nous a donc semblé justifié d’alourdir également les peines applicables lorsque les faits portent préjudice à un établissement public relevant de l’État ou d’une collectivité territoriale ou lorsqu’ils sont commis par des professionnels du marché de l’art.
Enfin, par cohérence avec l’introduction de cette seconde circonstance aggravante, nous avons également autorisé le juge à prononcer, à titre de peine complémentaire, une interdiction d’exercice à titre temporaire ou définitif de l’activité professionnelle dans le cadre de laquelle, ou à l’occasion de laquelle, l’infraction a été commise. Il s’agit d’une peine complémentaire fréquemment prévue pour ce type de délits : on la retrouve, par exemple, en matière de tromperie.
L’ensemble des améliorations apportées par la commission au texte initial avait pour but de garantir une meilleure répression des fraudes artistiques, dans le souci évident d’en améliorer aussi la prévention.
Nous espérons que la suite de la discussion parlementaire permettra encore d’enrichir ce texte.
Nous attendons beaucoup des conclusions de la mission sur les faux artistiques conduite par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, qui devraient être rendues en juillet prochain. Nous avons largement échangé avec le président du Conseil supérieur, ainsi qu’avec les responsables de cette mission.
Nous savons qu’une partie de leur réflexion porte sur les différentes procédures judiciaires qui pourraient être mises en place pour lutter contre la prolifération des faux sur le marché. Ils envisagent notamment d’ouvrir une voie d’action civile, complémentaire à l’action pénale que nous proposons. Cela existe en matière de contrefaçon. Je pense, par exemple, à la procédure jugée très efficace de saisie-contrefaçon. Ils voudraient également proposer des solutions afin de mieux encadrer l’activité des plateformes en ligne.
Nous considérons que ces pistes pourraient donner un intérêt supplémentaire à la présente proposition de loi, en offrant des possibilités complémentaires d’action à l’encontre des faux. Le besoin de moyens d’actions judiciaires rapides pour intervenir contre les pratiques frauduleuses de certaines galeries éphémères ou de plateformes en ligne se fait de plus en plus sentir.
Au-delà de la réforme de la loi Bardoux, il nous paraît indispensable de mieux sensibiliser les services de la police et de la justice aux spécificités des infractions qui peuvent être commises dans le domaine de l’art et de renforcer les moyens mis à la disposition de ces services pour que la lutte contre les fraudes artistiques gagne en efficacité.
J’espère, madame la ministre, que le Gouvernement en tiendra compte et prendra les mesures appropriées une fois cette réforme adoptée.
Applaudissements.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier l’ensemble du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen d’avoir mis ce texte à l’ordre du jour et de féliciter le rapporteur pour son travail précis et solide.
Cette proposition de loi permet d’aborder un défi majeur pour l’ensemble du secteur du marché de l’art : la lutte contre les faux artistiques.
Qu’est-ce qu’un faux artistique ? Vous l’avez dit, au sens large, il s’agit d’un objet destiné à passer pour autre chose que ce qu’il est réellement. Le but est de tromper l’acheteur en faisant passer cet objet pour une œuvre authentique.
Si ces fraudes ne constituent pas un phénomène nouveau, on constate ces dernières années une multiplication sans précédent des transactions illicites et l’apparition de nouvelles formes de falsifications d’œuvres d’art, notamment liées au développement des plateformes en ligne.
Je souhaite saluer le travail mené par l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels, compétent pour diligenter les enquêtes, y compris les plus complexes, et celui de la société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), qui contribue pleinement à la réflexion et à la sensibilisation sur ce sujet si important.
Les faux artistiques constituent en effet un véritable fléau, qui porte atteinte aux intérêts des professionnels du marché de l’art, mais aussi et surtout à ceux des acheteurs, des auteurs et de leurs ayants droit.
La lutte contre les faux artistiques trouve son fondement juridique dans la loi du 9 février 1895, dite loi Bardoux, du nom du sénateur qui en fut le principal artisan. Si plusieurs autres infractions de droit commun, comme la contrefaçon, l’escroquerie, le faux et usage de faux, permettent également de sanctionner les coupables de telles fraudes, ce texte apparaît aujourd’hui daté, car il présente des lacunes et n’est plus adapté au marché actuel de l’art.
Ces lacunes sont de plusieurs ordres. La liste des œuvres falsifiables est réduite aux seules œuvres de peinture, de sculpture, de dessin, de gravure et de musique. Elle ne permet pas d’appréhender la diversité des œuvres d’art d’aujourd’hui. Je pense à la photographie, aux arts appliqués, mais également à l’ensemble des nouvelles formes d’art numérique, dont les frontières ne cessent d’être repoussées, comme le montre le développement NFT (Non Fungible Tokens) ou « jetons non fongibles ».
Autre lacune, l’incrimination de fraude artistique est limitée aux seules œuvres « non tombées dans le domaine public », alors même que les œuvres anciennes suscitent une part très importante des affaires de faux. Enfin, les sanctions prévues par la loi Bardoux – deux ans d’emprisonnement, 75 000 euros d’amende – peuvent sembler peu dissuasives.
Je partage donc l’avis du rapporteur : oui, la loi Bardoux mérite d’être actualisée.
Le ministère de la culture en est pleinement conscient et le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), placé sous l’égide de mon ministère, s’est emparé de ce sujet l’an dernier, confiant à MM. Tristan Azzi et Pierre Sirinelli, deux éminents spécialistes, une mission visant à évaluer l’opportunité d’une évolution du cadre juridique actuel pour mieux définir le faux en art, faciliter sa détection et renforcer sa répression. Les résultats de cette mission seront connus définitivement en juillet prochain.
Le présent texte propose plusieurs évolutions de la loi pour répondre à cette forte attente d’actualisation et la rendre plus opérationnelle.
Il prévoit notamment l’élargissement du périmètre de l’infraction aux falsifications affectant l’ensemble des biens artistiques et objets de collection, afin de protéger l’ensemble des supports ; l’alourdissement des peines, afin de les aligner sur celles applicables en matière d’escroquerie ; ou encore l’extension de l’infraction aux falsifications relatives à la datation, l’état ou la provenance d’une œuvre d’art, pour ne pas la limiter plus aux seules falsifications liées à la signature ou à la personnalité de l’artiste.
Plusieurs évolutions ont été apportées lors de l’examen du texte en commission la semaine dernière, afin de prendre en compte les échanges et remarques formulées au cours des auditions.
Ces dispositions vont dans le bon sens. Nous sommes pleinement convaincus de la nécessité de faire évoluer cette loi pour renforcer la lutte contre la fraude en matière artistique.
Nous en sommes ici à la première étape, avec cet examen en première lecture. Il est important, comme l’a indiqué le rapporteur, d’ajuster le texte et de l’enrichir au cours des prochaines étapes de la navette parlementaire, afin de prendre en compte les conclusions, très attendues, de la mission sur les faux artistiques lancée par le CSPLA.
Soyez en tout cas assurés de la disponibilité de mes équipes et de tous les services concernés du ministère de la culture pour travailler avec vous sur ce sujet dans les prochaines semaines.
Avant de conclure, je souhaite profiter de cette occasion pour revenir sur les inquiétudes exprimées ces derniers jours par un certain nombre d’acteurs du marché de l’art français, et par de nombreux artistes, à propos de l’impact d’une directive européenne sur la fiscalité des œuvres d’art en France. Je sais que c’est un sujet que vous suivez au sein de votre commission et je souhaitais vous apporter quelques éléments d’information.
Aujourd’hui, on ne le sait pas assez, le marché de l’art fonctionne avec deux dispositifs de TVA dérogatoires : un taux réduit, de 5, 5 %, à l’achat d’œuvres et, à la revente, un taux de 20 % ne s’appliquant qu’à la marge faite par le marchand.
La directive européenne d’avril 2022 interdit de cumuler deux dispositifs dérogatoires différents. Dès lors, quelles sont les possibilités ?
Si nous voulons maintenir un taux de TVA sur la seule marge à la revente, il faut rétablir à 20 % le taux à l’achat, ce qui rognerait les marges des galeristes. Si nous maintenons à 5, 5 % le taux à l’achat, nous ne pouvons plus appliquer la TVA sur la seule marge à la revente. Les œuvres risqueraient donc de se renchérir en France.
Mais la France peut décider que les œuvres d’art relèvent du taux réduit de bout en bout. Le taux de 5, 5 % s’appliquerait alors à l’achat et à la revente – sur le prix global. Cela maintient un système quasiment équivalent à l’actuel, puisqu’appliquer un taux de 5, 5 % sur le prix total revient à peu près au même que d’appliquer un taux de 20 % sur la marge.
Des expertises et simulations sont encore nécessaires pour avancer vers cette possibilité. C’est pourquoi, avec Gabriel Attal, nous venons de lancer une concertation avec les professionnels du secteur, pour qu’une décision soit prise avant l’été. L’objectif est d’aboutir à une disposition qui sera inscrite dans le projet de loi de finances pour 2024, afin qu’elle soit examinée par le Parlement cet automne, ce qui permettra d’achever, d’ici à la fin de l’année 2023, la transposition de cette directive.
Soyez en tous cas assurés que la ministre de la culture que je suis, comme l’ensemble du Gouvernement, suit très attentivement ce dossier et demeure très attachée à la compétitivité et au dynamisme du marché de l’art français, qui représente 50 % du marché de l’art de l’Union européenne !
Vu le nombre de galeries internationales qui s’installent à Paris, le dynamisme de nos musées, le succès des foires et la vitalité de la scène de l’art contemporain de notre pays, la France est véritablement aujourd’hui au centre du marché européen. Elle doit le rester. Elle peut le rester.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Je commencerai par une question : connaissez-vous Mark A. Landis ? Sa vie, qualifiée de « hors du commun » outre-Atlantique, a été quasiment consacrée à une seule activité : réaliser de fausses œuvres d’art, en prenant appui sur les catalogues des musées américains. Mais là où l’histoire devient mordante, c’est qu’il n’agit pas ainsi dans le but de s’enrichir : il donne, gratuitement, ses faux aux musées qui, pendant plus de vingt ans, ne remarquent rien.
Finalement démasqué par un conservateur perspicace, il fera l’objet d’un documentaire, Le F aussaire, diffusé en 2015 au cinéma. Et, quand il est interrogé sur la tromperie à grande échelle qu’il a orchestrée, il a cette sentence déconcertante : « Je n’ai commis aucun crime ! » Il faut comprendre par là qu’il n’a pas bénéficié d’un enrichissement personnel.
Cette histoire romanesque témoigne de l’acuité de la présente proposition de loi et de la nécessité de mieux appréhender, culturellement et juridiquement, le faux en art. Car ce qui apparaît principal dans la défense de Mark A. Landis, en l’occurrence l’absence d’enrichissement personnel, n’est en réalité que secondaire ; ce qui est central, c’est la vaste duperie qui a abouti à ce que des institutions culturelles présentent au public pendant des années de fausses œuvres d’art.
En France, la loi Bardoux, accompagnée du décret Marcus du 3 mars 1981, semble désormais dépassée, obsolète pour traiter efficacement du faux. Il est évident qu’à la Belle Époque, et même il y a quarante ans, le faux en art ne revêtait pas les mêmes formes qu’aujourd’hui, devenues plus sophistiquées et plus étendues.
De manière analogue, le marché de l’art ne représentait pas autant qu’aujourd’hui un terrain de jeu pour la criminalité organisée et les divers trafics internationaux : le nombre de contrefaçons artistiques a été multiplié par deux entre 2017 et 2020. C’est pourquoi il est indispensable d’actualiser la loi pour mieux lutter contre les fraudes artistiques.
Mais par-delà la modernisation de notre arsenal législatif, la philosophie même de la proposition de loi est extrêmement contemporaine. Celle-ci ne se contente pas de viser les auteurs de l’infraction et la réparation des préjudices subis, elle tend surtout à protéger les œuvres d’art en tant que telles. Autrement dit, l’œuvre d’art, et la prévention des atteintes qui pourraient lui être portées, devient l’objet même de la proposition de loi. C’est un renversement de paradigme très intéressant et radicalement moderne dans son approche.
Ainsi, de nombreux questionnements se posent, de plus en plus, autour de l’œuvre et de sa vie. C’est particulièrement vrai dans la filière musicale, où l’une des conséquences du numérique – qui n’était pas la plus attendue – a été de redonner un élan, voire même parfois une existence, à des œuvres qui semblaient condamnées à l’oubli. En d’autres termes, il n’y a plus de parcours uniforme, linéaire pour une œuvre ; et, plus encore qu’auparavant, la vie d’une œuvre se trouve décorrélée de celle de son auteur – ce qui rend sa protection d’autant plus impérieuse.
D’autre part, le postulat de cette proposition de loi est aussi une déclinaison de l’exception culturelle, tant soutenue par la France : une œuvre d’art n’est aucunement un bien comme un autre et, à ce titre, elle doit disposer de protections spécifiques. C’est précisément ce raisonnement qui avait conduit la France et d’autres pays européens à créer un droit d’asile des œuvres en 2015 et 2016, lorsque les destructions et pillages d’œuvres et de monuments parfois plurimillénaires se multipliaient dans les territoires sous domination de l’État islamique.
Nous avions alors été nombreux, y compris sur ses travées, à nous émouvoir et nous révolter contre ce qui constituait un effacement méthodique de sociétés, de cultures, d’histoires, de croyances, d’imaginaires, en somme de vies et de faits qui sont constitutifs d’une certaine vérité historique et anthropologique.
La question de la vérité a été au cœur de nos riches échanges sur ce texte. S’il est aisé de s’accorder sur le principe que le faux est éminemment une altération de la vérité, il est beaucoup plus délicat d’apprécier cette altération en matière artistique. Non seulement, par essence, atteindre la vérité d’une œuvre, ou ne serait-ce qu’un pan de cette vérité, peut se révéler très compliqué, voire illusoire – ce que démontre magistralement Mohamed Mbougar Sarr dans son livre La plus secrète mémoire des hommes. Mais de plus, l’état des connaissances et des techniques nous oblige à l’humilité, notamment devant le développement des œuvres créées par l’intelligence artificielle. Des expériences ont déjà prouvé qu’avec le degré de technicité actuel de l’intelligence artificielle, les conservateurs et spécialistes de l’art peuvent se retrouver démunis pour distinguer une œuvre authentique et un faux façonné par une machine informatique.
Plutôt que de nous en remettre à la notion instable d’altération de la vérité, nous avons préféré caractériser précisément le faux et l’infraction qui s’y rattache, élargissant à cette occasion son spectre par rapport à la loi Bardoux, afin de renforcer l’effectivité et la portée du dispositif.
Enfin, j’aimerais évoquer une préoccupation majeure : la confiance. L’implication la plus dangereuse et déstabilisante du feuilleton Landis, et de tout faux qui circule de manière générale, c’est la défiance qui en résulte, aussi bien sur le marché de l’art que dans le rapport aux institutions culturelles.
Quoi qu’il en soit, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi constitue un premier pas important pour moderniser notre corpus législatif. Nous devrons impérativement rester très vigilants face aux développements de l’art numérique, où les défauts de preuve d’authenticité et les risques de falsification sont, par définition, accrus. À n’en pas douter, comme dans beaucoup de secteurs, le numérique et l’intelligence artificielle réinterrogeront – et réinterrogent déjà ! – le faux artistique et nous amèneront sûrement, en tant que législateurs, à intervenir de nouveau.
Merci à Bernard Fialaire et à son groupe d’avoir déposé cette proposition de loi. Les auditions auxquelles j’ai assisté m’ont ouvert des perspectives infinies sur toutes les questions qui se posent aujourd’hui en matière de création artistique. J’espère que ce texte continuera son parcours à l’Assemblée nationale, après réception des conclusions du rapport demandé par le CSPLA, et que nous pourrons en débattre de nouveau ensemble.
Applaudissements.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il fallait une certaine intrépidité pour partir à l’assaut du vénérable édifice constitué par la loi Bardoux. Les premiers coups de pioche donnés, vous vous aperçûtes que ses fondations, encore bien solides, pouvaient expliquer la durabilité d’élévations que l’on pensait croulantes.
Avec l’humilité qui vous caractérise, vous reconnaissez que la proposition de loi que vous nous soumettez est encore imparfaite. Elle a néanmoins le mérite de définir le cadre utile d’un chantier de reconstruction. Il restera à M. le sénateur Agénor Bardoux bien d’autres mérites – dont celui d’avoir participé à la révision du texte de Salammbô.
La loi de 1895 intéresse le droit des contrats. Dans le domaine particulier du marché de l’art, elle apporte des garanties à l’acheteur en le préservant du dol, de l’escroquerie et de la falsification. Son objet n’est pas de protéger l’auteur ni son œuvre, mais de sanctionner les tromperies sur l’authenticité d’une œuvre pour donner à l’acquéreur une assurance de délivrance conforme.
Elle met en œuvre pour cela deux notions essentielles, l’intentionnalité de la fraude et l’authenticité de l’œuvre. À l’usage, ces deux principes sont parfois apparus d’établissement complexe : la question de l’authenticité recoupe souvent celle de la provenance et l’intentionnalité est quelquefois difficile à établir quand elle est l’enjeu de controverses académiques.
Le décret modifié du 3 mars 1981, dit décret Marcus, a tenté de corriger ce défaut en introduisant des gradations dans le degré de certitude de l’authentification. Les formules qu’il propose – « attribué à », « de l’école de », du « style »… – ont eu le mérite d’offrir au vendeur la possibilité de ne pas engager totalement sa responsabilité quand il estimait que l’authenticité pouvait être discutable.
Néanmoins, de nombreuses questions restaient pendantes, comme celle relative à la révision de la valeur d’une œuvre à la suite d’une nouvelle attribution. On sait que la Cour de cassation, par son deuxième arrêt Poussin, a considéré qu’elle n’était pas créatrice de qualités nouvelles, mais révélatrice de qualités préexistantes, ce qui permettait au vendeur de dénoncer le contrat.
Par ailleurs, la loi Bardoux était inspirée par une conception très académique des beaux-arts, qui fut rapidement dépassée par l’évolution de la pratique artistique. En 1913, Marcel Duchamp expose sa roue de bicyclette et, plus tard, sa fontaine, en posant la question : « Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas d’art ? ». En l’occurrence, ce qu’interroge Marcel Duchamp, c’est le statut de l’artiste et de l’œuvre, et c’est dans ce questionnement que réside la démarche artistique. La notion d’authenticité n’a alors plus aucun sens.
Avec cet exemple est rapidement abordé le problème juridique complexe des relations entre la législation du patrimoine et celle de la propriété intellectuelle. L’auteur conserve des droits sur l’œuvre même après sa vente. Comment établir l’authenticité d’une œuvre que son auteur aurait reniée et qu’il aurait peut-être détruite ?
Monsieur le rapporteur, à plusieurs reprises dans cet hémicycle, notamment lors de la discussion sur les lois de restitution, vous avez exprimé vos interrogations d’ordre philosophique sur la valeur de la notion de propriété appliquée à une œuvre d’art. Dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, vous considérez que l’œuvre appartient d’abord à une culture avant d’appartenir à un individu.
L’abrogation de la loi Bardoux est alors pour vous un moyen de nous inciter à une réflexion plus profonde. Pour cette première pierre d’un édifice plus vaste, nous vous remercions chaleureusement.
Applaudissements.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne sais exactement ce qu’est un faux. Je ne sais précisément ce qu’est un bien culturel. J’ignore la différence réelle entre un plagiat et un pastiche. Mais je sais reconnaître une œuvre d’art quand j’en vois une. Et je peux dire que ce texte en est une. Une œuvre d’art authentique. Une œuvre de dentelle, ou d’orfèvrerie juridique, pour filer la métaphore.
Car elle nous entraîne dans un univers de droit où chaque concept doit être bien pesé et où la subtilité le dispute à la finesse. Monsieur Fialaire, en tant qu’auteur et rapporteur de ce texte, vous me permettrez de vous dire : chapeau l’artiste !
Votre proposition réforme la loi Bardoux, du nom de l’honorable sénateur inamovible Agénor Bardoux, aïeul d’une personnalité chère à la famille politique dont je suis membre, à savoir l’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing.
En proposant ce texte en 1895, Agénor Bardoux avait réagi au scandale provoqué par une escroquerie artistique dont avait été victime Alexandre Dumas fils. Ce dernier avait acquis un tableau qui lui avait été vendu comme étant un Corot et qui était en réalité une œuvre de Paul Désiré Trouillebert…
Près de cent trente ans plus tard, les arnaques artistiques font toujours la une des gazettes : faux sièges de Marie-Antoinette acquis par le château de Versailles, fausse Vénus de Cranach achetée par le prince de Liechtenstein et, surtout, acquisition par le Louvre Abu Dhabi d’une stèle de Toutankhamon illégalement sortie d’Égypte en 2011.
Trois exemples qui montrent à quel point la fraude artistique est non seulement d’actualité, mais même en plein boom. Trois exemples qui montrent aussi à quel point elle peut être protéiforme.
Frauder, ce n’est pas seulement mentir sur l’authenticité d’une œuvre. Cela peut tout aussi bien être mentir sur son origine. Et cela peut concerner des objets de toute nature et de toute époque.
C’est cette extension du domaine de la fraude que ne couvre pas la loi Bardoux. Depuis 1895, la création artistique a changé, tout comme le marché de l’art et l’art des escrocs. Ce texte ne protégeait que les œuvres d’art classiques, telles que les peintures ou les sculptures, mais pas les photographies, les objets de design, et encore moins la vidéo et les NFT.
De plus, elle ne protège que les œuvres les plus récentes, c’est-à-dire celles qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public. La loi Bardoux était dépassée depuis longtemps. À l’heure de la numérisation de l’art et de son commerce, sa survivance a presque quelque chose de poétique. Mais poésie ne rime pas toujours avec effectivité juridique…
Le principal apport du texte qui nous est proposé est d’élargir la répression de la fraude à la réalité contemporaine du phénomène, à l’ensemble des œuvres aujourd’hui concernées, signées ou non, contemporaines ou anciennes.
L’arsenal juridique dont nous disposons à côté de la loi Bardoux ne permet-il pas déjà de remédier à ses lacunes ? C’est là que l’on entre dans le byzantinisme. Le code pénal sanctionne bien les délits de contrefaçon, d’escroquerie, de tromperie et de faux et usage de faux. Mais le pénal n’est pas le civil. De même, le décret Marcus de 1981 ne permet de sanctionner que les vendeurs contrevenants. Les trous dans la raquette sont donc importants.
L’autre grand apport du texte est de revaloriser la peine encourue. La loi Bardoux n’est pas assez sévère : deux ans et 75 000 euros d’amende, sans modulation en fonction des circonstances, compte tenu de l’ampleur des trafics actuels, c’est très insuffisant. Nous ne pouvons que soutenir le renforcement substantiel de ces sanctions, qui sont alignées sur les infractions d’escroquerie, recel ou blanchiment. Cela portera la peine et l’amende à cinq ans et 350 000 euros pour les cas ordinaires et permettra de monter à dix ans de prison et 1 million d’euros d’amende quand les faits sont commis en bande organisée.
D’aucuns se sont exprimés pour regretter que ce texte soit présenté avant que le CSPLA, saisi sur le même sujet, ne rende ses conclusions. On peut le comprendre, mais il y aura toujours de bonnes raisons d’attendre… et le cadre juridique actuel a presque 130 ans !
De plus, les apports du CSPLA, qui semble travailler sur les procédures judiciaires qui permettraient de mieux lutter contre les faux sur le marché de l’art, seront sans doute parfaitement complémentaires avec le travail effectué sur la présente proposition de loi.
Un point, toutefois, me laisse perplexe, celui du devenir des faux. C’est une question passionnante, car elle interroge notre rapport à l’authenticité – et presque au réel.
Non seulement on ne peut jamais être sûrs qu’un faux en est bien un, mais, de plus, un faux peut être beau, un faux peut être une vraie œuvre d’art.
Face à cet épineux problème, monsieur le rapporteur, vous avez refusé la solution grossière de la destruction systématique. C’est sage ! Vous avez aussi refusé celle du marquage, au motif qu’un marquage peut toujours être escamoté.
Vous proposez donc la mise en place d’un registre des faux artistiques. C’est la solution qui nous semble la plus pertinente. Mais, parallèlement, vous déléguez au juge le soin d’apprécier ce qu’il devrait advenir du faux en fonction des circonstances de l’espèce. Comme trop souvent, le législateur se dessaisit.
Ne peut-on au moins utiliser notre compétence pour énumérer de manière restrictive les conditions dans lesquelles un faux devrait être détruit ou confisqué ?
Nonobstant cette interrogation, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. Puisse-t-il avoir la longévité de la loi Bardoux !
Applaudissements.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, dite loi Bardoux – j’ai découvert ce nom grâce à cette loi
Sourires.
Si le faussaire s’est longtemps vu crédité d’une image romantique, mérite-t-il encore aujourd’hui ce qualificatif ?
Mme la ministre sourit.
De ces génies d’autrefois aux délinquants de notre temps, il n’en demeure pas moins qu’à l’ancienneté de la réponse du droit doit être opposée la modernité des pratiques des faussaires.
C’est en cela que résident l’enjeu et l’objectif de la proposition de loi présentée par Bernard Fialaire et cosignée par les treize autres sénateurs du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Je rappelle que ce texte désuet, à l’application limitée, aux effets peu dissuasifs, inadapté aux enjeux contemporains du marché de l’art international, cristallise la frustration des ayants droit et professionnels du marché de l’art. Ces derniers sont depuis trop longtemps dans l’attente d’une actualisation des dispositions juridiques permettant de lutter contre les fraudes en matière artistique.
Afin de conserver à la liberté toute sa légitimité, j’appelle néanmoins l’attention sur la nécessité de veiller à ce que nos différents débats ne fassent pas entrer le texte dans une répression trop marquée.
Le monde de l’art a ses propres usages, ses propres traditions, et il n’est pas évident de se positionner de façon tranchée entre ce que le droit peut accepter et ce qu’il doit interdire.
La liberté de la création est essentielle à l’art. Elle est ce que la liberté d’expression est à la pensée.
Cet équilibre fragile entre la nécessité de protéger les œuvres contre leur exploitation frauduleuse et le principe intangible de liberté de création doit donc être recherché en priorité.
C’est ce que le groupe du RDSE a désiré atteindre, sous la plume de Bernard Fialaire et au travers de ce texte, en focalisant notamment la répression sur les atteintes portées aux œuvres d’art elles-mêmes, et non sur la seule protection de l’acheteur ni sur les seuls aspects contractuels.
Le faux artistique ne devrait-il pas être pensé comme une atteinte à la vérité – et de surcroît à l’intérêt général – plutôt que comme une atteinte à un intérêt particulier ?
À l’heure de la démocratisation et de l’internationalisation du marché de l’art et alors que la loi Bardoux se démarque par son caractère inadapté aux enjeux contemporains du marché international de l’art, il était important d’attacher un symbolisme marquant à la nouvelle infraction que crée cette proposition de loi portant réforme de la loi Bardoux.
Nous souhaitons ainsi affirmer que les œuvres d’art ne sont pas assimilables à de simples marchandises, mais qu’elles constituent un bien commun.
Ce bien commun pourrait s’étendre demain non plus aux seules catégories d’œuvres d’art et d’objets de collection en vogue à la Belle Époque, mais à toutes les nouvelles formes de création, d’aujourd’hui et du futur.
La fraude serait désormais étendue aux falsifications relatives à la datation, à l’état ou à la provenance de l’œuvre d’art et ne serait plus limitée aux seules falsifications liées à la signature ou à la personnalité de l’artiste.
Si la finalité est d’améliorer la protection des consommateurs, de restaurer la crédibilité du marché de l’art et d’accroître la transparence et la fiabilité dans ce domaine, reste la difficulté inhérente à l’art d’appréciation de l’altération de sa vérité, tant la vérité en matière artistique est souvent difficile à établir et sujette aux aléas des connaissances et des techniques.
Je finirai en soulignant le signal fort que cette proposition de loi adresse aux auteurs de fraudes artistiques sur le caractère hautement répréhensible de leurs actions.
Si la loi Bardoux se distingue par ses effets peu dissuasifs, l’alourdissement du régime des peines devrait contribuer à rendre toute sa crédibilité à notre marché de l’art – qui occupe le quatrième rang mondial – et à protéger les amateurs d’art contre la tromperie, tout en garantissant la liberté de création des artistes.
Le groupe du RDSE se félicite par ailleurs des modifications et enrichissements apportés par la commission. Il votera bien évidemment cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord le groupe du RDSE, ainsi que Bernard Fialaire, auteur et rapporteur de cette proposition de loi. Ils ont pointé un véritable sujet dont nous devions nous saisir : les fraudes en matière artistique.
Le phénomène n’est pas nouveau. En 1895, déjà, le sénateur Agénor Bardoux intervenait dans cet hémicycle, à la suite de l’achat par Alexandre Dumas fils d’un paysage portant la signature de Corot, alors qu’en réalité il avait été peint par un artiste bien moins renommé de l’école de Barbizon, Paul-Désiré Trouillebert.
Ce scandale a abouti à la loi Bardoux, qui, depuis sa promulgation en 1895, n’a jamais été modifiée et continue d’être appliquée par les juges.
Toutefois, on constate ces dernières années une multiplication des fraudes en matière artistique, ainsi qu’une augmentation considérable des transactions illicites.
Face à ces dernières, cette proposition de loi pointe à juste titre les insuffisances des dispositions juridiques de la loi Bardoux, qui est aujourd’hui obsolète au regard des exigences de notre temps en matière de lutte contre la fraude artistique.
Cette loi est obsolète, car son champ d’application est trop restrictif pour couvrir toute l’étendue des faux dans leur réalité actuelle. Elle ne vise en effet que les arts existant à la Belle Époque tels que la peinture, la sculpture, le dessin, la gravure ou la musique, alors que de nouvelles formes artistiques – photographie, arts décoratifs ou encore arts numériques – se sont développées et ne cessent de se développer depuis.
Cette loi est obsolète, car elle ne prend en considération que les faux en signature et vise exclusivement les œuvres protégées par le droit d’auteur, alors que les œuvres tombées dans le domaine public constituent une part importante des affaires de fraude.
Cette loi est obsolète, enfin, car l’échelle des peines n’est plus en adéquation avec les infractions similaires, comme les délits de contrefaçon ou de faux et d’usage de faux. Comme le souligne justement la proposition de loi, le recours aux dispositifs existants, comme ceux qui sont prévus pour lutter contre l’escroquerie, le faux, la tromperie ou la contrefaçon, est impossible, car ces derniers ne sont pas tout à fait adaptés à la situation particulière des fraudes artistiques.
Madame la ministre, les auteurs et leurs ayants droit, les acheteurs – amateurs d’art ou investisseurs –, les professionnels du marché de l’art, ainsi que les institutions dont l’activité se trouve parasitée, sont ainsi dans l’attente d’une réforme.
À ce besoin criant d’actualisation de la loi, ce texte apporte une réponse nécessaire et attendue.
Cependant, si les insuffisances de la loi Bardoux sont connues, sa réécriture s’annonçait particulièrement complexe.
Mme la ministre acquiesce.
On peut déplorer à cette occasion que la lutte contre les faux en matière artistique n’ait pas été jusqu’alors une priorité, en comparaison des efforts engagés à l’égard des contrefaçons dans d’autres secteurs économiques.
Bernard Fialaire s’est attaché à mener ce travail complexe. Certes, les travaux sur les fraudes artistiques se sont multipliés ces dernières années. Notre rapporteur les a recensés : le colloque « Le faux en art », organisé au mois de novembre 2017 par la Cour de cassation, le groupe de travail constitué en 2018 au sein de l’institut Art & Droit et, bien sûr, la mission du CSPLA, dont les conclusions sont attendues au mois de juillet prochain.
C’est en se fondant sur ces travaux et réflexions de spécialistes que Bernard Fialaire a eu le mérite de proposer une réforme du droit existant, au travers d’un nouveau texte qui va au-delà de simples aménagements.
La loi Bardoux, venue combler en son temps un vide juridique, laissera place à une loi ancrée dans la modernité, que l’on appellera peut-être dans quelques années, cher Jean-Claude Requier, puisque vous avez indiqué que les grandes lois devaient avoir un nom, la loi Fialaire !
Sourires et applaudissements.
Ce texte apporte en effet une réponse pénale adaptée, qui prend en considération la diversité des œuvres d’art circulant sur le marché.
À partir des travaux menés en commission, plusieurs amendements ont été adoptés en vue de clarifier les nouvelles règles et d’éviter certains effets collatéraux relevés lors des auditions.
L’approche retenue place au centre du dispositif non plus les droits qui lui sont attachés, mais l’œuvre en elle-même. Elle vise à assurer un équilibre entre protection des œuvres et liberté de création.
La définition de la fraude artistique a été réécrite en ce sens, afin de ne pas entraver les usages non frauduleux de l’œuvre d’art.
Pour lutter contre la multiplication des fraudes, la commission a aussi prévu l’alourdissement des peines en cas de circonstances aggravantes, lorsque la fraude est commise par un professionnel du marché de l’art ou lorsque le préjudice est subi par une collectivité publique.
Le juge pourra par ailleurs prononcer une interdiction d’exercice de l’activité professionnelle ayant conduit à l’infraction.
La question du sort de l’œuvre falsifiée est également traitée par le texte issu des travaux de la commission, qui s’en remet au juge pour décider la confiscation, la restitution ou la destruction de l’œuvre.
Ces dispositions vont manifestement dans le bon sens. Elles pourront être utilement complétées – M. le rapporteur y est prêt – en cours de navette parlementaire, à partir des conclusions de la mission créée par le CSPLA.
Certes, nous sommes conscients qu’une loi ne suffira pas à résoudre tous les problèmes posés par l’évolution du marché de l’art, notamment celui de la circulation des œuvres via l’activité des plateformes en ligne si peu réglementée.
Ce texte constitue néanmoins la première pierre de ce chantier et adressera un signal fort aux auteurs de fraudes artistiques.
Dans cette perspective, le groupe Les Républicains votera bien entendu cette proposition de loi.
La loi Bardoux a vécu cent vingt-huit ans. Longue vie à la future loi Fialaire !
Rires et applaudissements.
Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 9 février 1895, dite loi Bardoux, est encore aujourd’hui le texte de référence en matière de fraude artistique.
Pourtant, avec l’évolution des escroqueries et la diversification des pratiques artistiques, elle est devenue lacunaire.
Le droit en vigueur n’apporte pas de réponse satisfaisante face à la prolifération des cas de fraude artistique, dont témoigne l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels.
La loi Bardoux limite l’incrimination à certains types de cas.
Premièrement, elle ne concerne que les œuvres de peinture, sculpture, dessin, gravure et musique. Cette considération énumérative de l’art est aujourd’hui très limitée au regard de la grande diversité de la création artistique.
Deuxièmement, l’œuvre d’art en question doit présenter une signature apocryphe ou un nom usurpé. Or les pratiques de falsification sont de plus en plus complexes et imaginatives.
Troisièmement, enfin, l’œuvre ne doit pas être tombée dans le domaine public, ce qui relègue dans l’oubli un vaste pan de l’art.
Les peines prévues par la loi de 1895 en cas d’infraction sont bien trop faibles et éloignées de celles qui sont prévues par d’autres dispositifs similaires, visant par exemple à réprimer la contrefaçon. Il est donc nécessaire de muscler l’arsenal de réponse à la fraude.
Notre pays représente le second marché de l’art dans le monde. Cela nous engage à veiller avec exigence à la transparence et à la fiabilité des acteurs.
Il nous faut rétablir la confiance en nos institutions culturelles, nos artistes, nos experts, nos lieux de vente, meurtris ces dernières années par de nombreux cas d’escroquerie.
Rappelons la tristement célèbre affaire des faux meubles achetés par le Château de Versailles entre 2008 et 2012 à plusieurs professionnels du marché de l’art, pour un montant total de 2, 7 millions d’euros.
Une réforme de la loi Bardoux, texte précurseur, mais aujourd’hui daté, se révèle donc nécessaire, afin de protéger au mieux le marché de l’art français et ses institutions, tout en rassurant les acquéreurs et les artistes.
Entre son dépôt et sa présentation en commission, le texte que nous examinons aujourd’hui a été enrichi par une série d’amendements.
Les différents apports qu’a proposés Bernard Fialaire, à la fois auteur et rapporteur de ce texte, se nourrissent d’une série d’entretiens, qui ont mis en lumière le caractère éminemment complexe de la réponse à apporter aux évolutions des fraudes artistiques.
Se pose notamment la question de la protection des créations artistiques numériques, sujet qui a fait l’objet d’une proposition de loi déposée par Colette Mélot au mois de janvier dernier.
J’en profite pour saluer le travail et l’engagement de Bernard Fialaire et pour remercier le groupe du RDSE de cette initiative.
Ce texte va dans le bon sens. Par son adoption, le Sénat donnera le coup d’envoi d’une vaste réflexion sur la prise en considération des évolutions de l’art et du droit d’auteur.
Cette réflexion sera également nourrie au mois de juillet prochain par les conclusions de la mission lancée par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.
Ses apports permettront notamment de mieux définir le faux en art et de simplifier sa détection, preuve supplémentaire, s’il en fallait, que cette proposition de loi arrive à point nommé.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires accueille donc favorablement ce texte.
Applaudissements
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 1885, lorsque la loi Bardoux est discutée au Parlement, le peintre Camille Corot est mort depuis dix ans.
Paul-Désiré Trouillebert, lui, est toujours vivant. Peut-être lit-il alors, dans les colonnes des journaux, les conclusions du débat parlementaire, dont l’une de ses toiles fut à l’origine, parce qu’elle avait été attribuée à un autre, à savoir à Corot.
Qu’a pu ressentir Trouillebert à ce moment-là, lui qui, comme Corot, a consacré sa vie à la peinture, pour une bien moins grande fortune ? Du plaisir, du fait que l’un de ses paysages ait séduit et illusionné Alexandre Dumas fils ? De l’amertume, à ne devenir pour l’histoire qu’un copiste de Corot ? Du cynisme, à observer le comportement moutonnier du marché de l’art, transformant les artistes en brevets et plaçant, surtout, au second plan l’émotion esthétique produite par la contemplation d’une toile ?
Ce qui ne fait pas de doute, c’est que Trouillebert, au même titre que les ayants droit de Corot et que Dumas, est, lui aussi, victime de cette escroquerie. Ne disposant pas de la renommée de ces derniers et n’ayant pas voix au chapitre, il ne voit pas ses droits protégés par la loi Bardoux, qui ne prévoit pas de réhabilitation pour l’auteur véritable de l’œuvre.
Vieille de plus de cent ans, cette loi nécessitait une actualisation pour adapter les moyens de la lutte contre les faux artistiques aux nouvelles techniques développées par les faussaires. C’est pourquoi nous accueillons favorablement l’initiative de Bernard Fialaire.
La création d’un registre des faux faciliterait le travail des enquêteurs. En outre, la proposition de loi alourdit considérablement les peines et prévoit des circonstances aggravantes lorsque les faux sont réalisés au détriment d’une personne publique ou commis en bande organisée. La rédaction proposée élargit enfin la qualification du faux.
Nous serons toutefois très attachés à trouver un meilleur équilibre entre la protection des droits patrimoniaux des collectionneurs et des marchands d’art et la protection des artistes.
Le droit d’auteur est un corollaire de la liberté d’expression artistique. Il ne doit pas devenir une entrave à la création.
C’est pourquoi nous présenterons des amendements destinés à exclure la destruction des œuvres jugées comme faux, en considérant que ces dernières peuvent disposer d’une valeur intrinsèque, autonome de l’identité de l’artiste, même faussaire. D’autres pistes pourraient être envisagées, comme la mise sous séquestre automatique.
De la même manière, nous souhaitons préserver la capacité des artistes à créer leur nom d’emprunt et leur permettre de garder secrètes leurs techniques de fabrication.
La protection des artistes doit être replacée au centre de nos préoccupations de législateur, alors que le marché, toujours plus fort, s’est encore renforcé pendant la crise sanitaire.
Entre 2007 et 2013, 30 % des expositions personnelles proposées par les grands musées américains ont ainsi été consacrées à des artistes représentés par seulement cinq galeries.
Certains artistes se battent contre cette tendance. Je pense à Banksy, dont l’une des œuvres a été détruite en pleine salle des ventes. Je pense aussi, avant lui, à Marcel Duchamp présentant un urinoir comme une fontaine ou à René Magritte qui nous interpellait avec son célèbre tableau La Trahison des images, accompagné de la légende « Ceci n’est pas une pipe ».
Quelles retombées directes les artistes ont-ils à attendre de ce texte ? Très peu, madame la ministre. La navette parlementaire vous laisse le temps d’enrichir le texte en leur direction.
De leur capacité à nous illusionner dépend notre capacité à nous émerveiller. À nous de veiller à ce que leur liberté d’expression demeure entière.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors qu’il était traîné en justice par le prieur de la chartreuse de Naples pour avoir copié La Guérison du paralytique de Dürer, le peintre baroque Luca Giordano fut acquitté par ses juges, qui trouvèrent qu’il avait parfaitement imité le grand peintre allemand et que cela valait bien un acquittement. Auteur de près d’un millier d’œuvres dans sa carrière, Luca Giordano fut d’ailleurs surnommé par la suite Luca Fà-presto. C’était l’époque des ateliers, c’était une autre vision.
Ce n’est pas un hasard si la loi Bardoux tombe à la fin du XIXe siècle, au temps des impressionnistes et des beaux-arts. C’est le moment où l’artiste est reconnu. La vision de l’artiste romantique l’a alors définitivement emporté.
Aujourd’hui, à l'heure où les fraudes représentent 6, 5 milliards de dollars, soit l’équivalent du chiffre d’affaires d’une grande maison comme Sotheby’s par exemple, la proposition de loi de Bernard Fialaire est la bienvenue.
La loi Bardoux était certes utile, mais elle est désormais dépassée. Les peines qu’elle prévoit – deux ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende – sont tellement insuffisantes et peu répressives que des mafias et organisations criminelles ont investi le champ de la fraude en matière artistique.
Enfin, les enjeux ont changé. La photographie, qui est maintenant un art ancien, n’était pas prise en compte par la loi Bardoux, pas plus évidemment que les NFT, qui révolutionnent la façon de rémunérer les artistes.
Si les NFT ne représentent que 1, 6 % du marché de l’art, ils pèsent déjà plus lourd que la photographie, qui en représente 1 %. Leur développement est évident. Il faut donc prendre en compte ce nouveau champ de l’art.
Cette proposition de loi se justifie, car elle permet non pas simplement un toilettage, mais une refonte qui tient compte des évolutions en cours.
Le texte aligne les sanctions judiciaires sur des escroqueries comparables, comme la contrefaçon. Ainsi, les peines encourues passeraient à cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.
Enfin, les amendements proposés améliorent le texte initial. Je pense aux circonstances aggravantes pour la fraude pratiquée par un professionnel, la rupture de confiance étant telle dans ce cas de figure que le marché de l’art s’en trouve pénalisé sur le long terme.
Je pense aussi au recentrage de la définition considérée sur les manœuvres frauduleuses.
À la fois parce que ce texte répond aux évolutions du secteur et parce que vous proposez des amendements, notre groupe votera en sa faveur.
Nous restons évidemment dans l’attente du rapport que doit rendre le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Ses conclusions viendront enrichir le texte, puisque vous-même, mon cher collègue Fialaire, vous reconnaissez qu’il n’est qu’un jalon ou une étape.
Cette étape est utile, ce qui explique notre vote positif et constructif. Il faut lutter davantage contre ces fraudes qui deviennent massives et qui prennent de l’ampleur, notamment avec la montée en puissance des plateformes numériques.
M. le rapporteur, ainsi que MM. Pierre Ouzoulias et Jean-Claude Requier applaudissent.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la promulgation de la loi Bardoux voilà cent trente ans, les choses ont bien changé dans le monde de l’art. La technologie a complètement transformé le marché et les moyens par lesquels les œuvres d’art sont créées et vendues.
On a vu l’apparition et l’essor de nouvelles technologies telles que la 3D ou les NFT, ces jetons numériques qui ont permis de numéroter et de rendre chaque œuvre unique. Malheureusement, la loi Bardoux et le droit commun en général ne se sont pas toujours enrichis ni adaptés à ces changements.
De fait, les artistes sont de plus en plus exposés aux fraudes et à la contrefaçon. Ainsi, ceux qui vendent leurs œuvres en ligne sont très vulnérables aux escroqueries et aux pirates informatiques, tandis que ceux qui vendent leurs œuvres dans des galeries peuvent être sujets aux pratiques douteuses de certains professionnels.
Aujourd’hui, la loi Bardoux n’offre aucune protection aux artistes contre le vol de leurs œuvres. C’est particulièrement préoccupant, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux. Ils sont donc souvent contraints de recourir à des moyens légaux coûteux pour se défendre contre ces pratiques.
Cela pousse parfois certains d’entre eux à exercer une surveillance constante. Or les auteurs et leurs ayants droit n’ont pas toujours les moyens matériels, humains et financiers pour lutter seuls face à ce phénomène en constante expansion.
Personne ne remet en cause la nécessité d’actualiser la loi ni de compléter notre arsenal législatif en la matière. Il faut mettre en place de nouvelles mesures pour lutter contre le vol de propriété intellectuelle, mieux protéger les artistes contre les pratiques abusives, leur permettre de mener leurs activités avec plus de sécurité et de confiance et encourager évidemment une plus grande transparence dans le marché de l’art.
Cette proposition de loi apporte des réponses utiles pour lutter contre les fraudes causant des préjudices aux artistes et aux acquéreurs d’œuvres d’art. Elle définit une nouvelle infraction pénale et procède à une refonte de la répression, en élargissant le périmètre de l’infraction et en alourdissant le régime des peines.
Concrètement, ses dispositions permettront un recentrage sur les comportements frauduleux destinés à tromper autrui sur l’authenticité ou sur la provenance de l’œuvre, en distinguant, d’une part, les fraudes portant directement sur l’œuvre d’art – la réaliser ou la modifier –, d’autre part, les fraudes réalisées autour de l’œuvre d’art – la présenter, la diffuser ou la transmettre à titre gratuit ou onéreux.
Angle mort de la loi Bardoux, les œuvres tombées dans le domaine public étaient jusqu’à présent exclues de toute protection. Les œuvres anciennes constituant aujourd’hui une part importante des faux, il est essentiel d’étendre le champ d’application de la loi aux œuvres tombées dans le domaine public.
Sur le volet répressif, les peines étaient jusqu’alors insuffisantes. L’établissement de circonstances aggravantes lorsque les faits sont commis par des professionnels du marché de l’art et lorsque le préjudice est subi par une institution patrimoniale publique était indispensable.
En parallèle, l’enjeu est d’éviter la remise sur le marché de l’œuvre falsifiée, tout en veillant à l’équilibre avec le risque de destruction d’une œuvre sur laquelle il y aurait toujours un doute.
Ainsi, la création d’un registre de fraude artistique contribuera à cette lutte. Nous ne doutons pas que les résultats des travaux du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique enrichiront ce texte au cours des prochaines étapes de la navette parlementaire.
Le travail mené en commission sous votre houlette et non votre baguette, monsieur le rapporteur
Sourires.
Comme l’a dit Max Brisson, le groupe Les Républicains votera la loi Fialaire. Pardon pour le plagiat !
Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Après le chapitre II du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine, il est inséré un chapitre II bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE II BIS
« Lutte contre les fraudes artistiques
« Art. L. 112 -28. – Est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende le fait :
« 1° De réaliser ou de modifier, par quelque moyen que ce soit, une œuvre d’art ou un objet de collection, dans l’intention de tromper autrui sur l’identité de son créateur, son origine, sa datation, sa nature ou sa composition ;
« 2° De présenter, de diffuser ou de transmettre, à titre gratuit ou onéreux, une œuvre ou un objet mentionné au 1° en connaissance de son caractère trompeur ;
« 3° De présenter, de diffuser ou de transmettre, à titre gratuit ou onéreux, une œuvre d’art ou un objet de collection en trompant, par quelque moyen que ce soit, sur l’identité de son créateur, son origine, sa datation, sa nature ou sa composition ;
« 4° De présenter, de diffuser ou de transmettre, à titre gratuit ou onéreux, une œuvre d’art ou un objet de collection en trompant, par quelque moyen que ce soit, sur sa provenance.
« Art. L. 112 -29. – Les faits mentionnés à l’article L. 112-28 sont punis de sept ans d’emprisonnement et de 750 000 euros d’amende lorsqu’ils sont commis :
« 1° Soit par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, sans qu’elles constituent une bande organisée ;
« 2° Soit de manière habituelle ou en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle ;
« 3°
« Art. L. 112 -30. – Les faits mentionnés à l’article L. 112-28 sont punis de dix ans d’emprisonnement et de 1 000 000 d’euros d’amende lorsqu’ils sont commis en bande organisée.
« Art. L. 112 -30 -1
« Art. L. 112 -31. – Le juge peut également prononcer :
« 1° La confiscation de l’œuvre ou de l’objet mentionné à l’article L. 112-28 du présent code ;
« 1° bis
« 2° Sa remise, s’ils existent, au créateur victime ou à ses ayants droit.
« L’article L. 3211-19 du code général de la propriété des personnes publiques est applicable en cas de confiscation de l’œuvre en application du 1° du présent article.
« La peine complémentaire de confiscation est encourue dans les conditions prévues à l’article 131-21 du code pénal.
« Art. L. 112 -32. – En cas de relaxe ou de non-lieu, la juridiction peut prononcer la confiscation, la destruction ou la remise, s’ils existent, au créateur victime ou à ses ayants droit de l’œuvre ou de l’objet saisi lorsqu’il est établi qu’il constitue, en tant que tel, un faux au sens du 1° de l’article L. 112-28.
« Art. L. 112 -33
« Art. L. 112 -34
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
de tromper autrui sur l’identité de son créateur,
par les mots :
de tromper autrui en attribuant l’œuvre à un autre ou
La parole est à Mme Monique de Marco.
Dans sa rédaction actuelle, la loi du 9 février 1895 définit dans son article 1er la fraude artistique comme le fait, soit d’apposer ou de faire apparaître « un nom usurpé sur une œuvre de peinture, de sculpture, de dessin, de gravure, de musique », soit d’imiter frauduleusement la signature ou un signe adopté par l’auteur de l’œuvre dans le but de tromper l’acheteur sur la personnalité de ce dernier. L’article 2 ajoute que « les mêmes peines seront applicables à tout marchand ou commissionnaire qui aura sciemment recélé, mis en vente ou en circulation les objets revêtus de ces noms, signatures ou signes ».
La réécriture proposée dans cet amendement est beaucoup plus large que ce que prévoit le droit actuel. Elle vise non seulement la vente, mais également la présentation, la diffusion ou la transmission à titre onéreux d’œuvres ou d’objets d’art.
L’interdiction faite de tromper par quelque moyen que ce soit sur l’identité du créateur ne doit pas être prise à la légère, car elle pourrait se retourner contre les artistes qui se décideraient à créer sous un nom d’emprunt.
Ce fut par exemple le cas de Marcel Duchamp, quand il signa sa fontaine « R. Mutt », de Romain Gary, dissimulé derrière Émile Ajar, ou encore des Daft Punk, dont on ne connaît pas – du moins, c’est mon cas – la véritable identité.
Il faut absolument protéger ce droit. C’est pourquoi nous proposons une réécriture de cet article afin d’exclure totalement ce risque et de clarifier une zone d’ombre rédactionnelle.
Madame de Marco, vous souhaitez à juste titre éviter que l’infraction créée par la proposition de loi porte atteinte à la liberté de création des artistes. Nous partageons cette préoccupation et nous y veillons.
Néanmoins, votre amendement tend à supprimer toute référence à la notion de tromperie, qui figurait dans le texte adopté par la commission. Or cette notion me paraît essentielle à la définition de l’infraction pénale, si l’on veut garantir la répression des seules manœuvres frauduleuses et éviter justement de brider la liberté de la création.
La rédaction de votre amendement comporte un risque, celui d’interdire certaines pratiques artistiques, à commencer par la copie, dans la mesure où la simple intention d’attribuer l’œuvre à un autre pourrait être sanctionnée.
J’ajoute que la rédaction du texte de la commission ne remet pas en cause, à mes yeux, la possibilité, pour un artiste, d’utiliser un pseudonyme. On pourrait d’ailleurs considérer que les différents pseudonymes utilisés par un artiste sont partie intégrante de son identité d’artiste.
L’infraction doit permettre de sanctionner les seuls cas dans lesquels l’identité d’un créateur, qu’il s’agisse de son vrai nom ou de son pseudonyme, a été usurpée.
Enfin, sur la forme, la rédaction proposée a pour effet de supprimer les mots « de tromper autrui sur », ce qui rend la lecture de la suite de l’alinéa impossible.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Même avis.
Les explications de M. le rapporteur sont tellement limpides et précises que je ne les répète pas.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
, sa nature ou sa composition
par les mots :
ou sa nature
La parole est à Mme Monique de Marco.
Cet amendement s’inscrit dans le même esprit que l’amendement précédent et il est également important, parce que le nouvel article s’applique non seulement à la vente, mais aussi à l’exposition gratuite des œuvres.
La rédaction issue des travaux de la commission expose à une amende et à de la prison tout artiste qui présenterait, diffuserait ou transmettrait une œuvre en trompant sur sa composition.
Je comprends l’intention de protéger les collectionneurs de mobilier de collection par exemple, mais cette écriture me paraît trop large et susceptible de porter atteinte à la liberté artistique qui justifie parfois de faire passer un matériau pour un autre ou de cacher la nature des matériaux.
Selon moi, ce n’est pas la matière utilisée qui fait l’œuvre, mais c’est l’agencement recherché par l’artiste, sa technique.
On attribue souvent à Picasso cette citation : « Certains peintres transforment le soleil en un point jaune. D’autres transforment un point jaune en soleil. » Laissons donc les artistes nous illusionner avec la matière qui leur plaira.
Madame de Marco, ici encore, vous entendez éviter les atteintes à la liberté de la création.
Je souhaite vous rassurer sur le fait que l’objectif n’est nullement de contraindre les artistes à dévoiler leurs secrets de fabrication artistique, lorsqu’ils mettent en vente leurs œuvres.
En mentionnant les tromperies sur la composition, c’est bien, par exemple, les tromperies sur les matières utilisées que nous avions en tête, si celles-ci sont mentionnées, ou encore les restaurations ou reconstitutions excessives qui ont pour effet de faire perdre à une œuvre ou à un objet d’art son caractère authentique. On peut aussi penser à la fabrication de faux meubles, en utilisant des matériaux anciens.
Il me semblerait regrettable que des escroqueries de ce type ne puissent pas être sanctionnées. D’ailleurs, le terme de « composition » est repris du décret Marcus qui impose aux vendeurs la délivrance de certificats d’authenticité contenant les « spécifications qu’ils auront avancées quant à la nature, la composition, l’origine et l’ancienneté de la chose vendue ».
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Ce débat a déjà eu lieu au début des années 1980 au moment de la préparation du décret Marcus.
On doit d’ailleurs reconnaître le travail de précision chirurgicale réalisé par le rapporteur sur cette proposition de loi. Il a eu pour souci constant de ne jamais porter atteinte à la liberté de création.
C’est avec le même souci que le CSPLA travaille actuellement – je tiens à vous rassurer sur ce point, madame la sénatrice.
Le Gouvernement émet donc également un avis défavorable sur cet amendement.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 17
Supprimer cet alinéa.
II. – Alinéa 21
Supprimer les mots :
, la destruction
La parole est à Mme Monique de Marco.
De toutes les dispositions introduites par la proposition de loi, celle-ci me paraît la plus contestable. Elle prévoit en effet de permettre au juge d’ordonner la destruction d’un bien culturel saisi sur le fondement du nouvel article L. 112-28 du code du patrimoine.
Une telle disposition est déjà prévue par le code pénal pour les biens dangereux ou nuisibles et le Conseil constitutionnel a rigoureusement encadré cette faculté donnée au juge dans le cas des armes à feu. Il me paraît donc disproportionné de l’étendre aux biens culturels, même frauduleux.
Je comprends l’intention du rapporteur, mais je pense que des solutions alternatives devraient être recherchées, comme l’automaticité de la mise sous séquestre ou des techniques de marquage des châssis d’époque utilisés par les faussaires.
Nous nous sommes entretenus avec les représentants de la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), qui ont reconnu que des solutions moins abruptes pourraient être envisagées.
La destruction est évidemment irréversible et, en cas d’erreur d’appréciation par le juge, des originaux pourraient être détruits. Les erreurs d’expertise existent et il me semble que de tels cas de figure se sont déjà produits.
Madame de Marco, vous vous inquiétez de la possibilité offerte au juge par la proposition de loi de prononcer la destruction de l’œuvre qui aurait été reconnue comme un faux.
Je comprends parfaitement cette inquiétude et ce sujet complexe nous a d’ailleurs beaucoup occupés durant nos travaux et a été largement évoqué dans les auditions que nous avons organisées : la destruction n’est pas un outil à manier à la légère.
Il ne serait pas acceptable qu’une œuvre d’art simplement revêtue d’une signature apocryphe soit détruite, car, à l’exception de cette signature trompeuse, elle reste l’œuvre originale d’un artiste qui mérite d’être rétabli dans ses droits. Surtout, si la signature peut être retirée, il n’y a aucune raison que l’œuvre ne puisse pas être remise sur le marché.
C’est la raison pour laquelle le texte de la commission se contente de donner un panel d’outils au juge pour permettre de retirer l’œuvre d’art litigieuse du marché, mais celui-ci ne sera en aucun cas contraint d’en faire usage : il conservera sa liberté d’appréciation en fonction des circonstances.
J’ajoute que la possibilité d’autoriser la destruction des faux est une arme réclamée par de nombreux artistes contemporains – les auditions l’ont confirmé – ou leurs ayants droit dans l’objectif d’assurer une meilleure défense des droits des artistes.
Le code général de la propriété des personnes publiques autorise déjà la destruction des œuvres falsifiées déclarées comme telles en application de la loi Bardoux.
Il n’y a donc pas vraiment de changement par rapport au droit existant, si ce n’est qu’aujourd’hui cette décision appartient entièrement à l’administration des domaines, qui peut être tentée d’y recourir pour résoudre des problèmes de stockage, alors qu’à l’avenir cette décision pourra aussi relever du juge.
Je vous remercie d’avoir soulevé ce point, qui est très important, mais nous souhaitons conserver la destruction des œuvres dans le panel des outils à la disposition du juge.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ article 1 er est adopté.
I. – La loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique est abrogée.
II. – Le code général de la propriété des personnes publiques est ainsi modifié :
1° L’article L. 3211-19 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « contrefaisantes mentionnées par la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique » sont remplacés par les mots : « ou objets falsifiés au sens du 1° de l’article L. 112-28 du code du patrimoine » ;
b) Au second alinéa, les mots : « contrefaisantes mentionnées par la loi du 9 février 1895 précitée et confisquées dans les conditions fixées par ses articles 3 et 3-1 » sont remplacés par les mots : « ou objets falsifiés au sens du 1° de l’article L. 112-28 du code du patrimoine ayant donné lieu à confiscation en application des articles L. 112-31 ou L. 112-32 du même code » ;
2° Au 1° de l’article L. 5441-3, les mots : « contrefaisantes mentionnées par la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique » sont remplacés par les mots : « ou objets falsifiés au sens du 1° de l’article L. 112-28 du code du patrimoine ».
L’amendement n° 4, présenté par M. Fialaire, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… ) Au même second alinéa, les mots : « détruites, soit déposées » sont remplacés par les mots : « détruits, soit déposés » ;
La parole est à M. le rapporteur.
Il s’agit d’un amendement de coordination légistique visant à accorder les deux adjectifs avec les mots « œuvres ou objets ».
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. C’est bien une faute d’orthographe et pas un faux…
Sourires.
Avis favorable.
Soyons irréprochables sur l’orthographe !
Nouveaux sourires.
L ’ amendement est adopté.
L ’ article 2 est adopté.
Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le président de la commission.
Si la loi Bardoux a tenu cent vingt-huit ans, c’est peut-être parce que ses fondements étaient solides, mais c’est aussi parce que la matière est particulièrement complexe. Il fallait donc sans doute, de la part des parlementaires qui voulaient s’attaquer à ce monument législatif, un brin d’innocence ou d’insouciance – c’est tout le mérite de Bernard Fialaire !
Albert Einstein disait que rien n’est plus proche du vrai que le faux. En matière d’art, c’est particulièrement exact et tout le mérite de ce texte, notamment dans son article 1er, est d’arriver à définir à partir de quel moment une intention devient malveillante et un acte répréhensible.
La matière est tellement complexe qu’au fil de nos travaux la rédaction de la proposition de loi a évolué. Je crois que cet approfondissement était nécessaire et qu’il permettra au texte de poursuivre son parcours législatif.
Ce texte était nécessaire, parce que, vous l’avez dit, madame la ministre, le marché de l’art est important pour notre pays. Nous en sommes même fiers, mais, pour qu’il fonctionne correctement et qu’il continue d’exister, il faut lutter contre la fraude, ce que ce texte permettra.
Je tenais donc en mon nom, mais aussi au nom de l’ensemble de la commission, à remercier et à féliciter Bernard Fialaire de la qualité de son travail. Je crois d’ailleurs que ce texte sera très largement approuvé quelques instants.
Dans votre propos liminaire, madame la ministre, et je voudrais conclure mon intervention sur ce point, vous avez évoqué un autre sujet qui concerne le marché de l’art et mentionné plusieurs options en ce qui concerne la question de la TVA et de l’application de la directive européenne. J’ai compris que la troisième option serait la plus favorable pour le marché de l’art. Je vous encourage par conséquent, madame la ministre, à emprunter cette voie.
Madame la ministre, j’espère que vous avez bien compris, au travers de l’examen de ce texte, l’utilité du Sénat !
On peut tout de même s’étonner que les exécutifs successifs – je ne vous fais aucun reproche personnel – aient laissé se creuser un tel vide juridique, alors que le marché de l’art connaissait des évolutions si importantes – envol des prix, accélération des fraudes, notamment via le numérique, etc. Il a fallu qu’un parlementaire se penche sur cette situation inquiétante pour que le sujet avance !
C’est d’ailleurs l’honneur de notre commission et du Sénat dans son ensemble d’avoir mis ce sujet sur la table.
Madame la ministre, vous avez dit tout le bien que vous pensiez de la proposition de loi de Bernard Fialaire. J’espère par conséquent que vous ferez tout pour que la navette parlementaire se poursuive et prospère sur cette base, même si vous attendez encore le rapport du CSPLA.
J’espère qu’ainsi, après la loi Bardoux, nous aurons, je le redis, la loi Fialaire !
Sourires.
Mme Monique de Marco . Je voterai avec enthousiasme cette proposition de loi.
Ah ! au banc des commissions.
Les amendements que j’ai déposés avaient pour but de mettre en débat certaines interrogations et d’éclairer les zones d’ombre qui me semblaient persister. Il fallait bien animer nos débats, mes chers collègues…
Je tiens en tout cas à remercier Bernard Fialaire d’avoir déposé ce texte.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires (proposition n° 205, texte de la commission spéciale n° 416, rapport n° 415).
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus aux amendements portant article additionnel après l’article 4.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 4 rectifié quinquies, présenté par Mme Noël, MM. Bascher, Joyandet, Panunzi et Cadec, Mme Belrhiti, MM. Reichardt et Courtial, Mme Puissat, MM. Pellevat, Saury et Bouchet, Mmes Richer et Berthet, MM. Sautarel, Genet, J.M. Boyer, C. Vial et Chatillon, Mmes Garriaud-Maylam et Dumont, MM. Savin et Mandelli, Mme Dumas et MM. Pointereau, Duplomb, Charon, Gremillet et Houpert, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 5° du II de l’article 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«…° L’artificialisation des sols ou la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers résultant de projets liés à la construction, l’aménagement, la mise en œuvre d’infrastructures ou d’équipements visant à favoriser l’utilisation de mobilités douces et durables, se voit appliquer un taux de minoration de 50 %. »
La parole est à M. Stéphane Sautarel.
Les communes et collectivités territoriales devront continuer à accentuer leurs efforts en matière de développement d’infrastructures destinées à l’accueil des modes de transport doux. Les mobilités douces sont en effet au cœur d’un projet global de revitalisation de notre territoire dans le contexte environnemental que nous connaissons.
Ces travaux nécessaires vont résolument dans le sens de la lutte contre le dérèglement climatique et accroissent notre résilience face à ses effets.
Cet amendement a pour objet d’appliquer un taux de minoration de 50 % à toute artificialisation des sols ou consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers (Enaf) résultant de projets liés à la construction, à l’aménagement ou à la mise en œuvre d’infrastructures ou d’équipements visant à favoriser l’utilisation de mobilités douces et durables.
L’amendement n° 201 rectifié ter, présenté par MM. Fernique, Dantec, Benarroche et Breuiller, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 5° du III de l’article 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«…° L’artificialisation des sols ou la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers résultant de projets de construction, d’aménagement, d’infrastructures cyclables, est comptabilisée au niveau régional, dans le cas où leur dimension est supérieure à celle définie par décret.
La parole est à M. Ronan Dantec.
Par définition, l’utilisation du vélo est très favorable à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. En outre, rapporté au nombre de déplacements, le vélo a besoin de beaucoup moins d’espace au sol que les autres infrastructures de voirie.
Cet amendement vise à aider l’État dans la définition de la nomenclature et à mieux définir les contours du dispositif du zéro artificialisation nette (ZAN) pour les aménagements cyclables.
Jusqu’en 2030, tout cela a assez peu d’impact, puisque par définition les pistes cyclables qui se situent en zone urbaine ne sont pas en Enaf.
À partir de 2030, c’est la fameuse règle des cinq mètres de largeur – la dimension exacte sera définie par décret – qui devrait s’appliquer à ce type d’ouvrage linéaire. En dessous de cette largeur, les surfaces artificialisées ne devraient pas être prises en compte, parce que considérées comme non observables. Ce sera donc le cas des pistes cyclables.
Nous proposons que les pistes cyclables dont la largeur va au-delà de cinq mètres ne soient pas comptabilisées à l’échelle locale, afin que les communes n’aient pas à trancher entre pistes cyclables et autres aménagements nécessaires à la bonne vie du bloc communal. Ces infrastructures doivent bien être comptabilisées – vous connaissez notre vigilance sur ce point, il n’est pas question que quoi que ce soit passe par pertes et profits –, mais uniquement sur la part régionale.
L’amendement n° 4 rectifié quinquies tend à introduire une pondération dans la comptabilisation. La commission spéciale n’a pas souhaité entrer dans ce genre de logique. C’est pourquoi elle demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
La commission spéciale demande également le retrait de l’amendement n° 201 rectifié ter, qui vise à comptabiliser les projets d’infrastructures cyclables dans la part régionale ; à défaut, elle émettra là encore un avis défavorable. En effet, elle n’a pas fait ce choix et il a été annoncé – M. le ministre pourra nous le confirmer – que le décret à venir tiendrait compte de la situation particulière de ces infrastructures.
Le décret à venir sur la nomenclature précisera en effet qu’en dessous de cinq mètres il ne s’agit pas d’artificialisation, ce qui rendra possible de continuer de construire des pistes cyclables. Le Gouvernement demande donc le retrait de l’amendement n° 201 rectifié ter ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Si je comprends l’intérêt de la mesure proposée à l’amendement n° 4 rectifié quinquies, le décret sera tout de même mieux à même de satisfaire ses auteurs. Nous disons souvent que nous devons éviter d’ajouter des normes : la pondération, outre le fait qu’elle est extrêmement complexe à mettre en œuvre, en est une. C’est pourquoi le Gouvernement demande également le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Je le redis, la question soulevée par ces amendements sera réglée par le décret.
Monsieur Sautarel, l’amendement n° 4 rectifié quinquies est-il maintenu ?
L’amendement n° 4 rectifié quinquies est retiré.
Monsieur Dantec, l’amendement n° 201 rectifié ter est-il maintenu ?
Je comprends bien que le décret exclura de la mesure de l’artificialisation des infrastructures cyclables de moins de cinq mètres, mais cet amendement vise en fait à ce que celles qui font plus de cinq mètres soient comptabilisées à l’échelon régional. Vous ne m’avez pas répondu sur ce point, monsieur le ministre.
Nous voulons éviter la complexité, ce que ne manquerait pas d’introduire une telle proposition. Pour autant, je comprends l’intention des auteurs de cet amendement, monsieur le sénateur, et elle est louable.
Je le redis, le décret sur la nomenclature exclura les pistes cyclables de moins de cinq mètres pour en favoriser la réalisation.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 2 rectifié quinquies, présenté par Mme Noël, MM. Bascher, Joyandet, Panunzi et Cadec, Mme Belrhiti, M. Courtial, Mme Puissat, MM. Pellevat et Saury, Mme Ventalon, M. Bouchet, Mmes Richer et Berthet, MM. Sautarel, Genet, J.M. Boyer et Chatillon, Mmes F. Gerbaud, Garriaud-Maylam et Dumont, MM. Savin et Mandelli, Mme Dumas et MM. Pointereau, Duplomb, Charon, Gremillet, Rapin et Houpert, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 5° du III de l’article 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«…° L’artificialisation des sols ou la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers résultant de projets liés à la construction d’aires d’accueil mentionnés à l’article 1er de la loi n° 2000-614 du 15 juillet 2000 relative à l’accueil des gens du voyage est imputée à un compte foncier national. »
La parole est à M. Jérôme Bascher.
Cet amendement concerne la future construction d’aires d’accueil pour les gens du voyage. Vous savez bien, monsieur le ministre, que, dans beaucoup d’endroits, les schémas départementaux ne sont pas pleinement respectés.
Si vous ne sortez pas les aires d’accueil du ZAN, que se passera-t-il ? Quand les maires auront le choix entre construire deux maisons ou construire une aire d’accueil, ils choisiront les maisons et diront ensuite qu’en raison du ZAN ils ne peuvent pas installer d’aire d’accueil – je caricature bien sûr un peu.
Si l’on veut résoudre le problème de la construction des aires d’accueil, il faut les sortir du ZAN. Cela facilitera aussi le travail des élus.
Le sujet des aires d’accueil est évidemment important, mais l’adoption de cet amendement reviendrait à les faire entrer dans la catégorie des projets d’ampleur nationale ou européenne, ce qui est problématique d’un point de vue juridique.
C’est pourquoi la commission spéciale en demande le retrait ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Même avis.
Nous sommes en train de parler ici des grands projets d’envergure nationale. Si vous aviez créé une catégorie spécifique, monsieur le sénateur, nous pourrions en discuter, mais là on est hors des clous des grands projets d’envergure nationale.
Monsieur Bascher, l’amendement n° 2 rectifié quinquies est-il maintenu ?
Non, je le retire, madame la présidente, mais il faudra bien traiter ce sujet à un moment ou à un autre.
L’amendement n° 2 rectifié quinquies est retiré.
L’amendement n° 156 rectifié, présenté par MM. Somon et Burgoa, Mme Dumas, M. Mouiller, Mme Ventalon, MM. Courtial et Brisson, Mmes Belrhiti, Canayer et Bonfanti-Dossat, MM. Klinger, Paccaud, de Legge, Bascher et Genet, Mmes Gruny, Imbert et Goy-Chavent, MM. Sido et Rapin, Mme Gosselin et MM. Wattebled, Bouchet, Cadec, Panunzi, Vanlerenberghe et Savary, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 5° du III de l’article 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«…° L’artificialisation des sols ou la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers, résultant de projets de construction, d’aménagement, d’infrastructures ou d’équipements nécessaires à la réalisation du canal à grand gabarit Seine-Nord Europe, ainsi que ses aménagements connexes, n’est pas comptabilisée pour évaluer l’atteinte des objectifs de réduction du rythme de l’artificialisation ou de la consommation d’espaces prévus au présent article. »
La parole est à M. Laurent Somon.
Cet amendement concerne la comptabilisation des grands projets, en l’espèce celle du canal Seine-Nord Europe et de ses travaux connexes.
Le canal Seine-Nord Europe s’inscrit dans la démarche ERC (éviter, réduire, compenser). Je vous citerai quelques chiffres : 1 100 hectares de plantations, 25 kilomètres de berges écologiques, 17 hectares d’annexes hydrauliques en zone humide, 60 sites acquis par la Société du canal pour renaturation ou remise en état de zones humides, notamment à visée pédagogique pour le grand public.
Compte tenu de cette démarche ERC, qui a été menée de manière ardente, il ne faut pas oublier les travaux connexes à l’aménagement du canal, quand on qualifie celui-ci en termes d’artificialisation.
Il nous semble que le canal Seine-Nord Europe entre déjà dans les critères de l’article 4 de ce texte. L’amendement nous paraît donc satisfait et la commission spéciale en demande le retrait ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
De manière générale, ce sujet très important revient depuis des mois au fil de nos différents débats et il me semble qu’il mériterait de ce fait un travail spécifique, à l’occasion d’une mission d’information par exemple. Mon cher collègue, je vous invite à poursuivre ce travail dans un tel cadre, qui me semble plus adapté.
Même avis.
Dans une vie antérieure, j’ai été le président de l’Agence de financement des infrastructures de transport au moment où elle a ratifié la part de financement de l’État du projet de canal Seine-Nord Europe. Ce projet entre bien dans la catégorie des grands projets d’intérêt national et nous devons le réaliser compte tenu de son impact en termes de décarbonation et d’emploi.
Beaucoup des travaux connexes que vous mentionnez visent précisément à la naturation ou à la renaturation, monsieur le sénateur. Pour ceux qui relèvent de plantations, on est évidemment en dehors des clous. Pour ceux qui relèvent de l’ouvrage ou de sa réalisation, nous sommes en plein accord pour considérer qu’ils ne font pas partie de l’enveloppe régionale.
Monsieur le ministre, pour connaître parfaitement le sujet, vous savez bien que le canal Seine-Nord n’a de sens que s’il est relié à des plateformes tout le long de son trajet afin d’optimiser le report modal vers le fluvial de toute l’activité industrielle et économique.
Le financement de ce projet par l’Europe porte sur le canal, mais aussi sur les plateformes. Il me semble qu’avec cet amendement notre collègue Laurent Somon souhaite s’assurer que l’on prenne bien en compte l’ensemble du projet, sous peine de mettre en difficulté les territoires qui accueillent ces plateformes.
Je vais clarifier le débat : c’est très exactement la vision du Gouvernement et le sens dans lequel il travaille.
Si nous n’intégrons pas la partie sur les plateformes, nous ne pourrons pas profiter pleinement, en termes de décarbonation, de la diminution du nombre de camions sur les routes.
Oui, je le maintiens, madame la présidente.
J’ajoute – ce n’est pas anecdotique pour les départements – qu’il faut aussi prendre en compte l’adaptation et la mise aux normes des routes.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 213 rectifié bis, présenté par Mme Gatel, M. Longeot, Mmes de La Provôté, Loisier, Ract-Madoux et Billon, MM. Détraigne et Levi, Mme Gacquerre, MM. Kern, Bonnecarrère, Laugier, Cazabonne, Duffourg, Le Nay et Moga, Mmes Perrot, Jacquemet, Morin-Desailly, Canayer et Saint-Pé, MM. Canévet et Hingray, Mme Vermeillet, M. Henno, Mme Férat et MM. J.M. Arnaud, Vanlerenberghe, Cigolotti et Chauvet, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le III de l’article 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« …. – L’artificialisation des sols résultant de projets de construction, d’aménagement, d’infrastructures ou d’équipements d’ampleur qui présentent un intérêt général majeur national ou régional, peut, à titre dérogatoire, par décision motivée de l’autorité compétente de l’État, prise après avis de la conférence régionale de gouvernance prévue au V du présent article, ne pas être comptabilisée pour évaluer l’atteinte des objectifs de réduction du rythme de l’artificialisation ou de la consommation d’espaces prévus au présent article et intégrés aux documents de planification mentionnés au présent article, lorsque sa comptabilisation serait de nature à compromettre de manière irréversible l’atteinte des objectifs généraux prévus à l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme.
« Dans ce cas, l’artificialisation des sols fait l’objet d’une comptabilisation séparée.
« Un décret pris en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article. »
La parole est à Mme Daphné Ract-Madoux.
Le poids des grands projets nationaux et régionaux sur le foncier est l’un des principaux points de blocage dans plusieurs régions pour atteindre l’objectif ZAN. Cet objectif se heurte aussi à des enjeux de décarbonation des activités, de construction de logements et de réindustrialisation de la France.
Pour répondre à une partie du problème, il est proposé, pour certains projets dont l’intérêt est majeur – réindustrialisation, logement social, etc. –, de disposer d’un recours auprès de l’autorité compétente de l’État pour obtenir leur sortie de l’enveloppe d’artificialisation, lorsque leur comptabilisation serait de nature à compromettre de manière irréversible l’atteinte des objectifs généraux.
Dans cette hypothèse et pour éviter toute péréquation inéquitable sur les territoires voisins, leur emprise serait sortie de la trajectoire ZAN nationale et régionale et soldée dans le cadre du bilan périodique du ZAN par tranche de dix ans jusqu’à 2050.
Il nous semble que l’article 4 de ce texte, en particulier la notion de déclaration de projet, permet de répondre à la préoccupation soulevée par cet amendement. La commission spéciale en demande donc le retrait ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Ce qui est proposé au travers de cet amendement pourrait constituer la base d’un compromis entre une vision selon laquelle on ne compte pas ce qui relève de l’État et une autre selon laquelle on compte cela à part.
Une forme de contractualisation qui permettrait sur certains projets de trouver un équilibre est peut-être le chemin grâce auquel nous pourrons avancer.
C’est la raison pour laquelle, sur cet amendement, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Mme Cécile Cukierman. Cet amendement, dont la rédaction est certainement perfectible – je rappelle que nous avons découvert toutes les joies des sous-amendements il y a moins d’une semaine
Sourires.
Nous savons que, dans les dix ou vingt ans qui viennent, des projets vont s’implanter et consommer du foncier. Ne pas adopter cet amendement enverrait comme message que nous figeons les choses, que nous remettons notamment en cause la capacité d’accueillir les projets liés à la réindustrialisation du pays.
Il faut passer des discours aux actes, en particulier quand on parle de réindustrialisation, et la loi doit donner aux élus locaux le pouvoir d’agir.
Je crains un peu les conséquences liées à l’adoption de cet amendement.
Nous sommes tous d’accord – c’était le socle de notre travail en commun – sur le fait qu’il faut mettre de la souplesse par rapport à la règle mécanique de départ des 50 % qui s’appliquerait dans presque toutes les communes.
Reste que deux problèmes se posent.
Cet amendement reviendrait à ne pas prendre en compte dans le ZAN un certain nombre de projets, ce qui ne serait pas la même chose qu’une mutualisation nationale qui se répercuterait à l’échelon régional sur les régions. On les passerait en quelque sorte par pertes et profits.
Cela rejoint l’idée de l’amendement n° 74 rectifié de Didier Mandelli que nous examinerons ensuite qui a pour objet une comptabilisation nationale des installations de production ou de stockage d’énergies renouvelables, ce qui me semble de bon sens, mais à condition, encore une fois, que cela ait une répercussion ensuite sur les régions.
J’appelle votre attention sur une autre question. En Basse-Loire, il existe déjà de nombreux projets absolument essentiels pour la France.
En Loire-Atlantique, nous avons la possibilité d’accueillir la future usine de construction de canadairs.
Si l’on suit cette logique, ce sont plutôt les territoires déjà très industrialisés qui accueilleront de nouveaux projets. En effet, si l’on est quelque peu strict en matière de non-utilisation de nouveaux espaces naturels, agricoles ou forestiers, on regardera où se trouvent les grandes friches à l’échelle de la France, c’est-à-dire dans les zones désindustrialisées, et non chez moi !
Ainsi, trop assouplir, c’est aller dans le sens d’une concentration économique encore plus forte dans les territoires qui se portent déjà bien.
Nous comprenons la réflexion de Françoise Gatel, qui, en déposant cet amendement, propose des solutions supplémentaires ou complémentaires aux dispositifs et aux processus actuels.
En revanche, à ce stade, confier au préfet un rôle d’arbitrage nous pose problème, dans la mesure où le dispositif de l’article a été pensé pour qu’un tel rôle soit uniquement dévolu à la région. Par conséquent, faire intervenir l’État ne nous paraît pas utile.
Aussi, même si nous pourrons réfléchir et cheminer sur ces questions au cours de la navette parlementaire, il semble plus raisonnable de retirer cet amendement, d’ailleurs quelque peu complexe – on ne mesure pas encore précisément tous les contours ni toutes les conséquences de l’inscription, du rôle de l’État – et sans doute risqué.
L’amendement n° 213 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 74 rectifié, présenté par MM. Mandelli, Tabarot et Bacci, Mme Belrhiti, M. Paccaud, Mmes L. Darcos, Noël, Puissat, Demas, Goy-Chavent et Richer, MM. Somon, Sautarel, Sol, B. Fournier et Cuypers, Mme Gruny, M. Reichardt, Mme Imbert, MM. Chaize et E. Blanc, Mme Estrosi Sassone, MM. Chatillon et Bouloux, Mme Joseph, MM. C. Vial, Piednoir et Darnaud, Mme Ventalon, M. Mouiller et Mme F. Gerbaud, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’artificialisation des sols ou la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers résultant de l’implantation d’installations de production ou de stockage d’énergies renouvelables, y compris leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie ainsi que les ouvrages connexes qui leur sont directement liés, n’est pas comptabilisée pour évaluer l’atteinte des objectifs de réduction du rythme de l’artificialisation ou de la consommation d’espaces.
Les modalités de mise en œuvre du présent article sont précisées par décret en Conseil d’État.
La parole est à Mme Laure Darcos.
La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, qui a introduit l’objectif de zéro artificialisation nette, comprend une mesure visant à ne pas comptabiliser dans la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers les installations de production d’énergie photovoltaïque.
Cet amendement de Didier Mandelli auquel Ronan Dantec a déjà fait allusion, tend à pérenniser dans le temps cette mesure d’exemption, qui s’arrêtera en 2031, et à l’élargir à l’ensemble des projets concourant à la production et au stockage d’énergies renouvelables.
Après la date de 2031, les collectivités seront dans une impasse. En effet, le développement des énergies renouvelables dans leur territoire, sur leur initiative ou non, pourrait grever leur capacité d’artificialiser leurs sols.
Il s’agit donc d’exclure ces réalisations du calcul des objectifs de réduction du rythme d’artificialisation, afin de ne pas entraver la capacité de nos collectivités à développer ces projets, tout en permettant d’autres réalisations, pour les activités économiques ou pour l’habitat.
Je comprends bien l’intention de l’auteur de cet amendement, qui est fort louable. Dans la mesure où nous avons abordé le sujet du photovoltaïque, pourquoi n’irions-nous pas plus loin ?
Un amendement à l’objet identique a déjà été proposé au cours de la discussion relative au projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables – la loi vient d’ailleurs d’être promulguée –, mais il n’a pas été retenu lors de la commission mixte paritaire. À ce titre, il n’est peut-être pas très opportun d’aborder de nouveau ce sujet.
Par ailleurs, il nous semble toujours préférable de ne pas tenir compte de la destination de la construction. Nous préférons chercher plutôt l’échelle la plus pertinente de sa comptabilisation – locale, régionale ou nationale.
Tel est en tout cas l’esprit de notre texte.
La commission spéciale demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Même avis.
À partir d’une certaine taille, tout projet peut être considéré comme un grand projet d’envergure nationale ou européenne.
Toutefois, considérer que n’importe quel projet relatif aux énergies renouvelables le serait reviendrait à bousculer la nature même d’une telle catégorie.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
I. – Le III de l’article 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est complété par un 8° ainsi rédigé :
« 8° L’artificialisation des sols ou la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers, résultant de projets de construction, d’aménagement, d’infrastructures ou d’équipements d’ampleur régionale, peut ne pas être prise en compte pour l’évaluation de l’atteinte des objectifs mentionnés au second alinéa de l’article L. 141-3 du code de l’urbanisme et, dans ce cas, elle fait l’objet d’une comptabilisation séparée par la région.
« Le présent 8° est applicable dès lors que les conditions suivantes sont réunies :
« a) Les projets mentionnés au premier alinéa du présent 8° font l’objet d’une inscription au schéma prévu à l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales, après avis de la conférence prévue au V du présent article qui se prononce sur leur qualification de projet d’ampleur régionale, ainsi que des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales sur le territoire desquels ces projets sont implantés. Ces avis sont rendus dans un délai de deux mois après transmission d’une liste préliminaire de projets par l’autorité compétente pour élaborer le schéma. Pour procéder à cette inscription, il peut être recouru à la déclaration de projet mentionnée à l’article L. 300-6 du code de l’urbanisme ;
« b) L’artificialisation ou la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers mentionnée au premier alinéa du présent 8° est prise en compte pour l’évaluation de l’atteinte des objectifs mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales.
« Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de document d’urbanisme, les départements et leurs groupements peuvent soumettre à l’autorité compétente pour l’élaboration du schéma prévu au même article L. 4251-1, en vue de leur qualification comme projet d’ampleur régionale, des projets dont l’implantation est envisagée sur leur territoire. L’autorité précitée se prononce par délibération motivée de son organe délibérant sur les suites données à ces demandes ; ».
II. – Le quatrième alinéa de l’article L. 151-5 du code de l’urbanisme est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Pour fixer ces objectifs, lorsque le plan local d’urbanisme est élaboré par un établissement public de coopération intercommunale, ce dernier tient compte de l’existence de projets de construction, d’aménagement, d’infrastructures ou d’équipements d’intérêt intercommunal sis sur le territoire des communes membres. Ces projets sont identifiés au sein du projet d’aménagement et de développement durables. »
L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par M. E. Blanc, Mme Thomas, M. Tabarot, Mme Di Folco, MM. Bascher, D. Laurent et Brisson, Mmes Goy-Chavent et Dumas, M. Longuet, Mmes Muller-Bronn, Bonfanti-Dossat et Lassarade et MM. Bouchet et Rapin, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Philippe Tabarot.
Cet article précise les modalités d’inscription des projets d’envergure régionale dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, le Sraddet.
La demande d’inscription de tels projets se ferait ainsi sur saisine de toute commune ou établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétents en matière d’urbanisme, entraînant ainsi une délibération motivée du conseil régional pour refuser ou accepter chacune des demandes, après avis de la conférence régionale de la gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols.
Cette procédure, lourde et contraignante, place les régions dans une situation de justification permanente. Elle crée aussi de l’instabilité, en raison de la possible modulation – sans fin et à la hausse – de l’enveloppe régionale, ce qui est incompatible, comme vous le savez, avec l’atteinte de l’objectif de 50 %, fixé à l’échelle régionale.
C’est pourquoi le sénateur M. Étienne Blanc souhaite supprimer cet article.
Sourires.
Nous anticipons déjà, dans le texte de la commission spéciale, les questions soulevées par M. Étienne Blanc dans son amendement. Nous avons en effet introduit un délai limite de deux mois dans notre texte. Il tend ainsi à mieux encadrer la procédure et à améliorer la concertation locale.
La commission spéciale demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
L’amendement n° 9 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 69 rectifié bis, présenté par M. Babary, Mme Belrhiti, MM. Bouloux, Paccaud, Segouin, Somon, Rietmann, Perrin, Cuypers, Burgoa, E. Blanc, Meignen et Chatillon, Mme Lassarade, M. Tabarot, Mme Jacques, M. D. Laurent, Mme Dumont, M. Gremillet, Mme Chain-Larché, MM. Darnaud, Mandelli et Brisson, Mmes Ventalon et Dumas, MM. Piednoir et Pointereau, Mmes Canayer et Raimond-Pavero, MM. Sido et Savary, Mme Lopez, MM. B. Fournier, Rapin et Belin, Mme Garriaud-Maylam, M. de Nicolaÿ et Mme Di Folco, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La nature des projets d’ampleur régionale prévus au présent 8° est précisée par décret.
Les auteurs de cet amendement estiment que la nature des projets d’ampleur régionale sera laissée à la seule appréciation des conférences régionales du ZAN.
Telle n’est pas l’intention de la commission spéciale. Nous voulons en effet que les conférences régionales émettent des propositions, qui feront l’objet d’une décision de la région, qui les inscrira ou non dans le Sraddet.
Il ne paraît pas nécessaire de prévoir un décret qui contraindrait la liste des projets. Il vaut mieux appliquer le principe de subsidiarité, auquel nous sommes très attachés dans cette assemblée.
La commission spéciale demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Même avis.
Je pense que c’est aux élus locaux plutôt qu’aux services de l’État d’établir cette liste.
L’amendement n° 69 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 193, présenté par MM. Dantec, Benarroche et Breuiller, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 4, première phrase
Remplacer les mots :
au schéma prévu à l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales
par les mots :
respectivement dans le document prévu aux articles L. 4251-1, L. 4424-9 et L. 4433-7 du code général des collectivités territoriales et à l’article L. 123-1 du code de l’urbanisme
II.- Alinéa 5
Après la référence :
L. 4251-1
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
, au quatrième alinéa du I de l’article L. 4424-9 et au troisième alinéa de l’article L. 4433-7 du code général des collectivités territoriales ainsi qu’au dernier alinéa de l’article L. 123-1 du code de l’urbanisme.
La parole est à M. Ronan Dantec.
Sourires.
Vous l’avez bien compris, nous sommes très favorables à la mutualisation à l’échelle régionale, car elle fait partie de la souplesse indispensable à l’application du ZAN – c’est un objectif que nous partageons avec Mme la présidente de la commission spéciale et avec M. le rapporteur. La rédaction de l’article 5 s’inscrit dans cet esprit.
Il apparaît toutefois que, dans sa rédaction actuelle, il ne s’applique qu’aux régions qui, en application de l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales, sont chargées d’élaborer un Sraddet.
Cet amendement vise à en étendre l’application aux régions qui sont chargées d’élaborer un schéma directeur de la région d’Île-de-France (Sdrif), un plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (Padduc) et des schémas d’aménagement régionaux (SAR) dans les outre-mer.
Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.
Sourires.
L ’ amendement est adopté.
Nouveaux sourires.
L’amendement n° 121 rectifié, présenté par MM. C. Vial, Bacci et Bascher, Mmes Bellurot et Belrhiti, M. E. Blanc, Mme Borchio Fontimp, MM. Bouchet, Brisson, Burgoa, Charon et Chatillon, Mme L. Darcos, M. Darnaud, Mmes Dumas et Dumont, M. Genet, Mmes Gosselin et Goy-Chavent, MM. Gremillet et Husson, Mme Jacques, MM. D. Laurent et Longuet, Mmes Garriaud-Maylam et Noël, MM. Paccaud et Pellevat, Mme Puissat, MM. Rapin, Reichardt, Rietmann, Sautarel et Savin, Mme Schalck, MM. Somon et Tabarot et Mme Ventalon, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par cinq phrases ainsi rédigés :
Le schéma identifie le périmètre et les différentes composantes de ces projets. Il identifie les conséquences attendues de ces projets sur les infrastructures, équipements et besoins en logement du territoire. Ce schéma détermine le besoin foncier nécessaire à l’accueil du projet et de ses conséquences directes sur le territoire concerné. Si les capacités foncières du territoire d’accueil ne sont pas suffisantes, sans remettre en cause son développement endogène, il détermine une enveloppe foncière complémentaire nécessaire pour permettre la réalisation des conséquences directes de ce projet. Cette enveloppe complémentaire peut ne pas être prise en compte pour l’évaluation de l’atteinte des objectifs mentionnés au second alinéa de l’article L. 141-3 du code de l’urbanisme et, dans ce cas, elle fait l’objet d’une comptabilisation séparée par la région.
La parole est à M. Cédric Vial.
Il s’agit d’un amendement de cohérence avec celui que nous avons adopté à l’article 4, mardi soir dernier. Il a pour objet d’instaurer une enveloppe foncière complémentaire sur laquelle seraient comptabilisés les projets induits par ceux qui ont été qualifiés d’ampleur régionale, relatifs aux infrastructures ou aux logements, par les conseils régionaux.
Ces projets seraient comptabilisés, après qu’a été réalisée l’étude de leur impact sur le territoire et si les enveloppes foncières disponibles à l’échelle du territoire ne permettent pas d’accueillir ce projet dans des conditions favorables.
Ainsi, une quarantaine de collègues qui ont cosigné cet amendement et moi-même proposons, par cohérence avec ce qui a été prévu pour les projets d’ampleur nationale ou européenne, de prévoir le même dispositif pour les projets d’ampleur régionale.
Cet amendement semble s’inscrire dans le prolongement, non pas de l’amendement qui a été adopté à l’article 4, mais de celui qui a été retiré. Si tel est le cas, la commission spéciale émet un avis défavorable.
Monsieur Vial, ce que vous appelez cohérence, je le qualifierais plutôt d’effet de cascade ou de domino.
Notre argumentation est la suivante : pour éviter que la réduction de moitié du rythme de la trajectoire d’atteinte du ZAN soit trop contraignante, il faut ajouter des hectares à l’échelle nationale. Vous, vous nous dites qu’il faut ajouter des hectares à l’échelle régionale.
Lors de la discussion générale, tous les orateurs qui sont intervenus ont indiqué ne pas souhaiter remettre en cause la nécessité de diminuer la trajectoire d’artificialisation.
En votant cette disposition, en plus de celle qui existe déjà, nous ne sommes pas du tout sûrs que le total des enveloppes nationales et régionales ne soit pas, au bout du compte, plus élevé que la moitié que nous prétendons, dans le même temps, diminuer.
M. Cédric Vial le conteste.
Depuis mardi, les esprits se sont apaisés.
Pour répondre à votre demande d’explication, monsieur le rapporteur, cet amendement s’inscrit bien à la suite de celui qui a été retenu.
L’amendement que j’ai retiré visait à ce que les effets collatéraux, pour ainsi dire, de cette enveloppe foncière complémentaire soient pris en compte, à l’instar de ce qui se fait pour les projets d’ampleur nationale, à l’échelle nationale, donc qu’ils soient purement et simplement décomptés de l’enveloppe.
L’amendement n° 120 rectifié, qui a été adopté, tend à préciser que les effets collatéraux d’un projet d’ampleur nationale soient comptabilisés dans une enveloppe régionale qui compte pour le ZAN, parce que l’on considère qu’il y a aussi des intérêts régionaux.
L’amendement dont nous discutons s’inspire du même raisonnement : il s’agit de prendre en compte les conséquences directes des projets d’ampleur régionale et de fixer une enveloppe foncière complémentaire régionale. Si l’on ne procède pas ainsi, un tel projet sera inclus dans les schémas de cohérence territoriale (Scot).
Si une centrale nucléaire est construite dans un territoire rural, il s’agit alors d’un projet d’intérêt national. En revanche, s’il s’agit d’un projet de moindre ampleur, qui s’intègre à l’échelle locale et qui nécessite d’employer mille personnes pour fonctionner, pour ce projet d’intérêt régional, ces mille emplois ne sont pas prévus dans le Scot ! Aujourd’hui, l’enveloppe est fermée à l’échelle d’un Sraddet. On ne pourra donc pas ajouter de capacité foncière dans un Scot sans en enlever à tous les autres.
Il est évident que l’on ne pourra pas accueillir ce type de projet avec des procédures aussi lourdes, qui nécessiteraient de diminuer le droit à construire d’un département pour en ajouter à un autre. Cette enveloppe foncière, qui sera régionale, rendra plus faciles les importations dans les territoires.
Néanmoins, il est vrai que, lors de la première répartition, l’ensemble des territoires auront une enveloppe un peu moindre.
Cet amendement est bien cohérent avec l’amendement qui a été voté mardi, dont l’objet est d’instaurer une déduction sur l’enveloppe régionale.
Je voterai cet amendement.
Je vais le répéter – je vous prie de m’excuser, c’est sans doute mon côté enseignante qui prend le dessus : je pense que la pédagogie est l’art de la répétition, même si cela ne fonctionne pas toujours
Sourires.
Je suis la première à défendre le projet de requalification des friches. Pour autant, si aménager notre territoire demain signifie recréer ici une France industrielle, là une France des services et là-bas une France du vide, ce n’est pas le projet que j’ai pour la France !
Si l’on suit la logique de la relocalisation, de l’aménagement de tous nos territoires, afin d’éviter la concentration d’un certain nombre d’activités, donc des richesses et des problèmes d’embolie, y compris en matière de mobilité, que l’on a dû gérer au cours des dernières années, il faudra accepter que nos territoires accueillent demain des projets et toutes les conséquences qui vont avec et qui ont déjà été évoquées.
On connaît ces projets, certains sont d’envergure nationale, d’autres d’envergure régionale. Pour nombre d’entre eux, on se demandera, sur le modèle du débat byzantin sur le sexe des anges, si c’est un projet régional ou national. J’ignore où tout cela nous mènera, ce dont je suis sûre, c’est que nous ne pouvons pas, dans la situation actuelle, nous mettre des freins et bloquer le développement du pays.
En l’état, je suis favorable à cet amendement.
M. Cédric Vial applaudit.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 176, présenté par M. Redon-Sarrazy, Mme Artigalas, M. J. Bigot, Mme Espagnac, MM. P. Joly et Kerrouche, Mme Préville, M. Kanner, Mme S. Robert, MM. Michau, Jacquin, Montaugé et Tissot, Mme Monier, M. Mérillou et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
L’autorité précitée informe les collectivités territoriales, établissements publics et groupements ayant soumis des projets, des choix retenus et des motivations qui ont conduit à les retenir ou à ne pas les retenir.
La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
Il est prévu par l’article 5 que les projets d’envergure régionale pourront être mutualisés et faire l’objet d’une inscription en tant que tel au Sraddet, après avis de la conférence régionale ZAN et des collectivités d’implantation desdits projets.
Les communes et les EPCI dotés de la compétence urbanisme seront donc force de proposition dans l’identification de ces projets.
Il est également prévu par cet article que la région se prononce par délibération motivée en conseil régional sur les suites à donner à ces demandes.
Nombre de maires et de présidents d’EPCI souhaiteront que leurs projets remontent à l’échelle régionale, nous n’en doutons pas.
Cet article nous semble donc alourdir la procédure d’identification des projets d’envergure régionale.
Aussi, cet amendement vise à supprimer la délibération motivée du conseil régional prévue pour chaque projet, afin de ne pas alourdir les débats et afin que les délais de réponse ne soient pas trop longs, du fait d’une file d’attente que nous connaissons pour d’autres types de demandes.
Nous proposons toutefois de maintenir à destination des collectivités ayant soumis des projets l’information relative aux choix et aux motivations qui ont conduit à les retenir ou non, afin que les porteurs de projet ne soient pas frustrés. Pour autant, ne provoquons pas l’embolie du système !
L ’ amendement est adopté.
L’amendement n° 137 rectifié bis, présenté par MM. Canévet, Bonneau, de Belenet, Mizzon, Laugier, Longeot et Le Nay, Mmes N. Goulet et Jacquemet, M. Kern, Mme Férat, MM. Louault, Levi, Prince, Chauvet et Duffourg, Mme Perrot, M. Folliot, Mme Morin-Desailly, M. J.M. Arnaud et Mme Herzog, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° L’artificialisation des sols ou la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers résultant de projets de construction, d’aménagement, d’infrastructures ou d’équipements d’ampleur supracommunale peut ne pas être prise en compte pour l’évaluation de l’atteinte des objectifs mentionnés au second alinéa de l’article L. 141-3 du code de l’urbanisme. »
La parole est à M. Jean-François Longeot.
Cet amendement, déposé par Michel Canévet, vise à permettre la prise en compte des projets d’intérêt supracommunal dans la fixation des objectifs de réduction de l’artificialisation, à l’échelle d’un EPCI.
Qu’est-ce qu’un projet d’ampleur supracommunale ?
J’ai retrouvé cette notion dans la doctrine et dans plusieurs articles, mais, sauf erreur de ma part, elle n’a pas d’existence juridique.
De plus, la notion de supracommunalité peut s’entrechoquer avec celle d’intercommunalité ou, en tout cas, de projet d’intérêt intercommunal.
La commission spéciale demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
L ’ article 5 est adopté.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente-cinq.