Intervention de Pierre-Antoine Levi

Réunion du 16 mars 2023 à 14h30
Fraudes en matière artistique — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Pierre-Antoine LeviPierre-Antoine Levi :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne sais exactement ce qu’est un faux. Je ne sais précisément ce qu’est un bien culturel. J’ignore la différence réelle entre un plagiat et un pastiche. Mais je sais reconnaître une œuvre d’art quand j’en vois une. Et je peux dire que ce texte en est une. Une œuvre d’art authentique. Une œuvre de dentelle, ou d’orfèvrerie juridique, pour filer la métaphore.

Car elle nous entraîne dans un univers de droit où chaque concept doit être bien pesé et où la subtilité le dispute à la finesse. Monsieur Fialaire, en tant qu’auteur et rapporteur de ce texte, vous me permettrez de vous dire : chapeau l’artiste !

Votre proposition réforme la loi Bardoux, du nom de l’honorable sénateur inamovible Agénor Bardoux, aïeul d’une personnalité chère à la famille politique dont je suis membre, à savoir l’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing.

En proposant ce texte en 1895, Agénor Bardoux avait réagi au scandale provoqué par une escroquerie artistique dont avait été victime Alexandre Dumas fils. Ce dernier avait acquis un tableau qui lui avait été vendu comme étant un Corot et qui était en réalité une œuvre de Paul Désiré Trouillebert…

Près de cent trente ans plus tard, les arnaques artistiques font toujours la une des gazettes : faux sièges de Marie-Antoinette acquis par le château de Versailles, fausse Vénus de Cranach achetée par le prince de Liechtenstein et, surtout, acquisition par le Louvre Abu Dhabi d’une stèle de Toutankhamon illégalement sortie d’Égypte en 2011.

Trois exemples qui montrent à quel point la fraude artistique est non seulement d’actualité, mais même en plein boom. Trois exemples qui montrent aussi à quel point elle peut être protéiforme.

Frauder, ce n’est pas seulement mentir sur l’authenticité d’une œuvre. Cela peut tout aussi bien être mentir sur son origine. Et cela peut concerner des objets de toute nature et de toute époque.

C’est cette extension du domaine de la fraude que ne couvre pas la loi Bardoux. Depuis 1895, la création artistique a changé, tout comme le marché de l’art et l’art des escrocs. Ce texte ne protégeait que les œuvres d’art classiques, telles que les peintures ou les sculptures, mais pas les photographies, les objets de design, et encore moins la vidéo et les NFT.

De plus, elle ne protège que les œuvres les plus récentes, c’est-à-dire celles qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public. La loi Bardoux était dépassée depuis longtemps. À l’heure de la numérisation de l’art et de son commerce, sa survivance a presque quelque chose de poétique. Mais poésie ne rime pas toujours avec effectivité juridique…

Le principal apport du texte qui nous est proposé est d’élargir la répression de la fraude à la réalité contemporaine du phénomène, à l’ensemble des œuvres aujourd’hui concernées, signées ou non, contemporaines ou anciennes.

L’arsenal juridique dont nous disposons à côté de la loi Bardoux ne permet-il pas déjà de remédier à ses lacunes ? C’est là que l’on entre dans le byzantinisme. Le code pénal sanctionne bien les délits de contrefaçon, d’escroquerie, de tromperie et de faux et usage de faux. Mais le pénal n’est pas le civil. De même, le décret Marcus de 1981 ne permet de sanctionner que les vendeurs contrevenants. Les trous dans la raquette sont donc importants.

L’autre grand apport du texte est de revaloriser la peine encourue. La loi Bardoux n’est pas assez sévère : deux ans et 75 000 euros d’amende, sans modulation en fonction des circonstances, compte tenu de l’ampleur des trafics actuels, c’est très insuffisant. Nous ne pouvons que soutenir le renforcement substantiel de ces sanctions, qui sont alignées sur les infractions d’escroquerie, recel ou blanchiment. Cela portera la peine et l’amende à cinq ans et 350 000 euros pour les cas ordinaires et permettra de monter à dix ans de prison et 1 million d’euros d’amende quand les faits sont commis en bande organisée.

D’aucuns se sont exprimés pour regretter que ce texte soit présenté avant que le CSPLA, saisi sur le même sujet, ne rende ses conclusions. On peut le comprendre, mais il y aura toujours de bonnes raisons d’attendre… et le cadre juridique actuel a presque 130 ans !

De plus, les apports du CSPLA, qui semble travailler sur les procédures judiciaires qui permettraient de mieux lutter contre les faux sur le marché de l’art, seront sans doute parfaitement complémentaires avec le travail effectué sur la présente proposition de loi.

Un point, toutefois, me laisse perplexe, celui du devenir des faux. C’est une question passionnante, car elle interroge notre rapport à l’authenticité – et presque au réel.

Non seulement on ne peut jamais être sûrs qu’un faux en est bien un, mais, de plus, un faux peut être beau, un faux peut être une vraie œuvre d’art.

Face à cet épineux problème, monsieur le rapporteur, vous avez refusé la solution grossière de la destruction systématique. C’est sage ! Vous avez aussi refusé celle du marquage, au motif qu’un marquage peut toujours être escamoté.

Vous proposez donc la mise en place d’un registre des faux artistiques. C’est la solution qui nous semble la plus pertinente. Mais, parallèlement, vous déléguez au juge le soin d’apprécier ce qu’il devrait advenir du faux en fonction des circonstances de l’espèce. Comme trop souvent, le législateur se dessaisit.

Ne peut-on au moins utiliser notre compétence pour énumérer de manière restrictive les conditions dans lesquelles un faux devrait être détruit ou confisqué ?

Nonobstant cette interrogation, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. Puisse-t-il avoir la longévité de la loi Bardoux !

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