Intervention de Monique de Marco

Réunion du 16 mars 2023 à 14h30
Fraudes en matière artistique — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Monique de MarcoMonique de Marco :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 1885, lorsque la loi Bardoux est discutée au Parlement, le peintre Camille Corot est mort depuis dix ans.

Paul-Désiré Trouillebert, lui, est toujours vivant. Peut-être lit-il alors, dans les colonnes des journaux, les conclusions du débat parlementaire, dont l’une de ses toiles fut à l’origine, parce qu’elle avait été attribuée à un autre, à savoir à Corot.

Qu’a pu ressentir Trouillebert à ce moment-là, lui qui, comme Corot, a consacré sa vie à la peinture, pour une bien moins grande fortune ? Du plaisir, du fait que l’un de ses paysages ait séduit et illusionné Alexandre Dumas fils ? De l’amertume, à ne devenir pour l’histoire qu’un copiste de Corot ? Du cynisme, à observer le comportement moutonnier du marché de l’art, transformant les artistes en brevets et plaçant, surtout, au second plan l’émotion esthétique produite par la contemplation d’une toile ?

Ce qui ne fait pas de doute, c’est que Trouillebert, au même titre que les ayants droit de Corot et que Dumas, est, lui aussi, victime de cette escroquerie. Ne disposant pas de la renommée de ces derniers et n’ayant pas voix au chapitre, il ne voit pas ses droits protégés par la loi Bardoux, qui ne prévoit pas de réhabilitation pour l’auteur véritable de l’œuvre.

Vieille de plus de cent ans, cette loi nécessitait une actualisation pour adapter les moyens de la lutte contre les faux artistiques aux nouvelles techniques développées par les faussaires. C’est pourquoi nous accueillons favorablement l’initiative de Bernard Fialaire.

La création d’un registre des faux faciliterait le travail des enquêteurs. En outre, la proposition de loi alourdit considérablement les peines et prévoit des circonstances aggravantes lorsque les faux sont réalisés au détriment d’une personne publique ou commis en bande organisée. La rédaction proposée élargit enfin la qualification du faux.

Nous serons toutefois très attachés à trouver un meilleur équilibre entre la protection des droits patrimoniaux des collectionneurs et des marchands d’art et la protection des artistes.

Le droit d’auteur est un corollaire de la liberté d’expression artistique. Il ne doit pas devenir une entrave à la création.

C’est pourquoi nous présenterons des amendements destinés à exclure la destruction des œuvres jugées comme faux, en considérant que ces dernières peuvent disposer d’une valeur intrinsèque, autonome de l’identité de l’artiste, même faussaire. D’autres pistes pourraient être envisagées, comme la mise sous séquestre automatique.

De la même manière, nous souhaitons préserver la capacité des artistes à créer leur nom d’emprunt et leur permettre de garder secrètes leurs techniques de fabrication.

La protection des artistes doit être replacée au centre de nos préoccupations de législateur, alors que le marché, toujours plus fort, s’est encore renforcé pendant la crise sanitaire.

Entre 2007 et 2013, 30 % des expositions personnelles proposées par les grands musées américains ont ainsi été consacrées à des artistes représentés par seulement cinq galeries.

Certains artistes se battent contre cette tendance. Je pense à Banksy, dont l’une des œuvres a été détruite en pleine salle des ventes. Je pense aussi, avant lui, à Marcel Duchamp présentant un urinoir comme une fontaine ou à René Magritte qui nous interpellait avec son célèbre tableau La Trahison des images, accompagné de la légende « Ceci n’est pas une pipe ».

Quelles retombées directes les artistes ont-ils à attendre de ce texte ? Très peu, madame la ministre. La navette parlementaire vous laisse le temps d’enrichir le texte en leur direction.

De leur capacité à nous illusionner dépend notre capacité à nous émerveiller. À nous de veiller à ce que leur liberté d’expression demeure entière.

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