Intervention de Laurence Boone

Réunion du 15 mars 2023 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 23 et 24 mars 2023

Laurence Boone :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, fidèles à nos traditions, c’est pour moi un plaisir de vous retrouver afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux sujets qui y seront traités.

Comme vous le savez, les chefs d’État et de gouvernement se sont déjà réunis une fois, au début du mois de février. Dans deux semaines, ils se retrouveront pour assurer le suivi de notre réponse aux sujets qui continuent d’être en haut de l’agenda.

La guerre en Ukraine reste le sujet le plus brûlant, mais je pense aussi, naturellement, à la réponse que l’Union européenne doit apporter à l’Inflation Reduction Act (IRA) ainsi qu’aux réflexions sur la réforme de la gouvernance économique européenne.

Le Conseil européen sera par ailleurs marqué par des discussions sur la situation énergétique, d’une part, et sur les questions migratoires, d’autre part. Il assurera en cela le suivi du Conseil européen des 8 et 9 février dernier.

Le Conseil européen échangera enfin sur la conférence de soutien aux populations syrienne et turque, frappées par les tremblements de terre du 6 février dernier.

Comme vous le savez, sur l’ensemble de ces sujets, la situation évolue tous les jours et les positions que je vais vous exposer sont encore susceptibles d’évoluer à l’aune des événements que vous connaissez, et des concertations conduites entre Européens.

L’Ukraine, je le disais, restera bien sûr une des principales priorités de ce Conseil européen.

Le Conseil européen condamnera de nouveau la guerre d’agression de la Russie en faisant référence au soutien apporté à la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies pour une paix juste et durable, votée le 23 février, et au plan de paix en dix points du président Zelensky. Il insistera sur la poursuite de la mise en œuvre des sanctions à l’égard de la Russie en renforçant la lutte contre les contournements de ces mesures restrictives.

Le Conseil européen appellera à poursuivre les travaux sur la lutte contre l’impunité en saluant la création du centre international pour juger du crime d’agression. Cette lutte contre l’impunité doit également concerner les transferts forcés massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie, comme vous l’avez rappelé dans votre proposition de résolution européenne, adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes. Ce point figure également dans le dixième paquet de sanctions, mais nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.

Sur ce sujet, il est important que nous restions très unis et fermes sur les messages envoyés par la France. En accueillant dans cet hémicycle, le 1er février dernier, le président de la Rada ukrainienne, vous avez témoigné du soutien indéfectible de la France à l’Ukraine.

Le Conseil européen reviendra sur les travaux concernant l’achat, la livraison et la production de munitions au niveau européen. Sur ce point très précis, les travaux sont encore en cours, et la question sera abordée en détail au Conseil conjoint des ministres des affaires étrangères et de la défense le 20 mars prochain.

Les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept réitéreront enfin leur engagement en faveur de la reconstruction de l’Ukraine et leur souhait de poursuivre le travail sur le recours aux actifs russes gelés et immobilisés.

Enfin, le Conseil reviendra sur la poursuite de l’initiative céréalière de la mer Noire, dont nous espérons vivement qu’elle sera prolongée.

Une partie substantielle du Conseil européen sera consacrée aux questions économiques, dans toutes leurs dimensions. Ce sera l’occasion de confirmer et d’amplifier la dynamique vers une souveraineté stratégique européenne. N’ayons pas peur des mots : oui, l’Europe peut être un véritable « espace puissance ». Le passage d’un espace économique à un espace-puissance implique fondamentalement d’ajouter à l’économie la capacité d’influence.

L’influence de l’Union européenne découle en grande partie de son marché intérieur de près de 500 millions de consommateurs qui, par son pouvoir normatif, lui donne le moyen de peser de façon décisive sur l’organisation des échanges internationaux.

Nous avons fait valoir auprès de la Commission européenne notre vision, qui est celle d’une politique industrielle ambitieuse. C’est d’ailleurs aussi ce même objectif que votre commission des affaires européennes a appelé de ses vœux dans sa proposition de résolution du 8 février sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2023. Comme le Gouvernement, vous y appelez à une réponse européenne forte à l’adoption de l’Inflation Reduction Act américain, à la fois, par des outils de défense commerciale et par une nouvelle politique industrielle européenne.

Je veux être très claire sur ce point : l’affirmation de cette souveraineté européenne est notre priorité absolue. Elle est la traduction directe du discours de la Sorbonne de 2017. Elle est l’inspiration du sommet de Versailles de mars 2022 et de la présidence française du Conseil européen.

À cette fin, nous devons être en mesure de fixer des objectifs à horizon de 2030 et d’accompagner l’implantation des capacités de production européennes pour répondre à nos besoins stratégiques. Ces besoins stratégiques, ce sont, à la fois, par exemple, les matières premières ou les semi-conducteurs. Ces capacités permettront la réduction des dépendances de l’Union européenne et la réalisation de sa transition écologique.

Plusieurs leviers ont été évoqués et nous avions eu l’occasion d’en débattre ensemble lors d’un débat en séance le 8 février dernier.

Tout d’abord, il faudrait simplifier le cadre réglementaire pour l’octroi de permis, adapter la commande publique et accélérer les procédures d’évaluation de projets par la Commission européenne – je pense aux projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), mais aussi aux aides d’État.

Il faudrait, par ailleurs, flexibiliser les possibilités de financement via les programmes européens afin d’optimiser ces ressources, et mobiliser les capacités d’investissements tant publiques que privées.

Il faudrait également soutenir une action renforcée pour conforter notre vivier de talents dans ces secteurs clés, car nous manquons aujourd’hui de main-d’œuvre dans bon nombre de ces secteurs.

Il faudrait enfin, en matière commerciale, poursuivre un dialogue soutenu avec nos partenaires tout en mobilisant, lorsque cela s’avère nécessaire, nos instruments de défense commerciale.

Le Conseil européen aura également l’occasion d’avoir un échange sur la gouvernance économique de l’Union européenne. Dans la continuité des échanges en Conseil des affaires économiques et financières (Écofin), hier, le Conseil européen devrait endosser les conclusions relatives à la révision de la gouvernance économique qui y ont été adoptées.

Cette question est fondamentale : les débats devront refléter la nécessité de concilier soutenabilité des finances publiques et réponse aux différents défis auxquels nous sommes confrontés. Le statu quo n’est pas envisageable, car le cadre actuel est inadapté aux défis qui se posent désormais à l’Union européenne, qu’il s’agisse de la transition ou de la dépendance énergétique, et de la souveraineté industrielle. Il est essentiel pour assurer à la fois ces investissements et la croissance que le Conseil s’accorde sur de grandes orientations communes, autour des principes de différenciation par pays pour assurer la crédibilité des trajectoires budgétaires. Nous souhaitons à ce titre que la Commission puisse rapidement présenter une proposition législative.

Concernant la situation énergétique, le Conseil européen se réunira quelques jours avant le Conseil des ministres de l’énergie, qui aura lieu à Bruxelles à la fin du mois de mars. Il sera surtout l’occasion d’aborder le sujet de la réforme du marché de l’électricité pour laquelle la Commission européenne a présenté sa proposition hier. L’objectif est clair, et vous l’avez rappelé dans votre proposition de résolution du 8 février dernier : il s’agit d’avancer le plus rapidement possible sur ce sujet afin d’aboutir à l’adoption d’une proposition d’ici à la fin de l’année 2023, pour être en position d’agir rapidement sur les prix de l’énergie.

Cette réforme, à nos yeux essentielle, doit répondre à deux objectifs : créer un cadre de marché apportant une plus grande prévisibilité et une visibilité accrue pour les producteurs d’électricité et les consommateurs ; garantir des prix plus stables et moins dépendants des cours des énergies fossiles.

Ce cadre sera également plus incitatif pour investir dans les énergies décarbonées, ce qui est essentiel pour réduire à la fois nos émissions et notre dépendance aux hydrocarbures.

Les chefs d’État et de gouvernement auront également l’occasion d’aborder d’autres enjeux en cours de discussions, notamment concernant l’hydrogène ou encore notre état de préparation pour l’hiver 2023-2024. La France, sur ce sujet, a une position constante : l’Union doit se préparer le plus en amont possible à l’hiver à venir, en particulier pour son approvisionnement en gaz naturel.

Le Conseil européen fournira également l’occasion d’un nouveau point sur les questions migratoires. Le Conseil européen des 8 et 9 février dernier a souligné toute l’importance du renforcement de notre action à l’égard des pays tiers, d’origine et de transit, au moyen de partenariats mutuellement bénéfiques et respectueux des droits de l’homme et des valeurs de l’Union européenne.

L’objectif est de prévenir les départs irréguliers, d’éviter les pertes de vies humaines, de lutter contre les trafics de migrants et de traite des êtres humains et de favoriser le retour, la réadmission et la réintégration durable des personnes qui ne remplissent pas les conditions de séjour sur notre territoire, notamment les personnes non éligibles à la protection internationale.

Dans cette optique, il est essentiel de mobiliser de façon coordonnée les instruments à notre disposition pour soutenir et responsabiliser nos partenaires en matière de gestion des migrations.

Il est crucial d’adopter une approche européenne coordonnée pour faire face à la situation actuelle en Méditerranée centrale, marquée par l’augmentation constante du nombre de personnes tentant de rejoindre l’Union européenne depuis la Libye, la Tunisie et la Turquie, conduisant à de trop nombreux drames humains, comme nous l’avons encore tristement constaté le 26 février au large des côtes italiennes.

En matière de dimension interne des migrations, le Conseil européen a souligné la détermination des chefs d’État et de gouvernement à maintenir le cap des négociations au sujet du pacte sur la migration et l’asile (PMA), qui constitue véritablement une boussole entre responsabilité et solidarité. La dynamique engagée au Conseil et au Parlement dans les négociations doit absolument être préservée afin de maintenir notre objectif d’une adoption d’ici à un an exactement.

Enfin, monsieur le président Rapin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez raison d’insister dans une proposition de résolution sur le rôle de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, appelée communément Frontex. Il est clé. Nous aurons, je n’en doute pas, l’occasion d’en rediscuter.

Enfin, le Conseil européen reviendra sur les tremblements de terre tragiques survenus le 6 février en Turquie et en Syrie, qui ont fait plus de 52 000 morts.

Lors de leur dernière réunion, les 8 et 9 février, les chefs d’État et de gouvernement avaient exprimé leurs plus sincères condoléances pour les victimes et affirmé leur solidarité sans faille avec les populations des deux pays. Depuis, l’Union européenne et ses États membres se sont très rapidement mobilisés, de façon coordonnée, pour apporter leur aide financière et matérielle et atténuer les souffrances dans toutes les régions touchées. Nous sommes conscients de la gravité de la situation sur place et de l’immensité des besoins restant à couvrir : notre solidarité et notre soutien ne doivent donc pas s’arrêter là. C’est dans cet esprit que la présidence suédoise du Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne organisent une conférence des donateurs le 20 mars à Bruxelles, afin de permettre de mobiliser des fonds de la communauté internationale en faveur des populations sinistrées. Cela permettra également d’assurer la bonne coordination de l’aide versée par les différents contributeurs, malgré des difficultés logistiques, afin de couvrir de manière efficace les besoins des victimes sur le terrain.

Voilà, en quelques mots, les enjeux de ce Conseil européen. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que vos questions me permettront d’éclaircir certains points.

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