La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars 2023.
Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, fidèles à nos traditions, c’est pour moi un plaisir de vous retrouver afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux sujets qui y seront traités.
Comme vous le savez, les chefs d’État et de gouvernement se sont déjà réunis une fois, au début du mois de février. Dans deux semaines, ils se retrouveront pour assurer le suivi de notre réponse aux sujets qui continuent d’être en haut de l’agenda.
La guerre en Ukraine reste le sujet le plus brûlant, mais je pense aussi, naturellement, à la réponse que l’Union européenne doit apporter à l’Inflation Reduction Act (IRA) ainsi qu’aux réflexions sur la réforme de la gouvernance économique européenne.
Le Conseil européen sera par ailleurs marqué par des discussions sur la situation énergétique, d’une part, et sur les questions migratoires, d’autre part. Il assurera en cela le suivi du Conseil européen des 8 et 9 février dernier.
Le Conseil européen échangera enfin sur la conférence de soutien aux populations syrienne et turque, frappées par les tremblements de terre du 6 février dernier.
Comme vous le savez, sur l’ensemble de ces sujets, la situation évolue tous les jours et les positions que je vais vous exposer sont encore susceptibles d’évoluer à l’aune des événements que vous connaissez, et des concertations conduites entre Européens.
L’Ukraine, je le disais, restera bien sûr une des principales priorités de ce Conseil européen.
Le Conseil européen condamnera de nouveau la guerre d’agression de la Russie en faisant référence au soutien apporté à la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies pour une paix juste et durable, votée le 23 février, et au plan de paix en dix points du président Zelensky. Il insistera sur la poursuite de la mise en œuvre des sanctions à l’égard de la Russie en renforçant la lutte contre les contournements de ces mesures restrictives.
Le Conseil européen appellera à poursuivre les travaux sur la lutte contre l’impunité en saluant la création du centre international pour juger du crime d’agression. Cette lutte contre l’impunité doit également concerner les transferts forcés massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie, comme vous l’avez rappelé dans votre proposition de résolution européenne, adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes. Ce point figure également dans le dixième paquet de sanctions, mais nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.
Sur ce sujet, il est important que nous restions très unis et fermes sur les messages envoyés par la France. En accueillant dans cet hémicycle, le 1er février dernier, le président de la Rada ukrainienne, vous avez témoigné du soutien indéfectible de la France à l’Ukraine.
Le Conseil européen reviendra sur les travaux concernant l’achat, la livraison et la production de munitions au niveau européen. Sur ce point très précis, les travaux sont encore en cours, et la question sera abordée en détail au Conseil conjoint des ministres des affaires étrangères et de la défense le 20 mars prochain.
Les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept réitéreront enfin leur engagement en faveur de la reconstruction de l’Ukraine et leur souhait de poursuivre le travail sur le recours aux actifs russes gelés et immobilisés.
Enfin, le Conseil reviendra sur la poursuite de l’initiative céréalière de la mer Noire, dont nous espérons vivement qu’elle sera prolongée.
Une partie substantielle du Conseil européen sera consacrée aux questions économiques, dans toutes leurs dimensions. Ce sera l’occasion de confirmer et d’amplifier la dynamique vers une souveraineté stratégique européenne. N’ayons pas peur des mots : oui, l’Europe peut être un véritable « espace puissance ». Le passage d’un espace économique à un espace-puissance implique fondamentalement d’ajouter à l’économie la capacité d’influence.
L’influence de l’Union européenne découle en grande partie de son marché intérieur de près de 500 millions de consommateurs qui, par son pouvoir normatif, lui donne le moyen de peser de façon décisive sur l’organisation des échanges internationaux.
Nous avons fait valoir auprès de la Commission européenne notre vision, qui est celle d’une politique industrielle ambitieuse. C’est d’ailleurs aussi ce même objectif que votre commission des affaires européennes a appelé de ses vœux dans sa proposition de résolution du 8 février sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2023. Comme le Gouvernement, vous y appelez à une réponse européenne forte à l’adoption de l’Inflation Reduction Act américain, à la fois, par des outils de défense commerciale et par une nouvelle politique industrielle européenne.
Je veux être très claire sur ce point : l’affirmation de cette souveraineté européenne est notre priorité absolue. Elle est la traduction directe du discours de la Sorbonne de 2017. Elle est l’inspiration du sommet de Versailles de mars 2022 et de la présidence française du Conseil européen.
À cette fin, nous devons être en mesure de fixer des objectifs à horizon de 2030 et d’accompagner l’implantation des capacités de production européennes pour répondre à nos besoins stratégiques. Ces besoins stratégiques, ce sont, à la fois, par exemple, les matières premières ou les semi-conducteurs. Ces capacités permettront la réduction des dépendances de l’Union européenne et la réalisation de sa transition écologique.
Plusieurs leviers ont été évoqués et nous avions eu l’occasion d’en débattre ensemble lors d’un débat en séance le 8 février dernier.
Tout d’abord, il faudrait simplifier le cadre réglementaire pour l’octroi de permis, adapter la commande publique et accélérer les procédures d’évaluation de projets par la Commission européenne – je pense aux projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), mais aussi aux aides d’État.
Il faudrait, par ailleurs, flexibiliser les possibilités de financement via les programmes européens afin d’optimiser ces ressources, et mobiliser les capacités d’investissements tant publiques que privées.
Il faudrait également soutenir une action renforcée pour conforter notre vivier de talents dans ces secteurs clés, car nous manquons aujourd’hui de main-d’œuvre dans bon nombre de ces secteurs.
Il faudrait enfin, en matière commerciale, poursuivre un dialogue soutenu avec nos partenaires tout en mobilisant, lorsque cela s’avère nécessaire, nos instruments de défense commerciale.
Le Conseil européen aura également l’occasion d’avoir un échange sur la gouvernance économique de l’Union européenne. Dans la continuité des échanges en Conseil des affaires économiques et financières (Écofin), hier, le Conseil européen devrait endosser les conclusions relatives à la révision de la gouvernance économique qui y ont été adoptées.
Cette question est fondamentale : les débats devront refléter la nécessité de concilier soutenabilité des finances publiques et réponse aux différents défis auxquels nous sommes confrontés. Le statu quo n’est pas envisageable, car le cadre actuel est inadapté aux défis qui se posent désormais à l’Union européenne, qu’il s’agisse de la transition ou de la dépendance énergétique, et de la souveraineté industrielle. Il est essentiel pour assurer à la fois ces investissements et la croissance que le Conseil s’accorde sur de grandes orientations communes, autour des principes de différenciation par pays pour assurer la crédibilité des trajectoires budgétaires. Nous souhaitons à ce titre que la Commission puisse rapidement présenter une proposition législative.
Concernant la situation énergétique, le Conseil européen se réunira quelques jours avant le Conseil des ministres de l’énergie, qui aura lieu à Bruxelles à la fin du mois de mars. Il sera surtout l’occasion d’aborder le sujet de la réforme du marché de l’électricité pour laquelle la Commission européenne a présenté sa proposition hier. L’objectif est clair, et vous l’avez rappelé dans votre proposition de résolution du 8 février dernier : il s’agit d’avancer le plus rapidement possible sur ce sujet afin d’aboutir à l’adoption d’une proposition d’ici à la fin de l’année 2023, pour être en position d’agir rapidement sur les prix de l’énergie.
Cette réforme, à nos yeux essentielle, doit répondre à deux objectifs : créer un cadre de marché apportant une plus grande prévisibilité et une visibilité accrue pour les producteurs d’électricité et les consommateurs ; garantir des prix plus stables et moins dépendants des cours des énergies fossiles.
Ce cadre sera également plus incitatif pour investir dans les énergies décarbonées, ce qui est essentiel pour réduire à la fois nos émissions et notre dépendance aux hydrocarbures.
Les chefs d’État et de gouvernement auront également l’occasion d’aborder d’autres enjeux en cours de discussions, notamment concernant l’hydrogène ou encore notre état de préparation pour l’hiver 2023-2024. La France, sur ce sujet, a une position constante : l’Union doit se préparer le plus en amont possible à l’hiver à venir, en particulier pour son approvisionnement en gaz naturel.
Le Conseil européen fournira également l’occasion d’un nouveau point sur les questions migratoires. Le Conseil européen des 8 et 9 février dernier a souligné toute l’importance du renforcement de notre action à l’égard des pays tiers, d’origine et de transit, au moyen de partenariats mutuellement bénéfiques et respectueux des droits de l’homme et des valeurs de l’Union européenne.
L’objectif est de prévenir les départs irréguliers, d’éviter les pertes de vies humaines, de lutter contre les trafics de migrants et de traite des êtres humains et de favoriser le retour, la réadmission et la réintégration durable des personnes qui ne remplissent pas les conditions de séjour sur notre territoire, notamment les personnes non éligibles à la protection internationale.
Dans cette optique, il est essentiel de mobiliser de façon coordonnée les instruments à notre disposition pour soutenir et responsabiliser nos partenaires en matière de gestion des migrations.
Il est crucial d’adopter une approche européenne coordonnée pour faire face à la situation actuelle en Méditerranée centrale, marquée par l’augmentation constante du nombre de personnes tentant de rejoindre l’Union européenne depuis la Libye, la Tunisie et la Turquie, conduisant à de trop nombreux drames humains, comme nous l’avons encore tristement constaté le 26 février au large des côtes italiennes.
En matière de dimension interne des migrations, le Conseil européen a souligné la détermination des chefs d’État et de gouvernement à maintenir le cap des négociations au sujet du pacte sur la migration et l’asile (PMA), qui constitue véritablement une boussole entre responsabilité et solidarité. La dynamique engagée au Conseil et au Parlement dans les négociations doit absolument être préservée afin de maintenir notre objectif d’une adoption d’ici à un an exactement.
Enfin, monsieur le président Rapin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez raison d’insister dans une proposition de résolution sur le rôle de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, appelée communément Frontex. Il est clé. Nous aurons, je n’en doute pas, l’occasion d’en rediscuter.
Enfin, le Conseil européen reviendra sur les tremblements de terre tragiques survenus le 6 février en Turquie et en Syrie, qui ont fait plus de 52 000 morts.
Lors de leur dernière réunion, les 8 et 9 février, les chefs d’État et de gouvernement avaient exprimé leurs plus sincères condoléances pour les victimes et affirmé leur solidarité sans faille avec les populations des deux pays. Depuis, l’Union européenne et ses États membres se sont très rapidement mobilisés, de façon coordonnée, pour apporter leur aide financière et matérielle et atténuer les souffrances dans toutes les régions touchées. Nous sommes conscients de la gravité de la situation sur place et de l’immensité des besoins restant à couvrir : notre solidarité et notre soutien ne doivent donc pas s’arrêter là. C’est dans cet esprit que la présidence suédoise du Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne organisent une conférence des donateurs le 20 mars à Bruxelles, afin de permettre de mobiliser des fonds de la communauté internationale en faveur des populations sinistrées. Cela permettra également d’assurer la bonne coordination de l’aide versée par les différents contributeurs, malgré des difficultés logistiques, afin de couvrir de manière efficace les besoins des victimes sur le terrain.
Voilà, en quelques mots, les enjeux de ce Conseil européen. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que vos questions me permettront d’éclaircir certains points.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Pascale Gruny applaudit également.
La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà à peine plus d’un an, les 10 et 11 mars 2022, les dirigeants des vingt-sept États membres de l’Union européenne se réunissaient à Versailles, sous présidence française, pour un sommet fondateur de notre politique extérieure commune. L’ensemble des États membres ont pu affirmer à cette occasion leur engagement au service d’une « souveraineté européenne », selon la formule défendue par la France depuis plusieurs années.
Depuis un an, la guerre se poursuit dans notre voisinage immédiat. Il est dès lors essentiel que l’Union européenne et ses États membres démontrent leur capacité à maintenir leur unité et à prouver leur détermination, à court, à moyen et à long termes, de devenir un acteur géopolitique à part entière dans les relations internationales.
À court terme, d’abord, j’aimerais aborder la dimension européenne de l’aide militaire livrée aux forces ukrainiennes, et plus particulièrement la question des munitions.
Sur le plan du financement, la mobilisation, dès le mois de février 2022, de la Facilité européenne pour la paix (FEP) pour financer en commun des livraisons d’armement à l’Ukraine est un succès, largement salué comme tel. Les sept enveloppes d’aide adoptées à l’unanimité depuis, ainsi que son refinancement, décidé récemment, témoignent de l’efficacité et de la pertinence de ce mécanisme.
Toutefois, dans l’immédiat, l’efficacité de notre soutien militaire commun rencontre de nouveaux obstacles, qui ne sont pas financiers. Je pense aux limites industrielles de notre appareil productif, notamment en matière de fabrication de munitions.
À la fin du mois dernier, le Haut Représentant Josep Borrell estimait à 50 000 le nombre de munitions tirées quotidiennement par l’artillerie russe. Quelques jours auparavant, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, avait déclaré publiquement que les forces ukrainiennes utilisaient des munitions à un rythme plus élevé que celui de leur production au sein de l’Alliance atlantique.
Madame la secrétaire d’État, quels sont, dans ce domaine, les leviers dont dispose l’Union européenne pour coordonner la stratégie des États membres en matière de livraison des munitions à l’Ukraine, voire pour en accélérer la cadence de production ?
À moyen terme, ensuite, il est impératif que l’épreuve que subit actuellement notre continent joue un rôle de catalyseur pour la constitution d’une base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) autonome.
La boussole stratégique européenne, adoptée l’année dernière, a fait de l’investissement dans la défense un de ses axes structurants. Mais nous accusons encore un retard difficile à justifier : seulement 18 % de nos dépenses de défense sont aujourd’hui réalisées en commun. Cet émiettement de l’industrie de défense européenne, qui nuit à notre crédibilité et à notre unité, n’est plus acceptable.
Il importe que nous intervenions avec vigueur pour empêcher que le déclenchement de la guerre en Ukraine n’ait pour conséquence indirecte d’accroître notre dépendance à l’industrie de défense américaine.
Madame la secrétaire d’État, quels sont les instruments dont dispose la France pour défendre notre souveraineté industrielle dans le secteur de l’armement ? Sur ce sujet, vous voudrez bien nous donner la position de la France sur l’instrument European defense industry reinforcement through procurement act (Edirpa) de financement d’achats en commun d’armement, actuellement discuté au Parlement européen.
À long terme, enfin, il est nécessaire que nous envisagions l’ensemble des conséquences diplomatiques que la guerre en Ukraine aura dans notre voisinage. Plus particulièrement, je pense au risque de déstabilisation des pays des Balkans occidentaux.
L’ouverture des négociations d’adhésion, l’été dernier, avec l’Albanie et la Macédoine du Nord a témoigné de la volonté de l’Union européenne de faire avancer le processus d’élargissement. Toutefois, il est essentiel que cette volonté se traduise par des bénéfices concrets et, surtout, immédiats pour les populations concernées. Je tiens à rappeler à cet égard qu’il s’est écoulé dix-sept ans entre l’octroi du statut de candidat à l’Albanie et l’ouverture des négociations d’adhésion.
Alors que les stratégies d’influence extérieures, aussi bien russes que turques ou chinoises, convergent vers les pays de cette région, nous devons leur donner des gages de notre engagement en faveur de l’élargissement. À cet égard, il serait utile que vous nous précisiez la position de la France sur la stratégie européenne dans les Balkans.
Pour terminer, je rappelle qu’un second sommet de la Communauté politique européenne (CPE) est annoncé au mois de juin en Moldavie. Pourriez-vous nous dire quel premier bilan vous tirez de cette initiative française au service de l’intégration en Europe des Balkans occidentaux ?
Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.
La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir suspendu l’application des règles du pacte de stabilité et de croissance en 2020, pour permettre aux États de mettre en œuvre les réponses budgétaires qui s’imposaient face à la crise sanitaire, la Commission européenne a engagé, à partir du mois d’octobre 2021, une réflexion sur la révision de la gouvernance des finances publiques en Europe.
Reposant sur un déficit inférieur à 3 % du PIB, sur une dette publique contenue en dessous de 60 % du PIB et sur la mise en œuvre de procédures de coordination entre les États et de correction des écarts, la gouvernance prévue par le pacte de stabilité et de croissance et le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) n’a pas véritablement permis d’assainir les finances de l’ensemble des États membres de l’Union. Plusieurs critiques avaient été adressées aux mécanismes prévus jusqu’ici.
D’abord, ils s’appliquaient de manière uniforme, c’est-à-dire sans tenir véritablement compte des grandes différences de situations qui peuvent exister entre les États, tant du point de vue des finances publiques que des capacités des économies. Aussi, une approche plus prudente, pragmatique et différenciée peut être souhaitable dans les phases de consolidation.
Ensuite, ils étaient sans doute trop complexes, puisque reposant, pour beaucoup, sur des variables économiques difficilement observables, et dont l’évaluation fait débat, à l’instar du PIB potentiel.
Enfin, ils n’étaient pas suffisamment souples pour permettre de différencier les dépenses qui doivent évidemment être maîtrisées de celles qui sont nécessaires pour faire face aux défis d’avenir : transition écologique, souveraineté en matière de sécurité, formation. Tout en étant particulièrement sensible au fait que les finances publiques des États membres, et plus particulièrement celles de la France soient davantage maîtrisées, j’ai salué l’ouverture d’une réflexion sur la réforme de la gouvernance budgétaire pour l’adapter aux enjeux du XXIe siècle.
La Commission européenne a proposé plusieurs pistes d’évolution dans une communication du mois de novembre 2022. Elles ont été présentées hier au Conseil Affaires économiques et financières du Conseil de l’Union européenne et adoptées par ce dernier.
Sans revenir sur la règle de limitation des déficits et de l’endettement à, respectivement, 3 % et 60 % du PIB, la Commission européenne propose notamment de maintenir le cadre commun de surveillance en rendant plus automatique la mise en œuvre des sanctions et que les États s’engagent sur des trajectoires pluriannuelles de moyen terme en décrivant leurs cibles budgétaires, ainsi que les réformes et investissements envisagés.
Il s’agit également de tenir compte des investissements prévus pour la transition écologique, le numérique et la défense. La Commission propose enfin de différencier les objectifs prévus pour chacun des États en fonction de la situation de leurs finances publiques.
Ces propositions devraient donner lieu prochainement à des initiatives au plan législatif de la part de la Commission européenne.
L’existence et la bonne application des règles de convergence budgétaire en Europe sont la condition de notre participation à la monnaie unique et au marché commun.
Par ailleurs, je crois que le pragmatisme du cadre de gouvernance qui est proposé engage la France. Alors que notre endettement s’élève en 2022 à près de 3 000 milliards d’euros et notre déficit à 4, 7 % du PIB, le Gouvernement doit faire davantage d’efforts pour réduire les dépenses publiques à l’horizon 2027.
La trajectoire proposée par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques n’était, à cet égard, pas conforme à nos engagements européens. Elle ne l’aurait pas été davantage avec ceux qui découleraient des propositions de la Commission européenne. Il est donc temps d’anticiper et d’agir !
Je dirai également un mot de la crise des prix de l’énergie, qui, depuis son déclenchement, a conduit l’État à engager des dizaines de milliards d’euros pour en contrer les effets sur les ménages et les entreprises. Ces dépenses sont nécessaires à court terme, même si elles grèvent durablement nos finances publiques et si elles peuvent ne pas toujours paraître à la hauteur, notamment pour soulager nos entreprises les plus fragiles ou les plus exposées.
À plus long terme, nous le savons tous, une telle situation n’est pas tenable. Pour nous prémunir à l’avenir d’avoir à affronter ce dilemme entre la protection légitime de nos compatriotes et l’emballement incontrôlable de notre dette, une réforme structurelle du marché de l’électricité est indispensable.
Or les espoirs que nous portions sur la proposition qui doit être présentée cette semaine par la Commission européenne devraient malheureusement être déçus. Le Gouvernement semble n’avoir pas réussi à faire valoir nos intérêts, qui reposent sur un mix électrique décarboné et aux coûts de production faibles. De toute évidence, cet ajustement des règles du marché de l’électricité ne permettra pas de décorréler les prix du gaz et de l’électricité. Par conséquent, à la prochaine crise des prix, j’ai bien peur que nous soyons de nouveau contraints de prendre des mesures palliatives d’urgence, fortement coûteuses et moins efficaces.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, même si l’actualité nationale est aujourd’hui focalisée sur la réforme des retraites, nous ne devons pas perdre de vue l’échelon européen et les décisions structurantes qui s’annoncent à l’occasion de la prochaine réunion du Conseil européen, prévue dans huit jours.
Une délégation de la commission des affaires européennes était d’ailleurs hier au siège du Parlement européen, à Strasbourg, où elle a pu échanger avec près d’une vingtaine d’eurodéputés français de tous les groupes politiques. Vous y étiez aussi, madame la secrétaire d’État, comme à chaque session du Parlement européen ; nous avons été sensibles au fait que vous passiez nous saluer.
Nous avons également pu y rencontrer utilement le commissaire Thierry Breton dans la perspective du prochain Conseil européen. L’Ukraine sera assurément au cœur de son ordre du jour. Or Thierry Breton nous a confirmé que le conflit était entré dans une phase critique et que les prochaines semaines seraient décisives. Je ne reviens pas sur les propos d’Olivier Cadic, qui vous a suffisamment interrogé sur la question des munitions. Nous attendons des réponses, d’autant que cette situation pourrait nous faire entrer en économie de guerre.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser dans quelle mesure la France pourra contribuer à répondre aux besoins ukrainiens, compte tenu de notre dépendance en matière de munitions, sur laquelle le Sénat n’a pas manqué d’alerter le Gouvernement depuis plusieurs années ?
Nous sommes par ailleurs très préoccupés par le sort de la Moldavie. La menace russe d’en faire la prochaine Ukraine est à prendre au sérieux. C’est ce qui vous a conduite à vous rendre la semaine dernière à Chisinau, où vous avez retrouvé plusieurs de vos homologues pour manifester votre soutien à la présidente Maia Sandu, à l’occasion de la Journée internationale des femmes. Il est effectivement important de donner ainsi de la substance à la décision du Conseil européen du mois de juin 2022 d’accorder à la Moldavie le statut de candidat à l’Union européenne. Chisinau accueillera en outre, le 1er juin, le second rendez-vous de la Communauté politique européenne. La commission que je préside se propose de prolonger au plan parlementaire cette démarche. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous apporter votre appui sur un potentiel déplacement que pourrait effectuer notre commission pour manifester sa solidarité avec le parlement moldave ?
Le second grand enjeu du prochain Conseil européen sera de finaliser la réponse européenne à l’IRA, comme convenu en décembre. Le commissaire Breton a eu l’occasion de nous en présenter les grands traits hier. Comme lui, nous voyons trop d’entreprises européennes proprement aspirées vers les États-Unis. Nous ne pouvons que regretter le retard avec lequel la riposte européenne est arrivée. Néanmoins, sa structuration semble globalement satisfaisante. Elle favorisera l’autonomie européenne sur les matières premières critiques, alors que l’Union est aujourd’hui dépendante des importations à 100 % pour la moitié d’entre elles. Elle prévoit un nouvel assouplissement du régime des aides d’État, avec une clause « alignement » pour prévenir les délocalisations, et, en complément, un futur règlement « zéro émission nette » destiné à renforcer l’écosystème des technologies propres dans l’Union.
Madame la secrétaire d’État, nous nous demandons, d’une part, si la durée de l’assouplissement en matière d’aides d’État, prévu pour être temporaire, sera aussi longue que celle qui est prévue par l’IRA et, d’autre part, dans le champ des technologies « zéro émission », si les technologies nucléaires pourront bénéficier du futur règlement.
Nous souhaiterions aussi savoir si le levier des marchés publics, auquel les États-Unis n’hésitent pas à recourir pour soutenir les technologies propres, fera partie de l’arsenal européen, et si une préférence européenne en la matière sera retenue.
Enfin, la Commission vient de présenter la dernière brique de la réponse à l’IRA, destinée à juguler la hausse des prix de l’énergie. Il s’agit de la réforme du marché de l’électricité. Le Gouvernement s’en félicite déjà, bien qu’elle ne revienne pas sur le principe fondamental du merit order. À ce stade, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer que les spécificités des mix nationaux seront bel et bien prises en compte et que les consommateurs en tireront profit sur leur facture énergétique ? De jour en jour, nous mesurons en effet dans nos territoires les dégâts de l’inflation pour nos concitoyens. L’Union européenne se doit de les en protéger.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, plus d’une année s’est écoulée depuis l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Ce que l’on redoutait se produit : le conflit dure.
Il est trop tôt pour parler d’enlisement, mais on peut certainement déplorer un durcissement. Sur le terrain, la dureté des combats à Bakhmout illustre en effet une situation très difficile.
Devons-nous craindre qu’une guerre initialement confinée à l’Europe ne se mue en conflit plus général ? Le flou de Pékin sur d’éventuelles livraisons d’armes à Moscou interroge, de même que les manœuvres de Vladimir Poutine pour pousser l’Iran à l’offensive contre l’Occident. Aussi, l’Union européenne doit s’apprêter à affûter ses armes, si j’ose dire.
Tout d’abord, à ce stade de la guerre, il ne reste plus de place pour l’hésitation. L’Europe doit définitivement s’accorder sur une vision unique : si le peuple russe n’est pas l’ennemi, la Russie de Vladimir Pouline l’est devenue. Tant que ce dernier restera au pouvoir, il apparaît difficile de rétablir la confiance.
Pour garantir la sécurité collective, les pays membres de l’Union européenne doivent donc tous partager les craintes exprimées depuis longtemps par les membres du centre de l’Europe et les pays baltes. À cet égard, en tant que présidente du groupe d’amitié sénatorial France-Moldavie, je suis inquiète face aux tentatives de déstabilisation de Chisinau. La présidente moldave, Maia Sandu, redoute un plan russe visant à troubler son pays, qui est, je le rappelle, candidat à l’Union européenne.
Dans ces conditions, je ne doute pas que le prochain Conseil européen réaffirmera, comme il l’a fait lors de sa dernière réunion du mois de février dernier, son soutien, non seulement à l’Ukraine, mais aussi à tous ses voisins menacés par l’impérialisme russe. Dans cette perspective, mon groupe soutient la politique de pression collective engagée par l’Europe, notamment le plafonnement des prix des produits pétroliers, toutes les mesures restrictives adoptées en étroite coordination et coopération avec les partenaires mondiaux, ainsi que les dispositifs anti-contournement qui les accompagnent.
Le dernier Conseil européen a exprimé son soutien à la formule de paix en dix points présentée par le président Zelensky. Au sein du RDSE, nous sommes bien entendu également dans l’attente de la recherche d’une paix négociée, même si, je l’ai dit, le dialogue avec Moscou est rompu.
En attendant, mes chers collègues, nous sommes dans une impasse face à un conflit qui a un impact direct sur l’économie européenne.
Si les prix de l’énergie se tassent un peu, cette question sera une nouvelle fois à l’ordre du jour du prochain Conseil. Madame la secrétaire d’État, comment recevez-vous les propositions avancées hier par Bruxelles sur le marché de l’électricité ? On voit bien qu’une vraie réforme de fond, promise par la présidente de la Commission, s’éloigne de plus en plus. Il semblerait que l’on se contente de stabiliser les prix, alors qu’il faudrait revoir leur mode de fixation.
En attendant, je dois dire que l’on ne peut qu’accueillir favorablement l’idée d’imposer à tous les fournisseurs d’énergie ayant plus de 20 000 clients particuliers des contrats à prix fixes. De même, la possibilité pour les États membres de réduire la facture des consommateurs est également une bonne chose, à un moment où nos concitoyens les plus modestes sont pris en tenaille entre les coûts croissants des charges contraintes et les dépenses alimentaires incontournables. Quant aux petites entreprises, les protéger contre les fluctuations des énergies fossiles par un régime de garantie ou un soutien public au contrat d’achat de combustibles non fossiles constitue aussi une initiative de bon sens.
Si toutes ces mesures, pour beaucoup conjoncturelles, méritent d’être soutenues, il faut que la France renforce encore sa vision de long terme. C’est une nécessité pour que notre pays retrouve une grande part de souveraineté énergétique.
Vous nous avez confirmé, madame la secrétaire d’État, que le nucléaire faisait bien partie de la réforme proposée par Bruxelles. Compte tenu de notre modèle énergétique, il est évident qu’il paraît difficile de se passer de centrales nucléaires. Pour autant, ce maintien de l’atome dans notre mix énergétique ne doit pas empêcher la France de combler le retard considérable qu’elle a pris dans le développement des énergies renouvelables. J’espère que la loi relative à l’accélération de la production des énergies renouvelables, tout juste adoptée, et que mon groupe a soutenue, tiendra ses promesses.
Pour terminer, je tiens à souligner la demande du Bureau européen des unions de consommateurs, qui recommande à l’Union européenne d’interdire les allégations climatiques trompeuses sur les aliments, telles que « bananes climatiquement neutres ». Ce bureau a publié une étude rappelant, notamment, que la production de tous les aliments et boissons nécessitera toujours l’émission de carbone et que ces allégations induisent les consommateurs en erreur. Attachée aux questions d’étiquetage des aliments, je souhaite, madame la secrétaire d’État, que la France soit attentive à cette politique, ainsi qu’à celle de la protection des indications géographiques protégées.
Sur ce dernier point, j’insiste pour qu’une approche harmonisée ne remette pas en cause la richesse, l’identité et les usages dans nos territoires des produits d’excellence. Comme vous le savez, près de 200 appellations viticoles de l’Union européenne se sont inquiétées de la proposition de réforme des règles en matière d’indications géographiques. Il serait question d’externaliser l’examen des cahiers des charges vers une agence de l’Union européenne, à savoir l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). Merci de rassurer nos producteurs et artisans du goût sur ce volet.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et INDEP.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, parmi les nombreux sujets qui seront abordés lors du Conseil européen des 23 et 24 mars, il y aura celui de la compétitivité de l’Union européenne.
Cette compétitivité doit être ardemment soutenue, que ce soit dans le domaine agricole ou dans le domaine industriel. Il y va de l’avenir de nos économies, mais aussi de notre souveraineté.
C’est tout l’objet du plan industriel du Pacte vert, qui sera encore au menu des discussions des Vingt-Sept à Bruxelles, et dont l’ambition est claire : décarboner notre économie et enrayer notre déclin industriel. Et il y a urgence !
Depuis plusieurs décennies, les pays émergents exercent sur notre industrie une concurrence de plus en plus vive, y compris dans des secteurs où l’Europe pensait qu’elle aurait toujours une longueur d’avance, comme l’aéronautique, le nucléaire ou la grande vitesse ferroviaire.
À cela s’ajoute une remise en cause permanente de l’organisation collective du commerce international. Pendant que l’Europe s’évertue à respecter à la lettre les règles multilatérales, la Chine continue ses pratiques commerciales déloyales et les États-Unis se réfugient dans un néoprotectionnisme assumé.
Le dernier exemple en date est la loi sur la réduction de l’inflation, dite IRA, qui va concentrer les fonds publics américains sur les produits Made in America, creusant encore un peu plus les écarts de compétitivité et augmentant le risque de délocalisations de nos entreprises vers les États-Unis.
Si l’Europe ne réagit pas, ce plan américain pourrait, selon la Première ministre, faire perdre à court terme 10 milliards d’euros d’investissements à la France et entraîner la perte de 10 000 créations potentielles d’emplois.
Dans ce contexte, la nécessité de bâtir une politique industrielle à l’échelon européen est non plus une option, mais une obligation !
Nous devons nous donner les moyens de jouer à armes égales avec nos concurrents, en exigeant la réciprocité dans nos relations commerciales, en adaptant notre politique de concurrence à la réalité de l’économie du XXIe siècle, et en imposant dans nos programmes de subventions des exigences de localisation des approvisionnements et de la production.
Certaines clauses contenues dans le projet de règlement pour une industrie « zéro émission nette » semblent nous conduire dans cette direction, mais tout cela est encore bien timide, alors qu’il nous faudrait affirmer avec force un changement complet de paradigme.
De la même façon, comment comprendre, au regard du contexte climatique, que ce projet de règlement semble vouloir exclure le nucléaire de son champ d’application ? Comment imaginer que, demain, l’industrie européenne puisse être à la fois compétitive et sobre en carbone, tout en snobant l’atome ? L’« alliance du nucléaire » lancée par Agnès Pannier-Runacher a visiblement encore beaucoup de travail pour que la Commission et certains États membres ouvrent enfin les yeux sur cette question fondamentale.
Le risque de déclassement touche aussi l’industrie agricole. Je voudrais prendre l’exemple de l’industrie sucrière, qui apparaît actuellement en grande fragilité. Tereos vient ainsi d’annoncer la fermeture de deux de ses usines en France. Comment ne pas y voir la conséquence directe de la pression réglementaire croissante sur les moyens de production de la culture betteravière ?
Les surtranspositions nationales et les distorsions de concurrence en Europe aboutissent inexorablement à une baisse continue des surfaces de betteraves et fragilisent nos outils industriels, qui doivent faire face à un environnement toujours plus concurrentiel.
Le choix politique d’interdire totalement les néonicotinoïdes à partir de 2018 a conduit toute une filière dans l’impasse. Madame la secrétaire d’État, allez-vous demander l’activation de la réserve de crise agricole de l’Union européenne pour venir en aide aux producteurs de betteraves affectés par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne sur les dérogations d’urgence pour les néonicotinoïdes ?
Je voudrais également évoquer deux autres sujets, sur lesquels je travaille en ce moment avec la commission des affaires européennes du Sénat.
Il y a d’abord la création d’un espace européen des données de santé. Si l’on souhaite que nos concitoyens autorisent l’utilisation de leurs données de santé à des fins de recherche, il faut leur assurer que celles-ci seront protégées et qu’elles ne seront pas utilisées à d’autres fins.
Il est donc indispensable, comme l’a demandé le Parlement européen, que ces données soient hébergées sur le territoire de l’Union, où les États membres respectent le règlement général sur la protection des données (RGPD).
Cet hébergement suppose également des technologies de pointe, que nous devons maîtriser. Pour cela, il nous faut absolument investir davantage dans le domaine du numérique, sans quoi nous condamnerions notre économie à être en permanence dépendante de technologies venues d’ailleurs.
La compétitivité des entreprises passe aussi par un système réglementaire favorable à l’investissement. Nous devons donc être attentifs à certaines propositions de règlement, comme celle qui consiste à réviser le système de redevances perçues par l’Agence européenne des médicaments. Il s’agit de s’assurer que certains produits continueront d’être fabriqués et commercialisés sur le territoire de l’Union.
La Commission européenne doit présenter à la fin du mois de mars une réforme de la législation pharmaceutique. Nous comptons sur vous pour veiller à ce que celle-ci permette le développement effectif d’une industrie pharmaceutique innovante sur le territoire de l’Union, mais également le maintien d’une industrie produisant des médicaments plus matures, afin d’éviter les pénuries que nous connaissons aujourd’hui.
Le second sujet concerne la directive sur les travailleurs de plateformes, pour laquelle les négociations au Conseil se poursuivent, mais semblent patiner.
Au vu des divergences encore existantes entre les États membres, plusieurs questions se posent : est-il légitime d’espérer un accord au Conseil pour faire aboutir ce texte sous présidence suédoise, comme celle-ci l’annonce, ou plutôt compter sur la présidence espagnole, dont la législation nationale est avancée sur le sujet ? La France est-elle prête à faire des concessions pour parvenir à un accord ?
Pour conclure, mes chers collègues, sur toutes ces questions ayant trait à la compétitivité de l’Union européenne, nous n’avons d’autre choix que de faire preuve de volontarisme. À défaut, l’Europe risque d’être balayée par des concurrents internationaux toujours plus déterminés et conquérants.
Nous sommes donc aujourd’hui à la croisée des chemins : soit nous nous donnons les moyens de continuer à peser dans les affaires du monde, soit nous devenons un continent sous influence. Je forme le vœu que l’Europe choisisse la voie du sursaut, et non celle du renoncement !
Applaudissements sur les travées des gro upes Les Républicains et RDPI.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cela fait plus d’un an que les atrocités sont en cours en Ukraine ; plus d’un an que des enfants ukrainiens sont déplacés massivement vers la Fédération de Russie.
Ces enfants sont naturalisés, leurs noms sont changés, et même leurs filiations sont modifiées. Ces crimes sont punis par le droit international, et je salue le travail fourni par de nombreuses personnes et organisations, afin de faire toute la lumière sur ces faits innommables.
La commission des affaires européennes du Sénat a travaillé, sur l’initiative de notre collègue André Gattolin, sur une proposition de résolution européenne dénonçant ces transferts forcés. Plusieurs points concernent l’action de l’Union européenne et vont au-delà des sanctions qu’il faut maintenir, bien sûr, pour exercer une pression significative sur la Russie.
Nous devons, collectivement, continuer à condamner ces faits. Il faut les documenter le plus précisément possible, afin que justice puisse se faire en temps et en heure.
Le groupe Les Indépendants est très investi sur la question de l’Ukraine. Sur l’initiative de Claude Malhuret, nous avons fait adopter au Sénat le 7 février dernier, à une très large majorité, une proposition de résolution exprimant le soutien de notre assemblée à l’Ukraine, condamnant la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie et appelant au renforcement de l’aide fournie à l’Ukraine. Nous y dénoncions déjà l’enlèvement des enfants et les déplacements forcés. La proposition de résolution portée par André Gattolin prolonge ce travail.
J’espère, madame la secrétaire d’État, que la France portera la vision de ces deux propositions de résolution au Conseil européen.
Ce conflit a aussi de fortes répercussions sur les Européens. En matière énergétique, les annonces de la Commission sur son projet de réforme du marché de l’électricité marquent un premier point d’évolution. C’est le futur des Européens qui se dessine. Cette nouvelle crise majeure nous oblige à avancer.
Madame la secrétaire d’État, quels sont les points principaux que vous défendrez au-delà du découplage des prix du gaz et de l’électricité, mesure qui n’a pas été retenue bien qu’elle me semble essentielle ?
De plus, comment vont se passer les hivers prochains, particulièrement concernant les stocks de gaz, sujet dont on doit se soucier dès l’été ? Les citoyens européens ont besoin de prévisibilité face aux prix de l’énergie.
Le sujet de l’énergie déstabilise notre compétitivité à court terme, mais aussi à long terme. La loi IRA des États-Unis, dont l’objectif est de « booster » l’industrie verte et le secteur de la santé, met en danger notre marché commun. Bien que l’objectif de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre de 50 % en 2030 soit louable, nous ne pouvons pas laisser partir nos industries.
Nous ne pouvons pas accepter que notre marché commun soit envahi par des produits moins chers, fabriqués hors Union européenne. Les règles de concurrence doivent rester équitables. Il faut stimuler et soutenir notre compétitivité. Notre souveraineté n’est pas une option. Seule notre indépendance doit nous guider.
Le plan industriel du pacte vert, présenté demain, sera l’un des sujets majeurs de la semaine prochaine. La Commission européenne travaille sur la simplification de l’accès aux financements, aux aides d’État, tout comme sur la facilité en matière de réglementation. L’objectif est de réaliser une transition juste et efficace.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous déjà nous indiquer les actions que pourrait mettre en œuvre le Gouvernement, afin que ces règles puissent s’appliquer rapidement et correctement sur nos territoires ? Une ingénierie locale est-elle prévue, afin d’aider nos entreprises et nos concitoyens qui font face aux complexités européennes et se sentent parfois bien démunis ?
Enfin, j’en terminerai par un point non moins stratégique, même s’il ne sera pas forcément à l’ordre du jour du Conseil européen : notre relation avec le Royaume-Uni.
Nous avons longuement débattu du sujet dans cet hémicycle. Nous nous sommes émus du choix des Britanniques de sortir de l’Union. Nous avons exprimé notre colère et nos craintes face à leur attitude lors des négociations de l’accord de retrait, ainsi qu’après. Nous sommes restés fermes face au Northern Ireland Protocol Bill et aux remous provoqués par le sujet de la pêche. Nous avons tenté de formuler des solutions. Nous sommes restés suspendus bien des fois au vote du Parlement britannique et, quelquefois, à son refus.
Trois ans après le départ du Royaume-Uni, la relation semble enfin apaisée, tout du moins au niveau des discussions. Le 27 février dernier, le cadre de Windsor a permis d’apporter une nouvelle pierre à notre relation nouvelle.
Certains ont évoqué une normalisation. Nous partageons une histoire, des valeurs et une vision communes sur bien des plans. Nous vivons sur le même territoire. La relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sera toujours au-delà de la normalité, car elle est extraordinaire.
Cependant, madame la secrétaire d’État, les règles négociées sur le statut de l’Irlande du Nord assurent-elles la protection du marché unique ? Ma question concerne le volet pratique : sommes-nous sûrs de pouvoir matériellement assurer les contrôles et la coopération nécessaires en matière d’effectifs et d’infrastructures ? Si tel n’est pas le cas, à quel horizon serons-nous prêts ? Plus largement, pouvez-vous revenir sur les étapes qu’il reste à franchir pour entériner concrètement ce cadre ?
Le Conseil européen qui arrive est encore une fois crucial. Comme à chaque fois, vous n’avez d’autre choix que de réussir, mais vous avez aussi toute notre confiance !
Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et RDSE, ainsi qu ’ au banc des commissions.
Applaudissements sur les travées du groupe GEST.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la Commission européenne a présenté hier sa proposition de réforme du marché de l’électricité pour soulager les consommateurs en agissant sur les prix, orienter le marché vers les énergies renouvelables et dépendre moins des coûts des fossiles.
Alors que cette présentation ouvre une phase qui sera déterminante, je pose nettement la question : devons-nous nous résigner, sur ces enjeux européens majeurs, à voir la France se comporter comme un petit pays de la négociation européenne, obnubilé par la défense, partout et toujours, de sa spécificité nucléaire ?
Ainsi, notre gouvernement s’est montré très actif pour développer les contrats à long terme, notamment pour soutenir le nucléaire. Pour faire plaisir à la France, l’Espagne propose donc de promouvoir les contrats de différence pour les technologies qui ne sont pas soumises à la concurrence d’une nouvelle entrée sur le marché, … comme le nucléaire !
Ce lobbying s’étend à bien d’autres dossiers, comme la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, par exemple, ou prend la forme de pressions pour inclure des objectifs de déploiement de l’hydrogène nucléaire dans le cadre réglementaire européen en cours de révision.
Pendant ce temps, la France est le seul État membre à devoir débourser 500 millions d’euros pour n’avoir pas atteint son objectif d’énergies renouvelables pour 2020 ! Notre pays européen est le seul à la traîne, tant pour l’éolien que pour le solaire, dont le boom mondial et les bas coûts sont à présent avérés.
La France persiste et signe dans la voie du nucléaire. Or ce choix n’aura aucune utilité dans les quinze ans à venir. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) le martèle pourtant : c’est dans les dix prochaines années que les principaux investissements de transition énergétique doivent produire leurs résultats pour le climat. Chaque euro dépensé au profit d’un nouvel essor nucléaire sera autant en moins pour le déploiement des énergies renouvelables.
La découverte de fissures non négligeables sur des réacteurs à Penly et à Cattenom, les sécheresses plus fréquentes et plus marquées qui fragiliseront les localisations le long des fleuves, les déchets, les incertitudes sur un financement qui n’est absolument pas maîtrisé et un coût moyen de production d’électricité nettement plus élevé sont autant d’arguments pour ne pas tout engager dans cette voie et au travers d’un tel lobbying européen.
Ce lobbying est même cynique : ignorant la demande du Parlement européen d’un embargo immédiat, notamment sur l’uranium russe, la Commission a plié face au président Emmanuel Macron. Elle a renoncé, à l’instar du Conseil, à sanctionner des cadres importants du nucléaire russe, comme ceux de Rosatom, une entreprise créée par Poutine lui-même.
Le nucléaire est à l’abri des sanctions. En pleine guerre russe contre l’Ukraine, la France a quasiment triplé ses importations d’uranium enrichi provenant de l’aire d’influence russe, et elle a exporté en 2022 vers la Russie l’intégralité de son uranium de retraitement.
La France ne brille pas non plus par son exemplarité concernant la protection des océans. Notre secrétaire d’État chargé de la mer a réussi l’exploit ici même, la semaine dernière, de qualifier le traité sur la haute mer d’« historique », tout en défendant bec et ongles, dans la même phrase, le chalutage de fond dans les aires marines protégées.
Quel est le sens de la notion d’aire marine protégée si un ministre défend des engins de pêche qui ravagent les fonds marins, des pratiques si destructrices de la biodiversité ? L’écart entre les opérations de communication du Gouvernement et ce qu’il défend réellement est sidérant ! Jacques Attali s’en est d’ailleurs offusqué sur Twitter.
Il serait grand temps d’écouter les scientifiques du Conseil international pour l’exploration de la mer (Ciem) et de fermer les zones de pêche concernées pendant les pics d’échouage de dauphins, tout en compensant financièrement les pêcheurs. L’inaction du Gouvernement en la matière cause la mort de plusieurs centaines de dauphins par an sur la côte Atlantique et lui vaudra sans doute d’être bientôt condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
A contrario de mes critiques sur les renouvelables et la protection des biodiversités marines, je tiens à saluer le cap maintenu par le Gouvernement concernant l’échéance européenne de fin de vente des véhicules neufs à moteur thermique en 2035.
Le revirement allemand et sa tentative de monter une minorité de blocage sont inacceptables. Comment le parti libéral-démocrate, en déconfiture électorale, et de mèche avec des intérêts privés de petits et moyens constructeurs sous-traitants, pourrait-il saboter les chances de nos constructeurs de répondre au défi chinois en contrecarrant ainsi l’échéance de 2035, qui est une nécessité écologique et industrielle ?
C’est précisément le Green Deal européen et une stratégie industrielle qui ne soit pas à très courte vue qui réduira l’écart avec les constructeurs chinois et contribuera à apporter une réponse à la hauteur de l’IRA.
Ne laissons pas détricoter le Green Deal ! Ne laissons pas tuer dans l’œuf les discussions sur la norme Euro 7, qui viennent de très mal démarrer ! Tenons bon sur l’échéance de 2035 !
Enfin, je salue le vote au Parlement européen, aujourd’hui, d’un revenu minimum européen. Il est temps de concrétiser l’un des objectifs affichés par l’Union : réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2030 sur le continent.
Cela passe aussi par notre jeunesse : en France, une personne pauvre sur deux a moins de 30 ans. Cette dynamique européenne, dont témoigne le vote intervenu ce jour doit inciter notre pays à mettre un terme à la discrimination des moins de 25 ans pour l’accès au revenu de solidarité active (RSA) !
Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Patrice Joly applaudit également.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne se trouve dans une situation des plus paradoxales. Ce n’est pas la première fois de son histoire, mais, dans le contexte actuel et extrêmement grave de la guerre en Ukraine, ce paradoxe interroge et, d’une certaine manière, inquiète.
Après avoir honorablement fait face à trois crises inédites qui auraient pu la mettre en péril ou lui coûter son existence, l’Union européenne semble aujourd’hui potentiellement menacée par un banal accident de voiture. Je vous l’accorde, ce propos sibyllin et quelque peu mystérieux mérite explication…
Ces trois crises inédites successives, ces trois astres noirs qui ont fait irruption dans la paisible galaxie Europe, nous les connaissons tous.
La première crise est évidemment celle qui a résulté du Brexit.
Pour la première fois de son histoire, l’Union a vu l’un de ses membres, et non des moindres, claquer la porte, en posant pour sa sortie des conditions parfois assez irréalistes. La négociation fut longue et pénible, et l’accord une fois trouvé fit encore l’objet de renégociations.
Les divisions fratricides, souvent prédites, entre les vingt-sept membres restants de l’Union n’ont cependant pas eu lieu. Il nous semble même apercevoir le bout du tunnel après l’accord de Windsor, évoqué par notre collègue Colette Mélot, passé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, qui révise en termes acceptables l’épineux protocole douanier concernant l’Irlande du Nord.
Le sommet franco-britannique qui s’est tenu voilà quelques jours à l’Élysée vient également de sceller les bases d’une nouvelle relation constructive entre nos deux pays. Bien sûr, et même si une proportion croissante de Britanniques dit désormais regretter le choix du Brexit, le Royaume-Uni n’est pas près de revenir sur sa décision historique.
On note cependant que la nouvelle donne internationale et, plus encore, la dégradation de la situation économique outre-Manche semblent ouvrir la voie à des relations plus apaisées et, surtout, à des coopérations accrues entre l’archipel et l’Union européenne.
Pourriez-vous, madame la secrétaire d’État, nous faire un point sur les perspectives qui s’ouvrent aujourd’hui à ce sujet ?
La deuxième crise inédite, à la fois sanitaire, économique et sociale, fut celle de la pandémie de covid-19.
Là encore, l’Union a réagi assez vite, notamment dans un domaine, la santé, qui ne relevait pourtant pas de ses compétences propres. Elle a su aussi réagir économiquement, avec un plan de relance sans précédent et une suspension de ses sacro-saintes règles sur le déficit budgétaire et l’endettement public autorisés.
Après une récession très marquée en 2020, les économies européennes ont connu un rebond presque inespéré en 2021. Certes, tout cela s’est fait au prix d’un endettement accru des États membres, et la Commission appelle depuis quelques mois à un retour au respect des règles budgétaires édictées par les traités européens.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quelle est aujourd’hui la philosophie de la Commission en la matière, notamment au regard des lourdes conséquences, en particulier budgétaires, qui résultent de l’actuelle guerre en Ukraine ?
La troisième crise inédite affrontée par l’Union est celle de la terrible guerre d’agression menée par la Russie depuis plus d’un an à l’encontre de l’Ukraine, avec son cortège déjà long de graves conséquences tant économiques que politiques.
Chronologiquement, c’est la plus récente des crises dont je viens de faire la liste, mais rien malheureusement ne nous assure qu’il s’agisse de la dernière, compte tenu de l’instabilité géopolitique globale qui règne désormais, des soubresauts qui agitent le monde bancaire et financier ou des nouvelles crises migratoires qui pourraient se profiler.
Notons que si ces trois crises paraissent se succéder dans le temps, certaines conséquences au long cours des deux premières viennent en partie se superposer à l’instant présent, le tout impactant simultanément nos économies et les équilibres politiques qui, jusqu’à présent, s’imposaient au sein de l’Union.
Le premier constat que l’on peut faire, avec toute la prudence qui sied lorsque l’on s’aventure sur les terres incertaines de l’avenir, c’est que l’Union a réagi avec davantage de rapidité et d’ampleur que nous n’aurions osé l’imaginer avant cette guerre. Cette réaction, souvent qualifiée de « réveil géopolitique de l’Europe », est d’ailleurs – il faut bien l’avouer – moins significative en valeur relative qu’en volume des engagements pris. Elle nous frappe surtout en comparaison de l’inanité qui prévalait dans la partie occidentale de notre continent face à la menace extérieure.
En valeur relative, force est de constater que, si progrès il y a, en revanche, on n’observe pas encore « l’effet waouh » qui ferait entrer l’Europe dans le cercle restreint des acteurs géostratégiques pesant le plus dans notre monde en pleine recomposition. Pour autant, il faut admettre qu’en dépit de la grande diversité des nations qui composent l’Union, cette dernière a fait preuve d’une grande cohésion et de résilience depuis le début du conflit.
Bien sûr, le cas de la Hongrie fait singulièrement tache dans ce tableau européen plutôt harmonieux. Madame la secrétaire d’État, pensez-vous que M. Viktor Orban puisse être en mesure de refuser et de bloquer d’éventuelles nouvelles mesures européennes en faveur de l’Ukraine – ou au détriment de la Russie – et de son adhésion future à l’Union ?
Notons qu’il existe au moins une conséquence positive de l’attitude négative de la Hongrie : le fameux groupe de Visegrad, qui a souvent entravé la dynamique européenne au cours des quinze dernières années, a définitivement volé en éclats.
Il faut également se féliciter du rééquilibrage Est-Ouest qui semble s’opérer aujourd’hui, à la faveur des événements, au sein de l’Union. Le poids nouveau pris par la Pologne et la Roumanie pourrait favoriser, à terme, une meilleure intégration politique de ces pays dans une Europe qui n’a désormais pas d’autre choix que de se repenser.
Plus généralement, et en dépit des réactions positives aux crises des dernières années, nous restons dans les faits encore loin de l’union invoquée en guise de prophétie auto-réalisatrice lorsque nous avons formellement décidé, en 1993, d’adopter la dénomination d’« Union européenne ». Objectivement, et près de vingt ans après le grand élargissement, nous commençons à peine à nous commuer en une véritable communauté de nations et de peuples. Alors, restons lucides, d’autant que le processus d’intégration, comme le processus démocratique, n’est ni constant ni linéaire. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une régression.
Pour illustrer ce risque et éclairer mon propos préalable sur un possible banal accident automobile qui pourrait mettre à mal le fonctionnement de l’Europe, je veux rapidement évoquer, à l’instar de Jacques Fernique, l’attitude récente de l’Allemagne, qui a remis soudainement en cause l’accord trouvé à l’issue d’un trilogue, pourtant concluant, sur la proposition de règlement mettant fin à la vente de véhicules neufs à moteur thermique à l’horizon 2035.
Nous connaissons tous l’importance de l’industrie automobile dans l’économie et la politique allemandes. Nous sommes nombreux à nous rappeler l’empressement de Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission, à se rendre à Washington au mois de juillet 2018 pour tenter de convaincre le président Trump de renoncer à une hausse des taxes d’importation sur les automobiles européennes, comme par hasard à 80 % allemandes, au détriment des alcools et des produits de luxe, comme par hasard essentiellement français et italiens…
Ce type d’attitude est totalement délétère pour un juste et équitable fonctionnement interne de l’Union. Déjà, le « cavalier seul » qui fut par le passé opéré par l’Allemagne en matière de dépendance gazière excessive à l’égard de la Russie continue aujourd’hui de nous coûter collectivement très cher.
Voilà quelques mois, nous avions tous salué, au Sénat et ailleurs, la décision allemande d’investir enfin très significativement dans sa défense et dans celle de l’Europe. Par sa très récente décision, Berlin semble renouer avec une conception plus nationale qu’européenne, plus mercantile que politique, de sa place au sein de l’Union. C’est une erreur, je crois, qu’il convient très vite de corriger.
Applaudissements au blanc des commissions. – M. Jacques Fernique applaudit également.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 55 milliards d’euros de recettes commerciales en 2021, 431 milliards d’euros de déficit commercial en 2022 : voilà l’évolution de l’Union européenne, une illustration de plus du choc et de l’importance de la remise en cause de notre modèle européen.
Face à cette remise en cause, il est indispensable de faire preuve d’humilité, mais aussi de solidarité. Nous sommes en effet tous responsables, et chercher des boucs émissaires parmi nos partenaires ne nous permettrait pas de trouver, en solidarité, une réponse à ce défi commun : définir un nouveau modèle sans se battre sur les questions de nucléaire ou de production et de transmission d’hydrogène…
Nous devons plus que jamais, et de manière encore plus résolue au vu de ce que nous avons vécu en 2022, avancer vers le Green Deal, encore une fois en solidarité, en sachant que nous trouverons ensemble une solution.
En effet, malgré les échos pessimistes qui nous reviennent, l’Union européenne est encore un espace fort en matière commerciale.
La puissance commerciale de l’Union est, certes, un atout, mais qui n’est pas suffisant. Nous l’avons vu, lorsque l’on commerce sans s’aimer, survient le Brexit… Et lorsque l’on commerce sans se comprendre, à un moment se produit un choc : c’est ce que nous vivons aujourd’hui avec la Russie.
Chercher à construire un nouveau modèle ne peut pas se faire en autarcie ; il faut en passer par des accords commerciaux qui sont assumés par l’ensemble des populations et qui répondent aux exigences actuelles en matière de respect de l’environnement et de compréhension des questions climatiques, environnementales et sociales.
Madame la secrétaire d’État, nous entendons dire que la Commission européenne pourrait dissocier les accords commerciaux, afin d’éviter le passage devant les parlements nationaux : il y aurait, d’une part, une partie strictement commerciale, ainsi qu’on l’entendait dans les années 1980, et, d’autre part, une partie politique. Ce n’est ni sérieux ni correct !
Si nous avons de bons accords politiques et de bons accords commerciaux, nous pourrons avancer. Mais passer des accords commerciaux comme au siècle dernier n’est certainement pas le bon moyen de placer l’Union européenne en position de force !
Tout ce qui a pu être dit sur nos faiblesses, en termes notamment d’aides d’État, justifie que nous construisions nos projets différemment, de façon plus politique. La Commission européenne doit savoir avancer avec l’ensemble des parlements nationaux pour que nous ne nous trouvions pas devant le fait accompli en matière d’accords commerciaux.
Nous devons plus que jamais nous mobiliser pour soutenir l’Ukraine et lui fournir les armes qui lui permettront, demain, d’imposer la paix sur son territoire. Il nous faut aussi soutenir les réfugiés que nous accueillons.
Nous devons, en outre, reconnaître le droit pour la Cour pénale internationale (CPI) de lancer des mandats d’arrêt contre toutes les personnes responsables de crimes de guerre en Ukraine. À cet égard, je veux saluer la proposition de résolution européenne dénonçant les transferts forcés d’enfants, présentée par André Gattolin. Aucun niveau de la chaîne de commandement et d’exécution de ce qui peut être qualifié de crime de génocide ne doit bénéficier d’une quelconque impunité.
Nous devons au peuple ukrainien, à ses souffrances et à son combat de défendre l’État de droit plus résolument que jamais, auprès des pays membres et des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, l’Ukraine en premier lieu.
Aucun pays de l’Union européenne et aucun candidat à l’adhésion ne saurait transiger sur les principes d’indépendance de la justice, de lutte contre la corruption, de liberté de la presse et de liberté d’opinion !
Nous avons conféré à l’Ukraine la qualité de candidat à l’adhésion à l’Union européenne. C’est une bonne chose, et c’est indispensable. Ce doit être la source d’un nouveau dynamisme en vue de l’adhésion des pays candidats, en particulier ceux des Balkans, qui ne croient plus à la perspective européenne.
Il convient de crédibiliser la perspective d’adhésion des peuples des Balkans et de ne pas décevoir demain le peuple ukrainien, qui a commencé son combat parce qu’il voulait entrer dans l’Union européenne. Nous devons à ces peuples d’avancer dans cette voie. Le veto qui fut opposé à la Macédoine, par exemple, doit faire partie du passé.
Ce nouveau dynamisme est nécessaire, mais il faut être conscient que le processus d’adhésion sera difficile. Rappelons que l’Ukraine, en tant que grande puissance agricole, est dans une situation unique sur le continent européen. Il faudra cependant avancer, et ce sera positif pour l’ensemble des pays européens.
Il faut également progresser sur le pacte sur la migration et l’asile : pas seulement sur la base de données Eurodac, sur la procédure de filtrage dite « screening », en bref sur le volet « répressif », mais aussi sur les questions de solidarité. Nous devons tirer les enseignements de ce que nous avons bâti pour la protection temporaire des réfugiés, en accordant la liberté de circulation dans l’ensemble de l’Union européenne et le droit au travail aux Ukrainiens que nous avons accueillis et protégés.
Je n’évoquerai pas l’ensemble des relations entre l’Afrique et l’Union européenne, dont la politique de visas me semble particulièrement préoccupante ; elle influe sur la perception par les Africains de l’Europe et de la France. Mais permettez-moi, madame la secrétaire d’État, de vous faire partager mon inquiétude sur l’évolution de la Tunisie.
L’Europe ne peut pas rester tétanisée face à un pays dont l’avenir est lié à sa relation avec l’Union. Nous ne pouvons pas fermer les yeux en imaginant le pire, avec toutes les conséquences que cela entraînerait.
L’Europe est véritablement elle-même lorsqu’elle est fidèle à ses valeurs et qu’elle défend résolument, tout en étant consciente de son histoire, la liberté de l’ensemble des peuples du monde.
Cela vaut pour l’Ukraine comme pour tous les peuples du monde. Nous savons crier avec les peuples qui revendiquent la liberté : « Femme, vie, liberté » ! Il revient à l’Union européenne de montrer sa solidarité sans limites avec le combat du peuple iranien, comme avec ceux de tous les autres peuples. C’est pour cela qu’elle doit se développer pour être plus forte !
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans cette période de disette en matière de progrès social, je me réjouis que le Parlement européen ait entériné, avec 376 votes favorables, la directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, consacrant la présomption de salariat des travailleurs de plateformes.
Avant un débat tronqué sur les retraites, Emmanuel Macron aurait dû présenter une loi sur le travail. Dans ce texte, la France se serait honorée à reconnaître le salariat des travailleurs de plateformes avant même la fin du processus législatif européen.
Pourtant, le Président de la République en a décidé autrement : la réforme des retraites apparaît comme un solde de tout compte omettant le débat primordial sur le travail, en particulier sur celui des travailleurs ubérisés, qui cumulent les précarités et qui ne connaîtront pas la retraite.
Par cet acte manqué, 6 milliards d’euros échappent aux caisses de la sécurité sociale. Ils représentaient pourtant une piste de financement du système des retraites : 1, 25 milliard d’euros pour les retraites, la dignité pour les travailleurs. On aurait fait ainsi d’une pierre deux coups !
Contrainte par les luttes et les décisions judiciaires, l’Europe a franchi une première étape, mais, malgré une évolution du rapport de force en faveur de la requalification des travailleurs et du droit du travail, le Président de la République reste arc-bouté sur une défense obstinée des intérêts des plateformes.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement continuera-t-il à être récalcitrant à cette avancée sociale ? Mieux, prévoyez-vous de devancer l’adoption définitive de la directive pour consacrer, dès demain, un droit nouveau pour les travailleuses et les travailleurs de plateformes ?
Sur la réforme des retraites, le contrat pourrait être rempli d’ici au 23 mars et le texte adopté, contre l’opinion populaire majoritaire. Nous ne cesserons de rappeler que, comme ce fut le cas en Espagne, cette réforme répond à une exigence de la Commission européenne. Nul complotisme dans cette affirmation ; nul projet dissimulé : tout est public et transparent.
Dès le 5 juin 2019, le Conseil de l’Union européenne enjoignait à la France de réformer ses retraites ; bis repetita le 1er juillet 2022 : les ministres des États membres de l’Union recommandent que la France s’attache « à réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite, en vue de renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes ». Vous nous expliquerez – sans doute pas ce soir, car nous en avons déjà beaucoup débattu ! – où vous voyez de l’équité dans cette réforme !
La Commission, tout comme le Conseil, raffolait d’une retraite par point, comme le prévoyait la précédente réforme, mise en échec en 2019. Elle préparait plus frontalement, mais moins sournoisement, l’accroissement d’une part de capitalisation.
Le recul de l’âge de départ obligera ceux qui le peuvent à mettre de l’argent de côté pour se prémunir des décotes, de l’épuisement professionnel ou des minima sociaux. Cette manne va être captée par le système bancaire, puis placée sur les marchés financiers. Les banques américaines font faillite sans garantie des dépôts, sans garantie des placements ; cela devrait vous faire réfléchir. Il ne suffit pas de crier : « Calm down ! », comme Bruno Le Maire, pour faire cesser l’irrationalité des marchés devenus fous.
L’insistance européenne en faveur d’une réforme des retraites est un phénomène de longue date. Je le dis avec solennité, en France comme en Europe, en gouvernant par oppression, et en menant des réformes contre le progrès social, on réarme les extrêmes droites dans leur quête du pouvoir, le tout sur fond d’affaiblissement continu des parlements nationaux. Ainsi, nous réunissons les conditions d’émergence d’un régime autoritaire. Notre idéal démocratique est bien mis à l’épreuve.
La contre-réforme des retraites n’est pas la seule conséquence de la volonté d’ingérence de l’Union européenne dans la souveraineté budgétaire des États. Après leurs suspensions pendant la crise sanitaire, les règles budgétaires reviennent et seront probablement abordées au troisième point de l’ordre du jour du Conseil.
Nous en attendons les éléments, mais ce que nous entendons est extrêmement préoccupant et ne tire en rien les leçons des injonctions austéritaires inapplicables et inappliquées : 3 % de déficit – une hérésie ! – et 60 % de dette publique – une fable répétée à l’envi. Le peuple souverain a-t-il décidé de telles règles ? Je n’en trouve pas la trace démocratique. Osez donc consulter les parlements nationaux !
En tout état de cause, la Commission a présenté le 9 novembre 2022 une nouvelle méthode. Chaque État pourra définir lui-même sa propre trajectoire de réduction des déficits et de sa dette publique sur quatre ans. Il en serait ainsi terminé des règles uniformes, qui n’ont jamais fonctionné.
Pour autant, si un délai supplémentaire de trois ans est prévu pour les pays dont la dette publique dépasse 60 % du PIB, il ne serait accordé, selon Le Monde, qu’à condition que ceux-ci « s’engagent à adopter des réformes structurelles et à faire des investissements stratégiques de nature à alimenter la croissance ». « Réforme structurelle » est ici synonyme de chantage, pour mener des contre-réformes libérales contre l’intérêt des classes populaires.
Dès lors, des questions s’imposent. Quelle croissance ? Pour qui ? Pour quels nouveaux emplois ? Pour quels nouveaux métiers ? Pour quels progrès sociaux ? On ne saurait raisonner ainsi, tant la croissance pour la croissance ressemble à une impasse.
Un média allemand résume ainsi les annonces de la commission : « Plus de marge de manœuvre, mais aussi plus de rigueur ». Si j’ai du mal à voir les marges de manœuvre, je vois bien la rigueur !
Ainsi, la procédure d’infraction pour déficits excessifs est maintenue. En entendant l’expression, on sait déjà que l’on va prendre perpétuité, sans remise de peine. Les sanctions relatives au niveau de la dette publique sont renforcées par des sanctions financières et des sanctions de réputation, notamment par une convocation à une audition au Parlement et par le blocage des fonds structurels.
Rassurez-vous, mes chers collègues, tout cela sera préventif ; le goulot d’étranglement interviendra plus tôt, enfermant les États dans l’austérité en asséchant leur capacité budgétaire. Les mêmes causes emporteront donc les mêmes effets ; la Grèce en a déjà durement fait les frais !
En outre, les deux piliers du pacte de stabilité sont maintenus : déficit public limité à 3 % du PIB et plafond d’endettement à 60 %.
Les finances publiques ne sont pourtant pas qu’une dette ; elles constituent aussi un patrimoine financier et immobilier. Si nous procédions ainsi, la dette de la France n’atteindrait plus que 87 %, au lieu de 115 %, nous rapprochant de l’objectif infondé de 60 %. Nos concitoyens auraient dès lors le droit de décider de leur propre politique. (
M. Olivier Cadic applaudit.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur les volets relatifs à la compétitivité et à l’énergie inscrits à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil.
La crise énergétique a affecté la balance commerciale de la quasi-totalité des pays de l’Union européenne. En France, son déficit s’établit à 164 milliards d’euros en 2022.
Les subventions massives aux technologies vertes de l’IRA américain laissent craindre une nouvelle perte de compétitivité de l’Europe vis-à-vis des États-Unis. Le 8 février dernier, le Sénat a ainsi consacré un débat d’actualité à la question suivante : « Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »
Madame la secrétaire d’État, comment éviter un détournement de l’investissement européen vers les États-Unis ? Faut-il ouvrir la voie à de nouveaux financements pour nos industries vertes ou miser sur le renforcement d’enveloppes existantes, comme le Fonds européen de développement régional (Feder) ?
Par ailleurs, le récent renchérissement du dollar vis-à-vis de l’euro semble représenter une occasion de relance pour la politique industrielle européenne, dès lors qu’il est porteur de gains de productivité et de compétitivité pour nos entreprises exportatrices.
Comment éviter, toutefois, une course aux subventions entre États membres, qui fragiliserait les règles de concurrence équitable sur lesquelles est bâti le marché unique ?
La dégradation du solde de notre balance commerciale procède principalement de la dépendance de l’Union européenne à l’égard des énergies fossiles. Il convient de prendre les mesures nécessaires au renforcement de la souveraineté énergétique du continent.
Je salue le fait que, depuis peu, les plans nationaux de relance et de résilience peuvent comprendre un chapitre REPowerEU, qui leur permettra d’accéder aux 20 milliards d’euros – dont 2, 32 milliards pour la France – de subventions supplémentaires prévues par ce plan européen. Je m’interroge cependant sur la possibilité accordée aux États membres de puiser dans les fonds de réserve de la politique de cohésion à hauteur de 7, 5 % du Feder.
Cela ne risque-t-il pas de priver nos régions de financements essentiels à leur développement économique ? Madame la secrétaire d’État, des mécanismes de compensation du manque à gagner pour nos territoires sont-ils envisagés ? De manière générale, il est regrettable que les collectivités aient été tenues à l’écart de l’élaboration des plans de redressement et de résilience nationaux.
Je note pourtant que ces plans doivent désormais contenir une synthèse du processus de consultation des autorités locales et régionales. Comment garantir que leurs besoins soient réellement pris en compte dans le texte final ?
Je souhaite par ailleurs vous interpeller sur la feuille de route qu’a présentée hier Mme Kadri Simson, commissaire européenne à l’énergie, devant le Parlement européen. Trois mesures principales ont été annoncées.
Premièrement, la réforme proposée maintient le système du merit order, selon lequel la dernière unité de production électrique appelée fixe les prix. L’exécutif européen n’a pas accédé à la demande française d’un découplage total entre le gaz et l’électricité.
Deuxièmement, pour les nouveaux investissements dans le bas-carbone, quand un financement public est nécessaire, la Commission plaide pour le recours à des contrats pour la différence, ce qui représenterait une opportunité pour nos investissements dans le nucléaire.
Troisièmement, la proposition oblige également les États membres à établir des fournisseurs en dernier ressort afin qu’aucun consommateur ne se retrouve privé d’électricité, et vise de plus à renforcer la capacité de surveillance de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (Acer) et des régulateurs nationaux.
Madame la secrétaire d’État, quelle sera la position de la France dans les négociations à venir sur ce sujet particulièrement sensible pour les industries, les entreprises et les consommateurs ?
Je souhaite également évoquer le plan des mobilités. L’Allemagne vient de surprendre ses partenaires en s’opposant à un texte européen censé exiger la vente de véhicules uniquement électriques à partir de 2035. Ce faisant, elle a entraîné dans son sillage plusieurs pays d’Europe centrale, dont la Hongrie, dans lesquels l’industrie automobile est puissante et représente une part importante de l’économie.
Cette décision doit nous amener à réfléchir à des alternatives au tout électrique qui nous permettraient de nous détacher des énergies fossiles sans pour autant imposer une technologie précise aux industriels.
Depuis quelques jours, le Gouvernement français est sollicité pour répondre à la proposition de Berlin d’utiliser les carburants synthétiques dans les moteurs à combustion après 2035. Quelle voix la France entend-elle porter au Conseil, alors même que plusieurs de nos producteurs automobiles, comme Renault, se sont engagés à fabriquer 100 % de véhicules zéro émission en Europe dès 2030 ? Stellantis a adopté cette orientation, tout en ayant été plus critique que Renault sur le sujet.
L’actualité européenne sera également bientôt marquée par l’entrée en vigueur de deux directives ayant pour objectif une meilleure régulation numérique. Pour rappel, à eux seuls, les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – représentent un chiffre d’affaires comparable aux recettes fiscales de la France.
Leur modèle économique, qui repose sur la combinaison de masses de données sur leurs utilisateurs et sur des algorithmes puissants et opaques, leur permet d’avoir une position de quasi-monopole sur le marché européen, laissant peu de place à la concurrence. Cela appelle une réelle régulation européenne, dont les prémices verront le jour avec les directives dites Digital Markets Act (DMA) et Digital Services Act (DSA).
Le DMA, applicable au 2 mai 2023, vise à stimuler l’innovation, la croissance et la compétitivité sur le marché numérique, ainsi qu’à renforcer la liberté de choix des consommateurs européens, en créant une concurrence loyale entre acteurs du numérique.
Et le DSA, applicable en février 2024, sauf pour les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche, concernés dès 2023, entend mettre en pratique le principe suivant : ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne. Il permet ainsi de s’assurer du bon fonctionnement du marché intérieur numérique, selon des règles uniformisées.
Quelle sera la position de la France au sein du Conseil européen pour favoriser ce travail et atténuer autant que possible les risques systémiques, désinformation ou manipulation de l’information, dont nous avons pu constater les effets à l’occasion du Brexit, ainsi que lors de grandes échéances électorales dans des pays de l’Union européenne ou d’ailleurs ?
Il s’agit d’un sujet important pour nos concitoyens et déterminant pour l’équilibre de nos démocraties en Europe, attaquées à la fois par des puissances extérieures – rappelons qu’une enquête sur TikTok a été lancée au Sénat – et des manipulations à grande échelle. En Europe, la démocratie peut également être remise en cause par un manque de volontarisme en la matière.
J’attends du Gouvernement français et du Conseil de l’Europe des avancées sur ce sujet, afin de protéger les libertés individuelles et les démocraties nationales.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, guerre en Ukraine, difficultés d’approvisionnement en matières premières, pénurie de semi-conducteurs, hausse sans précédent des prix de l’énergie, l’Europe traverse une grave période de turbulences.
Le doublement, le triplement, ou plus encore, des factures d’électricité et de gaz met nos collectivités et nos entreprises dans une situation financière délicate. De sérieuses menaces planent sur la vie économique de nos territoires. Nous le savons tous : l’indemnisation des collectivités et des entreprises par l’État ne peut pas durer, car elle ne fait qu’aggraver le déficit public. Quant au bouclier tarifaire, il protège nos ménages de l’inflation violente des prix de l’énergie, mais pour combien de temps ?
Dans ce contexte, si un constat doit faire l’unanimité, c’est bien celui de l’incapacité du marché européen de l’électricité à protéger les consommateurs de la crise liée à l’approvisionnement en gaz.
Cet aveu d’échec, la commissaire européenne à l’énergie, Kadri Simson, l’a fait elle-même le 27 février dernier, à l’issue d’une réunion informelle des vingt-sept ministres de l’énergie de l’Union européenne. Aujourd’hui, les Français – ménages, entreprises, TPE-PME, industries, collectivités – pâtissent de règles européennes dépassées qui font dépendre, de façon paradoxale, le prix de l’électricité du cours des énergies fossiles que sont le gaz ou le charbon, alors même que notre pays produit une électricité peu chère, grâce à son parc nucléaire et à son hydroélectricité.
Nous ne pouvons pas sacrifier notre tissu économique et social et mettre le pays tout entier en danger pour conserver – « quoi qu’il en coûte ! » – un marché européen de l’électricité dérégulé qui ne joue plus son rôle.
Le mécanisme ibérique, qui consiste à intervenir sur le marché pour faire baisser les prix, mis en œuvre par nos voisins portugais et espagnols, en témoigne : il est efficace pour ces deux pays, mais il génère une concurrence déloyale pour nos entreprises. La réponse à la crise énergétique doit être commune aux États membres de l’Union.
Nous avons été nombreux à alerter le Gouvernement sur ces différents écueils. Lors de sa déclaration de politique énergétique devant le Sénat, le 12 octobre dernier, Mme la Première ministre avait elle-même reconnu la nécessité de réviser les règles européennes.
Pourtant, à la lecture du paquet législatif annoncé par Mme Simson hier au Parlement européen, la Commission européenne ne semble pas prendre la mesure des dysfonctionnements.
L’objectif affiché de ces propositions est louable : il s’agit de faire en sorte que le prix de l’énergie produite sur le continent européen ne soit pas trop volatil et ne dépende pas de nos importations de gaz et de pétrole. Il ne renvoie cependant qu’à des mesures ciblées, suggérant qu’aucune refonte complète des règles n’est véritablement engagée.
Le système du merit order, selon lequel la dernière unité de production électrique appelée fixe le prix, est ainsi conservé et le découplage du prix du gaz de celui de l’électricité, que nous appelions de nos vœux, n’est toujours pas à l’ordre du jour.
Par ailleurs, la Commission européenne a présenté des propositions sur l’industrie zéro carbone. Elle souhaite lancer une stratégie de décarbonation massive de nos productions industrielles qui inclura toutes les modalités d’une production énergétique neutre en carbone.
Or, sur ce point, la Commission est revenue sur sa proposition initiale, en excluant le nucléaire du domaine des énergies pouvant être utilisées par une Europe qui se décarbone. Dans la perspective d’une réforme du marché européen de l’électricité, il s’agit d’un anachronisme !
Pour rompre avec des logiques de production polluantes et carbonées, il faut obligatoirement faire avec le nucléaire ; le Giec nous le rappelle régulièrement.
Les traités européens garantissent aux États membres le droit et le devoir de définir souverainement leur propre mix énergétique. L’Union européenne doit simplement leur en donner les moyens.
L’Allemagne, dans le même temps, double la production de ses centrales à gaz – une énergie fossile, est-il nécessaire de le rappeler ? – et place l’Europe dans une situation de dépendance vis-à-vis de puissances étrangères. Ce n’est pas acceptable. La France doit se faire entendre. Le nucléaire fait partout son retour, au Moyen-Orient, au Japon, en Chine, en Inde, au Canada, aux États-Unis. Comme l’indique M. Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Europe ne doit pas manquer ce « saut technologique ».
Face à la concurrence agressive et au protectionnisme auxquels se livrent plusieurs de nos partenaires commerciaux depuis quelques mois, la stratégie française lors du prochain Conseil doit être dénuée d’ambiguïté : la réforme du marché de l’électricité est un véritable enjeu de souveraineté économique et de compétitivité. Nos entreprises subissent en effet une double peine, infligée par les États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act, et par l’absence de choix européens forts et structurants.
De tels choix sont pourtant essentiels pour que, d’une part, nous profitions pleinement des avantages comparatifs que nous procure le nucléaire, énergie bas-carbone, et que, d’autre part, l’indépendance économique européenne sorte renforcée de ce temps de crise.
La réforme du marché de l’électricité doit inciter les industriels européens et français à relocaliser et nous permettre d’accélérer les investissements de transition vers une économie décarbonée et moins dépendante des économies étrangères.
Actuellement, la situation de notre industrie est préoccupante ; celle-ci n’a absolument aucune visibilité quant à ses coûts d’approvisionnement en électricité. À l’inverse, ses concurrents au niveau mondial disposent, eux, d’une visibilité de dix ans, quinze ans ou vingt ans au minimum, et peuvent se fournir en électricité à bas coût autant qu’ils le souhaitent. Pour ces entreprises, l’électricité peu chère est parfois l’élément de base de leur production, qui leur permet d’être compétitives vis-à-vis de leurs concurrents.
À cet égard, le rétablissement des contrats de long terme est indispensable pour sécuriser des prix d’approvisionnement stables et des coûts de production compétitifs.
Mon département, la Savoie, compte plusieurs grandes industries hyper électro-intensives qui produisent des matériaux nécessaires à la transition énergétique. Si ces entreprises ne peuvent pas renouveler leur contrat de long terme en 2023, elles seront contraintes de baisser, voire d’arrêter, leur production. Certaines l’ont déjà fait en ce début d’année. La seule alternative étant de se fournir auprès de la Chine ou de la Russie, le déficit du commerce extérieur comme la situation géopolitique de la France s’en trouveraient aggravés.
Le rétablissement de ces contrats fait partie des mesures ciblées par la Commission européenne. C’est une excellente nouvelle, mais il faudra veiller à ce que l’adaptation du marché de l’électricité à un système énergétique dominé par les énergies renouvelables, conformément au souhait de la Commission, prenne bien en compte la production nucléaire, afin de ne pas pénaliser nos industries dans la renégociation de leurs contrats.
La reconnaissance de l’urgence d’une nouvelle politique énergétique pour accélérer la décarbonation de l’économie et renforcer la compétitivité des entreprises européennes fait l’unanimité. Saisissons donc l’occasion de ce prochain Conseil européen pour défendre une réforme plus ambitieuse du marché européen de l’électricité.
L’heure n’est plus aux déclarations d’intentions, mais aux actes forts. La France doit se faire entendre. Le sujet des concessions de nos barrages hydroélectriques n’est d’ailleurs toujours pas réglé.
Le Gouvernement doit défendre nos intérêts. Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur votre action.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en l’espace d’un an, le paysage énergétique a considérablement changé. Les prix mondiaux du pétrole ont augmenté de 200 %, ceux du charbon de 400 %, et les prix du gaz européen jusqu’à 1 000 %.
La hausse des prix de l’énergie a alimenté la crise du coût de la vie, qui touche d’autant plus les foyers européens que leurs revenus sont modestes. Elle impacte aussi fortement les entreprises, en particulier les PME et les TPE.
Jusqu’à présent, les États membres ont majoritairement réagi en instaurant des mécanismes d’urgence de contrôle des prix ou d’amortissement : baisse de la fiscalité, bonus climatique, chèque énergétique ou chèque de chauffage.
Alors que les prix de l’énergie sont loin d’être stabilisés, la réforme ciblée du marché de l’électricité, proposée hier par la Commission européenne, est-elle suffisante ?
Nous partageons l’essentiel des objectifs affichés par la Commission. Celle-ci vise en effet un accès généralisé et à un coût abordable à l’électricité produite à partir de sources renouvelables et non fossiles.
Elle entend encourager une meilleure transparence des informations sur les marchés vis-à-vis des consommateurs et un plus grand choix de fournisseurs, afin qu’aucun consommateur ne se retrouve privé d’électricité.
Elle défend un accès amélioré des entreprises à des contrats et à des marchés à long terme plus stables.
Enfin, elle envisage une révision des règles relatives à la revente des énergies renouvelables.
Cependant, cette réforme ne devrait pas toucher aux fondamentaux du fonctionnement du marché, alors que l’explosion historique des prix de l’énergie que l’Europe subit aujourd’hui provient bien de sa défaillance. De plus le découplage strict entre le gaz et l’électricité n’est pas prévu. Comment expliquer cet échec dans la négociation, alors que le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en faisait son principal cheval de bataille ?
En outre, nous ne maîtrisons pas le calendrier de mise en œuvre de ces mesures. Le Parlement européen et le Conseil doivent désormais discuter et adopter la proposition qui leur est soumise.
Enfin, certains experts et professionnels du secteur ne sont pas convaincus que les mesures présentées par la Commission aient pour effet de faire refluer les prix, dont la baisse dépend de beaucoup d’autres facteurs, notamment de la disponibilité du nucléaire en France, de la météo ou du marché mondial du gaz.
Se posent donc plusieurs questions. Comment les ménages vont-ils passer l’hiver prochain ? Verront-ils leur pouvoir d’achat préservé ? Les entreprises bénéficieront-elles à temps d’une énergie à des tarifs compétitifs, au risque d’une course aux délocalisations, au moment où les États-Unis renouent avec le protectionnisme pour protéger, relocaliser et investir dans l’industrie verte ? Le coût de l’énergie, fondamental au sein des coûts de production, est aussi le nerf de la guerre.
Que penser donc de ce texte, qui se présente également comme l’une des facettes de la réponse européenne à l’IRA, c’est-à-dire au plan américain de soutien massif à l’économie, comprenant notamment de fortes subventions à l’énergie pour en baisser le prix.
L’Europe entend-elle s’aligner – pour ne pas dire qu’elle doit le faire ? De nombreux défis de taille sont en jeu, dont la reconquête industrielle et la transition écologique, qui ne peuvent plus attendre.
Ce plan massif d’aides à la transition énergétique lancé par Joe Biden a montré à quel point l’Union européenne était fondée sur un logiciel pseudo-économique qui arrive à son terme.
L’IRA ne doit pas se résumer à une tentative protectionniste américaine pour attirer l’industrie verte, en plein essor, sur son territoire, au détriment des intérêts de ses partenaires commerciaux. Joe Biden s’est engagé vendredi dernier auprès d’Ursula von der Leyen à ne pas déclencher une concurrence délétère dans la course à la transition énergétique et à « travailler pour éviter une compétition à somme nulle, afin que [leurs] politiques d’aides publiques soutiennent le développement des énergies propres et de l’emploi sans devenir des aubaines pour les intérêts privés ».
Une bonne nouvelle, pour autant : les États-Unis souhaitent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici à 2030, même si l’on peut être dubitatif à ce sujet au vu de l’autorisation récente accordée à l’exploitation de pétrole en Alaska.
Cet épisode offre également une chance pour l’Europe : nous prenons collectivement conscience qu’il faut, certes, adopter une politique de défense vis-à-vis de la concurrence, mais aussi qu’il est vital de mettre en place une politique industrielle et de transition écologique.
Tel est bien l’enjeu pour l’Europe : il s’agit d’accélérer les investissements bas-carbone dans le logement et la mobilité pour se préparer aux prochains hivers en s’attaquant à la racine de la crise : notre dépendance aux combustibles fossiles. Il nous faut décarboner dès que possible, conformément au Pacte vert pour l’Europe, car décarbonation et compétitivité vont de pair.
De plus, la transition ne peut pas se faire sans prendre en compte le pilier social : nous ne pouvons pas parvenir à la durabilité environnementale sans durabilité sociale. Il nous faut donc continuer à augmenter le budget du Fonds social pour le climat, dont la portée pourrait contribuer à limiter la crise climatique sociale et à garantir la sécurité énergétique tout en renforçant la solidarité européenne.
Il est également essentiel que l’industrie soit préparée aux objectifs du Pacte vert de neutralité climatique à l’horizon 2050.
L’industrie de l’Union européenne doit occuper une position de leader international pour garantir notre autonomie stratégique et pour créer des emplois de qualité pour tous les Européens.
Or, pour mener une politique industrielle et de transition écologique, des subventions, de la planification et des pouvoirs publics forts sont nécessaires. Il faut également, parfois, protéger nos industries.
C’est pourquoi plusieurs leviers financiers doivent être activés, notamment à l’occasion de la revue à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, qui doit avoir lieu d’ici à l’été 2023.
L’Union doit aujourd’hui plus que jamais se doter de nouvelles ressources propres. J’ai eu l’occasion d’indiquer à de nombreuses reprises dans cet hémicycle combien il est important de disposer de moyens.
Je pense bien sûr à l’extension des marchés carbone, à la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières le plus rapidement possible, à la création d’une nouvelle taxe sur les transactions financières et, enfin, à une meilleure taxation des bénéfices des multinationales.
Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Véronique Guillotin a opportunément évoqué les menaces que la Russie fait peser sur la Moldavie.
La Géorgie, elle, fait face à un mouvement contestataire d’ampleur depuis le 7 mars dernier, date à laquelle le Parlement a adopté la loi dite des « agents étrangers ». Inspiré de la législation russe, ce texte était censé museler les ONG et les médias d’opposition dans le pays.
Des rassemblements spontanés de plusieurs milliers de personnes à Tbilissi, la capitale, ont fait plier le gouvernement. Quel avenir proche pour la Géorgie, pays paradoxal dirigé par des gouvernements inféodés à la Russie, mais dont la population est acquise à plus de 80 % à la cause de l’Europe ?
En début de semaine, Sergueï Lavrov n’a pas hésité à comparer ce soulèvement à la révolution ukrainienne de 2014, dénonçant par là même des influences cherchant à provoquer un sentiment antirusse. Et le représentant des affaires étrangères de la Crimée de renchérir : « Nous recommandons au peuple géorgien de se souvenir d’une situation similaire en Ukraine en 2014, et de ce à quoi elle a finalement mené. »
En juin dernier, l’Union européenne s’est déclarée prête à donner le statut de pays candidat à la Géorgie. Quelles sont les prochaines étapes envisagées pour cette adhésion, madame la secrétaire d’État ? Les conditions nécessaires à l’activation de ce statut sont-elles réunies ? La situation de la Géorgie fera-t-elle l’objet d’un point précis lors du Conseil européen de la semaine prochaine ?
Alors que les combats et les bombardements en Ukraine s’intensifient, l’Europe a annoncé qu’elle se prépare à mettre en œuvre un plan d’action qui prévoit d’utiliser les ressources de la Facilité européenne de paix à hauteur de 1 milliard d’euros, afin de libérer les stocks de munitions déjà existants et de passer de nouveaux contrats.
Comme l’a indiqué M. Rapin, Thierry Breton a détaillé cet enjeu existentiel pour l’Europe en expliquant qu’il fallait identifier les goulets d’étranglement qui empêchent l’Union européenne de produire des munitions de manière massive et qu’il convenait de procéder, avec les entreprises qui produisent des munitions, presque au cas par cas.
Cette stratégie permettra-t-elle à court terme de produire plus de munitions et de préserver notre souveraineté européenne en la matière ?
Par ailleurs, je souhaite attirer votre attention sur la proposition de résolution de mon collègue André Gattolin, déjà évoquée par notre collègue Colette Mélot. Adopté il y a quelques jours par la commission des affaires européennes, ce texte, qui dénonce les transferts forcés et massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie, sera examiné par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées dans les tout prochains jours.
La France et, plus largement, l’Union européenne mettront-elles des moyens pour enquêter sur ces disparitions d’enfants ?
Je souhaite enfin vous alerter, madame la secrétaire d’État, sur l’Indopacifique.
Le président chinois a apporté son appui politique à Moscou. Comme Poutine, il combat le monde démocratique et cherche à le soumettre.
Alors que les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni affirment leur stratégie dans l’Indopacifique et ont fait une déclaration commune voilà quelques jours, l’Union européenne peine à fournir une réponse à la hauteur des enjeux de la région.
Au mois de septembre 2021, l’Union européenne a présenté sa stratégie pour la région indopacifique. Celle-ci a vocation à répondre aux grands défis mondiaux en matière de sécurité, de climat ou encore de transition numérique.
Cette zone est au centre d’une concurrence géopolitique très intense. Preuve en sont notamment les tensions croissantes autour de territoires et de zones maritimes contestés par la Chine, qui affiche son expansionnisme.
La Chine augmente encore son budget militaire et investit dans sa capacité à prendre le contrôle de Taïwan et à chasser les États-Unis hors de la région.
Au mois de décembre 2022, le Japon a modifié radicalement sa doctrine de défense et prévoit désormais de doubler son budget annuel consacré à celle-ci, le portant d’environ 1 % de son PIB actuellement à 2 % d’ici à 2027.
Le mois dernier, à Manille, le président Marcos a convoqué l’ambassadeur chinois pour dénoncer l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des actions menées par la Chine contre les garde-côtes et les pêcheurs philippins.
En février, les États-Unis et les Philippines ont signé un accord pour créer quatre bases militaires américaines supplémentaires dans ce pays d’Asie du Sud-Est.
Compte tenu de la proximité de Taïwan et de ses eaux voisines, les Philippines occupent une position stratégique dans l’éventualité d’un conflit avec Pékin, pronostiqué par certains généraux dès 2025.
Comme nous l’indiquait Gillian Bird, ambassadrice d’Australie en France, la situation dans l’Indopacifique n’a jamais été aussi dangereuse depuis la Deuxième Guerre mondiale.
La France a toujours eu la volonté de porter une stratégie européenne sur ce sujet. Cette question sera-t-elle discutée lors du prochain Conseil ?
La loi sur la sécurité nationale de 2020 à Hong Kong a par ailleurs porté un coup fatal au cadre « un pays, deux systèmes » mis en place au moment de la rétrocession par le Royaume-Uni de Hong Kong à la Chine en 1997.
Le procès de quarante-sept personnes accusées de subversion pour avoir organisé une élection primaire non officielle à Hong Kong en 2020 a commencé le mois dernier. Il vise à écraser la dissidence.
La plupart de ces personnalités prodémocratie sont détenues depuis deux ans. Seules seize d’entre elles seront jugées, tandis que trente et une personnes ont plaidé coupable et seront condamnées à l’issue du procès.
Ce procès montre que Pékin s’est affranchi du respect de ses engagements internationaux, comme l’a dénoncé l’ONU et comme l’avait anticipé Josep Borrell.
L’Union européenne prévoit-elle de prendre position sur ces procès politiques qui nous rappellent les procès staliniens et démontrent que le concept « un pays, deux systèmes » a disparu ?
Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra les 23 et 24 mars prochains intervient dans un climat extrêmement compliqué pour l’Union européenne, écartelée entre plusieurs crises distinctes.
La première d’entre elles est, bien sûr, la guerre entre l’Ukraine et la Russie, dont nous fêtons le triste anniversaire. Durant toute cette année, l’Europe n’a cessé de tanguer face aux répercussions de ce conflit.
Celles-ci sont d’abord humaines. Le bilan humain du conflit est en effet dramatique. Celui-ci a de plus entraîné des déplacements massifs de population.
Je salue à ce titre l’ensemble de nos collectivités locales, de nos élus, mais aussi des concitoyens français qui, comme je l’ai vu dans mon département de la Mayenne, ont permis par pure solidarité à des familles d’être accueillies dans des conditions décentes sur notre territoire.
Ce conflit emporte également des conséquences militaires pour la France et pour l’Europe, qui envoient du matériel, notamment des munitions, mais aussi, pour la France, des canons Caesar. L’Union européenne devrait d’ailleurs fournir une aide supplémentaire de 2 milliards d’euros en munitions pour l’Ukraine, soit le double de ce qui était prévu.
En mettant fin à la paix européenne si durement acquise, cette guerre nous a conduits à nous interroger de façon lucide sur nos capacités militaires et à revoir celles-ci au niveau national, mais aussi européen.
Quel est l’état actuel de notre coopération militaire avec nos voisins européens ? Existe-t-il une ligne rouge à ne pas franchir dans l’aide apportée à l’Ukraine ? Le prochain Conseil européen débattra-t-il de nouveau de sa boussole stratégique pour ce qui concerne l’Europe de la défense ?
Ce conflit a également engendré une instabilité sur les marchés de l’énergie et une augmentation vertigineuse des prix. Chacun connaît les répercussions de ces prix de l’énergie sur nos collectivités locales et sur toutes nos entreprises. Pour beaucoup, notamment pour nos artisans et nos commerçants, les factures sont insupportables.
Du fait de cette augmentation des prix, du sous-investissement dans la filière nucléaire dans notre pays et de l’arrêt de nombreux réacteurs, la France a échappé de peu à la catastrophe cet hiver. Mais qu’en sera-t-il l’année prochaine ?
À l’échelon européen, notre politique d’investissements dans le nucléaire nous impose de réformer le marché européen de l’électricité, par exemple en découplant le prix de l’électricité des cours du gaz.
Le conflit avec la Russie et la suppression de l’approvisionnement en gaz russe ont totalement changé la donne. Aujourd’hui, le mécanisme est devenu totalement inéquitable, dans la mesure où le gaz ne contribue qu’à 7 % de la production de notre électricité.
La France doit peser de tout son poids dans les négociations à venir. À l’heure où nous relançons nos investissements dans le nucléaire, peut-on espérer voir les négociations aboutir avant cet été, madame la secrétaire d’État ?
L’Union européenne est aussi tiraillée par la récente mise en place par les États-Unis de l’Inflation Reduction Act, qui repose notamment sur un impressionnant paquet de subventions du gouvernement américain d’un montant de 370 milliards de dollars pour stimuler le développement des énergies renouvelables.
Ces mesures prises par les États-Unis constituent une véritable offensive économique et manifestent la volonté d’aller chercher en Europe des entreprises et leur technologie, afin de les installer aux États-Unis. Pour être éligibles à ces subventions, les entreprises doivent en effet produire sur place.
L’Union européenne doit réagir fermement, au risque de connaître une fuite des cerveaux et, pis encore, une fuite de notre savoir-faire technologique et industriel.
Les premières pistes d’une réponse européenne qui voient le jour, notamment via le Pacte vert, semblent insuffisantes.
L’assouplissement des aides d’État permettra à la France d’investir davantage, mais aura comme conséquence de créer une distorsion au sein de l’Union européenne entre les pays membres disposant d’une forte capacité fiscale et ceux n’en disposant pas.
Pour rappel, on estime que l’Europe aura besoin de 350 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an sur cette décennie pour atteindre son objectif de réduction des émissions à l’horizon 2030 pour les seuls systèmes énergétiques.
Néanmoins, la volonté de mettre en place une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne ne peut qu’être saluée et encouragée pour des raisons à la fois écologiques et économiques.
L’Union européenne a réalisé plus de 2 100 milliards d’euros d’importations en 2019, soit l’équivalent du PIB de la France. Ces échanges intenses représentent 20 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Europe. À l’heure de la décarbonation de notre économie, une telle taxe permettra de réduire cette empreinte.
Elle constitue aussi une mesure de compétitivité économique. Par cette taxe carbone, l’Union européenne encourage la mise en place d’une concurrence loyale entre les entreprises européennes et les entreprises mondiales et lutte contre la délocalisation de nos entreprises.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer l’état d’avancement de la mise en place de cette taxe carbone et nous confirmer que celle-ci sera bien effective en 2026 ?
Le point noir le plus nuisible à notre compétitivité est sans aucun doute l’empilement des réglementations au sein de l’Union européenne, qui pèse sur nos entreprises et qui est devenu l’un des problèmes majeurs ces dernières années.
Quelque 116 propositions de réglementation de la Commission européenne seraient en attente. Et pour la seule année 2023, celle-ci prévoit de présenter 43 nouvelles initiatives. Madame la secrétaire d’État, pensez en particulier à nos agriculteurs et au secteur agricole, si important pour notre souveraineté alimentaire et si fortement fragilisé dans sa compétitivité. C’est une véritable surcharge réglementaire, qui peut contribuer à faire peser sur nos entreprises des contraintes supplémentaires.
Récemment encore, dans cet hémicycle, je rappelais combien les initiatives européennes en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE), bien qu’utiles et même nécessaires, laissent à craindre la création d’un choc de complexité dans la mesure où elles élargissent l’obligation de diffusion d’informations sociales et environnementales à un grand nombre d’entreprises européennes, notamment les PME, qui n’étaient jusqu’alors pas concernées.
Madame la secrétaire d’État, peut-on espérer une Europe moins technocratique ?
Assistera-t-on cette année à la fin de la naïveté européenne, à la fois militaire et économique ? Je le souhaite sincèrement et l’appelle de mes vœux.
Je terminerai cette intervention en rappelant que si nous sommes profondément Européens et attachés à l’Union européenne comme institution politique, nous avons le devoir de nous réformer pour nous adapter à un monde qui change et à une mondialisation qui a atteint ses limites, notamment sur le plan environnemental.
Se réformer est la condition sine qua non pour construire une Europe forte, une Europe véritablement puissante, susceptible de faire face aux nombreuses menaces, au retour des empires, mais aussi aux nombreux défis enthousiasmants du XXIe siècle.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDPI et RDSE, ainsi qu ’ au banc des commissions.
Madame la présidente, messieurs, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions. Je tâcherai de répondre à toutes les questions que vous m’avez posées. Mais le temps qui m’est imparti étant restreint, je me tiendrai à votre disposition avec mon cabinet si vous avez besoin d’éléments supplémentaires.
Monsieur le président Rapin, monsieur le rapporteur général Husson, madame la sénatrice Guillotin, monsieur le sénateur Gattolin, madame la sénatrice Mélot, vous avez été très nombreux à évoquer la guerre en Ukraine, où les combats sont toujours très intenses.
La Russie tirant environ 10 000 obus par jour, les Ukrainiens ont cruellement besoin de notre aide, notamment en matière de munitions. Les discussions qui se tiennent à Bruxelles ont abouti à la proposition de prélever 2 milliards d’euros sur les fonds de la Facilité européenne de paix pour accélérer la fourniture de munitions, essentiellement de 155 millimètres, à l’Ukraine.
L’objectif de cette initiative est triple.
Premièrement, encourager la cession des stocks en remboursant à hauteur de 1 milliard d’euros des cessions consenties par les États membres à l’Ukraine.
Deuxièmement, faciliter les achats conjoints via l’Agence européenne de défense.
Troisièmement, renforcer les capacités de production de l’industrie européenne, notamment par la mobilisation du budget européen pour aider nos industriels à augmenter l’offre européenne de munitions.
Cette initiative devrait être validée lors du Conseil affaires étrangères et défense du 20 mars, puis endossée par le Conseil européen.
Monsieur le sénateur Chevrollier, vous m’avez demandé s’il y avait une ligne rouge dans l’aide à fournir à l’Ukraine. Le Président de la République a été très clair à ce sujet. Rien n’est exclu, mais nos choix doivent répondre à trois exigences : ils doivent être efficaces et utiles immédiatement pour les Ukrainiens – ce n’est pas le cas de toutes les armes que nous leur fournissons –, ils ne doivent pas contribuer à l’escalade et ils ne doivent pas obérer nos propres capacités de défense nationale.
Vous avez été nombreux – MM. les sénateurs Cadic et Leconte, ainsi que Mme Mélot, qui a évoqué le projet de résolution de votre collègue André Gattolin – à mentionner les transferts forcés et massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie. Ces transferts forcés sont ignobles.
Le Conseil européen s’est emparé du sujet, puisque le dixième paquet de sanctions contre la Russie, adopté le 25 février, a déjà permis de sanctionner quatre personnes responsables de la déportation et de l’adoption forcée d’enfants ukrainiens.
Il s’agit de deux responsables politiques dans des régions russes – le vice-premier ministre de la République de Bachkirie et le chef adjoint de l’oblast de Moscou –, ainsi que de la commissaire russe aux droits de l’homme et d’une responsable de fondation russe. Tous ont contribué à l’adoption illégale d’enfants ukrainiens par des citoyens russes. Nous n’hésiterons évidemment pas à renforcer ses sanctions.
Monsieur le président Rapin, madame la sénatrice Guillotin, vous m’avez également interrogée sur la Moldavie, où je me suis rendue la semaine dernière. Je ne peux que vous encourager à vous y rendre également pour apporter votre soutien à sa présidente Maïa Sandu.
Lors de mon entretien avec Mme Sandu la semaine dernière, nous avons abordé trois thématiques principales.
La première est la coopération apportée par la France pour renforcer la démocratie, l’État de droit et la justice en Moldavie. Vous savez à quel point la présidente s’est attaquée à la corruption et à la rénovation de la justice dans son pays.
La deuxième thématique est celle du soutien que nous apportons à la société civile moldave, notamment dans la continuité de l’aide d’urgence qui est apportée depuis l’an dernier.
Nous avons enfin évoqué les préparatifs du deuxième sommet de la Communauté politique européenne (CPE) qui se tiendra à Chisinau le 1er juin et qui est un événement très important pour la Moldavie.
La diplomatie parlementaire a un rôle majeur à jouer, d’autant que comme cela a été indiqué, dans de nombreux pays des Balkans, la demande de soutien parlementaire est très forte.
Vous avez également évoqué la Géorgie, monsieur Cadic. J’ai reçu ce matin la présidente de la commission des affaires européennes du Parlement géorgien – si mes informations sont bonnes, vous l’avez également rencontrée, monsieur le sénateur –, qui m’a fait part des progrès réalisés par son pays sur onze des douze recommandations qu’il doit mettre en œuvre, la polarisation de la vie politique demeurant un sujet difficile.
De notre côté, nous avons salué le retrait du projet de loi sur la transparence de l’influence étrangère, qui n’était pas compatible avec le processus de rapprochement de la Géorgie avec l’Union européenne.
Ce pays a besoin de tous les soutiens possibles, notamment techniques, pour parvenir à mettre en œuvre les recommandations de façon satisfaisante
Plus largement, dans le cadre de l’élargissement de l’Union européenne aux Balkans occidentaux, nous devons parvenir à fournir une assistance technique plus importante à ces pays de manière à ne pas les laisser dans une chambre d’attente trop longtemps.
M. le rapporteur général Husson, ainsi que Mmes et MM. les sénatrices et sénateurs Berthet, Joly, Chevrollier et Fernique, Guillotin et Arnaud m’ont également interrogée sur la compétitivité de l’Union européenne en matière d’énergie et sur l’IRA.
Tous l’ont souligné, la première des raisons pour lesquelles nous avons un fossé de compétitivité avec les États-Unis et d’autres régions est bien le prix de l’énergie. Dans ce cadre, la réforme du marché de l’électricité est extrêmement importante, et la France s’est mobilisée en ce sens, notamment grâce à l’action du ministre Bruno Le Maire, de la ministre Agnès Pannier-Runacher et de tout le Gouvernement, depuis plus d’un an, pour protéger les consommateurs, pour lutter contre la volatilité des prix et pour donner de la visibilité à nos entreprises afin qu’elles puissent prendre leurs décisions d’investissement en Europe.
Je crois qu’il faut le reconnaître, la proposition de la Commission européenne est une base solide et large, puisqu’elle inclut le nucléaire existant. Elle aura pour effet non seulement de préserver les avantages de l’intégration des échanges d’énergie en Europe, mais aussi de nous apporter des bénéfices concrets en matière de stabilité. Elle nous permettra de bénéficier de la compétitivité du parc nucléaire.
Elle prévoit à la fois des contrats de long terme – certains d’entre vous le demandaient – et ce que l’on appelle des contrats « pour différence ». Ainsi, le Power Purchase Agreement (PPA) permet de sécuriser les consommateurs comme les entreprises en incluant le nucléaire existant, de faire baisser les prix au plus près des coûts de production de notre parc nucléaire existant et de fournir une certaine stabilité et une prévisibilité, qui sont très importantes pour nos entreprises.
Notre objectif est que cette réforme soit adoptée avant la fin de l’année. Nous disposerons probablement d’un certain nombre d’orientations au mois de juin prochain. Nous espérons – et je crois que le Parlement européen en fait aussi un sujet d’importance – parvenir à conclure rapidement, de façon à pouvoir présenter la mise en œuvre de cette réforme et son bilan dans le cadre des prochaines élections européennes.
Outre la question des prix de l’énergie, il faut aussi prendre en compte la nécessité de répondre au plan américain Inflation Réduction Act par le plan « zéro émission nette ». Cette réponse s’inscrit dans une stratégie très large, qui vise à faire en sorte que l’Europe se montre plus offensive en matière commerciale et industrielle. Je regrette que vous trouviez que ce plan ne produise pas d’« effet waouh », mais j’espère que dans sa mise en œuvre, ce sera le cas.
Il prévoit plusieurs dispositifs, au premier rang desquels un volet de propositions sur les marchés publics pour que tous les bons critères soient pris en compte dans l’attribution des contrats, que ce soit la performance environnementale ou la sécurité d’approvisionnement de l’Union européenne. L’objectif est d’éviter toute dépendance en faisant en sorte que nos services publics ne soient pas assurés par des entreprises de pays tiers.
Le deuxième dispositif consiste en la mise en place d’une plateforme d’investissement pour mieux coordonner les financements disponibles et pour mobiliser toutes les ressources dans les secteurs stratégiques de façon rapide.
Monsieur le rapporteur général, j’entends ce que vous dites sur la bureaucratie européenne, mais je peux vous assurer que le troisième pilier de ce plan est la réduction des délais d’octroi de permis pour faciliter la réindustrialisation de la France. Il sera complété par le futur projet de loi sur l’industrie verte en France qui est défendu par Bruno Le Maire. Nous voulons réduire la bureaucratie européenne et faire de la rapidité de nos procédures un réel avantage compétitif.
Je ne dirai pas qu’il n’y a pas encore de progrès à faire dans cette proposition de plan. La liste des technologies couvertes doit être étendue pour intégrer le nucléaire, puisque comme vous l’avez constaté, cela n’y figure pas encore. Il en va de même pour la chaleur renouvelable et la biomasse. Il faut que le règlement prenne en compte tous les projets de décarbonation du secteur industriel.
J’en viens à présent à la question du Royaume-Uni, sur laquelle m’ont interrogée Mme la sénatrice Mélot et M. le sénateur Gattolin, entre autres.
L’accord de Windsor a en effet été signé le 27 février dernier, ce qui est une bonne chose, puisqu’il nous permet d’avancer sur la mise en œuvre du protocole nord-irlandais.
Son dispositif est assez simple : il y aura des produits destinés à rester sur le marché britannique et des produits qui iront sur le marché unique. Sur le marché britannique, l’accord prévoit des tests aléatoires et sur le marché unique les tests seront systématiques. Nous aurons aussi un système de contrôle des données d’échanges commerciaux, de façon à détecter toute éventuelle fraude.
Plus largement, sur le Royaume-Uni, la ligne française n’a pas varié. Notre pays défend une exigence maximale sur le respect des accords conclus dans le cadre du Brexit et une ouverture maximale pour travailler avec le Royaume-Uni, car nous n’échapperons pas à notre géographie.
Messieurs les sénateurs Fernique, Gattolin, Arnaud et Chevrollier, en ce qui concerne l’interdiction des véhicules thermiques en 2035, la France est très claire : elle réaffirme qu’il faut garder cet objectif de 2035. Tout d’abord, c’est là un signal clair de notre mobilisation pour lutter contre l’urgence climatique. Cet objectif est nécessaire sur le plan écologique. Ensuite, il est aussi nécessaire sur le plan industriel. Nous l’avons dit aux producteurs de voitures : changer de direction serait nuisible à la prévisibilité que nous voulons donner à toutes nos entreprises industrielles. La décision est donc à la fois écologique et industrielle. Elle nous permettra en outre de renforcer notre indépendance énergétique.
Je note aussi que la ministre de l’environnement allemande ne dit pas autre chose, ce qui me donne beaucoup d’espoir pour sortir de cette situation malheureuse.
Pas que de l’espoir, monsieur le sénateur ; je vous l’assure. Il y a du travail aussi.
Monsieur le sénateur Gattolin, vous avez mentionné la visite du Premier ministre hongrois Viktor Orban à Paris. L’objectif était clair : il était de rappeler que le Parlement hongrois doit ratifier l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’Otan. Il s’agissait aussi de rappeler l’unité nécessaire des pays européens dans leur soutien à l’Ukraine face à l’agression russe, l’exigence de coopérations concrètes dans le cadre de la coopération politique européenne (CPE) et la volonté d’un renforcement de l’Europe de la défense.
Enfin, en ce qui concerne les travailleurs des plateformes, il est vrai qu’il n’y a pas eu de progrès sous la présidence suédoise. Vous savez que le dernier conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » (Epsco) n’a pas été conclusif ; cette semaine, il n’y a pas eu d’avancées. Les discussions se poursuivront et vous pourrez compter sur la France pour défendre une position constructive et équilibrée.
Cela me donne l’occasion de répéter que la Commission européenne n’exige en rien une réforme des retraites dans notre pays. C’est une recommandation, mais ce n’est pas un jalon du plan de relance. La différence est grande ; je suis sûre que vous en conviendrez.
La mise en œuvre du DMA-DSA est en train de se faire et les travaux du Gouvernement se poursuivent pour adapter les textes dans la législation française : un projet de loi devrait vous être soumis à la fin du premier semestre de cette année.
Applaudissements.
Mme la présidente. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous remercie d’être restés si tard. Je sais que, depuis trois semaines, les nuits sont courtes pour les uns et les autres, mais il était indispensable que ce débat préalable au prochain Conseil européen ait lieu à cette date. En tout cas, la conférence des présidents en a décidé ainsi.
Madame la secrétaire d’État, merci encore pour les réponses assez précises que vous avez pu nous apporter ; comme vous avez pu le voir, les questions se regroupaient en réalité autour des mêmes sujets. Je l’ai déjà dit, lors du dernier débat de ce type, mais je le redis : c’est la preuve que les préoccupations sont vraiment redondantes. Elles structurent en effet toutes les décisions prises au sujet de l’Ukraine et de ce qui pourrait se passer.
Je rappelle brièvement, sans reprendre dans le détail les propos de Thierry Breton, qui était à nos côtés lundi soir dernier, à quel point la situation est dramatique. Elle l’est bien évidemment sur le plan humain, et elle l’est aussi sur le plan politique et géopolitique. Nous devons continuer de porter l’effort en y consacrant tous les moyens possibles. Ici, à la chambre haute, madame la secrétaire d’État, vous aurez un soutien sinon unanime – le terme est peut-être très large –, du moins très majoritaire.
Certains sujets n’ont pas été abordés, ce qui est normal puisqu’ils ne seront pas traités dans le cadre de ce conseil. Toutefois, je voudrais les mentionner pour ouvrir la suite de nos discussions dans les semaines à venir. De nombreuses opérations sont en cours, comme la mise en place de l’Inflation Reduction Act, qui nécessitera probablement d’importants engagements financiers. Il faut bien évidemment tenir compte aussi de la guerre en Ukraine : l’aspect budgétaire et financier n’est donc pas négligeable.
Il est indispensable de poursuivre la réflexion sur ce point et d’avancer tout d’abord dans le travail de révision du cadre financier pluriannuel (CFP), dont on sait qu’elle interviendra incessamment, avec pour effet de faire bouger certaines lignes à budget égal. Au détriment de qui et de quoi cela se fera-t-il ? Et où iront les profits ? Je considère que cela devra faire l’objet d’une réflexion importante.
Il faudra ensuite avancer sur le pacte de stabilité en menant une réflexion sur le fond, qui générera les prochains CFP et qui aura une incidence non négligeable. Le président de la commission des finances Claude Raynal s’y intéresse déjà. Nous avons besoin de lignes directrices pour essayer de comprendre quel sera l’avenir en matière financière. À partir de là, nous pourrons lancer quelques avancées.
Madame la secrétaire d’État, vous ne me répondrez pas ce soir, mais je tenais à ouvrir la réflexion pour les prochaines semaines.
Applaudissements.
Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 mars.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 16 mars 2023 :
À neuf heures :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :
Ordre du jour réservé au groupe Les Indépendants
Proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d’une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent, présentée par M. Jean-Louis Lagourgue et plusieurs de ses collègues (texte n° 821, 2021-2022) ;
Proposition de loi relative aux outils de lutte contre la désertification médicale des collectivités, présentée par M. Dany Wattebled et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n° 414, 2022-2023).
De seize heures à vingt heures :
Ordre du jour réservé au groupe RDSE
Proposition de loi visant à permettre une gestion différenciée de la compétence « Eau et Assainissement », présentée par M. Jean-Yves Roux et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 382, 2021-2022) ;
Proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, présentée par M. Bernard Fialaire et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 403, 2022-2023).
À l’issue de l’espace réservé au groupe RDSE et le soir :
Suite de la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, présentée par M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée ; texte de la commission, n° 416, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.