Intervention de Pascale Gruny

Réunion du 15 mars 2023 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 23 et 24 mars 2023

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, parmi les nombreux sujets qui seront abordés lors du Conseil européen des 23 et 24 mars, il y aura celui de la compétitivité de l’Union européenne.

Cette compétitivité doit être ardemment soutenue, que ce soit dans le domaine agricole ou dans le domaine industriel. Il y va de l’avenir de nos économies, mais aussi de notre souveraineté.

C’est tout l’objet du plan industriel du Pacte vert, qui sera encore au menu des discussions des Vingt-Sept à Bruxelles, et dont l’ambition est claire : décarboner notre économie et enrayer notre déclin industriel. Et il y a urgence !

Depuis plusieurs décennies, les pays émergents exercent sur notre industrie une concurrence de plus en plus vive, y compris dans des secteurs où l’Europe pensait qu’elle aurait toujours une longueur d’avance, comme l’aéronautique, le nucléaire ou la grande vitesse ferroviaire.

À cela s’ajoute une remise en cause permanente de l’organisation collective du commerce international. Pendant que l’Europe s’évertue à respecter à la lettre les règles multilatérales, la Chine continue ses pratiques commerciales déloyales et les États-Unis se réfugient dans un néoprotectionnisme assumé.

Le dernier exemple en date est la loi sur la réduction de l’inflation, dite IRA, qui va concentrer les fonds publics américains sur les produits Made in America, creusant encore un peu plus les écarts de compétitivité et augmentant le risque de délocalisations de nos entreprises vers les États-Unis.

Si l’Europe ne réagit pas, ce plan américain pourrait, selon la Première ministre, faire perdre à court terme 10 milliards d’euros d’investissements à la France et entraîner la perte de 10 000 créations potentielles d’emplois.

Dans ce contexte, la nécessité de bâtir une politique industrielle à l’échelon européen est non plus une option, mais une obligation !

Nous devons nous donner les moyens de jouer à armes égales avec nos concurrents, en exigeant la réciprocité dans nos relations commerciales, en adaptant notre politique de concurrence à la réalité de l’économie du XXIe siècle, et en imposant dans nos programmes de subventions des exigences de localisation des approvisionnements et de la production.

Certaines clauses contenues dans le projet de règlement pour une industrie « zéro émission nette » semblent nous conduire dans cette direction, mais tout cela est encore bien timide, alors qu’il nous faudrait affirmer avec force un changement complet de paradigme.

De la même façon, comment comprendre, au regard du contexte climatique, que ce projet de règlement semble vouloir exclure le nucléaire de son champ d’application ? Comment imaginer que, demain, l’industrie européenne puisse être à la fois compétitive et sobre en carbone, tout en snobant l’atome ? L’« alliance du nucléaire » lancée par Agnès Pannier-Runacher a visiblement encore beaucoup de travail pour que la Commission et certains États membres ouvrent enfin les yeux sur cette question fondamentale.

Le risque de déclassement touche aussi l’industrie agricole. Je voudrais prendre l’exemple de l’industrie sucrière, qui apparaît actuellement en grande fragilité. Tereos vient ainsi d’annoncer la fermeture de deux de ses usines en France. Comment ne pas y voir la conséquence directe de la pression réglementaire croissante sur les moyens de production de la culture betteravière ?

Les surtranspositions nationales et les distorsions de concurrence en Europe aboutissent inexorablement à une baisse continue des surfaces de betteraves et fragilisent nos outils industriels, qui doivent faire face à un environnement toujours plus concurrentiel.

Le choix politique d’interdire totalement les néonicotinoïdes à partir de 2018 a conduit toute une filière dans l’impasse. Madame la secrétaire d’État, allez-vous demander l’activation de la réserve de crise agricole de l’Union européenne pour venir en aide aux producteurs de betteraves affectés par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne sur les dérogations d’urgence pour les néonicotinoïdes ?

Je voudrais également évoquer deux autres sujets, sur lesquels je travaille en ce moment avec la commission des affaires européennes du Sénat.

Il y a d’abord la création d’un espace européen des données de santé. Si l’on souhaite que nos concitoyens autorisent l’utilisation de leurs données de santé à des fins de recherche, il faut leur assurer que celles-ci seront protégées et qu’elles ne seront pas utilisées à d’autres fins.

Il est donc indispensable, comme l’a demandé le Parlement européen, que ces données soient hébergées sur le territoire de l’Union, où les États membres respectent le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Cet hébergement suppose également des technologies de pointe, que nous devons maîtriser. Pour cela, il nous faut absolument investir davantage dans le domaine du numérique, sans quoi nous condamnerions notre économie à être en permanence dépendante de technologies venues d’ailleurs.

La compétitivité des entreprises passe aussi par un système réglementaire favorable à l’investissement. Nous devons donc être attentifs à certaines propositions de règlement, comme celle qui consiste à réviser le système de redevances perçues par l’Agence européenne des médicaments. Il s’agit de s’assurer que certains produits continueront d’être fabriqués et commercialisés sur le territoire de l’Union.

La Commission européenne doit présenter à la fin du mois de mars une réforme de la législation pharmaceutique. Nous comptons sur vous pour veiller à ce que celle-ci permette le développement effectif d’une industrie pharmaceutique innovante sur le territoire de l’Union, mais également le maintien d’une industrie produisant des médicaments plus matures, afin d’éviter les pénuries que nous connaissons aujourd’hui.

Le second sujet concerne la directive sur les travailleurs de plateformes, pour laquelle les négociations au Conseil se poursuivent, mais semblent patiner.

Au vu des divergences encore existantes entre les États membres, plusieurs questions se posent : est-il légitime d’espérer un accord au Conseil pour faire aboutir ce texte sous présidence suédoise, comme celle-ci l’annonce, ou plutôt compter sur la présidence espagnole, dont la législation nationale est avancée sur le sujet ? La France est-elle prête à faire des concessions pour parvenir à un accord ?

Pour conclure, mes chers collègues, sur toutes ces questions ayant trait à la compétitivité de l’Union européenne, nous n’avons d’autre choix que de faire preuve de volontarisme. À défaut, l’Europe risque d’être balayée par des concurrents internationaux toujours plus déterminés et conquérants.

Nous sommes donc aujourd’hui à la croisée des chemins : soit nous nous donnons les moyens de continuer à peser dans les affaires du monde, soit nous devenons un continent sous influence. Je forme le vœu que l’Europe choisisse la voie du sursaut, et non celle du renoncement !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion