Intervention de Jacques Fernique

Réunion du 15 mars 2023 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 23 et 24 mars 2023

Photo de Jacques FerniqueJacques Fernique :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la Commission européenne a présenté hier sa proposition de réforme du marché de l’électricité pour soulager les consommateurs en agissant sur les prix, orienter le marché vers les énergies renouvelables et dépendre moins des coûts des fossiles.

Alors que cette présentation ouvre une phase qui sera déterminante, je pose nettement la question : devons-nous nous résigner, sur ces enjeux européens majeurs, à voir la France se comporter comme un petit pays de la négociation européenne, obnubilé par la défense, partout et toujours, de sa spécificité nucléaire ?

Ainsi, notre gouvernement s’est montré très actif pour développer les contrats à long terme, notamment pour soutenir le nucléaire. Pour faire plaisir à la France, l’Espagne propose donc de promouvoir les contrats de différence pour les technologies qui ne sont pas soumises à la concurrence d’une nouvelle entrée sur le marché, … comme le nucléaire !

Ce lobbying s’étend à bien d’autres dossiers, comme la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, par exemple, ou prend la forme de pressions pour inclure des objectifs de déploiement de l’hydrogène nucléaire dans le cadre réglementaire européen en cours de révision.

Pendant ce temps, la France est le seul État membre à devoir débourser 500 millions d’euros pour n’avoir pas atteint son objectif d’énergies renouvelables pour 2020 ! Notre pays européen est le seul à la traîne, tant pour l’éolien que pour le solaire, dont le boom mondial et les bas coûts sont à présent avérés.

La France persiste et signe dans la voie du nucléaire. Or ce choix n’aura aucune utilité dans les quinze ans à venir. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) le martèle pourtant : c’est dans les dix prochaines années que les principaux investissements de transition énergétique doivent produire leurs résultats pour le climat. Chaque euro dépensé au profit d’un nouvel essor nucléaire sera autant en moins pour le déploiement des énergies renouvelables.

La découverte de fissures non négligeables sur des réacteurs à Penly et à Cattenom, les sécheresses plus fréquentes et plus marquées qui fragiliseront les localisations le long des fleuves, les déchets, les incertitudes sur un financement qui n’est absolument pas maîtrisé et un coût moyen de production d’électricité nettement plus élevé sont autant d’arguments pour ne pas tout engager dans cette voie et au travers d’un tel lobbying européen.

Ce lobbying est même cynique : ignorant la demande du Parlement européen d’un embargo immédiat, notamment sur l’uranium russe, la Commission a plié face au président Emmanuel Macron. Elle a renoncé, à l’instar du Conseil, à sanctionner des cadres importants du nucléaire russe, comme ceux de Rosatom, une entreprise créée par Poutine lui-même.

Le nucléaire est à l’abri des sanctions. En pleine guerre russe contre l’Ukraine, la France a quasiment triplé ses importations d’uranium enrichi provenant de l’aire d’influence russe, et elle a exporté en 2022 vers la Russie l’intégralité de son uranium de retraitement.

La France ne brille pas non plus par son exemplarité concernant la protection des océans. Notre secrétaire d’État chargé de la mer a réussi l’exploit ici même, la semaine dernière, de qualifier le traité sur la haute mer d’« historique », tout en défendant bec et ongles, dans la même phrase, le chalutage de fond dans les aires marines protégées.

Quel est le sens de la notion d’aire marine protégée si un ministre défend des engins de pêche qui ravagent les fonds marins, des pratiques si destructrices de la biodiversité ? L’écart entre les opérations de communication du Gouvernement et ce qu’il défend réellement est sidérant ! Jacques Attali s’en est d’ailleurs offusqué sur Twitter.

Il serait grand temps d’écouter les scientifiques du Conseil international pour l’exploration de la mer (Ciem) et de fermer les zones de pêche concernées pendant les pics d’échouage de dauphins, tout en compensant financièrement les pêcheurs. L’inaction du Gouvernement en la matière cause la mort de plusieurs centaines de dauphins par an sur la côte Atlantique et lui vaudra sans doute d’être bientôt condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

A contrario de mes critiques sur les renouvelables et la protection des biodiversités marines, je tiens à saluer le cap maintenu par le Gouvernement concernant l’échéance européenne de fin de vente des véhicules neufs à moteur thermique en 2035.

Le revirement allemand et sa tentative de monter une minorité de blocage sont inacceptables. Comment le parti libéral-démocrate, en déconfiture électorale, et de mèche avec des intérêts privés de petits et moyens constructeurs sous-traitants, pourrait-il saboter les chances de nos constructeurs de répondre au défi chinois en contrecarrant ainsi l’échéance de 2035, qui est une nécessité écologique et industrielle ?

C’est précisément le Green Deal européen et une stratégie industrielle qui ne soit pas à très courte vue qui réduira l’écart avec les constructeurs chinois et contribuera à apporter une réponse à la hauteur de l’IRA.

Ne laissons pas détricoter le Green Deal ! Ne laissons pas tuer dans l’œuf les discussions sur la norme Euro 7, qui viennent de très mal démarrer ! Tenons bon sur l’échéance de 2035 !

Enfin, je salue le vote au Parlement européen, aujourd’hui, d’un revenu minimum européen. Il est temps de concrétiser l’un des objectifs affichés par l’Union : réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2030 sur le continent.

Cela passe aussi par notre jeunesse : en France, une personne pauvre sur deux a moins de 30 ans. Cette dynamique européenne, dont témoigne le vote intervenu ce jour doit inciter notre pays à mettre un terme à la discrimination des moins de 25 ans pour l’accès au revenu de solidarité active (RSA) !

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