Intervention de André Gattolin

Réunion du 15 mars 2023 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 23 et 24 mars 2023

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne se trouve dans une situation des plus paradoxales. Ce n’est pas la première fois de son histoire, mais, dans le contexte actuel et extrêmement grave de la guerre en Ukraine, ce paradoxe interroge et, d’une certaine manière, inquiète.

Après avoir honorablement fait face à trois crises inédites qui auraient pu la mettre en péril ou lui coûter son existence, l’Union européenne semble aujourd’hui potentiellement menacée par un banal accident de voiture. Je vous l’accorde, ce propos sibyllin et quelque peu mystérieux mérite explication…

Ces trois crises inédites successives, ces trois astres noirs qui ont fait irruption dans la paisible galaxie Europe, nous les connaissons tous.

La première crise est évidemment celle qui a résulté du Brexit.

Pour la première fois de son histoire, l’Union a vu l’un de ses membres, et non des moindres, claquer la porte, en posant pour sa sortie des conditions parfois assez irréalistes. La négociation fut longue et pénible, et l’accord une fois trouvé fit encore l’objet de renégociations.

Les divisions fratricides, souvent prédites, entre les vingt-sept membres restants de l’Union n’ont cependant pas eu lieu. Il nous semble même apercevoir le bout du tunnel après l’accord de Windsor, évoqué par notre collègue Colette Mélot, passé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, qui révise en termes acceptables l’épineux protocole douanier concernant l’Irlande du Nord.

Le sommet franco-britannique qui s’est tenu voilà quelques jours à l’Élysée vient également de sceller les bases d’une nouvelle relation constructive entre nos deux pays. Bien sûr, et même si une proportion croissante de Britanniques dit désormais regretter le choix du Brexit, le Royaume-Uni n’est pas près de revenir sur sa décision historique.

On note cependant que la nouvelle donne internationale et, plus encore, la dégradation de la situation économique outre-Manche semblent ouvrir la voie à des relations plus apaisées et, surtout, à des coopérations accrues entre l’archipel et l’Union européenne.

Pourriez-vous, madame la secrétaire d’État, nous faire un point sur les perspectives qui s’ouvrent aujourd’hui à ce sujet ?

La deuxième crise inédite, à la fois sanitaire, économique et sociale, fut celle de la pandémie de covid-19.

Là encore, l’Union a réagi assez vite, notamment dans un domaine, la santé, qui ne relevait pourtant pas de ses compétences propres. Elle a su aussi réagir économiquement, avec un plan de relance sans précédent et une suspension de ses sacro-saintes règles sur le déficit budgétaire et l’endettement public autorisés.

Après une récession très marquée en 2020, les économies européennes ont connu un rebond presque inespéré en 2021. Certes, tout cela s’est fait au prix d’un endettement accru des États membres, et la Commission appelle depuis quelques mois à un retour au respect des règles budgétaires édictées par les traités européens.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quelle est aujourd’hui la philosophie de la Commission en la matière, notamment au regard des lourdes conséquences, en particulier budgétaires, qui résultent de l’actuelle guerre en Ukraine ?

La troisième crise inédite affrontée par l’Union est celle de la terrible guerre d’agression menée par la Russie depuis plus d’un an à l’encontre de l’Ukraine, avec son cortège déjà long de graves conséquences tant économiques que politiques.

Chronologiquement, c’est la plus récente des crises dont je viens de faire la liste, mais rien malheureusement ne nous assure qu’il s’agisse de la dernière, compte tenu de l’instabilité géopolitique globale qui règne désormais, des soubresauts qui agitent le monde bancaire et financier ou des nouvelles crises migratoires qui pourraient se profiler.

Notons que si ces trois crises paraissent se succéder dans le temps, certaines conséquences au long cours des deux premières viennent en partie se superposer à l’instant présent, le tout impactant simultanément nos économies et les équilibres politiques qui, jusqu’à présent, s’imposaient au sein de l’Union.

Le premier constat que l’on peut faire, avec toute la prudence qui sied lorsque l’on s’aventure sur les terres incertaines de l’avenir, c’est que l’Union a réagi avec davantage de rapidité et d’ampleur que nous n’aurions osé l’imaginer avant cette guerre. Cette réaction, souvent qualifiée de « réveil géopolitique de l’Europe », est d’ailleurs – il faut bien l’avouer – moins significative en valeur relative qu’en volume des engagements pris. Elle nous frappe surtout en comparaison de l’inanité qui prévalait dans la partie occidentale de notre continent face à la menace extérieure.

En valeur relative, force est de constater que, si progrès il y a, en revanche, on n’observe pas encore « l’effet waouh » qui ferait entrer l’Europe dans le cercle restreint des acteurs géostratégiques pesant le plus dans notre monde en pleine recomposition. Pour autant, il faut admettre qu’en dépit de la grande diversité des nations qui composent l’Union, cette dernière a fait preuve d’une grande cohésion et de résilience depuis le début du conflit.

Bien sûr, le cas de la Hongrie fait singulièrement tache dans ce tableau européen plutôt harmonieux. Madame la secrétaire d’État, pensez-vous que M. Viktor Orban puisse être en mesure de refuser et de bloquer d’éventuelles nouvelles mesures européennes en faveur de l’Ukraine – ou au détriment de la Russie – et de son adhésion future à l’Union ?

Notons qu’il existe au moins une conséquence positive de l’attitude négative de la Hongrie : le fameux groupe de Visegrad, qui a souvent entravé la dynamique européenne au cours des quinze dernières années, a définitivement volé en éclats.

Il faut également se féliciter du rééquilibrage Est-Ouest qui semble s’opérer aujourd’hui, à la faveur des événements, au sein de l’Union. Le poids nouveau pris par la Pologne et la Roumanie pourrait favoriser, à terme, une meilleure intégration politique de ces pays dans une Europe qui n’a désormais pas d’autre choix que de se repenser.

Plus généralement, et en dépit des réactions positives aux crises des dernières années, nous restons dans les faits encore loin de l’union invoquée en guise de prophétie auto-réalisatrice lorsque nous avons formellement décidé, en 1993, d’adopter la dénomination d’« Union européenne ». Objectivement, et près de vingt ans après le grand élargissement, nous commençons à peine à nous commuer en une véritable communauté de nations et de peuples. Alors, restons lucides, d’autant que le processus d’intégration, comme le processus démocratique, n’est ni constant ni linéaire. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une régression.

Pour illustrer ce risque et éclairer mon propos préalable sur un possible banal accident automobile qui pourrait mettre à mal le fonctionnement de l’Europe, je veux rapidement évoquer, à l’instar de Jacques Fernique, l’attitude récente de l’Allemagne, qui a remis soudainement en cause l’accord trouvé à l’issue d’un trilogue, pourtant concluant, sur la proposition de règlement mettant fin à la vente de véhicules neufs à moteur thermique à l’horizon 2035.

Nous connaissons tous l’importance de l’industrie automobile dans l’économie et la politique allemandes. Nous sommes nombreux à nous rappeler l’empressement de Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission, à se rendre à Washington au mois de juillet 2018 pour tenter de convaincre le président Trump de renoncer à une hausse des taxes d’importation sur les automobiles européennes, comme par hasard à 80 % allemandes, au détriment des alcools et des produits de luxe, comme par hasard essentiellement français et italiens…

Ce type d’attitude est totalement délétère pour un juste et équitable fonctionnement interne de l’Union. Déjà, le « cavalier seul » qui fut par le passé opéré par l’Allemagne en matière de dépendance gazière excessive à l’égard de la Russie continue aujourd’hui de nous coûter collectivement très cher.

Voilà quelques mois, nous avions tous salué, au Sénat et ailleurs, la décision allemande d’investir enfin très significativement dans sa défense et dans celle de l’Europe. Par sa très récente décision, Berlin semble renouer avec une conception plus nationale qu’européenne, plus mercantile que politique, de sa place au sein de l’Union. C’est une erreur, je crois, qu’il convient très vite de corriger.

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