Intervention de Martine Berthet

Réunion du 15 mars 2023 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 23 et 24 mars 2023

Photo de Martine BerthetMartine Berthet :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, guerre en Ukraine, difficultés d’approvisionnement en matières premières, pénurie de semi-conducteurs, hausse sans précédent des prix de l’énergie, l’Europe traverse une grave période de turbulences.

Le doublement, le triplement, ou plus encore, des factures d’électricité et de gaz met nos collectivités et nos entreprises dans une situation financière délicate. De sérieuses menaces planent sur la vie économique de nos territoires. Nous le savons tous : l’indemnisation des collectivités et des entreprises par l’État ne peut pas durer, car elle ne fait qu’aggraver le déficit public. Quant au bouclier tarifaire, il protège nos ménages de l’inflation violente des prix de l’énergie, mais pour combien de temps ?

Dans ce contexte, si un constat doit faire l’unanimité, c’est bien celui de l’incapacité du marché européen de l’électricité à protéger les consommateurs de la crise liée à l’approvisionnement en gaz.

Cet aveu d’échec, la commissaire européenne à l’énergie, Kadri Simson, l’a fait elle-même le 27 février dernier, à l’issue d’une réunion informelle des vingt-sept ministres de l’énergie de l’Union européenne. Aujourd’hui, les Français – ménages, entreprises, TPE-PME, industries, collectivités – pâtissent de règles européennes dépassées qui font dépendre, de façon paradoxale, le prix de l’électricité du cours des énergies fossiles que sont le gaz ou le charbon, alors même que notre pays produit une électricité peu chère, grâce à son parc nucléaire et à son hydroélectricité.

Nous ne pouvons pas sacrifier notre tissu économique et social et mettre le pays tout entier en danger pour conserver – « quoi qu’il en coûte ! » – un marché européen de l’électricité dérégulé qui ne joue plus son rôle.

Le mécanisme ibérique, qui consiste à intervenir sur le marché pour faire baisser les prix, mis en œuvre par nos voisins portugais et espagnols, en témoigne : il est efficace pour ces deux pays, mais il génère une concurrence déloyale pour nos entreprises. La réponse à la crise énergétique doit être commune aux États membres de l’Union.

Nous avons été nombreux à alerter le Gouvernement sur ces différents écueils. Lors de sa déclaration de politique énergétique devant le Sénat, le 12 octobre dernier, Mme la Première ministre avait elle-même reconnu la nécessité de réviser les règles européennes.

Pourtant, à la lecture du paquet législatif annoncé par Mme Simson hier au Parlement européen, la Commission européenne ne semble pas prendre la mesure des dysfonctionnements.

L’objectif affiché de ces propositions est louable : il s’agit de faire en sorte que le prix de l’énergie produite sur le continent européen ne soit pas trop volatil et ne dépende pas de nos importations de gaz et de pétrole. Il ne renvoie cependant qu’à des mesures ciblées, suggérant qu’aucune refonte complète des règles n’est véritablement engagée.

Le système du merit order, selon lequel la dernière unité de production électrique appelée fixe le prix, est ainsi conservé et le découplage du prix du gaz de celui de l’électricité, que nous appelions de nos vœux, n’est toujours pas à l’ordre du jour.

Par ailleurs, la Commission européenne a présenté des propositions sur l’industrie zéro carbone. Elle souhaite lancer une stratégie de décarbonation massive de nos productions industrielles qui inclura toutes les modalités d’une production énergétique neutre en carbone.

Or, sur ce point, la Commission est revenue sur sa proposition initiale, en excluant le nucléaire du domaine des énergies pouvant être utilisées par une Europe qui se décarbone. Dans la perspective d’une réforme du marché européen de l’électricité, il s’agit d’un anachronisme !

Pour rompre avec des logiques de production polluantes et carbonées, il faut obligatoirement faire avec le nucléaire ; le Giec nous le rappelle régulièrement.

Les traités européens garantissent aux États membres le droit et le devoir de définir souverainement leur propre mix énergétique. L’Union européenne doit simplement leur en donner les moyens.

L’Allemagne, dans le même temps, double la production de ses centrales à gaz – une énergie fossile, est-il nécessaire de le rappeler ? – et place l’Europe dans une situation de dépendance vis-à-vis de puissances étrangères. Ce n’est pas acceptable. La France doit se faire entendre. Le nucléaire fait partout son retour, au Moyen-Orient, au Japon, en Chine, en Inde, au Canada, aux États-Unis. Comme l’indique M. Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Europe ne doit pas manquer ce « saut technologique ».

Face à la concurrence agressive et au protectionnisme auxquels se livrent plusieurs de nos partenaires commerciaux depuis quelques mois, la stratégie française lors du prochain Conseil doit être dénuée d’ambiguïté : la réforme du marché de l’électricité est un véritable enjeu de souveraineté économique et de compétitivité. Nos entreprises subissent en effet une double peine, infligée par les États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act, et par l’absence de choix européens forts et structurants.

De tels choix sont pourtant essentiels pour que, d’une part, nous profitions pleinement des avantages comparatifs que nous procure le nucléaire, énergie bas-carbone, et que, d’autre part, l’indépendance économique européenne sorte renforcée de ce temps de crise.

La réforme du marché de l’électricité doit inciter les industriels européens et français à relocaliser et nous permettre d’accélérer les investissements de transition vers une économie décarbonée et moins dépendante des économies étrangères.

Actuellement, la situation de notre industrie est préoccupante ; celle-ci n’a absolument aucune visibilité quant à ses coûts d’approvisionnement en électricité. À l’inverse, ses concurrents au niveau mondial disposent, eux, d’une visibilité de dix ans, quinze ans ou vingt ans au minimum, et peuvent se fournir en électricité à bas coût autant qu’ils le souhaitent. Pour ces entreprises, l’électricité peu chère est parfois l’élément de base de leur production, qui leur permet d’être compétitives vis-à-vis de leurs concurrents.

À cet égard, le rétablissement des contrats de long terme est indispensable pour sécuriser des prix d’approvisionnement stables et des coûts de production compétitifs.

Mon département, la Savoie, compte plusieurs grandes industries hyper électro-intensives qui produisent des matériaux nécessaires à la transition énergétique. Si ces entreprises ne peuvent pas renouveler leur contrat de long terme en 2023, elles seront contraintes de baisser, voire d’arrêter, leur production. Certaines l’ont déjà fait en ce début d’année. La seule alternative étant de se fournir auprès de la Chine ou de la Russie, le déficit du commerce extérieur comme la situation géopolitique de la France s’en trouveraient aggravés.

Le rétablissement de ces contrats fait partie des mesures ciblées par la Commission européenne. C’est une excellente nouvelle, mais il faudra veiller à ce que l’adaptation du marché de l’électricité à un système énergétique dominé par les énergies renouvelables, conformément au souhait de la Commission, prenne bien en compte la production nucléaire, afin de ne pas pénaliser nos industries dans la renégociation de leurs contrats.

La reconnaissance de l’urgence d’une nouvelle politique énergétique pour accélérer la décarbonation de l’économie et renforcer la compétitivité des entreprises européennes fait l’unanimité. Saisissons donc l’occasion de ce prochain Conseil européen pour défendre une réforme plus ambitieuse du marché européen de l’électricité.

L’heure n’est plus aux déclarations d’intentions, mais aux actes forts. La France doit se faire entendre. Le sujet des concessions de nos barrages hydroélectriques n’est d’ailleurs toujours pas réglé.

Le Gouvernement doit défendre nos intérêts. Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur votre action.

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