Intervention de Patrice Joly

Réunion du 15 mars 2023 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 23 et 24 mars 2023

Photo de Patrice JolyPatrice Joly :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en l’espace d’un an, le paysage énergétique a considérablement changé. Les prix mondiaux du pétrole ont augmenté de 200 %, ceux du charbon de 400 %, et les prix du gaz européen jusqu’à 1 000 %.

La hausse des prix de l’énergie a alimenté la crise du coût de la vie, qui touche d’autant plus les foyers européens que leurs revenus sont modestes. Elle impacte aussi fortement les entreprises, en particulier les PME et les TPE.

Jusqu’à présent, les États membres ont majoritairement réagi en instaurant des mécanismes d’urgence de contrôle des prix ou d’amortissement : baisse de la fiscalité, bonus climatique, chèque énergétique ou chèque de chauffage.

Alors que les prix de l’énergie sont loin d’être stabilisés, la réforme ciblée du marché de l’électricité, proposée hier par la Commission européenne, est-elle suffisante ?

Nous partageons l’essentiel des objectifs affichés par la Commission. Celle-ci vise en effet un accès généralisé et à un coût abordable à l’électricité produite à partir de sources renouvelables et non fossiles.

Elle entend encourager une meilleure transparence des informations sur les marchés vis-à-vis des consommateurs et un plus grand choix de fournisseurs, afin qu’aucun consommateur ne se retrouve privé d’électricité.

Elle défend un accès amélioré des entreprises à des contrats et à des marchés à long terme plus stables.

Enfin, elle envisage une révision des règles relatives à la revente des énergies renouvelables.

Cependant, cette réforme ne devrait pas toucher aux fondamentaux du fonctionnement du marché, alors que l’explosion historique des prix de l’énergie que l’Europe subit aujourd’hui provient bien de sa défaillance. De plus le découplage strict entre le gaz et l’électricité n’est pas prévu. Comment expliquer cet échec dans la négociation, alors que le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en faisait son principal cheval de bataille ?

En outre, nous ne maîtrisons pas le calendrier de mise en œuvre de ces mesures. Le Parlement européen et le Conseil doivent désormais discuter et adopter la proposition qui leur est soumise.

Enfin, certains experts et professionnels du secteur ne sont pas convaincus que les mesures présentées par la Commission aient pour effet de faire refluer les prix, dont la baisse dépend de beaucoup d’autres facteurs, notamment de la disponibilité du nucléaire en France, de la météo ou du marché mondial du gaz.

Se posent donc plusieurs questions. Comment les ménages vont-ils passer l’hiver prochain ? Verront-ils leur pouvoir d’achat préservé ? Les entreprises bénéficieront-elles à temps d’une énergie à des tarifs compétitifs, au risque d’une course aux délocalisations, au moment où les États-Unis renouent avec le protectionnisme pour protéger, relocaliser et investir dans l’industrie verte ? Le coût de l’énergie, fondamental au sein des coûts de production, est aussi le nerf de la guerre.

Que penser donc de ce texte, qui se présente également comme l’une des facettes de la réponse européenne à l’IRA, c’est-à-dire au plan américain de soutien massif à l’économie, comprenant notamment de fortes subventions à l’énergie pour en baisser le prix.

L’Europe entend-elle s’aligner – pour ne pas dire qu’elle doit le faire ? De nombreux défis de taille sont en jeu, dont la reconquête industrielle et la transition écologique, qui ne peuvent plus attendre.

Ce plan massif d’aides à la transition énergétique lancé par Joe Biden a montré à quel point l’Union européenne était fondée sur un logiciel pseudo-économique qui arrive à son terme.

L’IRA ne doit pas se résumer à une tentative protectionniste américaine pour attirer l’industrie verte, en plein essor, sur son territoire, au détriment des intérêts de ses partenaires commerciaux. Joe Biden s’est engagé vendredi dernier auprès d’Ursula von der Leyen à ne pas déclencher une concurrence délétère dans la course à la transition énergétique et à « travailler pour éviter une compétition à somme nulle, afin que [leurs] politiques d’aides publiques soutiennent le développement des énergies propres et de l’emploi sans devenir des aubaines pour les intérêts privés ».

Une bonne nouvelle, pour autant : les États-Unis souhaitent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici à 2030, même si l’on peut être dubitatif à ce sujet au vu de l’autorisation récente accordée à l’exploitation de pétrole en Alaska.

Cet épisode offre également une chance pour l’Europe : nous prenons collectivement conscience qu’il faut, certes, adopter une politique de défense vis-à-vis de la concurrence, mais aussi qu’il est vital de mettre en place une politique industrielle et de transition écologique.

Tel est bien l’enjeu pour l’Europe : il s’agit d’accélérer les investissements bas-carbone dans le logement et la mobilité pour se préparer aux prochains hivers en s’attaquant à la racine de la crise : notre dépendance aux combustibles fossiles. Il nous faut décarboner dès que possible, conformément au Pacte vert pour l’Europe, car décarbonation et compétitivité vont de pair.

De plus, la transition ne peut pas se faire sans prendre en compte le pilier social : nous ne pouvons pas parvenir à la durabilité environnementale sans durabilité sociale. Il nous faut donc continuer à augmenter le budget du Fonds social pour le climat, dont la portée pourrait contribuer à limiter la crise climatique sociale et à garantir la sécurité énergétique tout en renforçant la solidarité européenne.

Il est également essentiel que l’industrie soit préparée aux objectifs du Pacte vert de neutralité climatique à l’horizon 2050.

L’industrie de l’Union européenne doit occuper une position de leader international pour garantir notre autonomie stratégique et pour créer des emplois de qualité pour tous les Européens.

Or, pour mener une politique industrielle et de transition écologique, des subventions, de la planification et des pouvoirs publics forts sont nécessaires. Il faut également, parfois, protéger nos industries.

C’est pourquoi plusieurs leviers financiers doivent être activés, notamment à l’occasion de la revue à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, qui doit avoir lieu d’ici à l’été 2023.

L’Union doit aujourd’hui plus que jamais se doter de nouvelles ressources propres. J’ai eu l’occasion d’indiquer à de nombreuses reprises dans cet hémicycle combien il est important de disposer de moyens.

Je pense bien sûr à l’extension des marchés carbone, à la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières le plus rapidement possible, à la création d’une nouvelle taxe sur les transactions financières et, enfin, à une meilleure taxation des bénéfices des multinationales.

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