Intervention de Guillaume Chevrollier

Réunion du 15 mars 2023 à 21h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 23 et 24 mars 2023

Photo de Guillaume ChevrollierGuillaume Chevrollier :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra les 23 et 24 mars prochains intervient dans un climat extrêmement compliqué pour l’Union européenne, écartelée entre plusieurs crises distinctes.

La première d’entre elles est, bien sûr, la guerre entre l’Ukraine et la Russie, dont nous fêtons le triste anniversaire. Durant toute cette année, l’Europe n’a cessé de tanguer face aux répercussions de ce conflit.

Celles-ci sont d’abord humaines. Le bilan humain du conflit est en effet dramatique. Celui-ci a de plus entraîné des déplacements massifs de population.

Je salue à ce titre l’ensemble de nos collectivités locales, de nos élus, mais aussi des concitoyens français qui, comme je l’ai vu dans mon département de la Mayenne, ont permis par pure solidarité à des familles d’être accueillies dans des conditions décentes sur notre territoire.

Ce conflit emporte également des conséquences militaires pour la France et pour l’Europe, qui envoient du matériel, notamment des munitions, mais aussi, pour la France, des canons Caesar. L’Union européenne devrait d’ailleurs fournir une aide supplémentaire de 2 milliards d’euros en munitions pour l’Ukraine, soit le double de ce qui était prévu.

En mettant fin à la paix européenne si durement acquise, cette guerre nous a conduits à nous interroger de façon lucide sur nos capacités militaires et à revoir celles-ci au niveau national, mais aussi européen.

Quel est l’état actuel de notre coopération militaire avec nos voisins européens ? Existe-t-il une ligne rouge à ne pas franchir dans l’aide apportée à l’Ukraine ? Le prochain Conseil européen débattra-t-il de nouveau de sa boussole stratégique pour ce qui concerne l’Europe de la défense ?

Ce conflit a également engendré une instabilité sur les marchés de l’énergie et une augmentation vertigineuse des prix. Chacun connaît les répercussions de ces prix de l’énergie sur nos collectivités locales et sur toutes nos entreprises. Pour beaucoup, notamment pour nos artisans et nos commerçants, les factures sont insupportables.

Du fait de cette augmentation des prix, du sous-investissement dans la filière nucléaire dans notre pays et de l’arrêt de nombreux réacteurs, la France a échappé de peu à la catastrophe cet hiver. Mais qu’en sera-t-il l’année prochaine ?

À l’échelon européen, notre politique d’investissements dans le nucléaire nous impose de réformer le marché européen de l’électricité, par exemple en découplant le prix de l’électricité des cours du gaz.

Le conflit avec la Russie et la suppression de l’approvisionnement en gaz russe ont totalement changé la donne. Aujourd’hui, le mécanisme est devenu totalement inéquitable, dans la mesure où le gaz ne contribue qu’à 7 % de la production de notre électricité.

La France doit peser de tout son poids dans les négociations à venir. À l’heure où nous relançons nos investissements dans le nucléaire, peut-on espérer voir les négociations aboutir avant cet été, madame la secrétaire d’État ?

L’Union européenne est aussi tiraillée par la récente mise en place par les États-Unis de l’Inflation Reduction Act, qui repose notamment sur un impressionnant paquet de subventions du gouvernement américain d’un montant de 370 milliards de dollars pour stimuler le développement des énergies renouvelables.

Ces mesures prises par les États-Unis constituent une véritable offensive économique et manifestent la volonté d’aller chercher en Europe des entreprises et leur technologie, afin de les installer aux États-Unis. Pour être éligibles à ces subventions, les entreprises doivent en effet produire sur place.

L’Union européenne doit réagir fermement, au risque de connaître une fuite des cerveaux et, pis encore, une fuite de notre savoir-faire technologique et industriel.

Les premières pistes d’une réponse européenne qui voient le jour, notamment via le Pacte vert, semblent insuffisantes.

L’assouplissement des aides d’État permettra à la France d’investir davantage, mais aura comme conséquence de créer une distorsion au sein de l’Union européenne entre les pays membres disposant d’une forte capacité fiscale et ceux n’en disposant pas.

Pour rappel, on estime que l’Europe aura besoin de 350 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an sur cette décennie pour atteindre son objectif de réduction des émissions à l’horizon 2030 pour les seuls systèmes énergétiques.

Néanmoins, la volonté de mettre en place une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne ne peut qu’être saluée et encouragée pour des raisons à la fois écologiques et économiques.

L’Union européenne a réalisé plus de 2 100 milliards d’euros d’importations en 2019, soit l’équivalent du PIB de la France. Ces échanges intenses représentent 20 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Europe. À l’heure de la décarbonation de notre économie, une telle taxe permettra de réduire cette empreinte.

Elle constitue aussi une mesure de compétitivité économique. Par cette taxe carbone, l’Union européenne encourage la mise en place d’une concurrence loyale entre les entreprises européennes et les entreprises mondiales et lutte contre la délocalisation de nos entreprises.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer l’état d’avancement de la mise en place de cette taxe carbone et nous confirmer que celle-ci sera bien effective en 2026 ?

Le point noir le plus nuisible à notre compétitivité est sans aucun doute l’empilement des réglementations au sein de l’Union européenne, qui pèse sur nos entreprises et qui est devenu l’un des problèmes majeurs ces dernières années.

Quelque 116 propositions de réglementation de la Commission européenne seraient en attente. Et pour la seule année 2023, celle-ci prévoit de présenter 43 nouvelles initiatives. Madame la secrétaire d’État, pensez en particulier à nos agriculteurs et au secteur agricole, si important pour notre souveraineté alimentaire et si fortement fragilisé dans sa compétitivité. C’est une véritable surcharge réglementaire, qui peut contribuer à faire peser sur nos entreprises des contraintes supplémentaires.

Récemment encore, dans cet hémicycle, je rappelais combien les initiatives européennes en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE), bien qu’utiles et même nécessaires, laissent à craindre la création d’un choc de complexité dans la mesure où elles élargissent l’obligation de diffusion d’informations sociales et environnementales à un grand nombre d’entreprises européennes, notamment les PME, qui n’étaient jusqu’alors pas concernées.

Madame la secrétaire d’État, peut-on espérer une Europe moins technocratique ?

Assistera-t-on cette année à la fin de la naïveté européenne, à la fois militaire et économique ? Je le souhaite sincèrement et l’appelle de mes vœux.

Je terminerai cette intervention en rappelant que si nous sommes profondément Européens et attachés à l’Union européenne comme institution politique, nous avons le devoir de nous réformer pour nous adapter à un monde qui change et à une mondialisation qui a atteint ses limites, notamment sur le plan environnemental.

Se réformer est la condition sine qua non pour construire une Europe forte, une Europe véritablement puissante, susceptible de faire face aux nombreuses menaces, au retour des empires, mais aussi aux nombreux défis enthousiasmants du XXIe siècle.

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