Intervention de Marc Fesneau

Réunion du 21 mars 2023 à 14h30
Approvisionnement en produits de grande consommation — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Marc Fesneau :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer l’accord trouvé en CMP sur cette proposition de loi relative à la juste répartition de la valeur – sujet capital pour l’avenir de l’agriculture ! – entre les différents maillons de la chaîne agroalimentaire. C’est le signe, je crois, d’une volonté partagée avec le Parlement d’œuvrer de façon continue en ce sens.

Cette proposition de loi, sur laquelle le Sénat va se prononcer définitivement, contribuera à la poursuite du rééquilibrage des relations commerciales dans la chaîne agroalimentaire et, ce faisant, à un meilleur partage de la valeur au bénéfice des agriculteurs.

Les ajustements apportés s’inscrivent dans la continuité de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, dite Égalim 1, et de la loi Égalim 2, respectivement de 2018 et 2021, qui ont déjà produit des effets tout à fait significatifs.

C’est du reste ce que constate l’inspection générale des finances dans son rapport actualisé sur l’inflation alimentaire, qui souligne une progression de l’excédent brut d’exploitation de la filière agricole et de l’industrie agroalimentaire (IAA). Ne nous y méprenons pas, ce sont des éléments déterminants pour préserver notre souveraineté alimentaire.

À cet égard, ce texte va globalement dans le bon sens, en particulier sur la nécessaire prolongation du dispositif expérimental de relèvement du seuil de revente à perte de 10 % pour les produits agricoles et alimentaires. Cette prolongation constituait une attente très forte du monde agricole.

Sur ce point, j’aimerais saluer ici l’esprit d’ouverture dans lequel les travaux du Sénat ont été conduits. Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale proposait de prolonger l’expérimentation jusqu’en 2026. C’était aussi, vous le savez, la position exprimée clairement par le Gouvernement.

En commission, le Sénat a manifesté ses doutes – ceux-ci sont toujours utiles au débat – à l’égard de ce mécanisme, qu’il a proposé de le suspendre durant deux ans, le temps que la période inflationniste que nous traversons prenne fin.

J’avais alors rappelé devant vous, à l’occasion de l’examen du texte, qu’il s’agissait non pas d’opposer le revenu des agriculteurs à la protection du pouvoir d’achat des ménages, en particulier les plus modestes, mais bien de mener ces deux combats de front.

J’avais rappelé qu’il fallait, à mon sens, assumer collectivement le fait qu’une alimentation de qualité, sûre, produite dans des conditions respectueuses de notre environnement et de notre biodiversité ait un coût.

De même, j’avais souligné que le maintien d’un outil de production agricole et agroalimentaire dans nos territoires avait un coût. Et j’avais constaté avec vous que l’évaluation de cette expérimentation avait été rendue difficile par la crise sanitaire, à laquelle avait succédé un choc inflationniste concomitant de la guerre en Ukraine.

Il semblait donc nécessaire au Gouvernement de prolonger cette expérimentation, mais avec les dispositifs de contrôle et d’évaluation adéquats, pour répondre aux préoccupations légitimes de votre commission et de votre rapporteur.

C’est dans cet esprit que le Sénat a entendu les inquiétudes exprimées par le monde agricole et qu’il a voté la prolongation du SRP+10 jusqu’en 2025.

Bien sûr, le Gouvernement demeure convaincu qu’une prolongation de trois années à périmètre constant aurait été plus adaptée en termes de lisibilité et de cohérence du dispositif pour les acteurs des relations commerciales. Je pense naturellement à la désynchronisation des dates entre encadrements des promotions et SRP+10, ainsi qu’à l’exclusion des fruits et légumes sans justification préalable.

Toutefois, malgré ces deux réserves, l’équilibre global auquel la CMP est parvenue me semble satisfaisant.

J’en viens maintenant à l’article 3, qui fixe les modalités de la relation commerciale entre fournisseurs et distributeurs en cas d’échec de la négociation annuelle. Cette disposition, très discutée, avait pour objectif d’apporter une réponse adaptée à un angle mort des négociations commerciales annuelles.

Les opérateurs, qu’ils soient fournisseurs ou distributeurs, ont un intérêt commun à ce que les flux de ventes ne s’interrompent pas en cas d’échec de la négociation annuelle. Mais la relation commerciale doit parfois s’interrompre. C’est précisément cette situation qui requérait un encadrement juridique beaucoup plus précis.

Le Gouvernement considérait qu’un équilibre satisfaisant avait été trouvé à l’issue de vos travaux en commission. À cet égard, je tiens tout particulièrement à remercier de leur engagement Mme la présidente Sophie Primas et Mme la rapporteure Anne-Catherine Loisier, qui ont essayé de sécuriser juridiquement ce dispositif assez complexe tout au long de la navette. C’est en effet de visibilité et de clarté que les acteurs de la chaîne agroalimentaire ont besoin.

L’écriture retenue en CMP laisse un choix clair au fournisseur et dispose que tout préavis tient compte des conditions économiques de marché, précision ô combien utile en période inflationniste.

Par ailleurs, le recours à la médiation pour conclure un préavis est facultatif, ce qui évitera l’engorgement des saisines du médiateur et le report systématique que nous pouvions craindre de la date butoir.

C’est un texte qui a atteint son point d’équilibre en évitant les écueils que les versions antérieures avaient pu soulever. C’est aussi un texte empreint d’une certaine prudence, parce qu’il est expérimental. L’apport décisif du Sénat sur cet article doit être salué.

Je salue également le rehaussement des amendes administratives pouvant être infligées en cas de non-respect de la date du 1er mars. Je serai attentif à ce que nos services de contrôle s’en saisissent pleinement, afin de lutter contre les pratiques de certains distributeurs tentés de jouer la montre pour mettre la pression sur les producteurs.

Permettez-moi d’être moins disert sur les autres avancées de cette proposition de loi, que le Sénat a contribué largement à améliorer.

Le souhait d’un encadrement renforcé des pénalités logistiques est exaucé, avec des obligations plus précises et des sanctions alourdies.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez veillé au caractère opérationnel de cet enrichissement de notre cadre législatif. Il faut en finir avec cette exception très française consistant de la part de certains acteurs à reconstituer leurs marges par l’application de pénalités abusives.

Le mécanisme de suspension de l’application des pénalités logistiques en cas de circonstances exceptionnelles est également tout à fait pertinent. En témoignent les crises d’ampleur traversées ces dernières années, comme celle du covid-19, qui viennent légitimer auprès de nos concitoyens l’usage par l’État de ce type de prérogative régalienne.

Par ailleurs, la proposition de loi consacre la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve des dispositions applicables du droit de l’Union européenne, pour connaître des litiges portant sur les négociations commerciales annuelles. Il s’agissait d’un autre angle mort de notre droit qu’il convenait de rectifier. Comme vous, le Gouvernement a particulièrement à cœur de lutter contre les comportements de contournement de la loi française que nous constations tous.

Le texte apporte enfin quelques correctifs bienvenus à la loi Égalim 2, notamment en ce qui concerne la clause de renégociation, le fonctionnement de l’option 3 de transparence – un enjeu déjà soulevé par Daniel Gremillet – ou encore le renforcement du cadre applicable aux produits vendus sous marque de distributeur, que Laurent Duplomb, entre autres, a défendu. Je ne puis évidemment que partager cet objectif.

Pour conclure, je voudrais une nouvelle fois remercier tout particulièrement Mme la rapporteure et Mme la présidente de la commission de leur investissement dans l’examen de ce texte, de la finesse de leur expertise et de l’expression toujours respectueuse de leurs convictions.

Jamais les divergences de points de vue ou d’analyse qui se sont légitimement fait jour ne nous ont fait perdre de vue les finalités, à savoir la protection de nos agriculteurs et celle de notre souveraineté alimentaire. C’est ce chemin que nous devons continuer d’emprunter.

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