Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 21 mars 2023 à 14h30
Violences intrafamiliales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Éric Dupond-Moretti :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, l’enfance a été placée par le Président de la République au nombre des priorités du nouveau quinquennat, et la protection des droits des enfants est au cœur de la feuille de route du Gouvernement qui en fait un engagement fort et prioritaire.

« Le foyer familial doit être érigé en sanctuaire protecteur au sein duquel il ne saurait être accepté la moindre violence. » Voilà la directive ferme et sans ambiguïté que j’ai adressée à tous les procureurs de France dans ma dernière circulaire de politique pénale générale, en septembre dernier.

Oui, la protection des mineurs exposés aux violences intrafamiliales est l’une des priorités absolues de ma politique pénale.

Déjà, dans une circulaire du 21 avril 2022 relative à la prise en charge des mineurs présents lors d’un homicide commis au sein du couple, j’ai incité les procureurs à conclure localement des protocoles de prise en charge du traumatisme des mineurs présents lors d’un homicide commis au sein du couple, afin qu’ils soient accompagnés au mieux.

J’ai rappelé par circulaire du 28 février 2022 les dispositions du décret du 23 novembre 2021 énonçant que « lorsqu’un mineur assiste aux violences commises au sein du couple, il n’en est pas simplement le témoin, il en est victime à part entière ».

Je demande ainsi aux magistrats de restituer aux faits commis en présence d’un mineur leur exacte qualification, de veiller à la préservation des droits du mineur dans la procédure pénale et de s’assurer que la juridiction de jugement dispose d’informations lui permettant de statuer sur l’autorité parentale.

Je vous annonce la diffusion cette semaine d’une nouvelle circulaire de politique pénale en matière de lutte contre les violences faites aux mineurs.

Cette circulaire porte la lutte contre les violences sur mineurs à un niveau équivalent à celui mis en œuvre en matière de violences conjugales, dans la continuité des actions qui ont été menées ces dernières années.

Porter cette politique ambitieuse et nécessaire implique de lutter non seulement contre toutes les formes de violences qui sont faites aux mineurs dans leur quotidien proche, qu’il s’agisse du cadre familial ou institutionnel – scolaire, parascolaire, sportif, culturel, religieux, etc. –, mais également contre toutes les formes d’exploitation, comme la prostitution, dont ils sont victimes, notamment de la part de réseaux organisés.

Vous connaissez aussi ma volonté de généraliser les unités d’accueil pédiatrique enfants en danger (Uaped), avec mes collègues François Braun et Charlotte Caubel, dont je veux saluer l’engagement.

Je sais également pouvoir compter sur tous les juges des enfants, tous les juges aux affaires familiales (JAF) et tous les membres du parquet, qui exercent leurs missions au quotidien sur l’ensemble du territoire afin de protéger l’enfant dans son intégrité physique et morale, et de veiller à la préservation de ses intérêts.

Enfin, je n’oublie évidemment pas votre engagement, celui du Sénat, dans ce domaine. En témoignent les textes que vous avez été nombreux à voter au cours de l’année écoulée.

Car si le foyer familial doit être ce lieu de la sécurité affective, il est malheureusement des situations où il devient un lieu de persécution. Il en est ainsi lorsque l’un des parents devient le bourreau de l’enfant.

Ces situations viennent bouleverser le présupposé naturel sur lequel repose la relation parent-enfant. Elles mettent au jour l’inaptitude de ces parents à assurer le rôle dont la loi les a pourtant investis : protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.

Lorsque le parent maltraitant n’est à l’évidence plus en mesure d’assurer ce rôle, il faut nous résoudre à remettre en cause le lien parental.

Ces questionnements ont été menés au cours de la précédente mandature lors des travaux parlementaires relatifs à la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille. Ils vous ont conduit à doter notre droit de dispositifs innovants à même de protéger l’enfant dans sa relation avec un parent maltraitant.

Je pense, tout d’abord, au mécanisme de suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent qui est poursuivi ou condamné pour avoir commis un crime sur l’autre parent. Introduit à l’article 378-2 du code civil, c’est ce dispositif que l’article 1er de la présente proposition de loi vise à étendre.

Il s’agit, ensuite, de la possibilité pour le juge pénal de retirer l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement du parent qui a été condamné pour un crime ou un délit sur l’autre parent ou sur son enfant, objet de l’article 2 de la présente proposition de loi.

Les débats que nous menons aujourd’hui démontrent toutefois que ces dispositifs peuvent et doivent encore être améliorés.

À l’heure où l’ampleur du traumatisme engendré par les violences sexuelles n’est plus à démontrer, les conclusions intermédiaires de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) font ce constat alarmant qu’un adulte sur dix a été victime de violences sexuelles dans son enfance.

Si l’enfance est le lieu privilégié des abus, il y a donc urgence à agir afin de s’assurer que le parent maltraitant ne puisse continuer à se prévaloir de ses droits pour maintenir une emprise sur son enfant ou pour réitérer ses agissements.

L’Assemblée nationale – en particulier la députée Isabelle Santiago, ainsi que les membres de la majorité – ne s’y est pas trompée lors de ses travaux, pas plus que votre commission des lois, en adoptant le texte que nous allons examiner aujourd’hui et qui vise à renforcer la protection de l’enfant victime de violences intrafamiliales.

L’article 1er de la proposition de loi tend à modifier l’article 378-2 du code civil afin d’étendre le mécanisme de suspension de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné.

Le texte adopté vise à élargir le mécanisme de suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement en cas de poursuite ou de condamnation du parent pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, ou pour une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur la personne de l’enfant.

La rédaction retenue par la commission des lois est opportune à bien des égards.

Le choix de viser tous les crimes commis sur l’enfant constitue ainsi une amélioration sensible du dispositif puisqu’il évite d’introduire une hiérarchie inopportune entre les crimes dont un enfant peut être victime.

Il le limite toutefois aux infractions les plus graves afin de garantir la constitutionnalité et la conventionnalité du dispositif. Une disposition miroir est prévue à l’article 2 bis de cette loi pour permettre une délégation forcée de l’exercice de l’autorité parentale dans ces hypothèses, initiative que je soutiens fortement.

Il est cependant regrettable que la commission des lois n’ait pas repris le mécanisme qui, dans ces cas de suspension, dispensait le parquet de saisir pour une confirmation le juge aux affaires familiales, car on constate en pratique que ce n’est que très rarement fait. Cette situation n’est d’ailleurs pas sans poser quelques difficultés quant au rétablissement ou non des droits de l’autre parent…

L’article 2 de la proposition de loi tel qu’il est issu des travaux de votre commission tend à créer trois mécanismes de retrait facultatif de l’autorité parentale ou de son exercice.

Saluons ici la volonté de votre commission, madame la rapporteure, de renforcer la protection des enfants. Toutefois, cet article 2 ne permet pas d’atteindre pleinement cet objectif.

En droit positif, le juge pénal a déjà l’obligation de se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice en cas de viol, d’agression sexuelle ou de violence.

Il apparaît plus efficace et protecteur de l’intérêt de l’enfant de créer un mécanisme de retrait obligatoire de l’autorité parentale ou de son exercice pour les crimes et les agressions sexuelles incestueuses commis sur l’enfant et les crimes commis sur l’autre parent, avec une possibilité pour le juge d’y déroger par une motivation spéciale. Il s’agit là de mettre en œuvre les recommandations du rapport intermédiaire de la Ciivise.

L’article 3, quant à lui, vise à ne pas laisser le code pénal en reste et à le faire évoluer en conformité avec les modifications introduites dans le code civil. J’observe que la rédaction de cet article laisse transparaître un souci de simplification puisqu’il procède manifestement de la volonté d’inciter les magistrats à faire directement usage des dispositions du code civil, auquel il est renvoyé.

Le texte présente également l’intérêt de regrouper en un article unique du code pénal les dispositions qui ont trait à l’autorité parentale, lesquelles sont en droit positif dispersées dans différents chapitres du code pénal. En la matière, la simplification est évidemment la bienvenue.

Je suis d’avis de parfaire cette idée en soutenant l’un des amendements visant à ajouter dans votre texte une expression classique dans le code pénal en cas de renvoi à une autre disposition : « et selon les distinctions prévues par… ».

Toutefois, la commission a également souhaité introduire la possibilité, pour la juridiction de jugement, de renvoyer l’affaire à une date ultérieure pour statuer sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale. Je suis réservé quant à cette disposition, car elle porte en elle un risque, qui n’est pas à écarter, d’augmentation de la charge des audiences et, subséquemment, des délais d’audiencement, lesquels sont un facteur à part entière de l’efficacité de la justice. Il conviendrait que le texte précise bien qu’un tel renvoi de la décision portant sur l’autorité parentale ne peut intervenir qu’une fois la décision sur la peine rendue.

Les réflexions doivent donc se poursuivre dans le cadre de vos débats. J’ai à cœur d’aboutir avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, à un dispositif ambitieux, mais respectueux de nos principes constitutionnels.

Aussi, je forme le vœu que nos débats nous permettent d’envoyer un signal fort à tous les enfants victimes de violences intrafamiliales.

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