Intervention de Brigitte Lherbier

Réunion du 21 mars 2023 à 14h30
Violences intrafamiliales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Brigitte LherbierBrigitte Lherbier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le retrait de l’autorité parentale est, dans notre culture, encore difficile à envisager. Pourtant, cette option reste nécessaire dans l’éventail des moyens de protection de l’enfant victime de sa famille.

Depuis des décennies, les philosophies des acteurs de la protection de l’enfant s’affrontent. Le législateur doit trancher : pour nous, il est indispensable de sanctionner le parent coupable de violences extrêmement graves sur l’enfant et de protéger cet être vulnérable physiquement en l’éloignant juridiquement de l’autorité dont il dépend et qui le détruit.

De 1979 à 1982, dans le cadre de mes études, j’avais travaillé sur la situation des enfants placés dans les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass), qui dépendaient alors de l’État, souvent pour des faits de violences intrafamiliales graves. J’avais à l’époque remarqué que de nombreux enfants placés, en principe temporairement, étaient oubliés dans leur lieu de placement, sans surveillance, par l’administration toute puissante. Les enfants étaient souvent transférés à la campagne, au vert, loin des « mauvais parents ». Ceux-ci n’avaient plus de droits sur la vie de leurs enfants du fait, non de la loi, mais de la toute-puissance de l’administration.

La loi du 24 juillet 1889 – cela ne date pas d’hier ! – avait installé cette disjonction de protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés, par l’éloignement des parents et par la déchéance de leurs droits de puissance paternelle.

Ce texte était fondé sur le caractère exemplaire de la peine. Il pouvait avoir – du moins l’espérait-on – un rôle dissuasif à l’égard des parents qui compromettaient la santé, la sécurité ou la moralité de leurs enfants. Mais il n’abordait pas le devenir des enfants. La seule mesure pérenne pour eux était le placement, le plus souvent irréversible.

La loi du 4 juin 1970 a remplacé la puissance paternelle par l’autorité parentale. Elle marque une étape essentielle dans l’évolution de la protection de l’enfant en ce qu’elle consacre l’égalité des parents.

À partir de cette époque, si le magistrat peut retirer l’enfant de sa famille en cas de nécessité, il doit s’efforcer, par principe, de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée et faire en sorte que les liens soient maintenus dans la mesure du possible.

Le législateur de l’époque a cependant prévu une divisibilité des prérogatives de l’autorité parentale. La loi prévoit ainsi de diminuer les possibilités légales des père et mère quant à l’éducation de l’enfant si son intérêt le justifie.

Le législateur présente les mesures restreignant l’autorité parentale en respectant une gradation. Les magistrats, dès lors, peuvent limiter, voire retirer, l’autorité parentale des parents. Cependant, dès cette époque, le législateur invite les juges à considérer la mesure prise comme provisoire et à recourir le plus souvent possible à l’assistance éducative.

En ce qui concerne les mesures judiciaires propres à l’enfant, la loi du 6 janvier 1986 est venue renforcer les droits de la famille, en exigeant que les mesures soient limitées dans le temps, c’est-à-dire en deçà de deux ans.

Aujourd’hui, la révision des situations est orientée avant tout vers le retour de l’enfant dans sa famille, quoi qu’il en soit.

Avant les lois de décentralisation de 1983, la protection de l’enfant en danger reposait sur l’État. C’est la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance qui a organisé la protection de l’enfance en danger.

Cette loi fixe les attributions du département. Elle établit les responsabilités de prévention, de détection et de protection des enfants maltraités en redéfinissant le rôle de chaque autorité. C’est à partir de là qu’apparaissent des antagonismes.

En 1997, j’ai soutenu une thèse sur la collaboration des institutions – pénales, civiles, sociales, médicales, éducatives – protégeant l’enfant. Chacune avait son rôle de détection, de signalement au juge, de prise en charge de l’enfant maltraité. Des progrès énormes ont été faits depuis trente ans, mais force est de constater que la coordination des justices pénale et civile n’est toujours pas évidente. Le dépôt en 2023 de cette proposition de loi montre que nous devons encore apporter des précisions.

Je voterai ce texte, car il replace l’enfant victime au cœur du dispositif judiciaire. Coordonner le civil et le pénal est une priorité pour la protection de l’enfant victime. C’est mon intime conviction. Le retrait de l’autorité parentale peut être nécessaire pour arrêter la reproduction de la violence familiale au sein des générations suivantes, mais il faut, en même temps, prévoir l’avenir de cet enfant, lui donner une stabilité juridique et une institution affective définitive.

Je compte sur vous, mes chers collègues, et surtout sur vous, monsieur le garde des sceaux, pour mettre à profit l’expérience qui est la vôtre en la matière.

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