Intervention de Karine Pinon

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 28 mars 2023 à 13h30
Audition de représentants des laboratoires et entreprises pharmaceutiques

Karine Pinon, présidente de l'Association des moyens laboratoires et industries de santé (Amlis) :

L'Amlis représente environ 168 petites ou moyennes entreprises (PME) françaises, qui emploient 24 000 personnes sur le territoire national et produisent 34,4 % des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) consommés en France - c'est-à-dire les médicaments qui traitent les maladies chroniques affectant 95 % des personnes prenant des médicaments après cinquante ans, qu'il s'agisse du diabète ou de l'hypertension, et dont l'interruption engage le pronostic vital du patient.

Par ailleurs, 55 % de la production de ces MITM est réalisée en France et 90 % en Europe. Nous sommes donc, en quelque sorte, les petits frères du G5 Santé.

L'indépendance sanitaire nous touche particulièrement. Nous mettons plutôt l'accent sur ce que l'on appelle des « produits matures », c'est-à-dire sur les médicaments qui font le quotidien des Français souffrant d'hypertension, de diabète, d'épilepsie ou autres. Ces médicaments ont connu des baisses de prix successives. Le système consistant à financer l'innovation par des réductions de prix des produits matures arrive en bout de course, puisque certains produits matures ont désormais atteint un niveau de prix qui ne leur permet plus d'être économiquement viables. Notre analyse est formelle : cet état de fait explique en grande partie les ruptures.

En parallèle des baisses de prix successives, nous avons assisté à une augmentation des normes de qualité. La sérialisation représente environ 20 centimes par boîte : tout cela a été absorbé par les fabricants. Qu'il s'agisse des recherches de nitrosamines ou des normes ICH Q3D, le coût a été totalement neutre pour la sécurité sociale.

Le contexte inflationniste vient aggraver une situation déjà difficile. Je pense à l'augmentation des intrants, du verre, du carton, de l'aluminium, etc. La hausse est évaluée entre 15 % et 20 % au cours des deux dernières années, même si certains principes actifs pharmaceutiques (Active Pharmaceutical Ingredients, ou API) ont pu connaître plus de 300 % d'augmentation. L'augmentation du prix du verre atteint, par exemple, plus de 600 %, avec des temps d'approvisionnement de plus en plus longs, sans parler de la hausse du coût de l'énergie, qui pèse lourd sur la sous-traitance pharmaceutique (Contract Development Manufacturing Organisations, ou CDMO). Notre industrie est également soumise à une augmentation de la masse salariale située autour de 7 %. Or, contrairement au boulanger qui peut augmenter le coût de la baguette, nous ne pouvons pas augmenter le prix des médicaments que nous produisons et nous devons absorber intégralement la baisse de nos marges. Sur des produits classiques, avec une marge brute de moins de 20 %, il ne nous est plus possible de faire face aux coûts réglementaires et de qualité.

Reprenons l'exemple du bicarbonate de sodium, produit absolument indispensable présent dans les solutés de perfusion : on nous demande de vendre le flacon stérile en verre de 500 millilitres 1,40 euro, soit à peu près le prix d'une baguette. Or fabriquer ce flacon coûte 1,74 euro. Le fabricant doit vendre ce produit moins cher qu'il ne coûte !

Autre exemple : les comprimés utilisés dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) pour calmer les personnes atteintes de démence sénile et dans les prisons pour calmer les détenus en cure de désintoxication. Il est demandé de vendre 0,89 euro une boîte de 50 de ces comprimés conditionnés en blisters aluminium - processus de suivi et de qualité compris. Sur cette boîte, le pharmacien touche 1,01 euro d'honoraires de dispensation, tandis que le fabricant ne touche que 0,12 euro de marge brute ! C'est impensable.

La production ne pouvant plus être assurée, des décisions de déremboursement sont prises. Les problèmes économiques expliquent donc les ruptures d'approvisionnement, mais aussi les arrêts de commercialisation, car on ne peut plus produire à perte.

Ces arrêts de commercialisation ont pour conséquence une diminution de l'arsenal thérapeutique. Les médecins ont alors un moindre choix de traitements pour soigner leurs patients.

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