Intervention de Laurent Borel-Giraud

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 28 mars 2023 à 13h30
Audition de représentants des laboratoires et entreprises pharmaceutiques

Laurent Borel-Giraud, représentant de l'association Générique même médicament (Gemme) :

Le Gemme réunit les entreprises françaises - exploitants ou fabricants - de médicaments génériques. Nos produits, distribués en pharmacie, en ville ou à l'hôpital, sont des médicaments du quotidien, qui couvrent un grand nombre de pathologies.

L'industrie du générique se caractérise par un volume et un portefeuille de produits importants - plus d'un médicament sur deux distribués en officine est générique -, un niveau de prix bas et une faible rentabilité. En France, son impact est significatif en termes d'économies pour l'assurance maladie, à hauteur d'à peu près deux milliards d'euros par an. Nos laboratoires proposent une offre diversifiée d'exploitants et de multiples sources de production. Ils sont majoritairement implantés en Europe et fortement en France, ce qui augmente notre capacité à gérer les risques de rupture.

Pour ce qui concerne le contexte actuel, nous pensons que la situation constatée est durable. Elle est la conséquence de causes structurelles, qui fragilisent la chaîne d'approvisionnement des médicaments à faible marge, et de situations conjoncturelles aggravantes, qui augmentent les risques et les pénuries.

J'en viens au diagnostic. Comme nos collègues, nous avons, depuis plusieurs années, alerté les autorités sur le poids excessif de la régulation économique, qui fragilise l'industrie du générique et dont la première conséquence est l'augmentation du risque de pénurie.

Deuxième conséquence : le risque imminent d'une réduction de l'offre d'acteurs et de produits sur le marché. Nous recensons, chez nos adhérents, plus de 700 présentations pharmaceutiques peu ou non rentables, dont nous envisageons l'arrêt de commercialisation à court ou moyen terme, soit à peu près 12 % des volumes de médicaments génériques aujourd'hui commercialisés - essentiellement des MITM.

Troisième conséquence : la difficulté persistante à investir dans la sécurisation de nos approvisionnements. Le faible niveau du prix des génériques limite la capacité des laboratoires à trouver, sur notre territoire, des fournisseurs acceptant de fabriquer à ces prix, dans un contexte d'insuffisance des capacités mondiales de production.

J'en viens aux causes. Premier point, la pression économique est croissante sur les médicaments génériques, qui sont, par nature, à marge faible, ce qui conduit à remettre en cause les baisses de prix excessives. Depuis dix ans, la régulation économique a fondé le modèle du marché des médicaments génériques exclusivement sur la maîtrise des coûts : divers outils ont été mis en place pour diminuer autant que possible le prix de ces produits. Ainsi, les dépenses de l'assurance maladie ont été divisées par deux entre 2010 et 2020, alors que les volumes de médicaments consommés augmentaient.

Le deuxième point est l'absorption des coûts de fabrication additionnels, liés à de nouvelles réglementations toujours plus exigeantes en termes de sécurité et de qualité, mais aussi à des événements externes - Brexit, stratégie zéro covid dans certaines régions du monde, complexité des relations internationales - qui ont obligé à réorganiser les chaînes de production.

Troisième point : face à cette situation de baisse des prix de vente et d'augmentation des coûts de production, l'industrie des médicaments génériques a optimisé ses chaînes d'approvisionnement, ses sites de fabrication et ses capacités de production, et a recherché des composants moins chers, souvent hors d'Europe. Les usines du secteur sont désormais exploitées au maximum pour rester rentables : il n'y a plus de capacités inutilisées sur les chaînes d'approvisionnement, ce qui permet de faire face à des poussées occasionnelles de la demande ou à des événements imprévisibles. Il en découle que, malgré la constitution de stocks de sécurité, le secteur est beaucoup plus sensible aux fluctuations et exposé aux pénuries.

Enfin, un effet majeur récent s'ajoute à l'étau économique : l'application, depuis 2019, de la clause de sauvegarde au périmètre des génériques et l'augmentation extraordinaire de son montant.

Depuis trois ans, nous alertons sur l'impasse économique d'une partie grandissante du portefeuille générique. Le secteur est sous la pression économique d'un modèle qui persiste à taxer ces médicaments à faible marge pour financer la croissance des dépenses, dont il n'est pas à l'origine, mais qu'il rend possible par les économies qu'il génère.

J'ajoute deux points importants. Premièrement, la mise en oeuvre de solutions productives dans les usines est freinée par des réglementations pharmaceutiques, dont certaines, spécifiques au marché français, pénalisent la fabrication des produits français de ces usines, qu'elles soient situées en France ou en Europe. Nous travaillons évidemment avec l'ANSM et l'Agence européenne des médicaments (EMA) sur ces sujets. Il faudrait accélérer la prise de décision pour éviter que ne se produisent davantage de situations de rupture.

Deuxièmement, je veux souligner l'existence d'une pratique d'appels d'offres publics basée sur des politiques d'achat dangereuses, lorsqu'elles ne sont pas contrebalancées par des politiques d'approvisionnement responsables. J'ai évoqué les critères d'attribution que nous appelons de nos voeux, et qui ne sont toujours pas appliqués ; j'y ajoute la prévisibilité et les délais, sans lesquels nous détruisons de la valeur industrielle et des capacités de production, voire, dans certains cas, des produits.

Nous proposons plusieurs solutions pour lutter contre le risque de pénuries et atténuer l'impact de celles-ci.

Premier volet : établir une liste de médicaments prioritaires et clarifier son objectif. Souhaitons-nous sécuriser un approvisionnement ordinaire ou de gestion de crise ? Voulons-nous relocaliser ou sécuriser nos approvisionnements ? Il nous semble important de sanctuariser des conditions économiques pérennes, quelles que soient les modalités utilisées.

Deuxième volet : préserver la résilience permise par l'offre générique et autoriser l'investissement dans les chaînes d'approvisionnement.

Les deux volets suivants regroupent des actions opérationnelles non économiques qui peuvent influer significativement sur notre capacité à éviter des ruptures ou à en atténuer l'impact.

Troisième volet : procéder à des simplifications réglementaires pour augmenter la capacité productive, réduire l'inefficacité et les coûts. Il convient de supprimer les exceptions françaises qui rendent nos produits plus complexes à fabriquer et interdisent le recours à une meilleure productivité dans des usines françaises, européennes ou hors Europe. Il faudrait aussi accélérer les travaux en vue d'un accès digital aux notices via un QR code, si possible en utilisant un pack européen permettant aux entreprises de mieux répondre aux enjeux de protection des médicaments, en particulier ceux, génériques ou non, qui sont destinés aux hôpitaux. Enfin, en vue de diminuer les causes de ruptures longues, il serait intéressant de prévoir des flexibilités réglementaires favorisant l'utilisation de médicaments produits par des pays voisins, que nous ne produisons pas pour des raisons économiques.

Quatrième volet : améliorer nos dispositifs d'anticipation et la vigilance, en y ajoutant transparence et coopération, en particulier avec les pharmaciens. Il s'agit d'encadrer le partage des alertes et d'accélérer la mobilisation de stocks quand existent des alternatives, de faire preuve d'agilité et d'impliquer davantage les distributeurs et les dispensateurs dans la gestion de l'information. Nous avons constaté que des crises impliquant plusieurs acteurs et canaux de distribution étaient particulièrement compliquées à gérer : il nous faut continuer à progresser en mettant tous les interlocuteurs autour de la table.

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