Intervention de Corinne Blachier-Poisson

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 28 mars 2023 à 13h30
Audition de représentants des laboratoires et entreprises pharmaceutiques

Corinne Blachier-Poisson, présidente de l'Association des groupes internationaux pour la pharmacie de recherche (Agipharm) :

Agipharm, l'association des laboratoires américains présents en France, regroupe 15 sociétés de taille variable - de grands groupes historiques comme MSD, Janssen ou Pfizer ; des sociétés de taille moyenne, comme le laboratoire de biotechnologies Amgen, que je préside ; de petites sociétés, récemment installées en France, qui commercialisent une ou deux molécules. Il s'agit principalement de laboratoires d'innovation ; certains ont dans leur portefeuille des médicaments devenus matures dont ils n'ont plus le brevet. Je concentrerai mon propos sur l'innovation.

Les entreprises membres d'Agipharm sont très présentes dans les domaines de l'oncologie, de l'hématologie, des maladies rares, des vaccins et des maladies chroniques - maladies mentales, cardiovasculaires, cardiorénales. Elles sont à l'origine de plus de 50 % des accès précoces en France, ce qui est le signe d'une innovation continue, et travaillent avec des centres de recherche fondamentale français ainsi qu'avec des centres de recherche clinique.

Les tensions d'approvisionnement qui existent aujourd'hui sur les produits matures peuvent aussi apparaître, de manière conjoncturelle, sur les produits innovants, pour trois raisons que nous avons identifiées.

Première raison : les niveaux d'exigence pour les processus de fabrication sont très élevés, induisant des investissements importants et des délais de validation et de mise au point assez longs. Le domaine de compétence d'Agipharm couvre, en effet, les molécules biologiques, les molécules chimiques ainsi que les médicaments de thérapie innovante (MTI).

Deuxième raison : le passage à l'échelle industrielle nécessite des délais incompressibles, des investissements considérables, des mises au point de processus et des validations par les agences, ce qui peut retarder la fabrication et la mise à disposition de certains produits.

Troisième raison : la multiplicité des composants entrant dans la fabrication d'une molécule. Par exemple, Pfizer a besoin de 270 à 280 composants pour produire son vaccin à ARN messager. Le manque d'un seul composant a un impact sur l'ensemble de la chaîne.

Pour illustrer le sujet de la concentration de certaines compétences, j'évoquerai les vecteurs viraux, nécessaires notamment pour la fabrication de vaccins à ARN messager. Il y a très peu de producteurs de vecteurs au niveau mondial ; on en a pourtant besoin pour produire les CAR-T cells (cellules T à récepteur antigénique chimérique), qui sont des médicaments de thérapie innovante. La priorité donnée à la production de vaccins en 2021 et 2022 a eu pour effet la diminution de la production et de l'administration desdits médicaments. Les arbitrages se font au niveau mondial entre les différents producteurs, ce qui est peu compréhensible pour le public.

Il est difficile de prévoir les besoins de production, du fait d'une demande mondiale qui peut connaître des hausses conjoncturelles absolument imprévisibles. J'en veux pour preuve le cas de l'amoxicilline : personne n'était capable d'anticiper l'augmentation de la demande. Ce problème n'est pas simple à résoudre au sein des usines, et peut avoir de graves conséquences.

Par ailleurs, la sécurité d'approvisionnement n'est pas liée au lieu de production. Le fait de disposer de chaînes de production intégralement localisées en France n'est pas une garantie de disposer de l'ensemble des médicaments dont nous avons besoin. Au vu du nombre de molécules à la disposition des praticiens français et de composants nécessaires à leur fabrication, il n'est pas réaliste de penser que l'on pourra rapatrier la production de tous ces produits. Un certain nombre d'entre eux viennent donc, et viendront, d'autres sites de production. À cet égard, il importe qu'un site principal de production soit couvert par un site d'urgence. Par exemple, dans ma société, voilà quelques années, une usine d'anticorps monoclonaux installée aux États-Unis a été frappée par un ouragan ; notre usine d'urgence a pu, du jour au lendemain, reprendre la production.

Surtout, il est pertinent de créer de la flexibilité au niveau européen entre les sites de production afin de répondre à la demande, qui peut grandement varier. En tant qu'industriels, nous cherchons toujours à répondre au marché, mais aussi à nous prémunir d'un risque : la destruction de produits. D'où l'intérêt de constituer des stocks de sécurité. Nous avons aujourd'hui des stocks de deux mois, ce qui nous paraît satisfaisant. L'augmentation de ces stocks aurait un effet délétère, avec un risque de surenchère entre les pays européens et de destruction massive des stocks non utilisés.

Très peu de marchés sont stables aujourd'hui ; la plupart connaissent des hausses et des baisses soudaines, du fait de la présence de concurrents ou d'un changement de stratégie thérapeutique, ce qui peut conduire à détruire des produits. Or c'est préjudiciable d'un point de vue éthique, et les patients pourraient ne pas le comprendre.

Notre recommandation globale est donc une réponse européenne concertée entre États membres, basée sur des critères stratégiques.

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