Ces différentes questions nous conduisent très loin : il faudrait que vous nous invitiez pour une nouvelle audition d'une heure et demie...
Madame la rapporteure, je vous rejoins au moins sur un point : il est tout à fait anormal que nous ayons cette discussion sur les prix nets des médicaments dont les brevets sont tombés. Nous sommes demandeurs d'une métrologie commune avec l'assurance maladie, pour que les chiffres soient communs et objectivés sous double timbre. C'est dire quel est notre degré de certitude quant aux prix nets de ces produits !
L'opacité entretenue n'est pas de notre fait. Elle permet de contester systématiquement ce que nous avançons. Or les chiffres invoqués ne correspondent pas à la réalité que nous observons. À notre tour, nous vous avons donné des chiffres, des tarifs de remboursement et des coûts de revient - je parle bien des produits dont les brevets sont tombés et pour lesquels tous les éléments sont sur la table.
Madame Gruny, vous évoquez la fuite des cerveaux. Ce qui me préoccupe, c'est plutôt une forme de schizophrénie de la politique du médicament : tout en menant des politiques industrielles extrêmement volontaristes, on fait tout pour détruire le marché. Comme le souligne M. Milon, nous sommes face à un problème de gouvernance. On met en oeuvre des mécanismes d'incentive industriels sans pour autant gérer les problématiques d'accès et de tarification du médicament, qui vont pourtant de pair. Aujourd'hui, le degré de régulation est tel que nous devons réconcilier les deux exercices et mettre en oeuvre une véritable gouvernance de la politique du médicament, ce qui suppose un pilote unique.
Madame la rapporteure, j'en viens aux PGP. La gestion des ruptures mobilise de plus en plus de moyens, sous le contrôle de l'ANSM. Pour plus d'une spécialité sur deux, on a recours au contingentement, avec parfois un arrêt du circuit de ville pour prioriser le circuit hospitalier. On a créé des stocks de dépannage d'urgence. On adresse des messages directement aux grossistes-répartiteurs pour interrompre la vente de produits à l'étranger. On a mis en oeuvre des actions d'information et d'accompagnement des professionnels de santé, via l'ANSM ou le portail DP-Ruptures - j'ai vu, à ce propos, que vous aviez reçu les pharmaciens d'officine. On contacte directement les associations de patients pour les informer. On réoriente des lots initialement destinés à d'autres marchés, voire des lots de laboratoires concurrents.
Nous sommes donc extrêmement actifs. Nous allons également contribuer au plan gouvernemental en faisant des propositions, qui seront rendues publiques dans quelques semaines. Je peux d'ores et déjà vous en indiquer les principales.
Premièrement, nous avons besoin d'une liste des médicaments critiques à sécuriser de manière prioritaire. Il faut y adosser un dispositif de financement spécifique, ce qui, à ma connaissance, n'est pas le cas aujourd'hui. Cette liste doit être, si possible, européenne ; peut-être le Sénat pourra-t-il nous aider dans cette tâche.
Deuxièmement, il faut optimiser la transparence et la qualité de l'information circulant entre les acteurs. À ce titre, nous avons besoin d'une meilleure visibilité sur l'état des stocks des médicaments en tension ou en rupture sur l'ensemble de la chaîne. Il faut diffuser une information fiable. On parle beaucoup de notre obligation de stockage, mais il faut garder à l'esprit que nous n'avons pas connaissance des stocks des grossistes-répartiteurs : ils ne sont pas visibles pour nos industriels.
Troisièmement, nous avons besoin de mobiliser les autorités pour obtenir des mesures d'optimisation réglementaire. Il faut fluidifier la production, éviter les transferts de stocks entre États de l'Union européenne, ce qui revient à lutter contre les phénomènes d'exportations parallèles, et déployer des réglementations harmonisées spécifiques aux médicaments. Ces assouplissements réglementaires doivent permettre la mise en place de la e-notice. De surcroît, il faut interdire l'exportation des médicaments signalés en tension, et non des seuls médicaments en rupture. Il faut également anticiper les impacts des réglementations environnementales sur la disponibilité des médicaments.
Quatrièmement, il faut faire converger les différentes législations européennes. À cet égard, un exemple me semble particulièrement parlant : l'Union européenne compte 23 calendriers vaccinaux pour 27 États membres ! Cela signifie que, lorsque la France subit une rupture d'approvisionnement pour un vaccin, elle ne peut pas importer de vaccins belges. On doit renforcer le rôle de la France dans la révision de la législation pharmaceutique européenne, dans le cadre de laquelle ces sujets doivent être traités. J'y insiste, il faut assurer l'européanisation de la problématique des ruptures.
Cinquièmement, il faut redynamiser l'investissement et pérenniser l'outil industriel ; nous avons longuement évoqué ces enjeux. Nous avons parlé de l'articles 65 de la LFSS et de l'article 28 de l'accord-cadre. On pourrait aussi concevoir d'utiliser la fiscalité de manière un peu plus attractive qu'aujourd'hui, afin de mieux reconnaître les investissements. Nous avons mentionné les conditions économiques : il faut prendre des mesures d'urgence pour les médicaments en situation de vulnérabilité économique.
Au-delà, nous avons besoin d'une gouvernance claire. Je le répète, nous avons le sentiment que la gouvernance du médicament est devenue schizophrène. Il faut réconcilier les exercices, faire des choix clairs, fixer des priorités et les assumer politiquement.
Enfin, je rappelle qu'au cours des dix dernières années la dépense de médicaments a été totalement contenue. Nous vous produirons les chiffres : elle a été privée de toute croissance. Elle a été, en quelque sorte, la variable d'ajustement des Ondam successifs.