Intervention de Juliana Veras

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 29 mars 2023 à 13h35
Audition de mmes catherine simonin représentante de france assos santé juliana veras coordinatrice de médecins du monde docteurs julie allemand-sourrieu représentante du collectif santé en danger franck prouhet représentant du collectif notre santé en danger et M. Christophe duGuet représentant de l'afm-téléthon

Juliana Veras, coordinatrice de Médecins du Monde :

Nous avons déposé deux oppositions à des brevets pour le Sofosbuvir et le Kymriah et formulé deux observations de tiers sur les vaccins contre le covid-19.

Les industriels multiplient les demandes autour d'un même produit : ils souhaitent breveter toute la chaîne de production. L'activité inventive, la nouveauté et l'application industrielle sont des critères de brevetabilité. Mais c'est une fiction juridique, qui peut être interprétée de façon large ou restrictive. Un rapport de 2019 sur la concurrence dans le marché pharmaceutique européen a influencé la démarche Raising the Bar adoptée par l'OEB, visant à rendre plus rigoureuse l'adoption des critères de brevetabilité. Mais ce projet semble avoir été abandonné. De plus, des combinaisons de molécules existant déjà dans l'état de l'art ne devraient pas faire l'objet de brevets ; je pense notamment aux polymorphes.

Nous disposons d'une connaissance concrète de l'impact des prix sur les rationnements. Nous travaillons avec des consommateurs de drogue, très touchés par l'hépatite C : ils ont besoin du Sofosbuvir. Nous nous sommes également intéressés aux conséquences sur le système de santé lui-même, qui n'est pas décorrélé du prix des médicaments.

La licence d'office est un outil pour la mise en place de génériques ; elle a été utilisée par plusieurs pays et a permis de nombreuses économies. Elle pourrait être utilisée pour le Sofosbuvir, dont le prix demeure élevé du fait d'une situation de monopole. Nombre d'acteurs, notamment le Sénat, ont souligné les abus de ce modèle économique.

Dr Julie Allemand-Sourrieu. - Il est nécessaire d'harmoniser les prix au sein de l'Union européenne, afin que les États membres ne se concurrencent pas entre eux. Il convient également de fluidifier le marché du médicament pour que les pays de l'Union puissent s'aider mutuellement, via une harmonisation des étiquetages et des marchés nationaux.

L'extension des dates de péremption est une piste intéressante. Cela suppose toutefois de mener des études de stabilité sur les principes actifs, qui pourraient s'appuyer sur les travaux des Observatoires du médicament, des dispositifs médicaux et d'innovation thérapeutique (Omedit).

Le portail DP-Ruptures, utilisé par les pharmaciens, devrait également être accessible aux prescripteurs : la coordination et les outils de communication sont essentiels sur le terrain.

Il me semble que l'innovation est largement financée par les deniers publics, avec, en contrepartie, un prix trop bas pour les médicaments essentiels et matures. Un nouvel équilibre devra être trouvé à l'avenir.

Dr Franck Prouhet. - Je me concentrerai sur l'impuissance des pouvoirs publics. En mars 2020, Paul Hudson, PDG de Sanofi, avait annoncé que les Américains disposeraient du vaccin contre le covid-19 avant les Français, compte tenu de son prix plus élevé aux États-Unis. Il est vrai que Sanofi avait alors reçu 280 millions d'euros du gouvernement américain ; l'action du groupe avait monté de 10 %. Dans ce bras de fer, les pouvoirs publics refusent d'utiliser les instruments qui sont à leur disposition. En une dizaine d'années, Sanofi a reçu près de sept milliards d'euros au titre du crédit d'impôt recherche, alors que l'entreprise licenciait 5 000 chercheurs et délocalisait ses activités de recherche aux États-Unis.

Le gouvernement s'est toujours refusé à utiliser l'article L. 3131-15 du code de la santé publique autorisant les réquisitions de certains produits. Le cas du Sovaldi est emblématique : la France payait entre 24 000 et 75 000 euros pour un traitement de trois mois, quand l'Égypte payait 300 euros, car ce pays refusait la brevetabilité de ce médicament. Lors de la crise sanitaire, le gouvernement aurait pu demander à ses représentants à l'OMC de lever les brevets sur les vaccins.

En France, l'impuissance est organisée, car il existe depuis des décennies de fortes connivences entre les pouvoirs publics et les laboratoires, devenus des mastodontes au plan international : l'exemple de Servier le prouve. Nous devrons tôt ou tard aborder ce sujet.

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