Intervention de Reda Guiha

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 29 mars 2023 à 16h30
Audition de M. Reda Guiha président de pfizer france

Reda Guiha, président de Pfizer France :

Je vous remercie de nous avoir invités pour évoquer ce sujet particulièrement important des pénuries de médicaments. Ce phénomène, complexe et multifactoriel, constitue une préoccupation majeure pour Pfizer, comme pour toutes les parties prenantes de notre système de santé. J'ajoute qu'à titre personnel, en tant que pharmacien, cette question me tient particulièrement à coeur.

Notre portefeuille de produits en France comprend 120 médicaments et vaccins, soit 351 présentations. À 90 %, ces produits sont des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM), faisant l'objet de plans de gestion des pénuries (PGP). Nos médicaments permettent de traiter de nombreuses pathologies dans des aires aussi différentes que l'immunologie, l'oncologie, la virologie, les vaccins, les maladies rares et la médecine interne.

S'agissant des produits en cours de développement, nous comptabilisons à ce jour 110 programmes de recherche, dont 23 en phase 3 et 16 en phase d'enregistrement. En 2021, près de 9 000 patients étaient inclus dans nos essais cliniques en France.

Pfizer dispose de 36 sites de production en propre, localisés en Europe, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Océanie et Asie. Notre chaîne d'approvisionnement et de production comprend également plus de 315 sites externes, répartis dans 44 pays, dont 14 pays européens.

Notre entreprise est très peu dépendante de la Chine et de l'Inde. Les trois quarts de la production de médicaments réalisée dans ces deux pays sont destinés à leur approvisionnement. La production en provenance de ces pays ne représente pas plus de 0,6 % de nos médicaments distribués en France, dont 98 %, d'ailleurs, sont fabriqués en Europe.

Enfin, nous mettons à disposition des patients des médicaments très innovants comme des produits plus matures, des médicaments chimiques comme biologiques, des anticorps monoclonaux comme des vaccins, des médicaments biosimilaires comme, bientôt, des médicaments de thérapie génique.

Comprenez donc qu'au sein d'un portefeuille aussi diversifié, tous nos médicaments ne soulèvent pas les mêmes enjeux.

Pour en venir aux pénuries, celles-ci constituent un phénomène global, qui ne se restreint pas à la France et dont les causes sont nombreuses.

Ces causes peuvent être externes. Ce peut être une augmentation brutale et imprévisible de la demande sur certains produits - ce fut le cas au début de la crise du covid-19 pour les curares, avec une multiplication par quatre de la demande en quelques jours et la nécessité dans laquelle nous nous sommes trouvés de devoir livrer l'équivalent de plusieurs mois de stock en quelques semaines. Ce peut être, aussi, une situation de tension ou de rupture affectant une entreprise concurrente, qui nous oblige alors à fournir des volumes exceptionnels. Ces phénomènes peuvent être amplifiés par la pratique, par certains grossistes, d'exportations parallèles.

Ces causes peuvent être internes. Nous pouvons ainsi subir des retards liés à des problèmes industriels affectant des fournisseurs, par exemple de matières premières, d'excipients ou d'articles de conditionnement. Nous pouvons également - c'est un point fondamental - avoir engagé des investigations en matière de qualité. Tous nos médicaments sont effectivement soumis à des processus de qualité particulièrement stricts.

Dans la grande majorité des cas, les pénuries de médicaments sont indépendantes des décisions prises par les entreprises pharmaceutiques. C'est pourquoi, afin de prévenir les situations de rupture, nous travaillons main dans la main avec le Gouvernement et les autorités, notamment l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), dont les équipes sont particulièrement à l'écoute et réactives.

Malgré tous nos efforts, Pfizer connaît malheureusement des situations de tension ou de rupture.

En 2022, nous avons adressé 123 notifications de risque de rupture ou de rupture projetée à l'ANSM. Un tiers de ces notifications étaient liées à des causes externes, les deux tiers à des causes internes, dont, pour 10 % du total, des investigations complémentaires en matière de qualité. Seules 41 notifications ont abouti à une rupture effective d'approvisionnement, avec une durée moyenne de ces épisodes de 45 jours. Dans les 82 autres cas - soit les deux tiers des cas -, des solutions ont été trouvées pour garantir l'approvisionnement du marché. Ceci a été possible grâce à une détection précoce des tensions d'approvisionnement, la mise en place de mesures de mitigation ou l'identification d'alternatives thérapeutiques en interne.

Pour conclure, quelques pistes de réflexion visant à améliorer la façon dont nous prévenons les situations de tension ou de rupture et y faisons face.

Depuis le début de la crise du covid-19, les débats sont nombreux autour de la relocalisation de la production de médicaments. Il nous apparaît impossible d'envisager une relocalisation complète de la chaîne de production du médicament, que ce soit en France ou dans tout autre pays. La production d'un médicament fait appel à de nombreuses expertises et de nombreux acteurs, qui ne se trouvent pas tous au même endroit. Le vaccin contre la covid-19, par exemple, implique 280 composants et exige neuf étapes industrielles.

Non seulement vouloir tout localiser en un seul pays serait illusoire, mais, même, ce ne serait pas souhaitable : nous avons la conviction que la meilleure garantie en termes de sécurisation des chaînes de production est le recours aux meilleurs spécialistes dans chaque domaine. Nous avons procédé de la sorte pour le vaccin précédemment cité, et ces spécialistes étaient localisés dans différents pays. C'est cette logique qui nous a permis de faire preuve de flexibilité et d'éviter toute rupture d'approvisionnement en vaccin, même au plus fort de la crise sanitaire.

Le plus important est l'expertise, non la localisation. Il serait donc intéressant d'inciter les industriels à garantir la robustesse et l'agilité de leurs chaînes de production, plutôt que de relocaliser en France.

Une autre solution consisterait à faciliter l'importation de lots destinés à des marchés étrangers en cas de tension, en avançant, notamment, sur la mise en place de notices dématérialisées, ce qui permettrait de limiter l'immobilisation de lots lors de modifications à la marge de ces notices. Nous avons été confrontés à une telle situation en avril 2020, à la suite d'une demande des autorités de retirer du lactose d'un de nos médicaments de la famille des corticoïdes. L'ANSM nous a accompagnés et autorisés à importer des lots Pfizer destinés au marché belge, ce qui a permis la prise en charge des patients français.

Deux autres mesures nous paraissent intéressantes : réfléchir aux conditions de prix de certains médicaments matures, dont les coûts de production excèdent parfois le tarif de remboursement ; éviter au maximum toute exigence réglementaire propre au marché français pour privilégier un alignement européen, ce qui permettrait d'éviter que certains lots soient produits pour le seul marché français.

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